Etudes biologiques sur les géants, par P.-E. Launois,... Pierre Roy,... Introduction par M. le professeur Brissaud (2024)

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Titre : Etudes biologiques sur les géants, par P.-E. Launois,... Pierre Roy,... Introduction par M. le professeur Brissaud

Auteur : Launois, Pierre Émile (1856-1914). Auteur du texte

Auteur : Roy, Pierre (Dr). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1904

Contributeur : Brissaud, Édouard (1852-1909). Préfacier

Sujet : Géants

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb318744294

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : XVI-462 p. : fig. ; in-8°

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Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6452329p

Source : Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-TB74-31

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 16/09/2013

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P.-E. LAUNOIS ET P. ROY

ÉTUDES BIOLOGIQUES

SUR LES

GÉANTS

PARIS MASSON ET CIE 1904 ÉDITEURS

~ÉTUDES BIOLOGIQUES

SUR

LES GÉANTS

Tous droits réservés.

ÉTUDES BIOLOGIQUES

SUR

LES GÉANTS

PAR

P.-E. LAUNOIS

Professeur agrégé, chargé de cours à la Faculté de médecine, Médecin de l'hôpital Tenon

PIERRE ROY Ancien interne des hôpitaux Chef de clinique à la Faculté de médecine

Introduction par M. le Professeur BRISSAUD

Le géant irlandais CORNELIUS MAGRATH, mort en 1760, dont le squelette fut reconnu acromégalique par CUN- NINGHAM en 1891. — (Vieille gravure allemande).

PARIS MASSON ET Cie, ÉDITEURS LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

1904

A

M. LE PROFESSEUR ED. BRISSAUD

dont les travaux, faits avec la collaboration de notre ami

HENRY MEIGE, ont guidé nos recherches, nous dédions le livre dans lequel nous les avons rassemblées.

Juillet 1904.

En inscrivant sur la première page de ce beau livre mon nom auquel ils associent celui de mon cher collaborateur, M. Henry

Meige, les auteurs, MM. P.-E. Launois et Pierre Roy me font un trop vif plaisir pour que j'essaie de le dissimuler; ils m'obligent presque à le rendre public; je m'y résous donc sans fausse honte.

Ce travail consacre des idées qui, à la première heure, avaient paru prématurées et téméraires, car elles manquaient de la véritable sanction scientifique, celle des faits universellement reconnus. MM. P.-E. Launois et Pierre Roy apportent les preuves matérielles de ce que nous avions avancé. Si nos travaux ont — comme ils veulent bien le dire — guidé leurs recherches, les résultats de ces recherches leur sont tout personnels. Nous avions procédé par induction; ils ont procédé par démonstration. Eux seuls ont fait œuvre de savants : ce livre est bien à eux tout entier.

Voici donc les géants dépouillés de leur antique et fabuleux prestige. La mythologie cède la place à la pathologie. Ces êtres qui, par leur taille exceptionnelle, dépassaient le niveau des humains ne sont en somme que des malades. Leur supériorité légendaire n'est plus qu'un stigmate de déchéance. Plus ils gagnent en hauteur, plus ils s'écartent des conditions biologiques normales : et, dans la lutte pour la vie, leur infériorité fonctionnelle n'a pas de plus exacte mesure que leur énormité.

Il y a peu de temps, un original avait légué par testament une somme destinée à doter chaque année un couple de géants, dans le décevant espoir de perfectionner notre mesquine espèce par la sélection méthodique des individus de haute stature. Ce philanthrope ne savait rien du gigantisme. Parmi les géants, les uns, véritables « infantiles », sont inaptes à la reproduction; les autres, les « acromégales, seraient plutôt à décourager :

ils multiplieraient une race d'individus au facies mastoc, aux mâchoires énormes, avec des mains en battoirs, des pieds massifs, et, par surcroît, la double bosse de Polichinelle ». Cette sélection heureusement irréalisable ne porterait pas d'autres fruits. Tel n'était pas certainement l'idéal rêvé par l'ignorant donateur qui, à son insu, évoquait une des plus anciennes utopies de notre vieux monde, celle de la mégalanthropogénésie!

L'anthropologie — qui est une science, quoi qu'on en ait dit — s'est trompée lorsqu'elle a voulu s'approprier l'étude des géants. Du fait qu'ils sortent du commun, c'est-à-dire qu'ils sont monstrueux, ils ne relèvent pas de l'histoire naturelle de l'homme.

La tératologie était, à la rigueur, plus fondée à la réclamer.

Mais aujourd'hui il n'est plus contestable que le gigantisme doit faire retour à la médecine. Et s'il a plu à MM. P.-E. Launois et Pierre Roy d'étudier incidemment les géants au point de vue anthropologique et tératologique, leur livre prouve qu'ils ont surtout considéré le gigantisme en cliniciens. Là est le grand mérite, la réelle originalité.

D'ailleurs, une étude nosographique des géants s'imposait; on l'attendait, et voici pourquoi : le nanisme vulgaire, qui est en quelque sorte le contraire du gigantisme, nous était apparu comme un fait morbide. Les extrêmes se touchent, et il n'est pas paradoxal de dire que le nanisme et le gigantisme peuvent être rapportés à un processus analogue, quoique de signe contraire. Déjà, depuis quelques années, on avait décrit quelques types de monstruosités morphologiques bien caractérisés : d'une part l'acromégalie, d'autre part l'idiotie myxœdémateuse; et il avait été démontré que ces monstruosités résultent de l'insuffisance fonctionnelle de certaines glandes préposées à la régularisation harmonique des diverses parties du corps au cours du développement. Sur cette origine de l'acromégalie et de l'idiotie myxœdémateuse, aucun doute ne subsiste. Le mystère de la croissance normale, ayant pour fin un ensemble de proportions et de dimensions spéciales à chaque espèce et communes à tous les individus de cette espèce se trouva donc

subitement éclairci le jour où l'on reconnut que l'atrophie ou l'hypertrophie des glandes qui règlent et dirigent la croissance, produisent fatalement les anomalies ou les difformités tantôt de l'idiotie myxœdémateuse, tantôt de l'acromégalie.

Mais, comme il n'est pas de limite entre l'état normal et l'état morbide, comme les frontières de la maladie sont toujours indécises, il nous a semblé que ces nouveaux types pathologiques, idiotie myxœdémateuse et acromégalie, ne représentaient que les degrés extrêmes d'états morbides entre lesquels il y avait encore place pour des formes intermédiaires, également pathologiques, quoique moins brutalement tranchées. C'est ainsi que nous avons pu — MM. P.-E. Launois et Pierre Roy veulent bien le reconnaître — établir tout d'abord la morbidité de l'infantilisme. Là où l'on ne voyait qu'un état morphologique d'origine fortuite, il existe des influences pathogènes constantes, identiques dans leur mode d'action nocive à n'importe quelle autre influence pathogène. Il y a des adultes qui, par la taille, restent infantiles; il y a des infantiles qui par leur taille deviennent des adultes, et même plus que des adultes, puisqu'ils atteignent au gigantisme.

Dans cet ordre de faits, on rencontre donc une série ininterrompue de degrés morbides, dont le déterminisme pathogénique est établi désormais d'une façon définitive. Le hasard ou l'on ne sait quelle mystérieuse influence n'y sont pour rien.

On ne se contente plus de dire aujourd'hui que tel individu est resté nain ou est devenu géant en vertu d'une exception échappant à toute loi. C'est l'exception même qui est expliquée; et la loi de cette exception a trouvé sa formule.

Donc Nanisme ou Gigantisme sont deux maladies véritables.

C'est cette variation des troubles pathologiques de la croissance qui a fait l'objet des recherches que MM. P.-E. Launois et Pierre Roy rappellent au début de leur travail.

La première en date de toutes ces constatations, la plus retentissante, et, il faut le dire, la plus féconde, a été celle à laquelle M. Pierre Marie a pour toujours attaché son nom.

C'est en effet de la découverte et de l'incomparable description

de l'acromégalie que datent les travaux dont se sont inspirées et nos propres recherches et toutes celles des observateurs, qui ont depuis lors élargi et prolongé cette voie nouvelle vers un horizon si vaste et si imprévu.

On ne saurait trop le répéter, le mémoire de M. Pierre Marie a donné à la pathologie des fonctions de croissance une orientation et une impulsion dont nul, jusqu'à lui, n'avait eu l'idée.

La relation de cause à effet d'une lésion de l'hypophyse et des lésions hyperplasiques du squelette est une découverte de tout premier ordre. Elle équivaut à la découverte des rapports du myxœdème et des lésions de la glande thyroïde. Dès à présent, nous voyons cette relation se confirmer d'une façon nécessaire dans tous les faits normaux et pathologiques qui concernent l'histoire du développement.

Le rôle des corps jaunes dans l'évolution de la grossesse en est une attestation nouvelle.

A l'époque où nous avions énoncé cette formule : « Le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescence », nous étions loin de prévoir que la preuve en pourrait être fournie du vivant même de nos malades. Aujourd'hui, il n'est pas besoin d'attendre l'autopsie; nous saisissons sur le vif les troubles de l'ostéogénie qui engendrent, soit l'infantilisme myxœdémateux, soit le gigantisme. Les rayons X nous permettent de distinguer les lésions et de les étudier, comme si nous avions les pièces du squelette entre les mains. Grâce à la photographie de l'invisible, MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont pu confirmer l'exactitude de nos prévisions. Ils ont eu, en outre, la bonne fortune de recueillir un nombre respectable de documents anatomiques, qui sont venus corroborer les témoignages radiographiques. Aussi, ont-ils pu modifier de la façon la plus heureuse notre formule initiale, et dire avec plus de précision anatomique : « Le gigantisme est l'acromégalie des sujets aux cartilages épiphysaires non ossifiés, quel que soit leur âge. »

L'accroissement inusité de la taille d'un individu ne justifie pas la création d'une catégorie distincte. S'il fallait prévoir pour chaque type de croissance un groupe spécial, on multi-

plierait à l'infini le nombre déjà trop grand des catégories arbitraires. Tous les anthropologistes ont jugé cette difficulté insurmontable.

Il fallait donc chercher, en dehors et au delà des limites de l'anthropologie, les attributs les moins variables du gigantisme.

C'est sur le terrain de la clinique qu'on a su les découvrir.

Il s'est trouvé précisément que la maladie de Pierre Marie consistait en une anomalie de l'évolution squelettique, dont le gigantisme est fréquemment le prélude; et, s'il est bien certain qu'un acromégalique peut n'être pas géant, il n'est pas moins certain que le gigantisme emprunte ses traits les plus caractéristiques à l'acromégalie. Le dualisme des deux états n'est qu'apparent. Par nature, la déviation trophique qui les produit est la même.

MM. Launois et Roy ont adopté une distinction déjà proposée par M. Henry Meige dans une étude récente sur le gigantisme. M. Meige réserve le nom de géants, non pas à tous les individus d'une haute stature, mais seulement à ceux qui, outre la haute stature, présentent certaines anomalies tératologiques et pathologiques bien définies; l'ensemble de ces anomalies constitue, avec la taille excessive, le syndrome auquel doit être réservé le nom de gigantisme.

La langue scientifique peut se permettre de restreindre ainsi le sens des mots. Elle en a même le devoir. Peu importe que la langue courante continue à appeler géant tout individu dont la taille excède sensiblement la moyenne. Après tout, cette façon de parler a aussi sa raison d'être ; car le gigantisme ramené à une définition centimétrique comporte des variétés innombrables. On peut être géant dès la naissance, on peut avoir été un fœtus gigantesque, on peut être géant à 15 ans, à 20 ans, à tout âge. La définition pathologique s'appuie sur une base bien plus solide.

Le développement anormal de la taille indique simplement une exagération du processus de croissance; voilà tout le gigantisme. C'est donc l'excès de la fonction ostéogénique qui constitue l'anomalie pathologique, ou qui va créer la mons-

truosité. Que ce dérèglement de l'ostéogénie soit précoce ou tardif, passager ou permanent, la définition n'a pas à s'en préoccuper : c'est toujours dans la nature intime de ce trouble que nous devons, nous, médecins, chercher les éléments de notre définition. En effet, s'il y a des gigantismes passagers, comment les définir? Les exemples n'en sont pas rares : un enfant, qui reste de taille ordinaire jusque vers sa douzième année, et qui soudain, en deux ou trois ans, subit une poussée excessive de croissance (laquelle d'ailleurs se termine vers la quinzième ânnée), un tel enfant n'a-t-il pas traversé une crise passagère de gigantisme? Cela revient à dire que, pendant une période de sa vie, la fonction ostéogénique a subi une exaltation maladive. Rien de plus.

D'autres fois, elle se prolonge au delà de l'adolescence : la taille continue de s'élever, elle s'élève encore, elle dépasse notablement la mesure. Mais c'est toujours la même exaltation de la fonction ostéogénique. Et lorsqu'elle s'apaise, le sujet garde forcément ses dimensions acquises. Une fois parvenu à l'âge adulte, il restera un spécimen de gigantisme définitif.

Mais les choses vont souvent plus loin. Si l'ostéogénèse conserve son activité au delà de son temps normal, l'adulte, parvenu à l'âge où il devrait fixer en quelque sorte sa taille, continue encore de grandir, et il grandirait indéfiniment, si les organes qui président à la croissance subsistaient encore ou se renouvelaient indéfiniment eux-mêmes. Car, normalement l'allongement squelettique est régi par le processus d'ossification dont les cartilages juxta-épiphysaires sont le siège ; et ces derniers tendent à disparaître vers la vingtième année. Mais qu'on suppose pour un instant que cette disparition n'ait pas lieu, et que les cartilages juxta-épiphysaires ne perdent rien de leur aptitude ostéogénique, la taille continuera de s'accroître. On concevrait, grâce à cet audacieux a priori, la possibilité d'une hypermégalie squelettique progressive. Certains géants seraient ainsi condamnés à grandir à perpétuité. Or, ceci n'est pas une simple hypothèse. Des faits indéniables (et les plus significatifs sont rapportés par les auteurs de ce livre)

démontrent la persistance illimitée des cartilages de conjugaison et de leur pouvoir ostéogénique. Sans doute les sujets ne continuent pas de grandir, dans chaque unité de temps, d'une quantité égale. Le processus se ralentit, mais il dure. Le tracé graphique de leur croissance correspond à une asymptote.

MM. Launois et Roy en fournissent ici la démonstration.

Il y a quelque dix ans, nous disions : « La croissance normale se fait surtout par les cartilages épiphysaires ; mais lorsque ces cartilages sont ossifiés et que la soudure des épiphyses est irrévocablement parachevée, il n'est plus possible de grandir. »

C'est donc à la persistance des cartilages juxta-épiphysaires de conjugaison qu'est dû le gigantisme. Pas d'élévation excessive de la taille sans un excès de la fonction ostéogénique des cartilages juxta-épiphysaires; pas de gigantisme sans la persistance au delà du terme normal de ces organes ostéogéniques et de leur pouvoir d'ossification.

Mais, ajoutions-nous : « A partir d'un certain âge, fixé d'avance pour tous aux environs de la vingtième année, les cartilages épiphysaires s'ossifient et le géant cesse de grandir.

Il n'en est pas moins vrai que le travail pathologique peut durer plus longtemps encore, et le même géant, qui ne peut plus grandir, va devenir un acromégalique. »

Il existe donc un gigantisme acromégalique.

L'existence du gigantisme acromégalique est aujourd'hui hors conteste, et le remarquable faisceau d'observations rassemblé par les auteurs de ce livre, achèverait de convaincre les incrédules, s'il en restait encore. Il faut louer MM. Launois et Roy d'avoir impartialement collationné tant de faits dont la concordance suffit pour que la vérité s'en dégage spontanément.

« Nos études sur le gigantisme, disent MM. Launois et Roy, entreprises sans parti pris et sans avoir pu prévoir à l'avance les résultats qu'elles nous donneraient, nous ont tout naturellement conduits à des conclusions identiques : nous avons tenu à remonter aux sources, à relire soigneusement et dans le texte original la plus grande partie de la littérature gigan-

tologique, et nous nous trouvons obligés de déclarer que nous sommes encore à chercher l'observation précise et complète d'un géant (squelette, géant vivant ou géant autopsié) qui ne présente ni déformations acromégaliques, ni tumeur du corps pituitaire. Nous ne voulons pas affirmer qu'un tel géant ne puisse se rencontrer; mais en ce qui nous concerne, nous ne l'avons pas trouvé. »

Toutefois, comme le disait M. Pierre Marie lui-même, s'il est vrai que, « plus on observe de géants, plus on rencontre de géants acromégaliques », il n'est pas douteux non plus que certains individus de taille gigantesque peuvent ne pas présenter les grosses difformités de l'acromégalie. Il nous semblait à nous plus juste de dire qu'ils ne les présentent pas encore, et que les géants de cette catégorie sont des acromégaliques en puissance. MM. Launois et Roy le disent à leur tour : « Si tous les géants ne sont pas des acromégaliques, tous ceux du moins qui ne le sont pas déjà, sont aptes à le devenir. » L'étude que MM. Launois et Roy ont faite du « grand Charles » et du « géant Constantin » est, à cet égard, particulièrement démonstrative.

Existe-t-il donc des caractères propres aux géants qui ne sont pas encore acromégaliques? Oui, assurément. Ces candidats gigantesques à l'acromégalie sont marqués de stigmates morphologiques qui s'accordent parfaitement avec l'anomalie des organes ostéogéniques d'où dépend leur gigantisme. Ces sujets, chez lesquels la fonction des cartilages juxta-épiphy- saires sait entretenir son activité au delà de l'âge où elle devrait s'éteindre, ces sujets, qui, grâce à une lamelle ostéogénique, conservent une portion de jeunesse déconcertante, ces mêmes sujets témoignent également par leur forme corporelle, qu'ils ont gardé nombre des caractères propres à l'enfance; autrement dit, ce sont des infantiles.

Par conséquent, il existe un gigantisme infantile.

Si l'on peut considérer a priori comme un paradoxe biologique la coïncidence d'une stature colossale avec une configuration enfantine, rien, au contraire, ne semblera moins

paradoxal si l'on se rappelle à quoi tient et se réduit cet accroissement inusité de la taille.

Tant que persistent les cartilages de conjugaison, le squelette n'abandonne aucun des attributs de l'enfance et de l'adolescence. Alors la période de l'adolescence se poursuit avec l'accroissement en hauteur qu'elle comporte; si bien qu'il est permis de dire que, si l'on grandit démesurément, c'est par suite d'un « arrêt de développement ». On voit, en effet, des adolescents de trente ans, comme ce géant Charles, qui a fait l'objet de tant d'intéressantes observations; on en trouvera dans ce volume une étude descriptive infiniment curieuse.

Ainsi, avant d'être acromégalique, un géant reste un infantile.

Les caractères de l'infantilisme ont été, depuis ces dernières années, déterminés avec assez de précision pour qu'on soit désormais en mesure d'affirmer que tout géant digne de ce nom, et qui grandit encore, non seulement n'est pas acromégalique, mais que, nécessairement, il est un infantile. La radiographie, en effet, n'a-t-elle pas, dès ses débuts, rendu évident chez tous les infantiles le retard de l'ossification des cartilages juxtaépiphysaires?

En résumé, malgré l'élévation inusitée de la taille, beaucoup de géants conservent les apparences extérieures de l'enfance : appareil génital incomplètement développé, absence de poils sur le visage et sur le corps, un pannicule adipeux assez épais, une voix grêle, la figure d'un enfant vieillot. Chez ces géants infantiles, MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont prouvé que les soudures épiphysaires sont exagérément tardives. Tant que la fusion des épiphyses n'est pas un fait accompli, le sujet reste encore capable de croître en hauteur. Mais vienne le jour où l'ossification est achevée, et alors l'intempérance de la fonction ostéogénique se traduit par des déformations nouvelles : le géant infantile se transforme en un géant acromégalique.

Ainsi, un trouble général domine le processus morbide qui aboutit, suivant l'âge, soit au gigantisme, soit à l'acromégalie.

Ce « trouble » n'est, en somme, qu'une exagération de l'ostéogénie de croissance. Nous disons « suivant l'âge », et nous

sommes tout prêt à dire, avec MM. Launois et Roy, « suivant la précocité ou le retard de la soudure des épiphyses ».

Mais quelle est la cause lointaine de ce déréglement? A quelle stimulation inusitée riposte la suractivité des cartilages?

Quel est l'agent infectieux? Quelle est là toxine? Quel organe directeur oublie son rôle et laisse aller sans frein le processus hyperplasique? Ici, il faut bien l'avouer, nous en sommes réduits aux conjectures. Et cependant quelques faits d'observation médicale nous montrent la voie où l'hypothèse peut s'engager.

D'abord nous savons que, chez les adolescents, à la suite des maladies infectieuses, on voit se produire de rapides poussées de croissance. L'allongement des os semble même précéder et outrepasser celui des parties molles. Puis, nous connaissons le rôle non douteux que joue la sécrétion thyroïdienne dans le développement squelettique. Sous ce rapport, l'histoire du myxœdème et de l'infantilisme est prodigue de révélations.

Enfin, les altérations de la glande pituitaire sont à peu près constantes dans l'acromégalie.

Et il semble même qu'il existe certaine étroite corrélation entre la sécrétion interne de la glande génitale et le développement du squelette. MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont recueilli sur ces faits toutes les observations utilisables, mais elles ne sont pas assez nombreuses pour résoudre dès à présent le problème.

L'hypophyse, en particulier, nous réserve encore bien des surprises. Nul n'en a poussé l'étude aussi loin que l'a fait M. P.-E. Launois. Et si ce livre ne fait pas plus souvent appel aux belles recherches histologiques de l'un de ses auteurs c'est que l'intention en est exclusivement clinique.

Mais nous pensons ne pas commettre une indiscrétion en

annonçant aux lecteurs qu'ils ne perdront rien pour attendre.

E. BRISSAUD.

INTRODUCTION

« Les ouvragés dans lesquels on rencontre quelques remarques

« relatives à l'action des Géants, les écrits mêmes qui ont été publiés « ex professo sur ce sujet, étaient déjà, il y a plus de deux siècles, « en nombre très considérable; et, depuis cette époque, les auteurs « n'ont cessé d'en augmenter presque chaque année la longue liste.

« Aussi, en jugeant du résultat obtenu par les efforts qui l'ont « produit, on n'hésiterait pas à prononcer que la science doit « posséder depuis longtemps tous les éléments d'un travail complet « sur les géants et qu'il ne reste plus maintenant qu'à recueillir « quelques faits isolés et, pour ainsi dire, à glaner sur les pas des « anciens auteurs. Il n'en est rien cependant. »

Ces lignes d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1), qui datent de 1852, expriment touj ours la vérité : une étude synthétique du gigantisme n'a pas encore été ébauchée. De même, Quételet, en 1871, pouvait écrire : « L'incurie au sujet des Géants et des Nains « a été telle qu'aucun naturaliste n'a pris soin, jusqu'à présent, de « mesurer et de comparer attentivement les proportions relatives de .« ceux qu'il a été à même d'observer » (2).

Une semblable assertion ne peut plus être admise aujourd'hui, du moins en ce qui concerne les Nains. Dans ces dernières années, nos connaissances sur ces dystrophiés de la nature ont été remarquablement précisées par une série de travaux, publiés pour la plupart dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. C'est ainsi que, dans l'ancien groupe chaotique des sujets

(1) ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisme chez les hommes et chez les animaux, ouvrage comprenant les recherches sur les caractères, la classification, l'influence physiologique et pathologique, les rapports généraux, les lois et les causes des monstruosités ou Traité de Tératologie. Paris, 1832, t. I, p. 168.

(2) QUÉTELET, Anthropométrie, p. 305, 1871.

de petite taille, nous avons appris successivement à distinguer les Nains rachitiques, les Nains hérédo-syphilitiques, les Nains myxœdémateux, les Nains achondroplasiques, pour ne citer que les types les mieux caractérisés.

Si les notions que nous possédons sur les Géants sont beaucoup plus restreintes, cela tient à plusieurs causes, et, avant tout, à la moindre richesse en documents iconographiques ou artistiques : les Nains historiques étaient choyés par le seigneur et admis autour de sa table, sinon pour leur grâce, tout au moins pour leur esprit et leurs grimaces, tandis que les Géants demeuraient à la porte, destinés à en imposer seulement par leur haute stature.

Mais l'étude des Géants, comme celle des Nains, jadis objet de la curiosité commune, tend à relever désormais et uniquement des sciences biologiques et anthropologiques. De plus, sous l'influence des travaux de Langer (1), Taruffi (2), Cunningham (3), Dana (4), Woods Hutchinson (5), Sternberg (6), Brissaud et Meige (7), etc., cette étude est entrée dans une phase véritablement médicale. La littérature gigantologique, jadis riche surtout de souvenirs bibliques, mythologiques ou fabuleux, s'est peu à peu accrue d'un grand nombre de documents précis, de faits rigoureusement observés, et ainsi s'est trouvé comblé le vœu formulé par Topinard (8) : « Tout Géant demande qu'il soit dressé de lui une observation complète, comme on fait en médecine», Malgré l'abondance des travaux publiés dans ces dernières

(1) LANGER, Wachsthum des menschlichen Skelettes mit Bezug auf den Riesen. Denkschriften der kaiserl. Academie der Wissenschaften in Wien. Mathem.

naturw. Classe, Bd. XXXI, 1872.

(2) TARUFFI, Caso della macrosomia. Annali universali di medicina, 1879, t. 247 et 249.

(3) CUNNINGHAM, Transaction of the Royal Irish Academy, 26 janvier 1891, t. XXIX, p. 553.

(4) DANA, The Journal of nervous and mental Discases, novembre 1893.

(5) WOODS HUTCHINSON, The American Journal of the médical sciences, août 1895, p. 190. — New-York medical Journal, 14 juillet 1900.

(6) STERNBERG, Die Akromegalie. Specielle Pathologie und Thérapie von Nothnagel, Bd. VII, 2. Theil. Wien, 1897.

(7) BRISSAUD et MEIGE, Gigantisme et acromégalie. Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 25 janvier 1895. — Nouv. Icon, de la Salpêtrière, 1897.

BRISSAUD, Soc. Méd. des Hôpitaux, 15 mai 1896.

H. MEIGE, Sur le gigantisme. Comptes rendus dit Congrès de Neurologie de Grenoble, août 1902. — Sur le gigantisme. Archives gén. de Méd., octobre 1902, p. 410.

(8) TOPINARD, Éléments d'Anthropologie Générale. 1885, p. 434.

années, il n'est pas encore possible de faire une étude générale et définitive du gigantisme; il ne nous a pas semblé cependant téméraire, en présence de la diversité des faits, d'établir différents groupements et de distinguer les uns des autres certains types nettement caractérisés.

Les observations que nous avons recueillies, les travaux dont elles ont été l'origine (1), seront la justification de notre tentative, que viendra confirmer la lecture des documents que nous avons rassemblés, comme aussi, nous l'espérons, la publication ultérieure de faits rigoureusement observés et scientifiquement interprétés.

(1) P.-E. LAUNOIS et P. ROY, Présentation d'un géant infantile. Soc. de Neur., 6 nov. 1902, et Revue Neurol., 15 nov. 1902. — Gigantisme et infantilisme. Nouv.

Iconographie de la Salpêtrière, novembre et décembre 1902. — Gigantisme, acromégalie et diabète. Autopsie d'un géant acromégalique et diabétique.

Société de Neurologie, 15 janvier 1903 et Revue de Neurologie, 50 janvier 1903. Nouvelle Iconographie de la Salpâtrière, juin-juillet 1903. — Gigantisme et castration.

Les modifications du squelette consécutives à l'atrophie testiculaire et à la castration. Société de Pathologie comparée, 9 décembre 1902 et Revue internat.

de médecine et chirurgie, décembre 1902. — Des relations qui existent entre l'état des glandes génitales mâles et le développement du squelette. Société de Biologie, 10 janvier 1903. — A. DUFRANE, P.-E. LAUNOIS et P. Roy, Les relations du gigantisme et de l'acromégalie expliquées par l'autopsie du géant Constantin. Bull, et Mémoires de la Société méd. des Hôpitaux de Paris, 8 mai 1903. —

P.-E. LAUNOIS et P. ROY, Glycosurie et hypophyse. Société de Biologie, 21 mars 1903 et Archives gén. de Méd., 5 mai 1903. — P. ROY, Contribution à l'étude du gigantisme. Thèse de Paris (médaille d'argent), 25 février 1905.

LIVRE PREMIER

CHAPITRE PREMIER

DÉFINITION

Rappeler et critiquer les différentes définitions proposées est la meilleure manière de poser les données du problème du gigantisme. En le définissant à notre tour, nous apporterons une formule dont il nous faudra, en nous basant sur les faits, justifier l'exactitude, même si nous sommes amenés à détourner de son acception habituelle le sens du mot géant.

Et tout d'abord, qu'est-ce qu'un géant?

« Un géant est une personne d'une taille démesurée. » (1) Cette définition, empruntée à Yves Saint-Paul, et qui se trouve d'ailleurs reproduite dans tous les dictionnaires usuels ou abrégés, a le mérite de la simplicité. Malgré son apparence un peu trop exclusive, le terme « dé-mesure » qu'elle renferme n'est pas loin d'exprimer, à lui seul et très brièvement, l'idée de trouble pathologique, que nous voudrions attacher d'une façon irrécusable au mot géant.

La définition donnée dans l'Encyclopédie de Diderot (2) : « homme d'une taille excessive comparée avec la taille ordinaire des autres hommes » ajoute peu de chose à la précédente. Celle de Geoffroy Saint-Hilaire (5), « individus dont la taille est très supérieure aux dimensions moyennes de leur race », apporte un élément nouveau d'appréciation et établit déjà la distinction entre le gigantisme endémique et le gigantisme sporadique, qui sera reprise plus tard par Taruffi (4).

F. Delisle (5), de son côté, cherche à être plus précis et plus

(1) YVES SAINT-PAUL, article Géants in Dict, Larousse illustré.

(2) DIDEROT, article Géant in Encyclopédie.

(3) ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, loc. cit.) vol. I, p. 179.

(4) T ARUFFI, loc, cit, (5) F. DELISLE, Dictionnaire des sciences anthropologiques (Hovelacque, etc.).

Paris, 1884-1895.

scientifique : « Les Géants sont des êtres dont la taille, à l'âge adulte, est de beaucoup supérieure à celle des individus de la même espèce et placés dans des conditions analogues d'existence ». Les mots « à l'âge adulte » établissent une nouvelle distinction, sur la légitimité de laquelle nous aurons à revenir, lorsque nous étudierons les rapports de l'adolescence, de l'infantilisme et du gigantisme.

Les auteurs, dans les formules que nous venons de rapporter, ont surtout mis en valeur le caractère dominant du gigantisme et dès lors le plus facile à observer, c'est-à-dire la dimension démesurée de la taille. D'autres ont cherché à mieux préciser les modifications observées soit dans les différents segments, soit dans la totalité du corps.

Paul Gauchery (1), définissant « les Géants des êtres chez lesquels toutes les parties du corps ont subi une augmentation générale et dont la taille se trouve ainsi supérieure à la moyenne », semble avoir surtout cherché à éliminer le gigantisme partiel.

G. Hermann (2) est plus explicite : pour lui, le Gigantisme est caractérisé par « le développement excessif du corps tout entier, avec conservation plus ou moins approximative de l'harmonie générale des formes ».

Plus expressive encore est la formule donnée par Larcher (3) et rappelée plus tard par E. Martin (4) : « Un Géant est un être qui, exempt d'ailleurs de toute défectuosité dans les caractères essentiels de l'organisation, dépasse notablement par la taille les autres êtres de la même espèce, parvenus à l'âge adulte. Le Géant.

ainsi défini et dont on peut dire qu'il est peut-être un être imaginaire, doit se montrer tel que l'harmonie de structure de ses divers organes soit manifestement normale, malgré le développement excessif de la taille. La vigueur physique et la résistance aux causes de destruction doivent aussi être proportionnées à ce développement

(1) P. GAUCHERY, Dictionnaire Larousse illustré. Article Gigantisme, t. IV, p. 845.

(2) G. HERMANN, La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, par une Société de savants et de gens de lettres, sous la direction de Berthelot, etc.

(3) LARCHER, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Articles Géant et Géantisme.

(4) ERNEST MARTIN, Histoire des monstres depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, 1880.

inusité, la puissance génératrice étant, du reste, au moins égale à celle des adultes de même espèce ».

Ainsi compris, le Géant, conservant, malgré sa haute stature, des formes harmonieuses et proportionnées, représente le type idéal de l'homme, une sorte de « surhomme », dont un donateur original avait rêvé de perpétuer l'espèce. Mais ce type idéal existe-t-il? Larcher avait lui-même prévu que « ce Géant était peut-être un être imaginaire » et Martin ajoutait : « Ces véritables Géants n'existent pas. Ceux auxquels on donne occasionnellement et arbitrairement cette appellation ne sont que des êtres qui relèvent de la tératologie et conséquemment ne sont que des monstres ».

C'est à Henry Meige (1) que revient le mérite d'avoir considéré le gigantisme presque toujours, sinon toujours, comme un syndrome pathologique. « La simple observation, écrit-il, autorise à séparer les individus de grande taille en deux groupes : « 1° Ceux qui sont simplement des hommes attirant l'attention par leur taille très supérieure à la moyenne et qui, par ailleurs, sont complètement normaux : c'est la minorité; « 2° Ceux qui, outre leur haute stature, présentent un certain nombre d'anomalies tératologiques ou pathologiques : ce sont de beaucoup les plus nombreux. « Les premiers, quel que soit le nombre de centimètres dont leur taille dépasse la moyenne, ayant une conformation, une constitution et une santé normales, ne sauraient former un groupe nosologique distinct, pas plus d'ailleurs que ceux dont la taille est inférieure à la moyenne. Ce sont des individus normaux, des hommes très grands ou très petits, la taille subissant, dans l'espèce humaine, d'amples variations suivant les races, les pays et une foule de conditions extérieures, variations appartenant à l'anthropologie.

« Les spécimens du second groupe sont bien différents : ils représentent une déviation du type humain sain et normal, caractérisée par des anomalies morphologiques et des troubles incompatibles avec la santé. Ce sont à la fois des monstres et des malades. Il serait à souhaiter que la dénomination de Géants leur fût réservée ».

Nous basant sur les faits que nous avons observés et d'accord

(1) HENRY MEIGE, loc. cit., p. 410.

avec Henry Meige sur la signification nettement pathologique qu'il y a lieu d'attribuer au mot géant, nous avons été amenés à définir LE GIGANTISME COMME UNE ANOMALIE DE LA CROISSANCE DU SQUELETTE, SE TRADUISANT PAR UNE TAILLE EXCESSIVE DU SUJET PAR RAPPORT AUX DIMENSIONS MOYENNES QUE PRÉSENTENT LES SUJETS DE SA RACE ET ENTRAÎNANT UNE DYSHARMONIE MORPHOLOGIQUE ET FONCTIONNELLE, CARACTÉRISTIQUE DE CET ÉTAT MORBIDE.

Cette formule, dont nous éliminons intentionnellement le gigantisme normal, très rarement observé d'ailleurs, choquera peut-être les idées reçues et provoquera les critiques. Et tout d'abord elle se trouvera exposée aux objections du genre de celles qui ont été formulées, non sans humour, dans la Gazette des Hôpitaux ('), au lendemain de la communication qu'avait faite Brissaud, à la Société Médicale des Hôpitaux sur les Rapports réciproques de l'Acromégalie et du Gigantisme. « Que ceux de nos lecteurs qui sont de forte taille se rassurent : on peut être un homme grand sans être un géant et quelques-uns l'ont bien prouvé et le prouvent encore tous les jours, sans être précisément un imbécile. En somme, on serait un géant parce qu'on a trop grandi, et on a trop grandi parce qu'on est acromégalique. Les carabiniers, les cent-gardes étaient-ils donc des acromégaliques? Pas tous probablement. Alors, pour M. Brissaud (2), ils n'étaient pas des géants. Mais où finit l'homme grand pour commencer le géant? Si c'est l'acromégalie qui marque la différence, on arriverait à cette conséquence singulière que, sur deux hommes de la même taille, un seul est un géant.

C'est, en somme, affaire de définition : pour MM. Brissaud et Meige, un géant est un acromégalique de grande taille. Un homme de grande taille, s'il n'est pas un acromégalique, n'est qu'un homme grand ».

Le critique, très avisé, de la Gazette des hôpitaux est amené ensuite à poser, d'une manière très précise, le problème des caractères différentiels qui séparent l'homme grand du géant.

« Qu'est-ce qu'un géant? A partir de quelle taille est-on un géant? Au-dessous de combien de centimètres ne l'est-on plus? » A ces questions Brissaud riposte par d'autres, non

(1) Gazette des Hôpitaux, 11 mai 1896.

(4) E. BRISSAUD, Société médicale des Hôpitaux, 15 mai 1896.

moins difficiles à trancher. « Qu'est-ce que la maladie? A partir de quel chiffre de pulsations, de quel degré thermique a-t-on la fièvre? Au-dessous de combien de pulsations, audessous de quel degré thermique ne l'a-t-on plus? » On est en effet amené à dire qu'il y a entre l'homme grand et le géant les mêmes et aussi imprécises frontières qu'entre l'état sain et l'état morbide.

Pour les anthropologistes, comme pour les autres savants, ces frontières sont difficiles à délimiter; mais, d'après eux, le seul critérium important, par l'appréciation d'une taille communément qualifiée de gigantesque, c'est la constatation, dans la courbe uniformément et régulièrement ascendante qui représente la lente et continue progression des tailles des individus d'une même race, d'une brusque ascension interrompant tout à coup la régularité du graphique. Un brusque écart dans une série suffisamment étendue, telle est l'anomalie qui permet d'affirmer le gigantisme. On trouve, par exemple, sur la terre différentes races dont la taille, comprise entre 1m,25 et 1m,99, représente une ligne de croissance constamment et régulièrement progressive; au-dessus et au-dessous de ces limites, la courbe ne se poursuit plus. « Au-dessous de 1m,25 commence un certain état anormal, souvent pathologique, que l'on appelle nanisme; au-dessus de 2 mètres, on a un autre état correspondant, appelé le gigantisme » (Deniker) (1). C'est donc, à l'aide de la méthode des séries, que les anthropologistes prétendent pouvoir déterminer le nombre de centimètres qui, pour une race donnée, constitue la limite différentielle entre l'homme grand et le géant.

D'après Quételet (2), qui a abordé cette question, « les géants et les nains, pris individuellement, sont, en général, considérés comme des anomalies dans notre espèce; cependant, quand on observe les choses d'un point de vue plus élevé, cette idée est-elle bien exacte? Mes travaux sur la taille humaine m'ont prouvé que l'homme a une grandeur déterminée, formant une espèce de type. En considérant séparément les individus, ils s'écartent plus ou moins de ce type et varient telle

(1) DENIKER, Races et Peuples de la terre, p. 30.

(2) QUÉTELET, loc. cit., p. 305.

ment entre eux, sous l'influence de causes accidentelles, qu'ils semblent ne pouvoir être rattachés par aucune 'loi de continuité. Cette loi existe cependant : j'ai tâché de l'exposer plus haut (L'homme mayen et la loi des grands nombres) et c'est, si je ne me trompe, l'une des plus curieuses que la nature ait fixées à notre espèce. J'ai tâché de la mettre en évidence et de montrer que non seulement l'existence des géants et des nains est une conséquence de cette loi, mais que même leur nombre est calculable a priori pour une population donnée : dans la chaîne qui rattache tous les hommes entre eux, ils sont des chaînons nécessaires, bien qu'ils forment des chaînons extrêmes ».

Mais l'accord est loin d'être complet chez les anthropologistes et aux opinions précédentes on peut opposer celle de Topinard(1) : « Où commence le géant ainsi que le nain, ou, mieux, comment se répartissent les hautes et les petites tailles extrêmes dans une mise en série des variations?. Y a-t-il quelque part, vers les extrémités, un saut, une lacune qui montre que les variations ordinaires sont finies et que les variations anormales, pathologiques, tératologiques commencent? Tout le secret est là »: Et, plus loin, le même auteur ajoute : « Aucune ligne de démarcation n'existe entre ce qu'on appelle des géants et des nains et les tailles physiologiquement hautes ou basses ».

On revient ainsi à la difficulté, indiquée précédemment, qui se présente lorsqu'on cherche à établir une distinction entre le géant et l'homme grand et à la solution que nous avons proposée. Nous nous croyons, en raison même de la définition que nous avons donnée, autorisés à confondre les deux critériums anthropologique (anomalie dans la série numérique) et pathologique (dysharmonie morphologique et fonctionnelle), ainsi que le fait Deniker, lequel considère le gigantisme comme « une anomalie le plus souvent pathologique ».

Pour Grasset (2), « un homme qui a plus de deux mètres de taille ou qui a dépassé cent ans est une exception; ce n'est pas nécessairement un malade ». Cette remarque fait revivre une vieille querelle de mots sur la non absolue synonymie des

(1) TOPINARD, loc cit.

(2) GRASSET, Clinique médicale, 4e série, 1903, chap. xv. La supériorité intellectuelle et la névrose, p. 717.

termes exception, anomalie, maladie, monstruosité. Certes l'homme qui. mesure plus de deux mètres de taille n'est pas nécessairement un malade; aussi faut-il choisir un autre crité- rium que le nombre de centimètres pour distinguer un géant et doit-on réserver ce terme pour désigner des dystrophiés dysharmoniques.

Quant à l'objection philologique, on peut la formuler en se demandant si on a le droit de détourner un mot usuel de son acception habituelle. Mais il ne s'agit nullement de changer le sens du mot géant, mais seulement d'en bien préciser les caractères et les limites ou, comme disent les logiciens, la com- préhension et l'extension. Restreindre le sens d'un mot en le mieux caractérisant, ce n'est pas, croyons-nous, compliquer une langue, mais au contraire l'enrichir et même l'embellir.

N'est-ce pas là d'ailleurs le mécanisme habituel du perfectionnement d'une langue que la précision donnée à un terme scientifique, qui passe ensuite insensiblement dans le langage courant?

On pourrait, il est vrai, composer un mot nouveau et laisser à celui de géant son acception habituelle d'homme très grand.

.Mais il y a toujours quelque peine à forger, soit à l'aide du grec, soit à l'aide du latin, un mot nouveau et à s'en servir pour désigner une chose ancienne déjà; il n'y a de plus aucun avantage à surcharger la langue d'un terme destiné à être compréhensible pour les seuls initiés. Henry Meige(1) avait proposé de remplacer le mot gigantisme par celui de somatomégalie(2), (ϭωματoς, corps, μεϒαλoς, grand), qui, bien que correctement construit, nous paraît peu justiciable d'un emploi courant.

Parmi les synonymes du mot gigantisme, il n'en est pas qui semble pouvoir lui être préféré. Autrefois, on disait géantisme et c'est l'expression qui était communément employée par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Les Italiens (Malacarne, Taruffi) se servent du mot macrosomie, mais on peut lui adresser les

(1) HENRY MEIGE, Société de Neurologie, 6 novembre 1902. Discussion à la suite de la communication de P.-E. LAUNOIS et P. Roy, Revue Neurologique, 15 nov.

1902.

(2) DANA (Journal of nervous and mental Discases. New-York, novembre 1893, p. 734), avait déjà employé le terme de somatomégalie, qui lui avait été suggéré par le Dr FRANK. P. FOSTER.

mêmes critiques qu'aux termes macrosomatie, proposé par Breschet, ou somatomégalie composé par Henry Meige. Quant à l'appellation de mégasomie, créée par Manouvrier(1) pour exprimer « le développement du corps dans sa totalité, abstraction faite du tissu adipeux », il ne peut guère être utilisé dans ce cas, car, ainsi que le fait remarquer l'auteur lui-même, « il peut se faire qu'un individu de médiocre stature, mais très trapu, soit plus mégasome qu'un individu d'une taille élevée ».

Les termes de géant et de gigantisme seront donc conservés dans l'étude du syndrome pathologique que nous entreprenons.

Bien que son étymologie (2) ne rappelle guère que des souvenirs mythologiques ou bibliques, le mot géant offre, sur tous les autres termes qu'on voudrait lui substituer, le grand avantage d'être très vieux et d'être, pour cette raison, compris par tous.

En modifiant son acception habituelle, en élargissant la définition abrégée (géant, personne d'une taille dé-mesurée) que donnent les dictionnaires, nous croyons atteindre une plus grande perfection scientifique. Nous croyons aussi résumer d'une façon suffisamment précise les caractères particuliers, propres au gigantisme dans la formule suivante : LE GIGANTISME EST UNE ANOMALIE DE LA CROISSANCE DU SQUELETTE, SE TRADUISANT PAR UNE TAILLE EXCESSIVE DU SUJET, PAR RAPPORT AUX DIMENSIONS MOYENNES DES SUJETS DE SA RACE ET ENTRAÎNANT UNE DYSHARMONIE MORPHOLOGIQUE ET FONCTIONNELLE, CARACTÉRISTIQUE DE CET ÉTAT MORBIDE (3).

(1) L. MANOCVRIER, Étude sur les rapports anthropométriques et sur les principales proportions du corps. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1902, t. II, 5e série, 5e fascicule, p. 125.

(2) D'après LITTRÉ, le mot géant vient du latin gigantem ou du grec ϒτϒας, formé de ϒη, terre et de ϒας, venant du radical qui veut dire naître (les Géants, fils de la Terre). LITTRÉ donne encore les étymologies suivantes : gaïa (wallon), gèane, au lieu de géante (gèner), agéian, ajoan (wallon), jigat (sanscrit) qui veut dire naître ou marcher. Géant se dit piant en anglais, riese en allemand, reus en néerlandais.

(3) Dès le XVIIIe siècle, on trouve dans le Dictionnaire encyclopédique de DIDEROT et d'ALEMBERT la phrase suivante : « Lorsqu'ils atteignent 7 à 8 pied, les géants sont le plus souvent mal conformés, malades et inhabiles aux fonctions les plus communes. » La définition que nous proposons est plus explicite et plus scientifique, mais elle n'est que la confirmation de cette constatation.

CHAPITRE II

ÉTUDE HISTORIQUE ET CRITIQUE

On a de tout temps affirmé la dégénérescence de l'homme et la décroissance continue de sa taille, comme si « le besoin de se rapetisser était un trait commun à l'esprit de tous les peuples (1). » Virgile (2) ne prévoyait-il pas déjà l'étonnement du laboureur, découvrant dans son champ les ossements gigantesques des premiers êtres humains : « Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris ».

De même Lucrèce (3), traitant de la vieillesse de la terre, la considérait comme incapable d'enfanter désormais de puissants animaux :

« Jamque adeo fracta est ætas, effœtaque tellus, Vix animalia parva creat, quæ cuncta creavit Saecla, deditque ferarum ingentia corpora partu. »

Mais Juvénal (4) remarquait que cette dégénération de l'espèce humaine existait déjà du temps d'Homère : « Nam genus hoc vivo decrescebat Homero ».

et nos contemporains ne devraient être, à ce compte, que de malheureux nains.

Comme nous l'apprennent la science et l'histoire, l'homme n'a pas dégénéré, mais son imagination s'est plue, de tout temps, à enfanter des légendes. Parmi ces légendes, celles qui ont trait aux géants, et dont la plupart ont été réunies par

(1) ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, loc. cit., I, p, 244.

(2) VIRGILE, Géorgiques, t. I.

(5) LUCRÈCE, De rerum natuvâ. I, 2.

(4) JUVÉNAL, Satire, XV, v. 69.

Garnier ('), ne sont pas les moins curieuses, ni les moins intéressantes.

Ces légendes se sont perpétuées jusqu'à nos jours et font encore partie des fastivités urbaines en France et à l'étranger(2).

Entre toutes ces fêtes, la plus connue est celle qui se célèbre chaque année à Douai : le Gayant y est l'objet d'un culte local aussi curieux que pittoresque. Il est figuré par un énorme mannequin d'osier, destiné à rappeler soit un ancien guerrier du XVe siècle qui possédait une vigueur athlétique, soit plus simplement le symbole de l'ancienne corporation des vanniers.

On le promène de par les rues, pendant les trois jours de la kermesse de juillet, en compagnie des membres de sa famille, sa femme Marie Gagenon, son gendre Jacquot, la femme de celui-ci et ses deux petits-fils Fillon et Binbin. L'attachement des Douaisiens pour cette coutume locale est si grand qu'ils se considèrent tous et toujours comme les descendants de Gayant.

Vers 1850, Metz célébrait encore la procession du Graouilly.

Dans le cortège des fêtes annuelles de Lille figurent toujours les Géants Lydéric et Phinaert.

Bayeux garde encore le souvenir du Géant Brun le Danois, qui, après avoir répandu la terreur parmi les défenseurs de la ville assiégée par les Anglais, conduits par Henri I, avait été battu, en un combat singulier par le gentil seigneur Robert d'Argouges, secondé par sa gente compagne la Fée.

Il n'y a pas longtemps non plus que Dunkerque a cessé de célébrer, sur le Mont Cassel, à l'époque du Carnaval, la fête du Reuze ou Rense, géant débarqué autrefois de la Scandinavie.

Ces géants Flamands ont peut-être été importés chez nous par les Espagnols. qui fêtent encore à Barcelone et dans plusieurs autres villes leurs grands hommes et leurs grandes femmes, la Noya, la Senorita, le Seiîorilo, la Sefiora et le Caballero grande.

Toutefois, ce n'est pas en Espagne que la légende des géants a pris. naissance; elle est aussi vieille que le monde et de tout, temps, comme dans tous pays, l'homme s'est plu à exagérer les dimensions de quelques-uns de ses semblables. Con-

(1) GARNIER, Les Nains et les Géants. Paris, 1884.

(2) Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1900, t. XLII, p. 902. La légende des géants dans les fêtes populaires.

servant, à l'âge mûr, l'impression qu'il avait reçue dans l'enfance, alors qu'il vivait au milieu des adultes grands et vigoureux, il a créé les Géants.

La Bible(1) parle d'une race de Géants, produits de l'union des enfants de Dieu avec les filles des hommes et mentionne plus particulièrement, parmi les peuples qui se faisaient remarquer par leur grande taille (« C'était un peuple grand, nombreux et de haute taille ») (2), les Réphaïms ou Cananéens cruels, les Enims ou anciens Moabites, les Géants d'Enac ou Enacims, « auprès desquels les autres hommes ne paraissaient pas plus grands que des sauterelles ».

De même, Hésiode et les autres poètes de l'antiquité ont chanté les Titans ou Fils de la Terre, nés du sang qui sortit de la plaie d'Ouranos; ils nous les représentent avec une taille monstrueuse, une force proportionnée à leur hauteur; ils leur prêtent cent mains et des serpents énormes au lieu de jambes. Ce sont les Titans qui entassèrent Ossa sur Pélion pour escalader le ciel et assiéger Jupiter jusque sur son trône. Pausanias, Claudien, Sidoine Appolinaire, d'autres poètes encore se sont plu à nous faire le récit des combats extraordinaires qui se livraient entre les Dieux et les Géants (3). Dans leurs Gigantomachies, comme aussi dans les légendes indoues, bibliques ou scandinaves, le thème est toujours le même. C'est toujours la lutte entre la force violente, brutale, inintelligente et la force divine, ordonnée et harmonieuse. La victoire revient toujours à cette dernière et aussi au moins grand, au plus faible : c'est le petit David qui terrasse le géant Philistin Goliath, haut de six coudées et une palme; c'est, au moyen âge, le gentil seigneur d'Argouges qui triomphe, sous les murs de Bayeux, du féroce géant Brun le Danois. Il est intéressant pour nous de noter, dès maintenant, que, dans toutes ces légendes, on prête au géant une inintelligente naïveté et un corps aux énormes proportions.

« Dans le balancement des éléments de l'organisme, le développement des formes est au détriment de celui du cerveau.

Les Grecs l'avaient si bien senti qu'ils avaient donné à leur

(1) La BIBLE, Genèse, t. VI, p. 4.

(2) DEUTÉRONOMIE, chap. II.

(3) Les Cyclopes étaient des demi-géants, comme les héros étaient des demidieux.

Apollon une taille moyenne et un front large, élevé, où rayonnait l'intelligence et à Hercule une tête de crétin. » (1) Ce contraste entre l'arrêt du développement intellectuel et l'hypertrophie du corps et des membres se retrouve dans la plupart des observations de géants publiées de nos jours.

Toutes ces fables ont été l'occasion de critiques philologiques ou scientifiques. On a cherché à les expliquer et ceux qui gardent au texte biblique une foi persistante ont cherché des arguments susceptibles de se concilier avec les données scientifiques. Dans l'Encyclopédie de Diderot, on trouve, par exemple, cette remarque que les mots hébreux nophel et giboor (au pluriel nephilim et gibborim), que les Septanles ont traduits par le terme de gigantes et nous par celui de géants, s'appliqueraient d'après Théodoret, Saint-Chrysostome, à des hommes tombés dans des crimes affreux et plus monstrueux par leurs désordres que par l'énormité de leur taille. De même, la taille de six coudées et une palme, attribuée au géant Goliath et qui représenterait neuf pieds (2), c'est-à-dire près de 3 mètres, doit être ramenée à huit pieds, si on en déduit la hauteur du casque d'airain qui surmontait sa tête. Dans cette taille, ainsi réduite, on doit voir encore une hyperbole poétique destinée à grandir le courage et les mérites de David. Ouant au lit de Og, roi de Basan, auquel le Deutéronome (3) accordait une longueur de neuf coudées, il n'était pas nécessairement proportionné à la taille de son hôte, car les souverains orientaux affectionnaient tout particulièrement les lits de parade aux.

vastes dimensions.

La critique, conduite de très bonne foi, tomba, elle aussi, dans l'exagération, comme le prouve la communication faite par Henrion, en 1718, à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Par des calculs très compliqués et pour lui irréfutables, cet auteur, ancien ecclésiastique, désireux sans doute de confirmer scientifiquement le dogme de la chute d'Adam coupable, était parvenu à établir la courbe de décroissance progressive de

(1) Dictionnaire universel d'histoire naturelle de CH. D'ORBIGNY, 1868, t. VI, p. 303.

(2) En France, le pied mesurait Om,3248 et le pouce 0m,027. Pour les mesures anglaises, il y a une légère différence : le pied (fool) mesure Om,3048 et le pouce (inche) 0m,0254.

(3) DEUTÉRONOME, livre III; p. 2.

la taille humaine depuis la création du premier homme jusqu'à la naissance du Messie. Dans une sorte de tableau chronologique, il avait résumé les dimensions des principaux personnages dont parle la Bible ou l'histoire. D'après lui :

Adam mesurait. 125 pieds 9 pouces, soit 40 mètres 095 ve. , 118 — 9 — — J8 — 475 Noe. 103 — — 55 — 372 Abraham '28 — — 9 — 094 Moïse. 15 — — 4 — 222 Hercule. 10 — — 3 — 248 Alexandre .6 — — 1 — 948 Jules César. 5 — — 1 :— 620

A l'époque de César, apparut le Messie, et la taille demeura fixée aux dimensions que présentait celle de l'empereur romain (1). Ces assertions, qui nous font sourire aujourd'hui, furent qualifiées « d'étonnantes découvertes » et « de sublimes visions (2) » ; l'anthropologie n'était pas née.

Dès l'Antiquité, en creusant la terre, on mit à découvert des ossements d'hommes remarquables par leurs grandes proportions, et l'imagination populaire chercha à les personnifier. Le squelette d'Alitée, vu par Sertorius au voisinage de Tanger, mesurait, au dire de Plutarque (3), soixante coudées de longueur; celui d'Orion, qu'un tremblement de terre mit à découvert en Crète, était long, au dire de Pline (4), de quarante-six coudées ; celui d'Oreste n'avait pas moins de sept coudées, soit douze pieds et trois pouces (environ 4 mètres).

Saint Augustin (5) avait ramassé, sur le rivage d'Utique, une dent avec laquelle on aurait pu faire cent dents humaines de volume ordinaire.

Dans la caverne de Trapani, en Sicile, qui porte encore aujourd'hui le nom de Caverne du Géant, on trouva, au XIVe siècle, des ossements qu'on attribua au géant Polyphème. Sous un chêne déraciné par un orage, aux environs de Lucerne, on découvrit, en 1577, des ossements appartenant à un homme qui

(') GARNIER rapproche de ces assertions de HENRION la croyance des Siamois qui pensent, eux aussi, que « la taille des hommes n'a cessé de diminuer à mesure qu'ils ont perdu l'innocence des mœurs primitives et qu'ils finiront par devenir si petits qu'ils n'auront pas même un pied. » (Loco citalo, note de la page 255.) (2) Voir GUYOT-DAUBÈS, Nature, 1887, t. I, p. 18.

(3) PLUTARQUE, Vie de Sertorius.

(4) PLINE, Histoire naturelle, lib. III, cap. XVI.

(5) SAINT AUGUSTIN, De civitale Dei, t. XV, p. 9.

aurait mesuré, d'après Plater, dix-neuf pieds de haut. Beaucoup d'autres trouvailles du même genre furent faites en Grèce, en Sicile, en Bohême: il s'agissait tantôt d'un fémur gigantesque, tantôt d'une tête énorme, tantôt enfin d'un os frontal, dont les trois dimensions étaient de neuf, douze et cinq pouces (').

En France, on retrouvait, dans le Vivarais, les ossements du géant Buscart, qui avait été tué par son vassal le comte de Cabillon et qui ne mesurait pas moins de trente pieds et, dans les environs de Saint-Germain, ceux du géant Isoret, qui était réputé avoir mesuré plus de vingt pieds.

De toutes ces découvertes, la plus fameuse fut celle des ossements qu'on supposa appartenir au géant Teutobochus, roi des Teutons, Cimbres et Ambrons, mort après sa défaite par le consul romain Marius, en l'an 105 avant J.—C.; elle fut l'origine d'une longue et souvent acerbe polémique entre Riolan et Habicot. En 1615, les maçons du sieur de Langon, occupés à tirer du sable pour bâtir, mirent au jour un tombeau, fait de briques, près des masures du château situé, en Dauphiné, dans les environs de Romans. La sépulture renfermait un squelette de vingt-cinq pieds de longueur ; la largeur d'une épaule à l'autre était de dix pieds; du dos à la poitrine, l'épaisseur mesurait cinq pieds; le tibia était long de quatre pieds ; quant aux dents, elles étaient aussi volumineuses que celles des bœufs. La description complète en était faite par Jacques Tissot, dans un opuscule intitulé : Histoire véritable du géant Teulobochus, Paris, 1615. On accourut de toutes parts pour admirer; mais, bien que l'inscrip- tion gravée sur le tombeau et les médailles à l'effigie de Marius eussent disparu, si tant est qu'elles aient jamais existé, on partait convaincu. Habicot partageait l'admiration universelle; Riolan demeurait incrédule et proclamait que les ossements étaient plutôt ceux d'un éléphant ou de quelque autre animal inconnu que ceux d'un homme. Leur discussion, qui dura pendant plus de cinq années, fut l'occasion de nombreux pamphlets; la liste en est curieuse à rappeler :

(1) Tous ces ossements considérés comme les restes de géants immenses étaient l'objet d'une grande vénération populaire et souvent placés à la porte des cathédrales. A la porte de l'église du château de Cracovie, on peut voir encore aujourd'hui des os de mastodonte, un crâne de rhinocéros « tichorhinus » et la moitié d'un maxillaire inférieur de baleine. — LANGER, Anatomie der Formai des mensrhliçhen Körpers, p. 81.

I. Gigantomachie pour répondre à la Gigantostéologie, par un escliolier en médecine (Riolan), 1615, petit in-8°.

II. Discours apologétique touchant la vérité des géants, contre la gigantomachie d'un soi-disant escholier en médecine, par L. D. C.

0. D. R. (l'un des chirurgiens ordinaires du roi, Charles Guillemeau). Paris, 1614, in-8°.

III. Imposture descouverte des os humains supposés et attribués au roy Teutobochus, par Riolan. Paris, 1614, in-8°.

IV. Réponse à un discours touchant la vérité des géants, par Nicolas Habicot. Paris, 1615, in-8°.

V. Jugement des ombres d'Héraclite et de Démocrite sur la réponse d'Habicot au discours attribué à Guillemeau. Paris, 1615, in-8°.

VI. Gigantologie. Discours sur la grandeur des géants, où il est démontré que, de toute ancienneté, les plus grands hommes et géants n'ont été plus hauts que ceux de ce temps, par Jean Riolan. Paris, 1618, petit in-8°.

VII. Antigigantologie ou contre-discours de la grandeur des géants, par M. Habicot. Paris, 1618, in-8°.

VIII. Correction fraternelle sur la vie de Nicolas Habicot, où l'on fait, en passant, la critique de ses ouvrages, notamment de la Gigantostéologie et des autres écrits sur le même sujet. Petit in-8°, s. 1. n. d.

IX. Touche chirurgicale, attribuée à Habicot, avec une satire en vers français contre M. Riolan, docteur dichotomiste, et des vers latins sur l'anagramme de son nom (Joannes Riolanus en Laurus in asino, en asinus in lauro, sine lauro inane), Petit in-8°, s. l. n. d.

Cuvier, par ses admirables travaux, nous ayant appris que la plupart des fossiles appartiennent à des animaux actuellement disparus (éléphants, mastodontes, rhinocéros, cétacés, etc.), il est facile aujourd'hui de faire une distinction entre les ossements découverts à l'intérieur de la terre et de reconnaître ceux qui appartiennent véritablement à l'espèce humaine. Dans certains cas, il s'agit d'os humains, mais ces os sont le plus souvent modifiés, dans leurs dimensions, par une cause pathologique. Il en était tout particulièrement ainsi pour certains

crânes hydrocéphiliques ou rachitiques (1), qui avaient appar- tenu en réalité à des hommes de taille moyenne ou même à des enfants. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire cite l'exemple de Molyneux (2), qui fut appelé à examiner un frontal véritablement gigantesque et qu'on sut, par la suite, avoir appartenu à un habitant d'Amsterdam, dont la taille était plutôt petite, mais dont la tête avait acquis des dimensions extraordinaires.

La lumière ne devait être complète que le jour où commencèrent les recherches anthropologiques, basées sur des données positives. Déjà cependant Norden (3) avait fait remarquer qu'en exceptant celui qui fut découvert près de Thèbes, en 1817, conservé au Sir John Soane's Museum et mesurant neuf pieds et quatre pouces, les dimensions des sarcophages trouvés dans les pyramides ne faisaient nullement prévoir que la taille des anciens Égyptiens eût été plus élevée que celle des hommes de son époque. Cette assertion fut d'ailleurs confirmée par les mensurations des momies recueillies dans les catacombes et hypogées égyptiennes.

Elle l'a été depuis, et d'une façon irréfutable, par les recherches rigoureuses du genre de celles faites par Manouvrier (4) sur les ossements exhumés des dolmens du bassin de la Seine. Il a pu dresser des tables permettant, étant données les dimensions d'un os long des membres, de calculer, avec toute la précision désirable, la longueur totale du squelette auquel cet os isolé avait appartenu. Grâce à cette méthode, son élève Rahon (5) a constaté que les ossements des dolichocéphales retrouvés dans les dolmens séquaniens correspondaient à une taille à peine égale à celle qui appartient à la moyenne des individus actuels.

Ainsi furent peu à peu ruinées les fables et les légendes qui, pendant si longtemps, avaient satisfait la curiosité. Entre la manifeste imposture de Jacques Tissot et d'Habicot, si péniblc-

(1) Journal de médecine, décembre 1757 (cité par VIREY, in Dict. des sciences médicales. Paris, 1816. Article Géant, t. XVII, p. 548).

(2) MOLYNEUX, Philosoph. Transact., t. XV, n° 68 et t. XXII, n° 261.

(3) NORDEN, Itin. ægypt., p. 75 (cité par VIREY, loc. cit.).

(4) MANOUVRIER, Mémoire sur la détermination de la taille d'après les grands os des membres. Mém. de la Soc. d'Anthropologie. Paris, 1802.

(5) J. RATION, Recherches sur les ossements préhistoriques, en vue de la reconstitution de la taille. Mém. de la Soc. d'Anthropologie, 2e série, t. IV, 1893.

ment dévoilée par Riolan, et les rigoureuses et scientifiques données fournies par Manouvrier, Rahon et les anthropologistes, il y a plus que la distance qui sépare le XVIIe du XIXe siècle, il y a l'abîme qui sépare la crédulité du moyen âge des données de la science contemporaine.

Mais il restait encore une légende tendant à établir que la taille humaine avait dégénéré, c'était celle des Patagons; née des récits des premiers explorateurs du Nouveau Monde, elle fut généralement acceptée du XVIe au XVIIIe siècle. On admettait que les habitants de la région la plus méridionale de l' Amérique du Sud, appelée Terre ou Pays des Géants et aujourd'hui Palagonie, étaient tous d'une taille démesurée. Dans la relation du voyage fait par Magellan dans ces parages, en 1519, Harris rapporte que « le pays exploré est habité par un peuple fort sauvage et d'une stature prodigieuse. Ces géants faisaient un bruit effroyable, plus ressemblant au mugissement des bœufs qu'à des voix humaines. » Plus loin, il s'extasie sur leur formidable appétit et leur vigueur proportionnée à leur stature, « car l'un d'eux surmonta les efforts de neuf hommes, quoiqu'ils l'eussent terrassé et qu'ils lui eussent fortement lié les mains; il se débarrassa de tous ses liens et s'échappa malgré tout ce qu'ils purent faire (') ». La mesure du pied de l'un d'eux fut trouvée de dix-huit pouces de long, « ce qui, en suivant la proportion ordinaire, donne environ sept pieds et demi pour leur stature ».

Ces assertions furent successivement reproduites et ampli- fiées par les autres navigateurs qui visitèrent les mêmes régions, tels que les Espagnols Pigafetta, Loise, Sarmiento, Nodal; les Anglais Candish, Hawkins, Kimwet; les Hollandais Sebald de Noort, Lemaire, Spilberg. Des gravures du XVIIIe siècle représentent des marins européens atteignant à peine la ceinture d'un Patagon, « ce qui, en supposant à l' Européen une taille moyenne de cinq pieds ou cinq pieds deux pouces, donnerait au moins huit pieds et demi pour la hauteur d'un indigène ».

Ces récits étaient acceptés par les savants de l'époque, comme le montre le passage suivant emprunté aux Mémoires de

(1) Voir BUFFON, Œuvres complètes, édition de 1856, t. IV, p. 664.

Bachaumont (1) et cité par Garnier : « On parle beaucoup d'une lettre du docteur Maty, médecin très renommé à Londres, à M. de la Condamine, en date du 18 de Juin, pour la commu- niquer à l'Académie des Sciences. 11 y assure que l'équipage entier d'un vaisseau de guerre anglais, qui vient de faire le tour du monde, a vu et examiné cinq ou six mille Patagons de neuf à dix pieds de haut. Il en conclut à l'existence des géants en corps de peuple et que ce ne sont point des variétés rares, individuelles et accidentelles dans l'espèce humaine, comme l'ont soutenu nos plus célèbres naturalistes ».

Mais la vérité ne tarda pas à être connue. « Et moi, aussi, je les ai vus, ces Patagons! s'écrie l'un des compagnons de Bougainville (2) (Voyage de 1769); les Tilans prodigieux dont on vous parle n'ont jamais existé que dans l'imagination échauffée des poètes et des marins. Au surplus, il ne sera pas hors de propos d'observer, pour porter le dernier coup aux exagérations qu'on a débitées sur ces sauvages, qu'ils vont errants comme les Scythes et sont presque sans cesse à cheval. Or leurs chevaux n'étant que de race espagnole, c'est-à-dire de vrais bidets, comment est-ce qu'on prétend leur affourcher des géants sur le dos? Déjà même nos Patagons, quoique réduits à la simple toise, sont-ils obligés d'étendre les pieds en avant. »

« Ce qui m'a paru gigantesque dans la stature des Patagons, écrit Bougainville lui-même, c'est leur énorme carrure, la grosseur de leur tête et l'épaisseur de leurs membres. » Quant à leur taille, il a suffi, pour la bien apprécier, de la mesurer avec exactitude. D'Orbigny, qui vécut pendant huit mois au milieu des Patagons, dit que la hauteur de ceux qu'il a examinés oscillait entre 1m,72 et 1m,92, dans la vallée du haut Rio Chico. Topinard, qui a utilisé ces chiffres, trouve une moyenne de 1m,78 et la fait rentrer dans le groupe des tailles hautes (3).

(1) Mémoires secrets de BACHAUMONT, 50 juillet 1756 (cilé par GARNIER, loc. cit.).

(2) Cité par BUFFON, loc. cit., p. 664.

(3) Quant aux pieds des PATAGONS, qui leur valurent leur nom de la part de MAGELLAN, ils sont petits (27 centimètres pour une taille de 1m,90). Mais ELISÉE RECLUS remarque (Nouv. géogr. univ., t. XIX, p. 683) que les TEHUELCHE, descendants probables des PATAGONS de PIGAFETTA, portent pendant la saison froide des guêtres en peau de huanaco, qui forment ainsi une double chaussure et leur donnent l'apparence d'avoir de grands pieds.

Vlaming, L. Freycinet (1) auraient aperçu, eux aussi, des géants dans les Terres australes; ce dernier voyageur fait remarquer que l'élongation de leur taille était le fait d'une illusion d'optique causée par le mirage.

Peut-être aussi faut-il invoquer, pour apprécier justement ces

faits, les cannibales de 10 pieds, que grandissait la peur des voyageurs qui les auraient entrevus, et les soldats hauts de 15 pieds que certains virent garder les portes de Pékin.

Les recherches minutieuses des anthropologistes ont définitivement ruiné l'hypothèse d'une race soit ancienne, soit actuelle de géants; elles nous ont appris aussi que la moyenne de la taille, dans les différentes

FIG. 1 (2). — Les Denkas, population des bords du Haut-Nil.

races humaines, ne dépasse guère 1m,75 et que, parmi les races les plus grandes, se trouvent les Patagons (1m,781, Topinard) et les Écossais de Galloway (1m,79, Deniker) (5).

(1) L. FREYCINET, Voyage de découverte aux terres australes. Paris, 1815, in-4°, p. 178 (cité par VIREY).

(2) Extraite de l'Illustration, 1er août 1903.

(3) Tout récemment encore un explorateur signalait l'existence d'une peuplade de géants sur la rive droite du Nil, les DENKAS. On lit, en effet, dans l'Illustration du 1er août 1903 : « Les populations des bords du Haut-Nil, les SCHILLOUKS (a) sur la rive « gauche, les DENKAS sur la rive droite, sont d'ailleurs de lamentables échan« Lillons d'humanité. Les SCHILLOUKS sont grands, mais les DENKAS les (a) L'eunuque égyplien, dont LORTET rapporta le squelette à Lyon (voy. p. 157), «paraissait venir, dit cet auteur, de la région habitée par les SCHILLLOUKS, peuplade occupant les territoires situés entre Khartoum et le Bahr-el-Gazal ».

Mais si le Gigantisme n'existe pas à l'état endémique, on l'observe, chez tous les peuples, dans toutes les races, à l'état sporadique. De nombreux faits viennent confirmer cette assertion et, parmi les documents, dans lesquels l'imagination tient encore souvent une grande place, nous choisirons ceux qui sont plus particulièrement susceptibles de confirmer nos acquisitions les plus récentes. Ils ont été réunis par Garnier (1) et par Gould et Pyle (2), et se trouvent souvent rappelés dans les Revues périodiques (3), à l'occasion de l'exhibition de quelque nouveau phénomène. Ce sont les sources où l'on peut largement puiser, celles que, comme nous, Henry Meige (4) a utilisées pour soutenir une thèse conforme à celle dont nous nous proposons d'être à notre tour les défenseurs

En abordant l'histoire résumée du gigantisme sporadique, on est tout d'abord amené à se demander quelle est la taille maxima que puisse atteindre un géant. Les chiffres donnés sont toujours plus ou moins fantaisistes et se trouvent, la plupart du temps, considérablement réduits par des mensurations précises : aussi

« dépassent encore sous ce rapport et atteignent des tailles invraisemblables.

« Ils ont, en général, plus de 2 mètres de hauteur et leur maigreur accuse « encore l'impression d'êtres gigantesques qu'ils produisent. Leurs jambes « sont démesurées. On dirait que, forcés de vivre presque continuellement « dans les marécages, ils sont peu à peu arrivés à une structure d'échassiers : « les disciples de DARWIN verront là un bel exemple de l'influence du milieu.

« Leur ressemblance avec les grands oiseaux des marais va jusqu'à la façon « de se tenir debout immobiles pendant des heures sur une seule jambe, l'un « des pieds appuyé sur l'autre cuisse. On peut voir, par la photographie que « nous donnons (Fig. 1), que les DENKAS constituent l'un des plus curieux spé« cimens ethniques dont les explorateurs nous aient révélé l'existence. Ce « sont de franches brutes, inaptes, semble-t-il, à tout perfectionnement et « demeurées, au point de vue cérébral, au niveau de l'homme des cavernes. »

En l'absence de toute mensuration précise, il ne semble pas que les récits des explorateurs qui virent les DENKAS doivent bénéficier d'une croyance supérieure à celle dont les anthropologistes ont montré qu'étaient justiciables les affirmations des voyageurs touchant les PATAGONS et les autres populations géantes. D'ailleurs le docteur GEORGES SCHWEINFURTH; qui a si minutieusement étudié les mœurs de toutes les peuplades du Haut-Nil et en particulier des DENKAS, ne parle nullement de la taille gigantesque de ceux-ci (An cœur de l'Afrique, Im Herzen von Afrira. Leipzig, 1874, trad. franc, de Mme H.

LOREAU. Paris, 1875, Hachette).

(1) GARNIER, loc. cit.

(2) GOULD et PYLE, Anomalies and curiosities of medicine. Londres et Phila- delphie, 1898.

(3) Dans les Revues périodiques, consulter les articles de GUYOT-DAUBÈS (Nature, 1887, t. I, p. 18); de NEUVILLE (Revue des Revues, 1er janvier 1898); FEINDEL (Revue rose, 1903); ROMME (la Revue, 15 sept. 1903, p. 656).

(4) HENRY MEIGE, loc. cit.

comprend-on l'importance et la justesse de la règle, posée par les auteurs américains actuels (Dana, Woods Hutchinson), qui conseillent de retrancher systématiquement trois à cinq pouces de la taille annoncée par tout géant.

Quételet rapporte, avec des détails suffisamment précis, l'histoire d'un géant écossais, enrôlé par Frédéric le Grand dans son fameux régiment ; sa taille mesurait 8 pieds et 5 pouces (2m,62). C'est sans doute l'une des tailles les plus hautes parmi celles qu'on peut considérer comme authentiques ('). La hauteur des géants qu'on observe aujourd'hui ne dépasse guère 7 pieds et demi, c'est-à-dire 2m,47. Mais, de même qu'on doit se méfier des supercheries, il ne faut pas, pour avoir des données exactes, se contenter des mensurations faites dans la station debout, il faut recueillir encore celles que fournissent les évaluations obtenues dans la station assise et tenir compte enfin de la longueur de chacune des parties du corps, de celle des membres en particulier.

Il est de règle encore de voir vanter l'harmonie- des formes que présentent les géants : celui-ci est « parfaitement droit et admirablement bâti » ; celui-là possède « des membres d'une proportion et d'une beauté remarquables »; cet autre est « si merveilleux, dans sa constitution, que les curieux, qui l'examinent, n'ont jamais admiré rien de semblable, et ceux qui sont plus observateurs, déclarent franchement que jamais la langué de l'orateur le plus éloquent et la plume de l'écrivain le plus ingénieux ne seraient capables de décrire l'élégance des formes, la symétrie et les remarquables proportions de ce merveilleux phénomène de la nature, de même que toute description ne pourrait donner la satisfaction que l'on éprouve en l'observant judicieusement » (2).

Mais, comme nous le montrerons, cette harmonie des formes extérieures est loin de correspondre à la réalité ; elle n'est guère que l'infime exception.

(1) D'après LANGER, il existe dans les environs d'Innsbruck une peinture du XVIe siècle représentant un paysan alsacien qui aurait mesuré 9 pieds 1/2, soit 2m,75.

(2) Extrait de l'avis publié par les journaux du 6 mai 1782, à propos du géant irlandais CHARLES BYRNE (cité par GARNIER). — Comparer ces éloges hyperboliques avec les constatations rigoureuses que faisait CUNNINGHAM un siècle plus tard sur le squelette du même sujet (Obs.. de MAGRATH, p. 237).

Il en est ainsi, d'ailleurs, pour la vigueur et l'appétit (1) des géants, tant vantés par les historiens. Parmi les exploits les plus curieux qui sont rapportés, nous rappellerons ceux de l'empereur romain Maximin, célèbre par sa taille colossale (2m,50 environ) et qui, dans sa jeunesse, vainquit, sans reprendre haleine, seize des plus vigoureux lutteurs de Rome. Il était capable d'arrêter un char lancé avec une seule main, de mettre en mouvement une voiture lourdement chargée, de fracasser d'un coup de poing la mâchoire d'un cheval, de lui casser la jambe d'un coup de pied. Ce même empereur vidait plusieurs fois, en une seule journée, une amphore capitoline (vase d'une contenance d'environ 25 litres), mangeait souvent 40 à. 60 livres de viande, et transpirait tellement qu'il pouvait recueillir dans une coupe jusqu'à 5 setiers de sueur par jour (2). Simon Goulart (3) raconte de son côté l'histoire « d'un homme de démesurée grandeur et grosseur, qui mangeait, en peu de morceaux et sans s'arrêter, une brebis ou un veau, sans se soucier que la chair en fût cuite, disant que cela ne faisait que lui aiguiser l'appétit ».

Non moins fameux le Géant calabrais du Pape Jules II, « lequel estoit si grand qu'il passoit en grandeur de beaucoup les plus hauts hommes de son temps et estoit chose merveilleuse de voir ce qu'il beuvoit et mangeoit ». Les faits et gestes du Géant Antoine Payne sont restés célèbres, depuis le XVIIe siècle, dans le pays de Cornouailles : « Étant jeune, il prenait plaisir à choisir deux de ses plus robustes camarades qu'il appelait ses petits chats et, en emportant un sur chaque bras, à gravir une falaise voisine afin de leur faire voir le monde, suivant son expression. Un soir de Noël, il ramena un jeune garçon qu'on avait envoyé, avec un âne, chercher du bois dans la forêt voisine; comme il se faisait tard pour rentrer, il prit sur ses épaules, tout à la fois, l'âne et la charge de bois, et rentra prestement à la maison ».

Que faut-il penser en réalité de cette harmonie des formes et de cette vigueur? Sans rappeler le cas exceptionnel du Géant allemand, vivant sous le règne de la Reine Anne, qui,

(1) Une exception est cependant à faire pour l'appétit, souvent très développé, chez les géants qui présentent fréquemment de la glycosurie et par suite de la potyphagie faisant partie du cortège symptomatique du diabète.

(3) Historia Augusta, due à CAPITOLIN (cité par GARNIER, loc. cit., p. 279).

(5) SIMON GOULART (cité par GARNIER),

sans mains ni pieds, était capable d'enfiler une aiguille, de couper des gants et d'exécuter avec adresse toutes sortes de travaux, on peut trouver de nombreux exemples de géants mal conformés. Tel le Grand Mareschal, qui s'exhibait à Paris, au commencement du XVIIe siècle, et qui, au dire de Simon Goulart, « était un homme mal bâti, mais aussi merveilleusement haut et grand, à comparaison de plusieurs de moyenne taille ».

Marcel Donnat (1), « après la victoire que le Roy Louis Douzième obtint en la journée de Lodi, vit, à l'hôpital de Milan, un jeune homme qui estoit si grand qu'il ne pouvoit se tenir debout, n'ayant sceu obtenir assez de nature pour l'épaisseur de son corps et la proportion de ses forces ».

Wiliams Evans, le portier géant de Charles 1er d'Angleterre, était également sans vigueur.

Le géant allemand, Max-Christophle Miller, mesurant 7 pieds 8 pouces (2m,328), était, « malgré sa force, assez mal conformé, et sa tête était d'une grosseur tout à fait hors de proportion, même avec son corps gigantesque ».

Le célèbre abbé italien Bastiani, que Guillaume 1er, roi de Prusse, avait enrôlé de force dans son bataillon de grenadiers géants, était d'apparence assez lourde, avec une face ignoble et épaisse.

C'était aussi le cas de la « jeune fille gigantale » de Simon Goulart « qui avait grandi exagérément à la suite d'une fièvre quarte, qui, à vingt-cinq ans, n'avait pas encore ses flueurs, et qui était un peu laide de visage, noire, d'esprit simple et grossier, et tout le corps pesant ».

Quant à Patrick Cotter, le géant irlandais, qui se montrait à Londres, vers 1785, sous le nom d'O'Brien, il était loin de présenter les proportions harmonieuses qu'on lui prêtait. « Il est vraiment d'une très haute stature, dit W. Blair, mais très mal conformé. Il a refusé de marcher devant moi, dans son appartement et je pense que c'est parce qu'il avait peur de me découvrir son extrême faiblesse. Il a l'aspect général d'un individu faible et imbécile, avec le front entièrement bas; autant que j'ai pu le remarquer, l'espace compris entre ses sourcils et le haut de la tête, en ligne perpendiculaire, n'excède pas 2 pouces.

(1) MARCEL DONNAT (cité par GARNIER).

Il m'a fait l'effet d'un énorme enfant malade qui aurait grandi trop vite; sa voix était faible, son pouls languissant et lourd.,.. » Les journaux de l'époque nous apprennent « qu'il se tenait le plus souvent assis et s'aventurait très rarement à sortir en public; quand il se promenait à pied, c'était toujours la nuit». Un de ceux qui purent le surprendre dans une de ses promenades nocturnes et l'observer le décrit dans les termes suivants : « Il marchait péniblement, les mains appuyées sur les épaules de deux hommes assez comme il faut et de grandeur ordinaire, absolument comme nous voyons quelquefois des convalescents se soutenir sur les épaules d'enfants de huit à dix ans » (1).

Combien ces pénibles promenades, faites de nuit, sont loin des exploits herculéens habituellement attribués aux géants!

Tous ces exemples, qu'on pourrait multiplier à l'infini, justifient l'assertion de Geoffroy Saint-Hilaire, pour qui « les géants sont sans activité, sans énergie, lents dans leurs mouvements, fuyant le travail, fatigués presque aussitôt qu'occupés, en un mot, faibles de corps aussi bien que d'esprit. Un grand nombre d'entre eux sont mal conformés et surtout mal proportionnés (2). » A l'appui de cette assertion, l'auteur rapporte le cas d'un jeune homme de 22 ans, haut de plus de sept pieds, aux mains extrêmement longues, à la voix faible, aux yeux photophobiques et strabiques.

Les tares ne sont pas rares d'ailleurs chez les géants : les unes sont congénitales, les autres acquises. Il est parlé au Deuxième Livre des Rois d'un géant qui possédait des doigts surnuméraires. « Il se fit une quatrième guerre à Geth, où il se trouva un homme d'une taille extraordinaire qui avait six doigts aux mains et aux pieds, c'est-à-dire vingt-quatre doigts et qui était de la race d'Arapha (3). »

Les autres tares surviennent plus tard et s'accentuent avec l'âge. Antonin le Pieux, dont l'Historia Augusta de Capitolinus rapporte la biographie, « voyant sa taille se voûter à mesure qu'il vieillissait, avait eu l'idée de se garnir la poitrine d'une sorte de corset en tablettes de tilleul, afin de pouvoir se tenir debout en marchant (tiliaceis tabulis in pectore positis fasciabatur,

(1) Cité par GARNIER, loc. cit.

(2) Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, loc. cit., t. I, p. 182.

(3) Les Rois, livre II, chap. XXI, p. 20, 21 (cité par HENRY MEIGE, loc. cit.).

ut rectus incederet) ». Cette déformation du thorax est fréquemment signalée par les auteurs contemporains chez les géants acromégaliques.

Non moins célèbre était le dos du géant Antoine Payne ; il était « si large que son maître d'école s'amusait souvent à s'en servir comme d'un tableau, sur lequel il écrivait à la craie les exemples qu'il donnait aux autres élèves ».

Parfois cependant le géant était aussi mince que grand : tel était celui qui s'exhibait à Saint-Pétersbourg, au mois de juin 1829, et mesurait huit pieds et huit pouces; il était très mince et d'aspect émacié.

Un autre géant, Peter Tuchain, haut de huit pieds, sept pouces, n'avait pas de barbe et possédait une voix très faible; il mourut en 1825, à Posen, à l'âge de vingt-neuf ans, d'une hydropisie de la poitrine.

Parmi les nombreuses infirmités physiques des géants, il en est une qui les rapproche de celles qu'on observe dans l'acromégalie : c'est l'augmentation disproportionnée de leurs extrémités (tête, mains, pieds). Elle a été signalée de tout temps et, sans remohter à Hérodote qui rapporte que les souliers de Persée étaient longs de trois pieds, nous rappellerons l'exemple de l'empereur géant Maximilien qui « avait le pouce d'une telle grosseur qu'il se faisait un anneau du bracelet de sa femme ».

Dans les Chroniques de Hollande pour l'année 1557, Hadrianus Barlandus rapporte que le géant Nicolas, qui vivait sous John, comte de Hollande, avait un soulier long de trois pieds, comme celui dont parle Hérodote.

En Angleterre, vers la fin du XVIe siècle, une chanson populaire célébrait les exploits de Meg la Longue (The life of Long Meg of Westminster), jeune fille d'une taille excentrique, née sous le règne de Henri VIII et « il était passé en proverbe de dire longue comme Meg la Longue, en parlant d'une personne grande et mal bâtie». L'augmentation démesurée de ses extrémités avait déjà frappé les chansonniers de l'époque :

« Ou Meg de Westminster Avec ses longues jambes Longues comme celles d'une grue, Ses pieds comme des sabots Avec une paire d'éperons Aussi larges que des roues ».

Les dimensions du pied de Tony Payne étaient telles qu'aujourd'hui encore, dans le pays de Cornouailles, pour exprimer l'idée d'une chose de grandes dimensions, on continue à dire : « C'est grand comme le pied de Tony Payne ».

On a conservé le soulier du géant irlandais Patrick Cotter : il ne mesure pas moins de dix-sept pouces de longueur.

Plus près de nous, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire dit avoir eu l'occasion d'examiner, en 1824, un jeune homme de vingt-sept ans, « ayant plus de sept pieds de haut, atteint de strabisme et de photophobie, pourvu d'une voix faible et dont les mains étaient extrêmement longues, même proportionnellement à sa taille ».

Ces constatations plus ou moins anciennes viendront confirmer l'opinion que nous exposerons plus loin, en étudiant les rapports qui relient le gigantisme à l'acromégalie. (Voir page 159.) Les tares physiques s'accompagnent souvent de tares mentales qui, en raison de leur fréquence, de leurs variétés et parfois aussi de leur intensité, n'ont pu être méconnues par les anciens observateurs.

« Les géants sont, pour la plupart, d'une intelligence très bornée ; quelques-uns même presque idiots (1) » : telle est l'opinion formulée par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui, pour la justifier, rapporte, d'après Changeux, le fait suivant conté par Gui Patin. « A Vienne, où on avait réuni des nains et des géants pour l'amusement de la Cour impériale, les premiers, bien loin de céder et de se soumettre à leurs compagnons, ne craignaient pas de les provoquer par des moqueries, de les insulter et de commencer ainsi des disputes dont l'issue semblait devoir être si redoutable pour eux. La querelle s'anima même, un jour, entre un nain et un géant, au point que, des injures, on en vint aux voies de fait et, nouveau David, ce fut le nain qui triompha de cet autre Goliath. »

De cette anecdote, on peut rapprocher la suivante, dans laquelle Keysler raconte la querelle d'un nain et d'un géant qui vivaient côte à côte, également en Autriche, à la Cour de l'Archiduc Ferdinand. « Le nain, voulant se venger des lourdes

(1) ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, loc. cit., t. 1; p. 182.

et incessantes railleries du géant, qui le tournait en ridicule, pria le duc de laisser tomber un de ses gants, quand il se mettrait à table et d'ordonner à Aymon de le lui ramasser. Il se glissa alors sous le siège de son maître, et quand le pauvre géant se baissa pour prendre le gant, il lui appliqua sur la joue un violent soufflet, au grand amusement des assistants et à la grande honte du malheureux Aymon, qui ne put dévorer cet affront et mourut de chagrin, peu de temps après (1). »

Cette inintelligence ne va pas sans certains autres vices ou tares que la légende a, depuis longtemps, mis en relief. Telles la cruauté et les violences de l'empereur romain Maximilien, qui le rendirent odieux et le firent assassiner sous les murs d'Aquilée, en 238. Telle aussi la folie du géant Daniel, portier de Cromwell, qu'on dut enfermer à Bedlam, à cause de son exaltation mystique et prophétomaniaque, en rapport très vraisemblablement avec une débilité mentale congénitale.

Certains s'adonnent à l'alcoolisme : Tulot, parlant de la géante qu'on pouvait admirer à la foire Saint-Laurent, en 1758, dit « qu'elle joignait à une excessive insolence le défaut de s'enivrer perpétuellement ». Ce défaut était aussi celui du géant irlandais, Charles Byrne, qui, à la suite d'une accusation de vol, fut tellement affecté qu'il contracta l'habitude de boire outre mesure et mourut à l'âge de vingt-deux ans.

Le peu de développement de l'intelligence comme les autres tares psychiques seront étudiés plus loin (p. 326); mais aujourd'hui encore s'impose la conclusion formulée par le chroniqueur qui avait visité le géant espagnol Joachim Eleicegui, haut de 2m,307, exhibé en 1845, à la salle Montesquieu : « Sa taille est de sept pieds ; on sait peu de chose de son esprit, qui ne paraît pas contredire l'opinion commune touchant celui des géants (2). »

(1) Cité par GARNIER, loc. cit., p. 273.

(2) Assez fréquemment on entend opposer le développement intellectuel au développement physique; on parle couramment de l'intelligence des hommes de petite taille et l'on a dit plaisamment qu'on trouvait chez les géants « plus de tambours-majors que d'académiciens». A la suite de la discussion entre BRISSAUD et PIERRE MARIE à la Société Médicale des Hôpitaux de Paris (mai 1896), sur les rapports du gigantisme et de l'acromégalie, un chroniqueur, qui n'était pas médecin, du Daily News, de Londres (4 juillet 1896) rappelait, dans un article intitulé « le Jour des petits hommes » (The Day of Small Men), cette croyance que le développement anormal des tissus musculaire, adipeux et

osseux, se fait aux dépens du développement du système nerveux, que les enfants qui passent les meilleurs examens sont ceux dont la croissance est le moins avancée, etc., et il citait à l'appui de sa thèse les noms de TURENNE, LOUIS XIV, VOLTAIRE, NAPOLÉON, THIERS, GUIZOT, CAVOUR et Louis BLANC, qui furent de petits hommes, mais surpassèrent de beaucoup les générations auxquelles ils avaient appartenu.—On pourrait tout aussi bien opposer à ces noms ceux que donnent GOULD et PYLE (loc. cit.) d'hommes de grande taille, sinon de géants, demeurés célèbres à d'autres titres : ce sont, parmi les sou- verains et les guerriers, GUILLAUME D'ÉCOSSE, ÉDOUARD III, GODEFROY DE BOUILLON, PHILIPPE LE LONG, FAIRFAX, MONCEY, MORTIER, KLÉBER, BISMARCK, et, parmi les autres catégories d'hommes célèbres, ROCHESTER, le favori de Charles II, POTHIER le juriste, le naturaliste anglais BANK, GALL, BRILLAT-SAVARIN, BENJAMIN CONSTANT, le peintre DAVID, BELLART, le géographe DELAMARCHE, etc.

Ces exemples viennent à rencontre de l'opinion qu'un homme très grand ne saurait devenir un « grand homme ». — Sans vouloir discuter la célébrité, plus ou moins notoire, ni la taille, plus ou moins élevée, des différents sujets cités de part et d'autre, cette opposition montre bien qu'il n'y a pas lieu d'insister sur cette opinion que le chroniqueur du Daily News prêtait à BRISSAUD et à MARIE, à savoir que la tendance actuelle à obtenir une haute culture intellectuelle aboutirait dans quelques générations au nanisme. Aussi bien, nous avons déjà suffisamment insisté sur la constance et l'invariabilité à travers les âges de la taille humaine : si nous avons sensiblement la même taille que nos ancêtres, habitants des cavernes (MANOUVRIER, RAHON, voy. p. 22), il n'y a aucune raison plausible pour que, toutes choses égales d'ailleurs, nos descendants ne gardent notre taille, à quelque degré de culture intellectuelle qu'ils puissent parvenir. — Ainsi la phrase classique, partout citée : Magnus Alexander corpore parvus erat, ne présente que la valeur d'une curieuse antithèse, littéraire et strictement individuelle, qu'on n'est nullement autorisé à généraliser.

CHAPITRE III

ÉTUDE ANTHROPOLOGIQUE

La définition pathologique, que nous avons précédemment donnée du gigantisme (voir p. 14), tend à nettement séparer l'homme grand du géant et à montrer que, pour mériter cette dernière épithète, à laquelle nous voudrions attacher un caractère de monstruosité, non explicitement précisé jusqu'à présent, il ne suffit pas d'avoir une taille très élevée.

L'objection la plus sérieuse que l'on puisse faire à notre thèse est celle qui, souvent formulée, l'a été pour la dernière fois, en 1896, par un critique très avisé de la Gazette des Hôpitaux, lorsqu'il disait : « On arriverait ainsi à cette conséquence singulière que, sur deux hommes de la même taille, un seul est un géant. » Cette objection ne fait que traduire la pensée beaucoup plus précise de Manouvrier (1) écrivant que : deux statures égales peuvent être dissemblables quant à leur composition numé- rique.

Si étranges que puissent paraître les conséquences qui résultent de notre définition, il nous paraît nécessaire de les accepter et de reconnaître que, pour être véritablement un géant, il ne suffit pas d'avoir une grande taille, mais qu'il faut présenter encore d'autres stigmates dystrophiques.

En réalité, il ne s'agit que d'une convention verbale nouvelle à introduire dans notre langue, eu égard aux multiples raisons qui légitiment son adoption.

Parmi ces raisons, il importe tout d'abord , de mettre en valeur celles qui sont d'ordre anthropologique. Pour montrer comment, au point de vue anthropologique, le géant se dis-

(1) MANOUVRIER, Étude sur les rapports anthropométriques en général et sur les principales proportions du corps. Bull. et Mém. de la Soc. d'Anthropologie, 1902.

tingue de l'homme simplement et harmonieusement grand par une dysharmonie morphologique caractéristique, il faut tout d'abord étudier le type humain normal, dont le gigantisme repré- sente une déviation atypique et monstrueuse. Il faut aussi rappeler les lois de la croissance normale, afin de chercher à bien établir les anomalies de la croissance gigantesque.

On ne doit pas toutefois s'attendre à trouver ici une précision absolue, qui n'est possible encore que dans quelques rares parties des sciences biologiques. Une limite naturelle et toujours facile à reconnaître ne sépare pas, en effet, le groupe des hommes normaux, petits ou grands, au développement harmonieux, du groupe des géants dysharmoniques et toujours plus ou moins monstrueux. Même en se plaçant au seul point de vue anthropologique, il y a lieu d'insister sur cet argument, déjà présenté, qu'entre l'homme grand et le géant, il y a les mêmes et aussi imprécises frontières qu'entre l'état sain et l'état morbide.

Tout d'abord, le type humain normal, auquel on souhaiterait des caractères assez nettement tranchés pour que toute déformation en soit nettement et facilement appréciable, n'existe pas. Nous ne possédons pas, en effet, cet archétype, idéal rêvé par les sculpteurs et souhaité par les anthropologistes. Le type humain normal est variable à l'infini, même à ne considérer que la taille et les différentes proportions du corps; il varie suivant les races, les pays, suivant aussi un grand nombre de circonstances contingentes; il se modifie encore suivant des influences multiples que Manouvrier a montré récemment être en rapport avec des variations fonctionnelles parallèles (activité musculaire, genre de vie, quantité et forme de travail, etc.).

Nous sommes donc loin de posséder le type humain normal et invariable, imaginé par les sculpteurs pour la construction mathématique de leurs figures, ou désiré par les anthropologistes pour la commodité de leurs recherches, plus particulièrement dans le cas d'anomalies gigantesques.

« Les artistes, dit Papillault(1), soucieux de prêter à leurs divinités les formes les plus parfaitement belles, convaincus,

(1) PAPILLAULT, L'homme moyen à Paris. Variations suivant le sexe et suivant la taille. Recherches anthropométriques sur 200 cadavres. Bull, et Mém. de la Soc. d'Anthropologie, 1902.

comme on l'était, en Grèce, qu'il existait quelque part dans la pensée des dieux ou dans le monde des idées pures et réelles, un archétype humain, dont nous ne sommes que des copies imparfaitement réalisées par la matière, essayèrent de deviner, de retrouver, parmi la variété misérable des' répliques, la forme parfaite dont l'existence idéale ne pouvait être mise en doute à leurs yeux.

« Les méthodes qu'ils appliquèrent à cette recherche leur furent suggérées par les théories philosophiques qui régnaient autour d'eux. Pythagore avait affirmé que les nombres, et l'harmonie qui en dérivait immédiatement, constituaient l'essence des choses. La forme parfaite était celle qui offrait, comme les figures géométriques, des proportions numériquement définies.

Si les nombres parfaits n'y sont pas toujours contenus, c'est que les phénomènes sensibles de la matière ne sont que des apparences obscures et mauvaises. L'artiste a précisément le rôle sublime de négliger ces contingences pour réaliser la perfection.

« On devine tout de suite la conclusion pratique que l'on a dû tirer de ces conceptions : une figure humaine sera parfaite si elle a des proportions qui obéissent à la loi des nombres, et il en sera ainsi si une de ses parties fondamentales est contenue exactement un certain nombre de fois dans les autres. Trouver cette unité et rechercher le nombre qui représente son rapport avec les principales parties du corps fut une des grandes préoccupations des artistes. Pour obtenir ce canon, ils devinrent donc, comme on l'a déjà remarqué, les premiers anthropomètres. « Depuis l'époque lointaine où Pythagore florissait dans la grande Grèce, les mathématiques et la biologie ont fait quelques progrès. S'a théorie des nombres nous paraît comme le premier balbutiement de la raison humaine; l'on sait maintenant que les phénomènes biologiques sont trop complexes pour obéir aux proportions simples qu'avait entrevues le Sage de Samos, et pourtant ses princi pes laissent encore des traces en anthropométrie. On a cherché au XIXe siècle, et même de nos jours, le canon des proportions du corps humain (1), la règle d'or,

(') PAUL RICHER, Canon des proportions dit corps humain. Paris, 1893.

comme dit C. Schmidt(1), qui pose devant nous le modèle éternel et parfait dont les individus se rapprochent plus ou moins, et Charles Blanc (2) affirme, dans son ouvrage, d'ailleurs très remarquable, qu'un corps bien proportionné est celui dans lequel un membre ou un segment de membre est la commune mesure de tous les autres. On ne saurait exposer en termes plus adéquats la théorie des nombres de Pythagore appliquée à la forme humaine. » Aujourd'hui encore, conformément à tous les canons antiques ou modernes, conformément aux lois établies plus particulièrement par Vitruve, Albert Dürer, Gérard Audran(3), Schadow, Gerdy(4), on admet et on enseigne dans les ateliers de sculpture les données suivantes : « Le corps humain est égal à huit longueurs de tête ainsi réparties :

Du vertex au menton. Une tête Du menton aux mamelons — Des mamelons au nombril —

Du nombril aux organes génitaux —

Des organes génitaux au milieu de la cuisse. —

Du milieu de la cuisse à l'épine du tibia. —

De l'épine du tibia au milieu de la jambe —

Du milieu de la jambe au sol —

« La tête se partage en quatre parties sensiblement égales :

Du vertex à la naissance des cheveux. Une partie De la naissance des cheveux au bord orbital —

Du bord orbital à la base du nez —

De la base du nez au menton —

« L'intervalle entre les deux yeux et la largeur à la base du nez sont chacun égaux à une longueur d'œil. La bouche et l'oreille sont chacune égales à deux longueurs d'yeux.

« La longueur de la main et celle du visage (de la naissance des cheveux au menton) sont égales et forment la neuvième partie de la taille. La longueur du pied et la circonférence du poing sont égales et forment la sixième partie de la taille. »

(1) C. SCHMIDT, Proportions Schussel Neves System der Verhältnisse des mensrh- lichen Körpers, 1849.

(2) CH. BLANC, Grammaire des arts du dessin, 1880.

(3) GÉRARD AUDRAN, Les proportions du corps humain mesurées sur les plus belles figures de l'antiquité; 1863.

(4) GERDY, Anatomie des formes extérieures du corps humain. Paris, 1869.

P. Richer (1) a cherché à rectifier ces données, à augmenter leur précision scientifique, sans diminuer leur simplicité, indispensable à la pratique journalière et a proposé un canon tout à la fois scientifique et artistique. Mais que la tête soit comprise 8 fois (Gerdy) ou seulement 7 fois 1/2 (P. Richer) dans la hauteur du corps, que la cuisse, comme la coudée, soit égale à deux têtes ou bien encore que la longueur du sternum égale celle du pied, toutes ces analogies présentent un intérêt plus grand pour les artistes que pour les anthropologistes.

De telles approximations, basées sur des analogies entre parties assez dissemblables, ne peuvent évidemment représenter que des règles mnémotechniques, destinées tout au plus à limiter les écarts dus à l'inexpérience ou à l'insuffisance de mémoire visuelle des débutants. Elles ne peuvent avoir qu'une valeur relative au point de vue des résultats que doit en attendre l'anthropométrie rigoureuse.

Quételet(2) cependant s'est efforcé, en étudiant avec soin les différents canons utilisés par les artistes de toutes les époques et de tous les pays, de montrer qu'ils ne différaient que très faiblement des mensurations mathématiquement exactes fournies par les recherches anthropométriques. La vérité est que Quételet était, tout autant que les artistes, préoccupé de prouver l'unité de l'espèce humaine au moral comme au physique et de retrouver, sous la variété infinie des individus, la fixité du type humain, autour duquel gravitent de « simples oscillations harmonieuses ». Aussi, soucieux de retrouver partout la loi des proportions et des grandeurs, il écrit : « Non seulement le nombre des géants est limité dans une population, mais les individus qui en font partie ou qui s'en rapprochent par leur taille, doivent satisfaire à certaines conditions que l'on observe dans les proportionnements de leurs membres ».

Tout en respectant la méthode de Quételet, qui n'est que l'application à l'anthropologie du procédé inductif de généralisation, sans lequel nous ne saurions dominer l'infinie variété des faits (τω̃ν ρ́εόντων oύχ ε̋στιν ὲπιστήμη — fl uxorum non est

(1) PAUL RICHE, Canon des proportions du corps humain. Nouvelle Icono- graphie de la Salpêtrière, 1892, p. 312 et 1 vol. in-8. Paris, Delagrave, 1893.

(2) QUÉTELET, Anthropométrie, 1871.

scientia), on doit reconnaître que des conclusions aussi dogma- tiques que les siennes ne pouvaient être généralement acceptées par les anthropologistes contemporains, désormais affranchis de l'obligation de toujours contrôler les canons classiques.

C'est ainsi que, rappelant le cas du statuaire et professeur Charles Rochet(1), qui, tout récemment encore, croyait voir clairement les intentions du Créateur dans ces harmonies mystérieuses des nombres et des formes géométriques, Manouvrier concluait : « On conçoit donc que, même sans aller aussi loin, les maîtres aient pu exagérer dans l'esprit de leurs élèves le respect des canons classiques et que l'observation des variétés individuelles ait été en grande partie abandonnée aux caricaturistes ».

Il importe que l'étude de ces variétés et anomalies individuelles soit désormais réservée aux médecins et aux anthropologistes. Plus particulièrement, en ce qui concerne les géants, il est nécessaire que l'étude des proportionnements de leurs membres soit rigoureusement confrontée avec celle des rapports anthropométriques généraux que présentent les principales proportions du corps chez l'homme moyen ou normal.

Les deux remarquables et récents mémoires de Manouvrier(2) et de Papillault(3) nous ont permis d'interpréter les différentes variations anthropométriques et plus particulièrement celles qui s'observent à mesure que la taille s'élève.

Les mensurations de Papillault ont été pratiquées sur 200 sujets (100 hommes et 100 femmes), de nom français, âgés de 24 à 50 ans, choisis à l'École Pratique de la Faculté de Médecine parmi les cadavres provenant des hôpitaux de Paris et ne paraissant avoir eu dans leur développement aucune cause de trouble évidente. Dans les résultats qu'il a donnés, nous négligerons la série féminine, car, dans la majorité des cas, le gigantisme se montre surtout chez les mâles, et ne retiendrons que la série des hommes. Pour la commodité de l'étude, on

(1) CHARLES ROCHET, Le prototype humain ou les douze lois fondamentales de la géométrie des formes. Bull. de la Soc. d'Anthropologie, 1897 (cité par MANOUVRIER).

(2) MANOUVRIER, loc. cit.

(5) PAPILLAULT, loc. cit.

peut, avec l'auteur, les ordonner en trois groupes comprenant les 50 plus petits, les 40 moyens et les 50 plus grands. Nous ne nous occuperons que du dernier groupe, désireux de montrer en quoi et comment les géants se distinguent des hommes les plus grands. On peut, en se dégageant de la complexité précise des chiffres, résumer de la façon suivante les résultats que donne Papillault, en ce qui concerne le tronc, les membres et la tête.

1° Proportions du tronc chez les hommes grands. — Les proportions relatives du tronc (du sommet du grand trochanter au trou auditif) diminuent légèrement quand la taille augmente, mais d'une quantité moindre que le rachis. Le segment cervical du rachis, de même que la hauteur du cou, sont relativement plus grands; au contraire, cet excès de longueur est compensé par une diminution relative du segment rachidien dorsal.

2° Proportions des membres chez les hommes grands. — a. Avec le bassin, c'est le membre inférieur qui s'accroît dans les plus fortes proportions, compensant ainsi le moindre allongement du tronc.

b. Le facteur taille exerce une action analogue sur l'allongement du membre supérieur, l'excès de développement portant surtout sur l'avant-bras(1).

c. La longueur relativement plus faible de la main semble compenser l'allongement de l'avant-bras. Il en est de même pour le pied, dont les variations suivent celles du rachis, c'està-dire qu'il s'accroît moins rapidement que les membres inférieurs et, par suite, que la taille.

5° Proportions de la tête chez les hommes grands. — a. On sait, depuis les recherches de Manouvrier(2), que le cerveau ne s'accroît pas toujours proportionnellement aux autres parties de l'organisme, c'est-à-dire qu'il est relativement petit chez les individus de grande taille et relativement grand chez les hommes petits, chez les femmes et chez les enfants.

(1) PAPILLAULT fait remarquer à cet égard que la loi de l'excès de croissance de l'avant-bras dans le cas d'allongement du membre supérieur s'observe non seulement dans les variations de la taille, mais aussi dans les variations ethniques et que, par exemple, l'allongement par rapport au tronc du membre supérieur des Hovas, des nègres malgaches ou des nègres africains, porte également d'une manière élective et prédominante sur l'avant-bras.

(2) MANOUVRIER, La quantité dans l'encéphale. Mém. de la Soc. d'Anthropologie, 1883.

b. Ce sont les diamètres longitudinaux qui suivent surtout l'accroissement de la taille : l'épaisseur du frontal, en particulier, augmente très rapidement et, par suite, détermine une forte saillie glabellaire, laquelle au contraire est très faible ou nulle chez les enfants. D'où la formule : toute influence ethnique mise à part, les hommes grands sont relativement plus dolichocéphales que les petits.

c. Parmi les diamètres transversaux du crâne, ce sont surtout ceux de la base qui augmentent avec la taille; sur la voûte, il n'y a guère que le diamètre frontal minimum qui s'accroisse d'une manière sensible par rapport aux autres diamètres de la voûte.

d. A la face, le diamètre bizygomatique subit un accroissement relatif mais notable, tandis que le diamètre transverse de la région orbitaire, comme tous les autres diamètres qui dépendent en partie du développement des organes nerveux centraux, sont au contraire peu influencés par l'allongement de la taille. La fente palpébrale varie moins encore que l'orbite; chez les hommes grands, elle est située relativement un peu moins en dehors que chez les petits.

e. Sur le nez, les variations ethniques prédominent, comme aussi les variations morphologiques individuelles (nez convexes, ondulés, droits, concaves) et rendent difficiles des mensurations comparables. Toutefois on peut dire que la hauteur du nez augmente nettement avec celle de la taille. Il en serait de même pour la largeur, en négligeant toutefois l'influence incontestable de la fonction respiratoire.

f. L'augmentation de longueur de la taille influence peu la hauteur des deux rangées de dents; en revanche, comme la hauteur de la symphyse mentonnière est augmentée notablement, ainsi que la longueur de la branche horizontale (diamètre gonio-mentonnier), il s'ensuit (Manouvrier) que les dents sont en retrait sur le menton et qu'il se produit une saillie en avant du menton ou prognathisme, toujours très appréciable chez les hommes grands.

Avant d'aller plus loin, nous tenons à montrer le très réel intérêt que présentent les conclusions de Papillault pour le sujet qui nous occupe.

Tous les caractères de la croissance normale de l'homme grand que nous venons d'énumérer, nous allons les retrouver pour la plupart, mais exagérés morbidement, dans la croissance anormale du géant : aux membres, par exemple, nous retrouverons l'allongement excessif, par rapport au tronc, et portant principalement sur les membres inférieurs; à la tête, nous verrons aussi et la forte saillie glabellaire, signalée plus haut, et l'augmentation du diamètre bizygomatique, et le prognathisme du maxillaire inférieur, tous caractères qu'on se plaît à relever chez les géants acromégaliques (1).

Faut-il donc conclure que rien ne différencie, anthropologiquement, le géant de l'homme grand ? Il nous paraît plus légitime d'admettre, comme nous l'avons fait précédemment, qu'entre l'homme grand et le géant il y a les mêmes et aussi imprécises frontières qu'entre l'état sain et l'état morbide. La Nature, comme disent les philosophes, ne fait pas de sauts (Natura non facit saltus): aucun abîme ne sépare irréductiblement les géants des hommes grands, et les mêmes caractères se retrouvent chez les uns et chez les autres, peu sensibles chez ceux-ci et décelables seulement par les très précises et rigoureuses mensurations anthropométriques, grossièrement accentuées et déjà cliniquement apparentes chez ceux-là seuls qui sont les anormaux et les malades, c'est-à-dire les géants. La difficulté de diagnostiquer les cas intermédiaires ou faits de passage ne saurait aller à l'encontre de cette

(1) En effet, les conclusions de LANGER (Wachsthum des menschlichen Skelettes mit Bezug auf den Riesen. Denkschriften der Kaiserl. Akademie der Wissenchaften in Wien, Mathemat. Naturw. Classe, Bd. XXXI, 1871, S. 1, p. 91) et de CUNNINGHAM (The skeleton of the Irish Giant, Cornelius Magrath. Transac- tions of the royal Irish Academy, 26 janvier 1891, vol. XXIX, p. 553), sur le développement et la croissance des géants sont très comparables aux conclusions de PAPILLAULT sur les variations des proportions chez les hommes grands. Sur les crânes de tous les géants, LANGER a vu que l'arc mandibulaire est relativement très développé, au point que, chez beaucoup d'entre eux, le maxillaire inférieur paraît monstrueux; le crâne reste petit, tandis que la face augmente, plus encore dans sa portion mandibulaire que dans sa portion orbitaire ou nasale. Le sternum des géants est ordinairement augmenté en longueur et en épaisseur. La langue des géants est assez augmentée pour donner lieu à une prononciation épaisse. Dans quelques cas le larynx et l'os hyoïde sont très développés. Le périmètre thoracique subit un accroissement parallèle à la taille et parfois dépasse celle-ci proportionnellement. Enfin l'augmentation très notable de la ceinture pelvienne représente l'une des principales causes du genu valgam, dont LANGER avait déjà noté la fréquence chez les géants.

application particulière d'une loi très générale de la biologie, partout confirmée.

Si Papillault nous a montré les modifications que présente l'homme dans « le proportionnement de ses membres » quand la taille tend à dépasser la moyenne, Manouvrier a, de son côté, cherché à différencier plusieurs types anthropologiques, dont il nous faut résumer tout au moins les caractères. Il est parti de ce principe que : « deux statures égales peuvent être dissemblables quant à leur composition numérique ».

En utilisant les chiffres recueillis par Étienne Rollet(1), à Lyon, sur 100 cadavres (50 hommes et 50 femmes) d'âge connu et ceux, beaucoup plus nombreux, qu'il put trouver dans les fiches d'identification du service anthropométrique de la Préfecture de Police, il lui fut possible d'établir les principales données suivantes : « Lorsque la taille (hauteur du corps) s'élève, toutes les parties du corps s'accroissent en moyenne.

« Les membres s'allongent relativement plus que le buste. Il en est de même de leurs divers segments.

« Le membre supérieur s'allonge relativement moins que le membre inférieur et devient plus court relativement à ce dernier.

« Les segments proximaux de chaque membre restent à peu près proportionnels entre eux.

« Les segments distaux, main et pied, s'allongent moins, relativement au buste, que les segments proximaux et deviennent plus courts, relativement à ceux-ci.

« Chez l'homme grand, la main diminue un peu relativement au pied et s'allonge, au contraire, un peu chez la femme grande. »

D'autre part, en se basant sur les rapports des deux grandes longueurs (buste et membre inférieur), dont la somme compose la taille ou hauteur totale du corps et qui entraînent les varia-

(') ETIENNE ROLLET, De la mensuration des os longs des membres, dans ses rapports avec l'anthropologie, la clinique et la médecine judiciaire. Lyon, 1889

tions de la taille dans la position assise et dans la position debout, Manouvrier a distingué deux types d'individus, très faciles à séparer les uns des autres au premier examen. Vulgairement désignés sous les noms d'échassiers et de courtes- cuisses, il propose de leur donner les appellations plus scientifiques de brachyskèles et de macroskèles (σχέλoς, jambe; βραχύς, court; μαχρός, long). Ces deux variétés opposées, très communément observées d'ailleurs, sont en rapport avec le développement quantitatif de l'ensemble du corps et aussi avec l'exagération de la croissance en longueur des grands os des membres par rapport à leur croissance transversale. Cela veut dire, par exemple, que la macroskéile s'observe un peu plus souvent chez les hommes grands et surtout chez les hommes grands dont les os se sont excessivement développés en longueur au détriment de la largeur.

Aussi, à côté de la brachyskélie et de la macroskélie, il y a lieu de distinguer deux formes particulières de développement d'ensemble de l'organisme, insuffisamment représenté par la longueur ou hauteur du corps : la mégasomie et la microsomie (σω̂μα, corps; μέγας, grand; μιχρός, petit). Ces deux manières d'être seraient mieux représentées par le poids que par la hauteur du sujet et, d'une façon beaucoup plus précise encore, par le poids du centimètre de taille. Par exemple, à taille égale, les brachyskèles ou femmes sont plus microsomes que les macro- skèles ou hommes.

Si l'on cherche à pénétrer plus profondément le mode suivant lequel se fait ce développement d'ensemble de l'organisme, on est amené à distinguer deux modalités très générales de la croissance : la croissance en long ou macroplastie et la croissance en large, transversale on euryplastie (πλάτσειν, former ; μαχρός, long. εύρύς, large)

Cette distinction, établie dans le développement général de l'individu, correspond à une modalité différente du processus histogénétique qui détermine l'accroissement des os, l'ossification enchondrale et l'ossification périostique.

Sans insister, pour le moment, sur les causes et les conséquences physiologiques qui appartiennent en propre à ces deux types différenciés par Manouvrier, nous tenons à nettement indiquer que l'euryplastie, qui tient sous sa dépendance la méga-

somie et la brachyskélie, d'une part, et d'autre part la macroplastie, dont dépendent la microsomie et la macroskélie, méritent également d'être nettement séparées l'une de l'autre au point de vue pathologique. Les conclusions qui résulteront de nos études sur le gigantisme démontreront, en effet, que l'acromé- galie, caractérisée par l'hyperostéogénèse périostique, n'est que l'exagération morbide de l'euryplastie normale, de même que le gigantisme, caractérisé par l'hyperostéogénèse enchondrale, n'est que l'exagération morbide de la macroplastie normale.

Le dernier type anthropologique, décrit par Manouvrier, est caractérisé par la rusticité des proportions. Nettement en rapport avec la profession des sujets chez lesquels on l'observe (diminutions organiques par amoindrissement de la sollicitation fonctionnelle), il est en rapport avec l'habitude des durs ouvrages manuels et s'observe plus particulièrement chez les hommes, mais aussi chez les femmes qui ont évolué vers la masculinité. Il se caractérise tout particulièrement par l'allongement excessif des extrémités des membres : les mains, les pieds sont grands, il y a tendance à la brachycéphalie ; l'allongement excessif des membres supérieurs par rapport au buste incurvé, raccourci, et au membre inférieur, rappelle beaucoup l'aspect du type anthropoïde. Nous retrouverons ces caractères si particuliers de la rusticité dans certaines variétés de gigantisme acromégalique.

Pour terminer cette revue anthropologique, il nous reste à préciser les lois de la croissance normale, à l'époque de la vie où elle atteint son plein développement, c'est-à-dire à l'adolescence, « Sans parler des variations extraordinaires telles que le gigantisme, c'est pendant l'adolescence, semble-t-il, que se produisent ces allongements excessifs des grands os des membres qui, d'un sujet issu de parents robustes et de moyenne taille, font un homme de 1m ,80 et plus, mais court de buste, efflanqué, malingre, sans vigueur musculaire, et dont l'énergie intellectuelle et morale peut être aussi atteinte ('). »

(1) MANOUVRIER, Préface au livre de PAUL GODIN, p. 10.

En nous permettant de suivre les phases de la croissance aux différents stades de l'adolescence, le récent ouvrage de Paul Godin(1) nous a amené à nettement préciser certains caractères, dont l'anormale persistance à un âge relativement avancé servira de substratum à l'une des formes principales du gigantisme que nous étudions, le gigantisme infantile.

L'accroissement (2) des os des membres et l'allongement de la taille sont sous la dépendance des cartilages juxta-épiphysaires, sur les deux faces desquels se succèdent des phénomènes histologiques aujourd'hui bien connus.

Lorsque la soudure des épiphyses aux diaphyses est complète, en d'autres termes lorsque l'ossification a envahi les cartilages de conjugaison dans toute leur épaisseur, la croissance s'arrête : la taille a acquis des dimensions qu'elle ne dépassera guère et qu'on peut considérer comme définitives.

L'époque de la clôture de la croissance est variable suivant les espèces : relativement précoce chez les animaux, elle est proportionnellement beaucoup plus tardive chez l'homme. Il existe de plus, dans l'espèce humaine, des variations en rapport avec le sexe : l'évolution complète du phénomène est, en effet, un peu plus rapide chez la femme que chez l'homme.

Dans les os longs des membres, chaque masse épiphysaire osseuse résulte de l'extension et de la confluence d'un certain nombre de points d'ossification (points primitifs, points secondaires) dont l'apparition se fait conformément à la loi des fonctions physiologiques formulées par Alexis Julien (3).

Les épiphyses demeurent séparées, pendant un temps variable pour chaque os, de leurs diaphyses correspondantes par une bande cartilagineuse plus ou moins épaisse, dont la disparition est complète entre 22 et 25 ans, ainsi qu'on peut s'en rendre compte sur le tableau ci-après emprunté aux classiques.

(1) PAUL GODIN, Recherches anthropométriques sur la croissance des diverses parties du corps. Détermination de l'adolescent type aux différents âges pubertaires d'après 3600 mensurations pratiquées sur 100 sujets suivis graduellement de 13 à 18 ans. Paris, 1903.

(2) P.-E. LAUNOIS, Causes et conséquences de la prolongation de l'ossifi- cation des cartilages de conjugaison, in Comptes rendus de l'Association des Anatomistes, Ve session. Liège, avril 1903.

(3) ALEXIS JULIEN, Loi de l'apparition du premier point épiphysaire des os longs. Note présentée à l'Académie des Sciences, le 11 avril 1892.

Humérus. Cubitus. Radius.

( Êpiphysc ) femme : 20 à 22 ans o-n 0 a .'21 ans lb a 11) ans MEMBRE I supérieure. ) homme : 21 à n25 r ans all a ans SUPÉHIEUR. } É'piphYI>e 1ü : -I7' 1111, V femme : 20 à 22 ans SUPÉRIEUR. ) Épiplu/se ) 1.0 t, i 1.7 „ ans 1J a lit ans ( , liumine :21 a O25 Pans 5U1'L:IiIliUR. (i■nf,■é■ri■ eure. ) 1G <l 1 7. am.; J a ,all ( humme : 21 à 2t> ans

Fémur. Tihia. Péroné.

Épiphyse J 17 à 20 ans 18 à 24 ans 19 à 22 ans Ml. « 17 a 20 ans 18 a 24 ans 19 à 22 ans MEMBRE ) supérieure. )

INFÉRIEUR. ) Épiphyse 18 a , ,2r J ans 16 à 18 ans 18 à 19 ans r, ml erzeure.

Topinard, de son côté, donne les chiffres suivants rangés chronologiquement :

L'extrémité supérieure du radius est réunie au corps de Fos. Vers 15 ans.

L'extrémité supérieure du cubitus eF-L réunie au corps de l'os — 15 — Les épiphyses des phalanges des doigts se réunissent au corps de l'os. — 17 — L'extrémité supérieure du fémur est réunie au corps de l'os. — 18 — L'extrémité inférieure du tibia est réunie au corps de l'o. - 18 — L'extrémité inférieure du péroné est réunie au corps de l'os — 18 — Les épiphyses des métatarsien? s'unissent au corps de l'os — 19 — L'extrémité supérieure de l'humérus s'unit au corps de l'os. — 1J — Les épiphyses des métacarpiens s'unissent au corps de l'os. 20 — L'extrémité inférieure du fémur s'unit au corps de l'os. — 20 — — — du radius — — 20 — — -- du péroné — — 20 — — — du cubitus — — 20 —

Ces chiffres (1), légèrement approximatifs, correspondent plutôt au début de l'ossification des cartilages de conjugaison qu'à leur disparition complète, qui ne s'effectue en général complètement qu'en un ou deux ans.

En pratique, il faut retenir que l'ossification de tous les cartilages de conjugaison des os longs est définitive vers l'âge de 24 à 25. Cet âge correspond à la clôture de la croissance et la taille ne subit plus ensuite que de très légères variations.

Si, après 25 ans, elle continue à grandir, il y a état patholo-

(1) TOPINARD, L'Anthropologie, p. 143. Paris, 1895.

gique. Dans ce cas, comme nous avons été les premiers à le montrer (1), l'examen radiographique des extrémités des os montre que la diaphyse et l'épiphyse des os longs, se traduisant par une image opaque, sont séparées l'une de l'autre par une bande claire plus ou moins épaisse. Celle-ci correspond précisément au cartilage de conjugaison qui continue à être le siège d'une prolifération active et dont la masse n'a pas encore été infiltrée par les sels de chaux. Il est facile, soit à l'aide de l'écran, soit sur des images radio-photographiques de la main et de l'avant-bras, de constater la persistance des cartilages juxta-épiphysaires, qui devraient être, depuis plus ou moins longtemps, disparus. Cette constatation, indice d'une persistance anormale de l'activité proliférative intra-cartilagineuse, a toujours été facile chez les géants infantiles que nous avons observés. Elle a été confirmée aussi par l'examen postmortem des différents os longs du squelette et tout particulièrement chaz le géant Constantin, dont la description sera faite plus loin (page 517).

Soit à l'École des enfants de troupe des Andelys (Eure), soit à l'École militaire préparatoire de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), Godin a pu pratiquer un grand nombre de mensurations très rigoureuses sur 100 sujets, suivis individuellement de 13 à 18 ans, c'est-à-dire à l'époque où le développement atteint son plein épanouissement. Les tableaux qu'il a pu dresser sont la confirmation des lois posées par Manouvrier et Papillault.

Il résulte tout d'abord de ses recherches que le grand adolescent, tout comme l'homme grand, a un petit buste et de grandes jambes : il est normalement, à une période donnée, brachyskèle. Si l'on compare la hauteur du tronc (de la fourchette sternale au pubis) à la hauteur totale du corps, ou si l'on compare la taille dans la station assise avec la taille dans la station debout, c'est-à-dire la longueur du buste par rapport à la longueur du membre inférieur, les résultats obtenus sont les mêmes : à 15 ans 1/2, par exem- ple, la longueur du membre inférieur l'emporte de 17 centi-

(1) P.-E. LAUNOIS et PIERRE ROY, Présentation d'un géant infantile. Soc. de Neurologie, 6 nov. 1902; et Revue Neurologique, 15 nov. 1902.

mètres sur celle de la taille dans la station assise. Deux ans plus tard, c'est-à-dire à 17 ans 1/2, c'est la longueur du buste qui l'emporte de 4 centimètres.

Il est donc avéré que cet allongement excessif du membre inférieur, par rapport au tronc, normal à 15 ans, constitue, lorsqu'il persiste à l'âge adulte, un stigmate évident d'infantilisme, que nous avons estimé à bon droit être l'un des caractères les plus importants du gigantisme infantile.

Pendant l'adolescence, les os des membres ne subissent pas un accroissement continu et régulier. Godin a pu formuler les lois suivantes : a. La croissance des os longs des membres procède par périodes alternatives d'activité et de repos qui se succèdent avec régularité.

b. Les périodes d'activité et de repos sont contrariées pour deux os longs différents. Pendant le semestre où le tibia s'accroît, par exemple, le fémur reste stationnaire, et inversement.

c. Les repos de l'allongement sont utilisés pour le grossissement et réciproquement. L'os long grossit et allonge alternativement et non simultanément.

Nous avons retrouvé l'application de ces différentes lois en étudiant la croissance anormale et irrégulière de certains géants et avons constaté les poussées qu'elle présente et qui se succèdent, à des intervalles plus ou moins éloignés, même lorsqu'ils ont atteint l'âge adulte.

Parmi les conclusions de Godin, il en est une qui présente encore, au point de vue des applications que nous voulons en faire, une importance très grande. Le poids du centimètre de taille subit une majoration caractéristique entre quinze et seize ans, c'est-à-dire à l'âge vrai de la puberté, lequel est fixé par l'auteur à quinze ans et demi. Il en résulte que « la croissance est surtout musculaire pendant la puberté et surtout osseuse avant elle ».

« La puberté, écrit Godin, n'est pas la période d'élancement aux dépens du gros acquis précédemment, mais bien la phase pendant laquelle l'activité de croissance s'emploie, en majeure partie, à grossir et à fortifier l'organisme,

en vue du rôle qui va incomber au jeune homme de demain. » Si, par le fait d'un vice de développement prépubéral, l'insuffisance musculaire persiste, si, en d'autres termes, la musculature ne devient pas adéquate à l'ossature, nous y verrons encore un stigmate pathologique et, pour le dire de suite, il acquiert une intensité marquée chez les géants infantiles; macroplastes, microsomes et hypermacroskèles, et dont le poids n'est jamais en rapport avec les dimensions exagérées de la taille.

LIVRE DEUXIÈME

Les considérations historiques, les données anthropologiques sur l'harmonie des formes du corps humain, sur son mode de développement normal, que nous avons résumées dans les pages précédentes, vont nous permettre de mieux décrire et de mieux interpréter les diverses malformations, qui sont le pro- pre du gigantisme.

L'observation méthodique, l'analyse minutieuse des différents géants que les hasards de la clinique hospitalière ont amenés dans notre service nous ont conduits à nettement les différencier les uns des autres.

Si tous les géants se font remarquer par une augmentation plus ou moins démesurée de la taille, les uns conservent, pendant toute leur vie, les attributs de l'infantilisme (GIGANTISME et INFANTILISME); les autres, après avoir crû en longueur, augmentent en épaisseur tout au moins partiellement (GIGANTISME et ACROMÉGALIE) ; chez les troisièmes, enfin, on retrouve réunis les caractères particuliers aux variétés précédentes (GIGANTISME, INFANTILISME et ACROMÉGALIE).

CES DERNIERS PERMETTENT, POUR AINSI DIRE, DE FAIRE LA SYNTHÈSE « DANS LE TEMPS » DES FORMES QUE NOUS AVONS CHERCHÉ A OPPOSER « DANS L'ESPACE ».

PREMIÈRE PARTIE

GIGANTISME ET INFANTILISME

Les caractères fondamentaux qui permettent d'établir les rapports existant entre le gigantisme et l'infantilisme étaient des plus évidents chez le Géant Charles. Son observation, la première que nous avons recueillie et qui a été le point de départ de nos études biologiques, apporte la justification du groupement que nous avons proposé. Le Géant Charles peut être considéré comme le type achevé du géant infantile.

OBSERVATION I. (P.-E. Launois et Pierre Roy.) Le grand Charles (1).

CHARLES F., âgé de 50 ans, est né à Paris le 1er juillet 1872. Son père, égoutier, est mort à l'âge de 48 ans d'asthme cardiaque ou pulmonaire; il était petit (1m,54). Nous avons vu sa mère, ancienne balayeuse, âgée actuellement de 55 ans, sourde et emphysémateuse : sa taille ne mesure que 1m,48.

Cinq enfants sont nés de cette union, dont deux avant notre sujet : un garçon est mort âgé seulement de quelques mois; un second fils, mouleur en cuivre, âgé de 33 ans, mesure 1m,61; deux autres sont nés après lui : une sœur, bijoutière, âgée de 28 ans, d'une taille de 1m,54 et un frère de 25 ans, bijoutier, d'une taille de 1m,61. Les deux frères et la sœur sont bien portants; ils sont mariés et ont des enfants.

Dans la famille directe, ou ne note donc que de petites tailles. Mais un oncle paternel avait, paraît-il, plus de 2 mètres de haut : on a toujours pensé que c'était de lui que notre géant tenait sa grande taille.

CHARLES F. est né très grand, ou plutôt très gros, comme le dit son

(1) Soc. de Neurol., 6 nov.1902, et Nouv. Icon. de la Salpêtrière, nov.-déc. 1902.

frère aîné; depuis son enfance il n'a jamais cessé de grandir d'une manière à peu près régulièrement progressive.

A la naissance il dit avoir pesé 21 livres (?). Élevé au sein maternel, il eut une enfance assez robuste et fut toujours bien portant; il ne fut pas épargné cependant par les maladies infectieuses et eut successivement la rougeole, la variole à 9 ans, la fièvre typhoïde à 11 ans.

A 12 ans, il fut placé en pension à Auteuil chez l'abbé ROUSSEL, où il apprit le métier de cordonnier : sa taille devait être déjà remarquable à cette époque, car il se souvient, qu'en le voyant entrer, pour la première fois, dans son établissement, le directeur ne put maîtriser sa surprise et s'écria : « Ce n'est pas un enfant, c'est un garçon de 20 ans qu'on nous envoie! » Ayant quitté la pension à 14 ans 1/2, il alla vivre avec les forains : tantôt il faisait le boniment à la porte des baraques, tantôt il vantait les mérites des monstres. Il accompagna pendant un certain temps le géant THOMAS DAROY (?), qui, selon son dire, aurait mesuré 2m,33.

Chez le lutteur MARSEILLE, il faisait la parade ou « luttait à blanc » : compère dissimulé dans la foule, il demandait un gant, puis disparaissait par la toile; parfois cependant, s'il était nécessaire, il prenait part à la lutte; mais celle-ci n'était, dit-il, jamais bien sérieuse.

En 1893, reconnu apte au service militaire, il fut incorporé dans un régiment d'artillerie, en garnison à Givet (fig. 2 et 3).

A cette époque (21 ans) il ne mesurait que 1m,86 (1). Pendant trois ans, il put accomplir tous les exercices militaires sans la moindre fatigue.

Sa force faisait même l'admiration de ses camarades, tout autant que son appétit formidable. Par ordre du général, il lui avait été accordé deux doubles rations, c'est-à-dire une quantité quatre fois plus grande que celle qui constitue l'ordinaire du soldat; il mangeait, par exemple, chaque jour deux pains réglementaires.

Au moment où il quitta le régiment, en 1896, il avait encore grandi et mesurait 1m,94. Sa vigueur était proportionnée à sa taille : exerçant successivement les professions de charretier ou de déménageur, il pouvait transporter les charges les plus lourdes avec la plus grande aisance.

Puis il est à nouveau hanté du désir de vivre parmi les nomades et retourne dans les foires, non plus comme simple faiseur de boniments, mais comme phénomène, à titre de géant. Il est devenu « le Grand

(1) Si les chiffres des différentes tailles atteintes successivement par CHARLES F., et que nous rapportons plus loin, n'offrent peut-être pas des garanties irrécusable , en revanche ce premier chiffre est officiellement confirmé par l'observation de M. CAPITAN prise en 1893; il suffit à lui seul, et déjà, pour démontrer la remarquable persistance, après l'enrégimentation, d'une croissance qui dure encore.

Les figures 2 et 3 montrent la morphologie du géant CHARLES à cette époque et nous remercions MM. CAPITAN et PAPILLAULT de nous avoir autorisés à les reproduire. Bien que les clichés aient été oxydés par le temps, les images sont suffisamment nettes pour rendre intéressante leur comparaison avec les photographies ultérieures.

Charles », car sa taille n'a pas cessé de s'accroître : mesurant 1m,96 en '1897, 1m,99 en 1899 (fig. 4 et 5), il atteint 2m,03 en 1901. Il parcourt alors

FIG. 2. — Le grand Charles, à 21 ans (1m,86).

(Face.)

FIG. 3. — Le grand Charles, à 21 ans (1m,86).

(Profil.)

presque toute la France et il narre aujourd'hui encore avec complaisance

les succès qu'il obtint dans certaines villes. Il était d'ailleurs assez habile metteur en scène, accordait l'entrée libre aux médecins, aux militaires et aux enfants; son titre de « seul géant Parisien » lui assurait, paraît-il, de grosses recettes.

Depuis quatre ans, il est rentré chez lui : des douleurs, qu'il avait ressenties pour la première fois à la sortie du régiment et qui siégeaient dans les membres inférieurs, ont été en augmentant et lui ont interdit toute fatigue. Progressivement aussi son genou gauche s'est déformé, et est devenu le siège d'un genu valgum, nécessitant l'usage de béquilles, dont il se sert aujourd'hui encore pour marcher (1). De violents maux de tête gênent son sommeil; il s'est mis à maigrir progressivement et il a vu, non sans une grande tristesse, diminuer ses forces et disparaître la vigueur dont il était si fier autrefois.

Aujourd'hui, réduit à la mendicité, il promène dans les rues de Paris son grand corps d'infirme, vendant des lacets ou des chansons.

État actuel (octobre 1902). — Deux faits attirent et retiennent l'attention dès que le grand CHARLES retire ses vêtements : c'est d'abord la déviation si accusée de sa jambe gauche en genu valgum; c'est, d'autre part, l'absence presque totale de tout signe effectif de puberté.

La hauteur, dans la station debout, est de 2m,04 (2). Mais dans cette hauteur, la plus grande part semble due à l'allongement des membres inférieurs : la distance du grand trochanter droit au sol est de 1m,129. Or, même à ne considérer que les canons artistiques des anciens Égyptiens, très grossièrement approximatifs il est vrai, on voit que chez l'homme normal, en dehors des différences de races et des autres variations, la longueur des membres inférieurs représente les 10/19 de la hauteur totale. Pour une taille de 2m,04, la longueur des membres inférieurs devrait être de 1m ,07; chez le grand CHARLES ils dépassent de 59 millimètres cette proportion. D'après les tables de QUÉTELET (5), on arrive à un résultat à peu près identique : chez un homme de 50 ans, pour une taille de 1m,686, la hauteur du grand trochanter est, d'après cet auteur, de 0m,876; donc, chez un homme du même âge qui garderait un dévelop-

(1) C'est vers cette époque qu'il fit un séjour à Bicètre dans le service de PIERRE MARIE qui a bien voulu nous autoriser à reproduire les excellentes photographies (fig. 4 et 5) empruntées à la collection de BOURNEVILLE. Nous tenons à lui en adresser tous nos remerciements.

(2) Les anthropologistes insistent sur les difficultés que présente la mensuration mathématiquement exacte de la taille chez un sujet quelconque. Ces difficultés et la variabilité de la stature, déjà manifestes chez l'homme normal, se trouvent multipliées chez les géants et surtout chez un géant aussi mal équilibré que le grand Charles, surtout lorsqu'il est privé du secours de ses béquilles. Tel quel, le chiffre de 2 m. 04, même sujet à l'erreur ou à des variations, d'ailleurs assez minimes, est intéressant parce qu'il permet d'établir une comparaison avec les mensurations recueillies antérieurement; leur progression assez régulière rend manifeste la persistance de l'accroissement en hauteur, confirmé encore par l'allongement particulier des différents segments des membres. (Voy. les mensurations détaillées de 1899 et de 1902, page 68.) (3) QUÉTELET, Anthropométrie, p. 431.

pement proportionnel et harmonieux des différentes parties du corps,

FIG. 4. — Le grand Charles à 27 ans (1m,99).

avec une taille de 2m ,04, cette mesure devrait être de 1m,061, soit 68 milli-

FIG. 5. — Le grand Charles, à 27 ans (1m,99).

mètres en moins de la longueur des membres inférieurs de notre sujet.

L'écart est ici assez marqué pour qu'on puisse négliger les causes d'erreur inévitables dans des calculs de ce genre et qu'on soit autorisé à

FIG. 6. — Le grand Charles, à 30 ans (2m,04).

conclure que le grand CHARLES a des membres inférieurs notablement plus allongés que ne le comporterait sa taille. Au contraire, les dimensions du tronc semblent voisines de la normale (distance sterno-pubienne ;

62 cent.). La tète semble petite pour un si grand corps (hauteur de la tête, du vertex au menton : 22cm,5) (fig. 6).

La déformation énorme du membre inférieur gauche (la cuisse et la

FIG. 7. — Le grand Charles, à 30 ans (2m,04).

jambe forment un angle ouvert en dehors d environ 135 degrés) fait que l'attitude, sans les béquilles, est fortement hanchée; il se produit, par compensation, une légère scoliose dorso-lombaire à concavité droite, atti-

tude vicieuse qui ne laisse pas de fausser toutes les mensurations pratiquées sur le tronc ou sur le bassin. A la vérité, le grand CHARLES peut marcher sans se servir de ses béquilles; il fait alors de grandes enjambées inégales, suivant la jambe sur laquelle repose ie poids du corps. A marcher ainsi, il se fatigue vite; aussi, depuis deux ou trois ans, il a pris l'habitude de s'aider de deux béquilles dont il ne peut plus se passer : l'une, béquille ordinaire, qu'il place sous son aisselle gauche et qui n'a de remarquable que sa longueur inaccoutumée (1m,48) ; l'autre, plus petite, de moitié moins longue, sur la partie supérieure de laquelle il s'appuie de la main droite, s'en servant comme d'une canne.

L'inclinaison des épaules, des mamelons, des épines iliaques, ainsi

FIG. 8. — La main du grand Charles comparée à celle d'un adulte normal.

que l'encoche thoraco-abdominale du flanc droit et les plis cutanés à ce niveau, tiennent à l'attitude hanchée, qu'est obligé de prendre le sujet pour maintenir son équilibre. Le thorax est assez bien conformé ; sa circonférence au niveau de la ligne mamelonnaire, est de 1m,04.

Les quatre membres sont très augmentés de longueur : nous avons déjà signalé l'allongement disproportionné des membres inférieurs; celui des membres supérieurs est à peu près équivalent : la grande envergure, que l'on sait représenter, avec un léger excès, environ la hauteur totale de l'individu, atteint ici 2m,09. Les différents segments des membres sont respectivement assez bien proportionnés. Si l'on excepte une légère atrophie musculaire du membre inférieur gauche

tenant au moindre fonctionnement de ce membre infirme, on peut dire que le volume des bras et des jambes est régulier et que, ni aux poignets (circonférence, 19cm,7), ni aux chevilles (circonférence bimalléolaire, 24 cent.), on ne constate d'élargissement notable.

La main est très grande (fig. 8) : si on la compare à la main d'un individu normal, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une hypertrophie générale et sensiblement régulière de tous ses segments, en relation avec le développement excessif des autres parties du corps. — De même, le

pied est volumineux (fig. 9), sans être difforme, du moins en ce qui concerne le pied droit; le pied gauche, déformé par le fait du genu valgum, est immobilisé en équin varus ; il est considérablement épaissi, et, dans la marche, les points d'appui sont constitués par les orteils et le bord externe.

Les ongles des orteils présentent une striation transversale, surtout accusée à l'ongle du gros orteil gauche, au niveau duquel s'observent les déformations de l'onychogrippose.

La face, pâle et couverte de lentigines, est complètement imberbe. Il y a une légère asymétrie faciale, la moitié droite du visage étant un peu moins développée que la moitié gauche; le malade lui-même a remarqué depuis deux mois environ que la pommette gauche faisait une saillie plus grande que la droite. Quant à l'oreille du côté gauche, elle est manifestement plus grande que

FIG. 9. — Le pied du grand Charles.

celle du côté droit : pour une largeur identique de 42 millimètres, le pavillon de l'oreille gauche mesure 73mm,5 de haut, tandis que la hauteur du pavillon de l'oreille droite n'est que de 68 millimètres. — Le maxillaire inférieur n'apparaît pas très augmenté de volume; la bouche est normale et la langue n'atteint pas des proportions démesurées. Les yeux sont petits et tout ridés. Le crâne ne présente pas de déformations très évidentes; le front est cependant assez peu développé. — La voix n'est ni particulièrement grave, ni particulièrement aiguë, et le grand CHARLES module avec une voix à peu près normale les chansons qu'il cherche à vendre.

Le développement de l'appareil génital est tout à fait incomplet : si la

verge paraît bien conformée, elle est de dimensions minimes. Les bourses, peu développées, renferment deux testicules rudimentaires : le droit a le volume d'une amande, le gauche n'atteint guère que celui

FIG. 10. — Le grand Charles, à 50 ans (2m,04).

d'une noisette. Le toucher rectal ne permet pas de sentir la prostate; comme c'est la règle dans l'atrophie testiculaire congénitale, la glande

prostatique ne s'est pas développée (1). Au point de vue fonctionnel, l'anaphrodisie est et a toujours été absolue. Il y aurait eu quelques érections; mais elles n'ont jamais été accompagnées d'éjaculations.

Il faut rapprocher de cette atrophie testiculaire les autres signes d'infantilisme. Si quelques rares poils existent dans la région sus-pubienne, les aisselles et la face sont absolument glabres. La figure imberbe présente un aspect juvénile tout à fait particulier (2).

Le grand CHARLES, qui jouissait autrefois d'une vigueur remarquable, conserve encore aujourd'hui un assez bon développement musculaire; mais ses forces ont considérablement diminué. Le quadriceps fémoral gauche est notablement atrophié par le fait de l'inaction dans laquelle il se trouve.

Depuis trois ans environ il a beaucoup maigri; son poids est actuellement de 86 kilogrammes, alors qu'il dit avoir pesé jadis jusqu'à 106 kilogrammes.

L'analyse des urines a été pratiquée par M. SAVINEL, interne en pharmacie du service ; elle a donné les résultats suivants :

Élimination en 2-1 heures (8 novembre 1902).

- -Le géant Charles. Adulte normal.

Volume 2500 cc. 12 à 1400 cc.

Couleur, odeur, consistance normales Densité 1020 1020 Chlorures 25«r, 5 10 à 20 gr.

Phosphates 4sr,51 2«r,5 à 2sr,8 Urée. 56 gr. 20 à 25 gr.

Cette urine est donc anormale : 1° Par son volume; 2° Par l'élimination exagérée de chlorures, de phosphates, d'urée.

Or, si l'on fait un coefficient urologique relatif au poids du sujet, nous trouvons qu'il élimine par kilogramme :

Phosphates. 0,051 au lieu de la normale 0,04 Chlorures. 0,50 — — 0,17 U~e. 0,42 — — 0,40

Cette élimination de chlorures et de phosphates, très exagérée par rapport à la normale chez l'adulte, serait imputable, d'après les travaux de MONFET et CARRON DE LA CARRIÈRE (3), à un enfant de 5 à 10 ans.

(1) P.-E. LAUNOIS, Castration et atrophie de la prostate, Association française pour l'avancement des sciences. Congrès de Caen, 1894.

(2) Toutes ces constatations rendent peu vraisemblables les récits qu'avait faits le grand CHARLES en 1899, quand il vantait ses exploits génitaux. Ses confidences actuelles en démontrent la fausseté. Son frère se plaît d'ailleurs à raconter la déception « d'une dame du grand monde » qui, un beau jour, sur le champ de foire où il s'exhibait, était venue enlever dans une voiture à deux chevaux l'mpuissant géant.

(3) CARRON DE LA CARRIÈRE et MONFET, L'urine normale de l'enfant. Acad. de Méd., 20 juillet 1897.

Sans aller peut-être jusqu'à parler d'infantilisme urinaire, il nous a paru que les faits relevés par M. SAVINEL étaient intéressants à comparer avec les autres signes d'infantilisme présentés par le géant CHARLES.

Il y aurait peut-ètre lieu de rechercher la formule urinaire de tous les infantiles, géants ou non. Ce mode d'exploration, venant s'ajouter aux données fournies par la radiographie des cartilages épiphysaires, aiderait sans doute à déterminer les troubles de la nutrition qui existent dans l'infantilisme.

La peau du corps, uniformément glabre, est fine et souple. On relève la présence de quelques tatouages : une rose se voit sur la face antérieure du thorax, une bague sur l'annulaire droit et une autre sur le médius gauche.

La sensibilité objective, sous tous ses modes, est intacle; il n'y a pas de troubles sensoriels. Mais, depuis l'apparition du genu valgum, de violentes douleurs dans les membres inférieurs persistent jour et nuit.

L'état mental est relativement bon, en dépit de la détresse morale et surtout physique dans laquelle se trouve le malade : bien que très sensible à la perte de ses forces et à son infirmité actuelle, il a conservé quelque gaieté. Il est assez irascible et facile à émotionner; son caractère un peu fantasque lui a rendu impossible le séjour à Bicêtre, où il avait été hospitalisé. Sa mémoire excellente lui permet de raconter, en les amplifiant même, ses anciens succès à travers les foires de province.

Son intelligence est assez développée; c'est lui-même qui composait autrefois ses boniments.

Si sa chasteté obligatoire l'a mis à l'abri de toute contagion syphilitique, sa vie aventureuse l'a exposé aux abus alcooliques : il boit, en effet, plusieurs verres d'absinthe par jour.

M. PAPILLAULT, professeur à l'École d'Anthropologie, a bien voulu compléter et rectifier avec toute la précision désirable, les mesures que nous avions prises sur le géant CHARLES. Nous avons pu les rapprocher de celles qui avaient été recueillies en 1899 par lui, et le tableau ci-dessous offre ainsi le rare avantage de permettre une comparaison très exacte des différents chiffres obtenus à trois ans d'intervalle, sur le même individu, d'après la même technique, appliquée par le même observateur :

Mai 1899. Novembre 1902.

Tronc.

Taille debout. 1990 mm. 2040 mm.

Taille assise — 960 — Hauteur du trou auditif au pubis 740 — » — Hauteur du trou auditif à l'épine iliaque.. 640 — — Diamètre biacromial. 490 — 425 — Circonférence thoracique. 1015 — 1040 — Circonférence de la taille. 892 — 925 — Diamètre bimamelonnaire 220 — 220 — Diamètre transverse du thorax - 308 — Diamètre antéro-postérieur du thorax — 265 — Envergure — 2090 —

Mai 1899. Novembre 1902.

Bassin.

De l'épine iliaque au pubis. 92 mm. » mm.

Largeur entre les crêtes iliaques 303 — 521 — Largeur entre les épines. 263 — — Membre inférieur droit.

Hauteur du fémur 529 — 541 — Hauteur du tibia. 502 — 509 — Hauteur de la malléole interne. 87 — 79 — Longueur du pied 287 — 299 — Longueur du 1er orteil avec le métatarsien. 143 — — Longueur du 2e orteil seul 82 — — Longueur du 1er orteil (partie libre) 48 — — Largeur bicondylienne. 108 — — Largeur bimalléolaire 81 — — Largeur du pied 126 — — Membre supérieur gauche.

Hauteur de l'humérus 581 — 422 — Hauteur du radius 298 — 298 — Longueur de la main. 233 — 245 — Longueur du médius. 118 1/2 124 — Longueur du pouce avec le métacarpien.. 125 — 126 1/2 Longueur du pouce seul. 72 — 76 — Longueur de l'ongle du médius 16 — 16 — Largeur de l'humérus (extrémité inférieure). 74 — 83 — Largeur du poignet 67 — 69 1/2 Largeur de la main. 97 — 105 — Circonférences.

Cou. 370 — 570 — Thorax. 1015 — 1040 — Taille. 892 — 925 — Bras 280 — 260 — Avant-hras. 271 — 250 — Poignet. 197 — 197 — Cuisse : circonférence supérieure à droite. 544 — — — — à gauche 559 — 450 — — inférieure à droite. 420 — — — — à gauche 599 — — Mollet : droit. 582 — — — gauche. 375 — 550 — Malléoles (droite et gauche) 240 — — Tête.

Hauteur naso-alvéolaire 87 — 87 — Hauteur naso-sous-nasale 64 — 64 — Largeur biangulaire interne (yeux). 56 — 37 — Hauteur ophryo-alvéolaire 102 — 102 — Largeur biangulaire externe (yeux). 96 — ,. —

Largeur bimastoïdienne 142 1/2 145 — Diamètre antéro-postérieur glabellaire. 199 — 200 — Hauteur ophryo-mentonnière. 154 — 159 1/2 Diamètre antéro-postérieur métopique. 195 — 197 — Largeur bizygomatique. 145 — 149 — Largeur bigoniaque 116 — 116 —

Mai 1899. Novembre 1902.

Diamètre gonio-mcntonnicr. 108 mm. 111 mm.

Largeur du nez 36 — 37 — Diamètre transverse maximum. 156 — 159 — Diamètre transverse minimum. 104 1/2 » — Diamètre bitubéral pariétal. 136 — » — Pavillon de l'oreille : largeur : à droite » — 42 — — — à gauche.. — 42 — — hauteur : à droite — 68 — — — à gauche.. » — 75 1/2

FIG. 11. — Radiographie de la main du grand Charles, montrant la persistance à 30 ans des cartilages de conjugaison.

A ne considérer que les trois tailles confirmées par l'observation scientifique :

21 ans. 1 m. 86 (Capitan).

27 ans 1 m. 99 (Papillault).

50 ans 2 m. 04 (Launois et Roy).

on peut donc affirmer que CHARLES a continué de grandir progressi- vement depuis l'âge de 21 ans : il a gagné 18 centimètres, en une

FIG. 12. — Radiographie du genou du grand Charles.

période de 9 ans; cet accroissement est d'autant plus important à signaler qu'il s'est fait à un âge où d'ordinaire la taille a acquis ses dimensions définitives.

Actuellement, bien qu'il ait atteint sa 30e année, il grandit encore. La persistance de cette croissance nous a été démontrée par l'examen des épreuves radiographiques de divers segments de son squelette. Sur les remarquables clichés que nous devons à M. INFROIT, on peut nettement reconnaître la persistance des cartilages de conjugaison et la non-soudure d'os, dont les plus retardataires devraient être définitivement ossifiés à 24 ou 25 ans. Sur la radiographie du genou gauche (fig. 12), on reconnaît que le plateau tibial et la tête du péroné sont séparés par un intervalle assez large de leurs diaphyses respectives. De même, au niveau du poignet et de la main (fig. 11), on peut voir un espace clair séparant nettement du corps de l'os les épiphyses radiales et cubitales inférieures ; il en est de même encore pour la base des phalanges, des phalangines et pour celle du premier métacarpien. On sait que l'épiphyse supérieure du péroné se soude habituellement de 19 à 22 ans, celle du tibia à 24 ans au plus tard; les épiphyses inférieures des os de l'avant-bras se soudent à la diaphyse, pour le cubitus, de 20 à 22 ans chez la femme, de 21 à 25 ans chez l'homme ; pour le radius, de 20 à 25 ans. Quant aux phalanges et au premier métacarpien, leur ossification se termine définitivement de 18 à 20 ans, elle soude d'abord les segments distaux,, puis les segments proximaux.

Telle est l'étude anthropologique que nous avons pu faire du Grand Charles en 1902; mais, si nous l'observions pour la première fois, il n'était pas un inconnu pour nombre de médecins.

Capitan (1) l'avait rencontré à l'hôpital de la Pitié, en 1895, dans le service d'Albert Robin, et l'avait montré à ses collègues de la Société d'Anthropologie; Pierre Marie l'avait aperçu pendant le court séjour qu'il fit à Bicêtre; J. Lucas-Championnière (2) lui avait donné des soins à l'Hôtel-Dieu et l'avait présenté à l'Académie de Médecine. Papillault (3), enfin, avait utilisé les documents recueillis sur lui pour ébaucher une étude sur le mode de croissance d'un géant.

Les données, réunies par chacun de ces auteurs, sont intéressantes à rapprocher des constatations ultérieures que nous

(1) CAPITAN, Médecine moderne, n° 82, 14 octobre 1893; et Présentation d'un géant, Bull. de la Soc. d'Anthropologie, 18 mai 1899.

(2) J. LUCAS-CHAMPIONNIÈRE, Présentation d'un géant dont les phénomènes de grandissement tardif se caractérisent comme ceux du grandissement des jeunes sujets. Bull. de l'Acad. de Méd., 9 mai 1899, 3° série, t. XLI, p. 481.

(3) G. PAPILLAULT, Mode de croissance chez un géant. Bull. de la Soc. d'An- thropologie, 1er juin 1899.

avons faites de notre côté ; elles montrent, en effet, les modifications qui se sont succédé et permettent de suivre notre géant pendant une phase assez longue de son existence.

L'observation, recueillie par Capitan, a été résumée par lui de la façon suivante : « CHARLES F., fondeur en cuivre, âgé de 21 ans, mesurant 1m,86 et pesant 83 kilogrammes, est le 17e enfant de 20. Il fut admis en août à la salle Piorry pour des douleurs dans les jambes.

« Antécédents héréditaires (1). — Père. Lutteur de foire, mort à l'âge de 48 ans, assassiné; petit de taille, mais extrêmement fort. Il n'avait que 1m,49 de taille mais pesait 98kg,500. Il s'adonnait à la boisson.

« Mère. Vivante; a 44 ans et pèse 90 kilogrammes, constitution très forte, petite de taille, nerveuse.

« Frères et sœurs. CHARLES a 10 frères et 9 sœurs, tous vivants et en excellente santé, tous petits de taille. Il y a 7 filles et 9 garçons qui sont mariés. Les 7 filles ont mis au monde 9 garçons et 2 filles. Les 9 garçons ont mis au monde 8 filles et 9 garçons. Au dire du malade, cette nombreuse famille jouit d'une santé parfaite.

« Antécédents personnels. — A 9 ans, notre sujet a la fièvre typhoïde et la petite vérole. Il entre pour se faire soigner à l'hôpital Trousseau et il y reste 15 mois. De sa douzième jusqu'à sa seizième année, il souffre pendant chaque hiver d'un eczéma. A l'âge de 16 ans, il entre pour se faire soigner à Saint-Louis. Après un séjour de 5 mois dans ledit hôpital, il en sort guéri.

« A 19 ans, il prend une chaudepisse qu'il guérit au bout de 2 mois.

« Jusqu'à l'âge de 18 ans, sa croissance est normale. Il présente la taille et l'aspect d'un jeune homme de taille ordinaire. A 18 ans, une croissance subite commence et débute par des douleurs excessives dans tous les membres, douleurs qui le mettent au lit pendant 5 mois.

Durant ce temps, il grandit très rapidement et, quand il se releva, sa taille avait augmenté d'environ 30 centimètres. Depuis lors, il continua à grandir et il grandit encore.

« Actuellement c'est un grand garçon dont nous ne décrirons pas la conformation générale nettement indiquée sur les figures ci-dessus (fig.2 et 5). Mais ce qui frappe surtout, c'est l'aspect absolument infantile de la face, complètement imberbe, et qui est plutôt celle d'un gamin que celle d'un jeune homme. Ses membres sont assez grêles, son bassin à type féminin, ses seins assez développés. Il a une absence complète de système pileux, même au pubis. Les organes génitaux sont nor- maux mais peu développés, ce sont ceux d'un jeune homme de 14 à 15 ans. Il n'existe pas chez lui de stigmates hystériques. A noter cependant une hyperesthésie surtout marquée aux membres inférieurs. Au

(1) Tous les renseignements sur les antécédents et la famille du malade nous ont été fournis exclusivement par lui (CAPITAN).

dynamomètre, malgré tous ses efforts, il ne peut donner que 38 à droite et 55 à gauche. En somme, on dirait d'un gamin démesurément agrandi, surtout en hauteur.

« L'analyse morale de ce sujet est assez difficile. Il est bavard, vantard et cherche à vous tromper. D'une façon générale, son individualité psychique ressemble à son organisme physique. C'est à ce point de vue également un gamin, mais un gamin méchant, vantard, orgueilleux, débauché et brutal. Faisant parade de sa force physique qu'il dit considérable (nous avons vu ce qu'il donne au dynamomètre), racontant volontiers ses exploits génitaux, ses batailles. Il semble d'ailleurs complètement manquer de sens moral. Avec cela son intelligence paraît assez bornée, au moins pour les faits d'ordre un peu élevé. Il ne sait ni lire, ni écrire. Il a pourtant cette facilité d'élocution de l'ouvrier parisien et une certaine intelligence pratique d'ordre matériel. Il fait fréquemment des excès alcooliques (1).

« En somme, chez ce sujet, il y a une sorte de développement excessif, suivant ses divers diamètres, pourrait-on dire. Il est resté au physique comme au moral ce qu'il était avant cette poussée. Il s'est simplement agrandi. C'est un jeune adolescent vu à travers un verre grossissant, mais fixé au point où il était avant de grandir et ne se différenciant en rien aujourd'hui qu'il a 21 ans, sauf par sa taille, de ce qu'il était à 17 ans. Aussi pourrait-on dénommer ce cas, d'une façon juste quoique paradoxale dans la forme : un cas d'arrêt de développement par gigantisme. »

J. Lucas-Championnière avait accompagné sa présentation à l'Académie de Médecine de la note suivante : « Le sujet que je présente est âgé de 27 ans et sa taille mesure 2m ,02. Cet homme est vigoureux, bien constitué.

Actuellement, il est dans un état de fatigue et de dépression qui, joints à une difformité du genou gauche, ne lui permettent pas de se tenir sur ses jambes sans béquilles. Mais le développement de son système musculaire est assez considérable pour lui permettre de se livrer comme bateleur à des exercices de force. C'est ainsi qu'il brise une bouteille de verre entre ses mains.

« Ce garçon a fait, à 20 ans, son service militaire. Il était entré avec la taille de 1m,89. Il quitta le régiment au bout de trois ans avec une taille de 1m, 94.

« Depuis, il n'a cessé de grandir. Il a aujourd'hui, à 27 ans,

(1) CAPITAN a d'ailleurs étudié ce sujet au point de vue psychologique dans un travail paru dans la Revue de l'École d'Anthropologie en 1895 et intitulé : Contribution à l'étude de l'influence physique et morale du milieu social sur les sujets atteints d'arrêt de développement.

2m ,02 et il semble bien que sa taille progresse toujours. Il est du reste le fils d'un géant, dont la taille était, dit-il, de 2m,32 et il espère arriver à une taille considérable du même genre.

« J'ai vu cet homme, pour la première fois, au mois d'août de l'année dernière. Il était entré dans mon service de l'hôpital pour une entorse de l'articulation tibio-tarsienne gauche qu'il s'était faite sans avoir exécuté un mouvement bien violent. On conçoit, à cause de l'immense longueur du levier que représente le membre inférieur, la facilité qu'un tel sujet doit avoir à se faire de ces sortes de lésions.

« Ayant eu l'occasion à cette époque de l'étudier attentivement, je pus constater que la jambe malade était parfaitement droite.

« Depuis cette époque, le sujet a pàti, il a été constamment souffrant et il a grandi de plus d'un centimètre. En même temps, il a souffert de douleurs dans les cuisses et juste au niveau des condyles du fémur, surtout à gauche.

« Il s'est présenté à moi récemment à l'Hôtel-Dieu et j'ai pu constater qu'il s'est développé au niveau de ce genou gauche un genu valgum, qui n'est pas encore très accentué, mais qui, cependant, donne lieu à une déformation très nette.

« Ce genu valgum a tous les caractères ordinaires de cette déformation et il disparaît lors de la flexion du membre.

« La formation de ce genu valgum a accompagné la poussée de grandissement récemment caractérisée, elle paraît s'accentuer.

« Elle s'est accompagnée d'un état de faiblesse et de malaise très marqué. Le sujet ne doute pas que, dans ces conditions, son grandissement ne continue, comme il l'observe depuis plusieurs années.

« On peut voir que ce sujet, lors de cet accroissement tardif et anormal, présente des phénomènes tout à fait analogues à ceux qu'on observe chez les jeunes sujets qui grandissent rapidement aux époques normales de l'accroissement.

« Aussi le grandissement se fait chez lui toujours par poussées successives.

« Chez le géant, comme chez le jeune sujet, l'accroissement n'est pas le résultat d'un allongement régulier et continu du squelette. L'accroissement se fait par périodes intermittentes.

« Les périodes d'allongement sont accompagnées d'un état de malaise, d'un état fébrile souvent, à propos duquel on peut se demander si la fièvre est le résultat du grandissement ou si l'allongement a été la suite de la poussée fébrile qui s'était montrée pour d'autres causes. On sait que des maladies fébriles, comme des maladies éruptives, sont souvent l'occasion du grandissement.

« Les douleurs, au voisinage des articulations et surtout des articulations des genoux, ont été ici assez caractéristiques.

« Ce qui caractérise encore très particulièrement notre cas, c'est le fait de l'hérédité. Ce garçon est le fils d'un père géant et d'une mère petite. Le père aurait eu, dit le fils, la taille définitive de 2m,32.

« Il a eu douze enfants. Le fait d'aptitudes génitales très marquées chez un géant est déjà intéressant. De ces douze, il n'y en aurait eu que deux qui auraient présenté des phénomènes de gigantisme.

« Une sœur, morte à 19 ans, avait une taille voisine de 2 mètres et se montrait dans les foires. Plusieurs des autres enfants sont morts en bas âge, mais ceux qui ont survécu ont été de taille plutôt petite. Enfin le sujet que nous observons est assez régulièrement développé. Ses pieds et ses mains sont de grande dimension, mais proportionnées à sa taille. La tête est petite. L'intelligence est suffisante. »

Pure légende que toute la partie de cette histoire qui a trait aux antécédents héréditaires. Déjà Capitan, qui le jugeait « vantard, bavard et menteur », avait appris à se méfier du Grand Charles. « On remarquera, écrivait-il en 1899, que dans ce qui a trait à ses antécédents, sur lesquels lui seul a renseigné M. Championnière, comme il nous avait jadis renseigné, il y a de nombreuses différences entre ce qu'il racontait en 1893 et ce qu'il a raconté cette année. Ceci est en rapport avec l'état d'esprit du sujet que nous avions noté. Où est la vérité sur ces points? Nous serions porté à croire qu'en 1895, ayant alors moins fréquenté les hôpitaux, il mentait moins qu'en 1899.

L'histoire de son père géant nous paraît une invention destinée à le rendre plus intéressant. » Pour réduire à néant la fable que le Grand Charles avait imaginée, il suffisait de faire une enquête auprès des siens et

d'examiner les divers membres de sa famille encore vivants, Aucun, pas plus le père qu'une sœur, n'a présenté les stigmates du gigantisme; il en serait de même de l'oncle, dont le frère de notre géant nous a dit n'avoir jamais eu connaissance. Il s'agit donc bien d'une anomalie unique survenant dans une lignée familiale répondant, tout au moins quant à la taille, aux données moyennes. Ce cas est bien fait pour rendre suspects les quelques exemples d'hérédité du gigantisme qui ont été publiés et qui sont uniquement basés sur le seul témoignage des sujets observés.

De l'observation du grand Charles, nous retiendrons, pour les étudier spécialement, trois données principales qui nous semblent tout particulièrement intéressantes et qui constituent le trépied anatomo-physiologique du gigantisme infantile.

1° La persistance, chez un homme de 30 ans, de l'ossification dans les cartilages de conjugaison; 2° Le mode de croissance gigantesque et ses anomalies; 5° L'atrophie génitale, dans ses rapports avec les deux faits précédents.

CHAPITRE I

LA PERSISTANCE DE L'OSSIFICATION DANS LES CARTILAGES DE CONJUGAISON

Les épreuves radiographiques que nous avons obtenues sont, à notre connaissance, les premiers documents précis qui aient été fournis pour appuyer l'hypothèse, émise depuis longtemps par Brissaud, de la persistance anormale des cartilages épiphysaires chez certains géants adultes.

Depuis longtemps aussi on a signalé des poussées de croissance en hauteur, se produisant, sous des influences variables, chez des sujets adultes qui semblaient avoir atteint leur stature définitive, et, comme l'accroissement en longueur des os se fait au niveau des cartilages de conjugaison, il était tout naturel de supposer, en pareil cas, la persistance anormale de ceux-ci ou

le réveil pathologique de l'activité proliférante de leurs cellules cartilagineuses.

Dès 1832, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1) distinguait, parmi les anomalies par augmentation générale de volume, deux variétés : le géantisme vrai, ou de l'adulte, et les anomalies par accroissement précoce de la taille. Topinard (2), reprenant plus tard cette distinction, a pu dire que le gigantisme est causé, soit par l'accélération du développement, soit par la prolongation de son terme final. Dans le premier cas, le gigantisme apparaît avant 20 ans, comme l'expression d'une exagération dans le rythme de la croissance : c'est le gigantisme précoce, passager, des adolescents dont un grand nombre d'exemples ont été publiés et dont nous ne nous occuperons pas ici. Dans le second, le gigantisme est plus tardif, la croissance se prolongeant anormalement au delà de son terme normal.

Contre l'opinion de Langer (5), d'après laquelle la plupart des géants auraient atteint leur taille avant la vingtième année, les exemples sont nombreux : témoin cette femme, citée par B. Mosler (4), qui, mariée à 16 ans avec un homme qui la dépassait d'une tête, se mit à grandir démesurément jusqu'à atteindre une taille de 1m,93 et à dépasser à son tour son mari, devenu plus petit de la hauteur d'une tête.

Tous les cas de croissance retardée, c'est-à-dire se produisant au delà de la limite habituelle de l'accroissement en longueur du corps, qui est, chez l'homme, comprise entre 18 et 25 ans, ne peuvent s'expliquer que par la persistance anormale des cartilages juxta-épiphysaires. Si cette persistance est signalée dans plusieurs observations, il est le plus souvent difficile de la constater sur le vivant, au travers des parties molles qui masquent les extrémités articulaires et empêchent de sentir le relief que forme à la surface de l'os le cartilage conjugal.

D'autre part, la majorité des squelettes de géants, conservés dans les muséums, n'étant pas accompagnés de descriptions

(1) GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Traité de Tératologie, t. I, chap. II, p. 166.

(2) TOPINARD, Élém. d'Anthr. gén., 1885, p. 434.

(3) LANGER, Wachsthum des menschlichen Skelettes mit Bezug auf den Riesen. Denkschriften d. Kais. Akad. d. Wissensch. Wien, 1872.

(4) B. MOSLER, Ueber die sogenannte Akromegalie, Virchow-Fetschrift, Internat.

Beitr. z. Wiss. (cité par BUDAY et JANCSO).

cliniques, il est assez difficile de déterminer l'âge (1) des sujets auxquels ils appartiennent et on ne peut se fonder sur la nonsoudure des épiphyses pour le déterminer avec précision. Il en est ainsi, par exemple, pour le géant du Mütter Muséum du Collège des Médecins de Philadelphie, décrit soigneusement par Hinsdale (2) : « Sur le sujet dont je vais décrire le squelette, dit cet auteur, on ne sait rien, sinon qu'il naquit dans le Kentucky. En 1877, le professeur Joseph Leidy fut informé qu'un corps de géant était à vendre, à la condition qu'aucune question ne serait posée pour établir son identification. Aucun nom n'ayant été donné pour ce sujet, je l'appellerai le Géant Américain » (3). Et plus loin, l'auteur ajoute : « Il est probable que le géant américain avait atteint l'âge de 22 ou 24 ans au moment de sa mort : les os semblent avoir atteint leur entier développement, quoique les jonctions épiphysaires soient encore visibles sur tous les os longs. » De même pour la géante lady Aama (Obs. III, p. 114), Woods Hutchinson note que son âge était de 19 ou 17 ans, « ce dernier semblant plus probable en raison de l'examen ultérieur qui montre qu'à peine un tiers des épiphyses du squelette étaient soudées aux diaphyses; mais ceci, ajoute judicieusement le même auteur, peut aussi avoir été le résultat du développement imparfait de ses tissus».

Une semblable détermination de l'âge d'un squelette anormal est à coup sûr imparfaite : les radiographies, que nous avons

(1) Les géants atteignent rarement un âge avancé : ils meurent le plus souvent entre 20 et 30 ans. Sur 16 cas où l'âge du décès était rapporte, DANA en Irouve un seul qui soit mort après 50 ans. En se fondant sur les 8 cas suivants (CHARLES BYRNE, 22 ans; MAGRATH, 20 ans; WINCKELMEYER, 22 ans; JAMES TOLLER, 24 ans; la Grande fille de Basle, « en enfance », soit 18 ans; THOMAS HASLER, 25 ans; le Géant de Kentucky, 22 ans; LADY AAMA, 18 ans), WOODS HUTCHINSON donne comme âge moyen de la mort des géants, 21,3 (New-York, Med. Journ., 21 juillet 1900). — D'ailleurs ISIDORE GEOFFROY SAINTHILAIRE écrivait déjà au sujet des géants : « L'augmentation extrême du volume de leurs organes semble user en eux les principes de la vie, et la plupart périssent comme épuisés, après avoir achevé leur énorme et rapide croissance, et quelquefois même avant de l'avoir terminée » (loc. cit., t. I, p. 185). —

D'après les importantes statistiques américaines de Goum, citées par TOPINARD, la moindre résistance des géants aux causes de mort est bien montrée par ce fait que la proportion des sujets de 20 à 21 ans qui dépassent 2 mètres est de 197 pour 1 000 000, tandis que, pour tous les âges, la proportion n'est plus que de 95. Donc 102 de ces 197 sujets mesurant plus de 2 mètres sur 1 000 000 d'individus, meurent avant 20 ans.

(2) HINSDALE, Acromegaly. Warren, Détroit, U. S. A., 1898, p. 69.

(3) On retrouve ce même squelette décrit sous le nom de Géant du Kentucky dans l'article de WOODS HUTCHINSON, in The New-York Med. Journ., July, 1900.

obtenues, démontrent précisément que, chez certains sujets, les jonctions épiphysaires ne se sont pas encore faites à l'âge de 50 ans.

Il existe cependant quelques squelettes aux épiphyses non soudées, ayant appartenu à des géants dont on connaît, en partie du moins, l'histoire, sans qu'on soit fixé sur l'âge exact qu'ils avaient atteint au moment de la mort. C'est ainsi qu'à Vienne, on conserve au Musée anatomique le fémur du géant Bartschen, mesurant 65 centimètres et dont les épiphyses ne sont pas soudées. Or, Bartschen, soldat dans l'armée turque, vécut prisonnier pendant un certain temps comme Hajduke et, « bien que l'âge de sa mort soit incertain, il est vraisemblable que les cartilages épiphysaires conservèrent ici leur pouvoir ostéogène pendant un temps anormalement long » (1).

Le fameux squelette du géant irlandais, Cornelius Magrath (voir fig. 59), si soigneusement étudié par D.-J. Cunningham (2), a les épiphyses supérieures des deux humérus soudées seulement en partie au corps de l'os; des deux côtés également, les épiphyses inférieures du radius ne sont pas entièrement soudées. Toutefois le retard observé dans le processus de l'ossification est beaucoup moins marqué que chez notre géant; Magrath était né en 1756, à College-Green, dans le comté de Tipperary, et mourut le 20 mai 1760, c'est-à-dire à l'âge de 24 ans; on sait qu'à cet âge il peut arriver normalement que l'épiphyse inférieure du radius ne soit pas entièrement soudée.

Parmi les plus beaux exemples de retard dans l'ossification des cartilages qu'il nous a été donné de retrouver, une mention toute particulière appartient au géant décrit par Buday et Jancso (3); il est, à bien des égards, absolument comparable à celui que nous avons observé (voir plus loin le résumé de son observation, p, 122).

Il s'agit d'un homme, mort à 37 ans, et qui, de taille normale jusqu'à 20 ans 1m,63), se mit à cette époque à grandir progressivement jusqu'à l'âge de 55 ans, pour atteindre au moment de sa mort une stature de 2m,02. Dans les deux dernières

(1) Cité par BUDAY et JANCSO, Ein Fall von pathologischen Riesenwuchs.

Deutsches Archiv. für Klin. Med., 1898, p. 385.

(2) D.-J. CUNNINGHAM, Transactions of the royal Irish Academy, 26 janvier 1891.

(3) BUDAY et JANCSO, loc. cit.

années de sa vie on ne constata plus aucune croissance, fait avec lequel concorda la constatation, à l'autopsie, d'épiphyses par- tout ossifiées. En revanche, on trouva les signes d'un retard très anormal dans l'ossification des cartilages : à la périphérie de certains os longs, après la macération, une petite zone laissa reconnaître assez bien le cartilage conjugal : cette ligne épiphy- saire se retrouvait ainsi sur les os de l'avant-bras et à l'extrémité supérieure du fémur. A l'examen microscopique, on constatait une prolifération anormale des cellules cartilagineuses dans le sens de la longueur de l'os; les cellules cartilagineuses à l'état de repos ne se trouvaient qu'à la partie su perficielle du cartilage, dans un cinquième seulement de la masse totale, tout le reste étant encore en activité. Buday et Jancso concluent à bon droit qu'il s'agit bien là d'un cas de gigantisme par retard de l'allongement.

L'application de la radiographie à l'étude du gigantisme n'a jamais été, jusqu'à présent, pratiquée d'une façon systématique.

Quelques auteurs y ont eu recours cependant pour établir les rapports qui relient le gigantisme à l'acromégalie. Ce nouveau moyen de recherches, applicable à toutes les malformations ou déformations du squelette, a fourni de précieux renseignements à Marinesco (1), Gastou et Brouardel (2), Gilbert, Garnier et Poupinel (3), Gibson (4), Béclère (5), etc., en ce qui concerne l'acromégalie.

Marinesco, par exemple, dans ses recherches sur les mains acromégaliques, a rapproché et comparé les résultats que lui ont fournis quatre sujets qu'il a étudiés à l'aide des rayons de Roentgen : chez trois d'entre eux, qui présentaient la forme massive de Pierre Marie, il a noté une hypertrophie notable des métacarpiens et des phalanges, une exagération uniforme de l'état normal et une augmentation régulière du volume des épiphyses. Chez la quatrième malade, femme de 33 ans, atteinte d'acromégalie à forme géante (6), chez laquelle l'affection avait

(1) MARINESCO, Soc. de Biol., 17 juin 1896.

(2) GASTOU et BROUARDEL, Presse méd., 29 juillet 1896.

(3) GILBERT, GARNIR et POUPINEL, SOC. de Biol., 29 janvier 1898.

(4) GIBSON, Acad. de Méd., 22 mai 1900.

(5) BÉCLÈRE, Presse Méd., décembre 1905.

(6) On verra plus loin (p. 286) ce que PIERRE MARIE et ses élèves entendent exactement par forme géante de l'acromégalie.

débuté à 25 ans, la main était plus longue et moins grosse; la diaphyse des phalanges était uniformément allongée et l'on n'observait pas de productions osseuses au niveau des extré- mités dès os. De plus, l'hypertrophie des parties molles, comparativement à celle des os, était beaucoup moindre que dans la forme massive. Pour cet auteur, de semblables constatations faciliteraient la distinction qu'il faut établir entre les deux formes de l'acromégalie : la forme massive de l'adulte ou à début tardif, et la forme géante de l'adolescent ou à début précoce.

« Il serait à souhaiter, dit de son côté Henry Meige, dans une étude récente (1), que l'on fit les radiographies de géants ne présentant pas de signes d'acromégalie. Il est très vraisemblable que, pendant tout le temps que se poursuit la croissance en longueur, on pourra constater la persistance des cartilages de conj ugaison. Ceux-ci, au contraire, auront complètement disparu si le sujet présente des déformations acromégaliques. » Réservant pour l'instant la question de savoir si le géant que nous observons deviendra un jour ou l'autre un acromégalique, nous nous contenterons de constater que nos épreuves radiographiques répondent au desideratum exprimé par Meige et justifient d'une manière éclatante l'hypothèse formulée par lui, après son maître Brissaud.

C'est encore la radiographie qui nous a permis de constater la non-soudure des épiphyses, chez un jeune homme de 27 ans, de taille élancée et présentant de nombreux stigmates de gigantisme infantile.

OBSERVATION II. (P.-E. Launois et Pierre Roy.) Anorchide Aypermacroskèle de 27 ans (2).

Il s'agit d'un jeune homme de 27 ans, mesurant 1m,86, dans les antécédents duquel nous relevons un assez grand nombre de maladies infectieuses (rougeole, scarlatine, oreillons), qui ont évolué sans complication et sans retentir sur la croissance. C'est à la suite d'une

(1) HENRY MEIGE, Sur le gigantisme, Arch. gén. de Méd., octobre 1902, p. 442.

(2) Société de Biologie, 10 janvier 1903.

fièvre typhoïde intense et prolongée, survenue à l'âge de 16 ans, que X. s'est mis à grandir rapidement et démesurément.

Paraissant plus grand qu'il ne l'est en réalité, à cause de l'étroilesse

FIG 13. — Radiographie de la main d un anorhide hypermacroskèle (non-soudure des epiphyses à 28 ans).

de son tronc et de la gracilité de ses membres, X. est loin d'être bien proportionné; le développement du squelette ne s'est pas fait chez lui d'une façon harmonieuse. La petitesse relative de la taille assise (0m,87;, comparée aux dimensions de la taille debout (1m, 86). ou à l'étendue de la

grande envergure (1m,90), montre que l'allongement du squelette est surtout en rapport avec la longueur excessive des membres inférieurs.

La hauteur du grand trochanter au-dessus du sol est de 1m,05 : d'après QUÉTELET, cette distance chez un sujet normal âgé de 25 ans, mesurant 1m ,G82, ne doit pas dépasser 0m ,873. Elle excède donc, dans ce cas particulier, de 9 centimètres la hauteur qui ne devrait pas dépasser Om,96 chez un sujet normalement proportionné d'une taille de 1m,86.

Comme chez le géant Charles, l'examen radiographique nous a révélé la persistance, anormale à cet âge, des cartilages de conjugaison. Sur la radiographie de la main, les épiphyses supérieures des différents segments phalangiens et du premier métacarpien qui, normalement, se soudent à la diaphyse entre 18 et 20 ans, demeurent encore séparées du corps des os par une zone claire, bien que le sujet soit dans sa vingt-huitième année. Il en est de même pour les épiphyses inférieures des quatre derniers métacarpiens. Les images radiographiques sont en tous points comparables à celles que nous a fournies le grand Charles, qui possède encore, à l'âge de 30 ans, des cartilages de conjugaison en pleine activité.

L'analogie est plus complète encore chez nos deux sujets; car chez chacun d'eux nous avons trouvé une dystrophie congénitale des testicules. En examinant X., nous avions été frappés par son visage absolument glabre, sa face juvénile, le décollement de ses oreilles, commun chez l'éphèbe, sa voix aiguë, l'étroitesse de la partie supérieure de son thorax (périmètre thoracique, sur la ligne mamelonnaire, 0m,83), contrastant avec la largeur anormale de son bassin aux lignes arrondies et empâtées. Ces constatations nous ont amenés à rechercher l'état de développement de l'appareil génital. Celui-ci est représenté par une verge tout à fait rudimentaire qu'encadrent quelques poils grêles et clairsemés, et par des bourses, plus rudimentaires encore : elles sont petites, flasques, séparées par un raphé médian à peine indiqué; elles sont complètement vides. La recherche des testicules, soit dans les bourses, soit dans les régions ou ils peuvent demeurer ectopiques (trajet inguinal, creux inguinal, fosses iliaques, périnée), est demeurée négative. Le toucher rectal n'ayant pu être pratiqué, il a été impossible de constater la présence des glandes mâles dans le bassin, et de préciser l'état des parties annexes de l'appareil génital (vésicules séminales, prostate).

Quoi qu'il en soit, réduits probablement à l'état d'organes rudimentaires, les testicules doivent exister, puisque le sujet a évolué vers le type mâle, sans pouvoir toutefois le réaliser complètement.

Le caractère le plus saillant de cette observation peut être résumé de la manière suivante : Allongement des membres infé- rieurs et persistance des cartilages de conjugaison chez un anor- chide de 27 ans, mesurant 1m,86.

La disjonction des épiphyses et des diaphyses, due à la non-ossi-

fication dans toute leur épaisseur des cartilages de conjugaison, a pu être observée directement sur quelques-uns des squelettes de géants qui sont conservés dans les Musées anatomiques. On l'a retrouvée sur certains (Géant Magrath, de Cuningham, Géant Simon Botis, de Buday et Jancso), dont l'âge était connu et sur d'autres, en particulier, le Géant américain de Hinsdale, dont la durée de la vie n'a pu être déterminée.

On la retrouve encore sur les squelettes d'eunuques, en particulier sur celui rapporté d'Égypte par Lortet et conservé à Lyon, sur celui décrit par Ecker et se trouvant à Fribourg et enfin sur un troisième qui existe à Heideilberg et dont Becker a résumé les caractères principaux. Nous empruntons à Pirsche (1) la description qu'il donne de chacun de ces trois squelettes d'eunuques.

« A. Sur le squelette d'eunuque, rapporté d'Égypte par LORTET (2), le retard de l'ossification est des plus accusés au niveau des os longs des membres. »

Membre supérieur. — A son niveau, on note la persistance des cartilages de l'épine de l'omoplate, de la tête humérale, de l'extrémité infé- rieure du cubitus, du radius, des extrémités inférieures des quatre derniers métacarpiens. L'extrémité supérieure du premier métacarpien n'est pas encore ossifiée.

Membre inférieur. — Tous les cartilages de conjugaison sont encore conservés. Exception faite pour les deux premiers métacarpiens qui sont presque ossifiés.

Bassin. — Cartilage en Y nettement visible.

Colonne vertébrale. — L'ossification est presque achevée partout: cependant on constate que les traces de soudure sont très récentes. Le sacrum présente des disques intervertébraux très distincts : les ailes du sacrum ne sont pas complètement soudées.

« B. Squelette d'eunuque, décrit par ECKER de Fribourg (3). Mêmes troubles apportés dans l'ossification. »

Crâne prognathe. Front bas, occiput proéminent.

Membre supérieur. — La tête de l'humérus est séparée du corps de l'os.

On note la persistance des cartilages de conjugaison, aux extrémités inférieures du cubitus, du radius, des quatre derniers métacarpiens.

(1) PIRSCHE, Influence de la castration sur le développement du squelette.

Thèse de Lyon, 17 décembre 1902.

(2) LORTET, Allongement des membres inférieurs chez un eunuque. Arch.

d'anthrop. criminelle. Lyon, 1896; et Soc. de Méd. de Lyon, 16 mars 1896.

(3) ECKER, Zur Kenntniss des Korperbaues schwarzer Eunucken. Abhand- lungen herausgegeben von der Lenkenbergischen Naturforschenden Gesellschaft, 1864.

L'extrémité supérieure du premier métacarpien n'est pas encore soudée.

FIG. 14. — Squelette d'eunuque égyptien.

(LORTET.) — Allongement disproportionné des membres inférieurs, absence de soudure des épiphyses.

Membre inférieur. — Les cartilages de conjugaison subsistent tous.

Bassin. — Cartilage en Y existe.

Age du squelette : 25 ans.

« C. Squelette d'eunuque, décrit par BECKER, d'Heidelberg (1). La conservation des cartilages diaphysoépiphysaires est très nettement distincte. Suivant Becker, on croirait être en présence d'un jeune indi- vidu de 17 ans: il est surprenant de rencontrer un tel retard dans l'ossification.

Le crâne présente des sutures intactes, il est très dolichocéphale.

La suture sphéno-basilaire n'est pas encore soudée.

Membre supérieur. — Les cartilages de conjugaison persistent dans tous les os du membre, sauf aux extrémités supérieures du cubitus et du radius.

Membre inférieur. — Cartilages de conjugaison conservés dans tous les segments du membre.

Le cartilage en Y du bassin existe encore; on reconnaît très facilement les points de réunion des trois os.

Les disques intervertébraux du sacrum sont distincts, la ligne de soudure des os est facilement reconnaissable.

Age du squelette : 23 ans. » Chez l'homme castré, le retard de l'ossification complète des os longs est très manifeste. Il est difficile, pour cette même raison, de nettement déterminer,

(1) BECKER, Ueber des Knochensystem eines Castraten. Archiv für Anat.

Leipzig, 1899.

en se basant sur l'examen du squelette, l'âge exact d'un eunuque.

La prolongation de l'ossification, au delà de ses limites normales, dans les cartilages de conjugaison et le retard de la soudure com- plète des épiphyses à la diaphyse, au niveau des os longs, s'observent chez les animaux, comme chez l'homme, après la castration.

Que l'opération soit « de convenance » ou expérimentale, les troubles observés seront d'autant plus marqués qu'elle aura été pratiquée à un âge plus jeune.

Sellheim (1), qui a utilisé de nombreux matériaux provenant des abattoirs d'une ville, a constaté que, chez la truie, il n'y a jamais ossification complète des os longs.

De même, chez le bœuf, même lorsqu'il a atteint sa quatrième année, on trouve un retard très net dans l'ossification. Depuis les recherches de Bonnet, on sait que celle-ci est complète chez le taureau âgé de 2 ans. Chez un bœuf de 3 ans 5/4, Sellheim a trouvé, à l'extrémité inférieure du fémur, un cartilage mesurant encore 2 millimètres d'épaisseur, tandis que chez un taureau de même race, l'ossification était tout à fait complète.

Des constatations du même genre ont été faites, d'autre part, chez les bœufs, par Becker : quand on les sacrifie à l'âge de trois ans, ou retrouve très nettement les lignes diaphyso-épiphysaires, qui marquent la soudure très récente des épiphyses.

« L'ossification était encore si peu avancée, qu'après une macération de plusieurs mois dans l'eau pure, les diaphyses et les épiphyses se trouvaient séparées. »

Expérimentant sur des chiens et les tuant quinze mois après avoir pratiqué la castration, Sellheim observa un allongement très manifeste des membres postérieurs, un retard notable dans l'ossification, se traduisant à l'œil par la persistance des cartila- ges de conjugaison. Il signale les mêmes modifications chez les chapons, mais fait remarquer, toutefois, que leur persistance n'est pas d'aussi longue durée que chez les grands animaux.

De même Pirsche (2) qui a repris les expériences de Poncet, en sacrifiant ses chapons au bout de huit mois, observe une soudure complète. « La disparition du cartilage de conjugai-

(1) H. SELLHEIM, Castration und Knochenwachsthum. Beitr. zur Geburtsh. und Gyniikol., II, 2, 1899.

(2) PIRSCHE, loc. cit.

son, écrit-il, n'a rien de surprenant chez ces oiseàux, car, chez eux, l'ossification est très rapide. » En revanche, chez le cobaye, Pirsche a constaté qu'avec le

FIG. 15. — Épreuves radiographiques de fémurs appartenant à des coqs el a des chapons de la même couvée, sacrifiés à 8 mois. (PIRSCHE.)

même délai de huit mois après la castration expérimentale,

l'ossification demeurait inachevée. « Si l'on pratiqué une coupé longitudinale de l'os, on remarque la persistance bien accusée des cartilages de conj ugaison chez les animaux opérés; chez le témoin, le cartilage est en pleine voie de disparition (1). »

De l'ensemble de ces faits découlent les deux conclusions suivantes : Un retard plus ou moins marqué s'observe dans l'ossification des os longs des membres chez tous les sujets, surtout mâles, hommes ou animaux, dont l'appareil génital est incomplet ou absent.

La présence de cartilages actifs dans les os longs des membres, et plus particulièrement au niveau des épiphyses qui, normalement, se soudent les dernières à la diaphyse, explique l'inégal développement des membres par rapport au tronc et aussi l'inégal développement des différents segments des membres comparés entre eux.

CHAPITRE II

LA CROISSANCE GIGANTESQUE ET SES ANOMALIES

Le caractère le plus remarquable de la croissance, chez le géant infantile, est sa continuité et sa persistance au delà des limites normales. Ayant commencé à s'allonger démesurément à un âge assez souvent difficile à nettement préciser, il continue à grandir quoiqu'il ait, depuis un temps plus ou moins long, dépassé l'époque à laquelle la clôture de l'ossification est complète.

Bien qu'il ait atteint sa trente-deuxième année, le Grand Charles, par exemple, continue à s'allonger, et l'accroissement de sa taille, déjà excessive, se fait avec une progression ré gulière. On ne constate pas, en effet, chez lui, cet accroissement brusque qui se fait vers 17 ou 18 ans, et qui a été signalé chez

(1) Pour toute cette question des modifications entraînées par la castration dans le jeune âge, voir la très récente et complète monographie de P. J. MöBIUS. Uber die Wirkungen der Castration. Halle, A. D. S., 1903. — Cet auteur, au chapitre Veränderungen der Knochen, rappelle toutes les expériences que nous venons de mentionner, en particulier celles de SELLHEIM, et signale aussi que RUMPF observa le même retard d'ossification des cartilages chez la chienne castrée. — Mais, d'une manière générale, les effets de la castration chez les femelles sont beaucoup plus inconstants et difficiles à interpréter.

beaucoup de géants acromégaliques (Henry Meige). A 21 ans, Capitan ne relevait qu'une hauteur de 1m,86. Comme beaucoup de conscrits normaux, il continue à croître pendant ses trois années de service militaire. A 27 ans il mesurait 1m,99; enfin dans ces trois dernières années il a encore gagné 3 centimètres.

La persistance de ses cartilages de conjugaison nous permet de supposer qu'il est susceptible de grandir encore.

Chez le géant, comme chez le jeune sujet, dit J. Lucas-Championnière, l'accroissement n'est pas le résultat d'un allongement régulier et continu du squelette; l'accroissement se fait par périodes intermittentes, s'accompagnant de malaise général, de douleurs articulaires, parfois de poussées fébriles. En tout cas, ce qu'il est intéressant de noter chez Charles F., c'est la persistance des douleurs articulaires, très violentes, douleurs de croissance sans doute, provoquant l'insomnie, et qui l'ont amené à consulter à l'hôpital.

Le genu valgum, si accusé chez notre sujet, s'est développé tardivement : nous possédons en effet une photographie prise au sortir du régiment, qui le représente sous l'uniforme d'un grand cuirassier, dont la jambe gauche est parfaitement rectiligne. En août 1898, Championnière le vit une première fois dans son service de l'Hôtel-Dieu, où il était venu demander des soins pour une entorse tibio-tarsienne gauche; «à cette époque, la jambe était absolument droite »; ce n'est donc qu'à l'âge de 27 ans que s'est produite la déformation osseuse qui semble aller d'ailleurs en s'accentuant. On sait que le genu valgum se produit d'ordinaire chez les jeunes sujets dont l'accroissement des membres inférieurs est très rapide, et qu'il est dû au développement exagéré et irrégulier de l'extrémité diaphysaire du fémur. Le seul fait de la production tardive de cette déformation aurait pu suffire pour affirmer la persistance de cartilage de conjugaison au niveau de l'extrémité inférieure de cet os.

La déformation articulaire du genou offre dans un cas de ce genre un intérêt tout particulier : 1° Le genu valgum a été, en effet, signalé chez les géants : Langer (1), étudiant leur conformation physique, notait que, chez eux, la ceinture pelvienne est proportionnellement aug-

(1) LANGER, loc. cit.

mentée d'une manière très nette et ajoutait que cet élargissement du bassin contribuait avec la longueur anormale des membres inférieurs à produire le genu valgum (Knock-Knee des Anglais), et expliquait sa fréquence.

Cunningham (1), sur le squelette du géant irlandais Cornelius Magrath, observa, de son côté, l'existence d'un genu valgum double, surtout accusé du côté gauche. « Le condyle interne est extrêmement long, tandis que l'externe est très court. Cette déformation n'est pas due à l'obliquité originaire de la ligne épiphysaire, puisque les condyles descendent le long de lignes qui sont parallèles au grand axe de la diaphyse fémorale. Il est plus que probable que l'extrême largeur du bassin peut, en quelque mesure, être responsable de la déformation. » Cunningham ajoute que, chez le géant de Saint-Pétersbourg et sur le squelette de Berlin, n° 5040, il existe également un haut degré de genu valgum.

Enfin le géant étudié par Buday et Jancso (2), chez lequel nous avons déjà mentionné le retard dans la soudure des épiphyses, présentait aussi un genu valgum droit (3).

2° D'autre part, l'existence d'un genu valgum a été notée assez fréquemment chez les acromégaliques (Osborne, Middleton, Schültze, Hitschmann, Rosewell Park).

3° Enfin le genu valgum n'est pas rare chez les infantiles (Henry Meige) (4).

La déformation des genoux se rencontrant à la fois chez les géants, chez les acromégaliques et chez les infantiles, il est déjà permis de penser, par ce seul fait, qu'il existe peut-être d'autres relations entre ces trois états pathologiques.

Chez le géant infantile, la croissance ne porte pas également sur les différents segments du squeletté, il en résulte un développement

(1) CUNNINGHAM, loc. cit.

(2) BUDAY et JANCSO, loc. cit.

(3) Au sujet d'un géant contemporain (LÉPI), qui eut son heure de célébrité dans les foires et les hippodromes, une paysanne normande originaire du même village, Beuville (Calvados), nous écrivait : « Jamais comme lutteur il n'a connu son maître, surtout quand il luttait à genoux; car il n'avait pas beaucoup de forces dans les jambes. A 25 ans, c'était ce qu'on appelle un grand bancal. » (4) HENRY MEIGE, L'infantilisme, le féminisme et les hermaphrodites antiques.

L'Anthropologie, t. IV, 1895, p. 21.

irrégulier, tout à fait anormal, dont Papillault (1) a pu analyser les différentes phases. Son mémoire (Mode de croissance chez un géant) est basé sur les mensurations qu'il a pu faire chez le Géant Charles, alors âgé de 27 ans.

« Il m'a été permis d'étudier et de mesurer le géant que M. CAPITAN avait présenté à la Société dans sa dernière séance. Ce sont les résultats de cet examen que j'apporte aujourd'hui.

« Je diviserai cette étude en trois parties : dans la première j'examinerai le tronc et les membres; dans la seconde je m'occuperai de la tète, et enfin dans la troisième j'essaierai de donner quelques aperçus sur la genèse de cette anomalie.

« 1. Étude du tronc et des membres. — Les mesures n'ont qu'une bien petite valeur documentaire si on ne les compare à d'autres qui soient prises exactement suivant la même méthode. Cette dernière condition n'est sûrement remplie que si toutes ont été relevées par le même opérateur, ou tout au moins par des anthropologistes ayant souvent opéré ensemble.

« J'ai donc cherché à mettre ce géant en parallèle avec un type d'homme normal qui puisse faire ressortir les anomalies qu'une croissance exagérée pouvait avoir produites dans ses proportions.

« Dans ce but j'ai recherché, parmi les 100 cadavres masculins que j'ai mesurés à la Faculté de Médecine, des individus très grands et en même temps robustes et bien constitués. Je m'assurais ainsi que leur taille n'était pas due à un accident de croissance, souvent pathologique, qui fait croître, en longueur seulement, un adolescent, et cela presque toujours aux dépens de sa robustesse même. Je n'en ai trouvé que trois, remplissant tout à fait ces conditions. Leur taille élevée (1m,77 en moyenne) n'avait pas été obtenue au détriment de leurs autres proportions; celles-ci restaient harmonieuses; les muscles étaient même puissants; c'étaient, en un mot, des géants vrais, c'est-à-dire des hommes ayant possédé dans leur enfance une capacité de développement, ou, si l'on aime mieux, une énergie proliférative de tous leurs éléments cellulaires, vraiment supérieure à la moyenne.

« Il est vrai que ces cadavres étaient mesurés couchés, tandis que le géant était debout. Mais il m'a été facile de m'assurer que la différence de taille que l'on trouve chez un même individu mesuré successivement dans ces deux positions tient surtout aux modifications du pied : la voûte s'affaisse et le matelas graisseux de la plante s'écrase sous le poids du corps dans la station debout, de sorte que la dimension de beaucoup la plus modifiée est la hauteur de la malléole au-dessus du sol; aussi n'en calculerai-je pas le rapport centésimal. Quant aux

(1) G. PAPILLAULT, Mode de croissance chez un géant. Bull. de la Snc. d'Anthropologie, 1er juin 1809.

segments des membres et du tronc, ils ne subissent que des changements insignifiants, et ce sont eux qui nous intéressent ici.

« Le tableau 1 donne dans une première colonne A les chiffres du géant, dans une seconde B la moyenne des trois cadavres, dans la dernière le rapport centésimal des deux nombres précédents, montrant de combien le géant dépasse la moyenne des trois en centièmes de leur propre taille. Ce rapport manque en regard de quelques mesures, qui n'ont pu être prises sur les cadavres.

« Par sa taille totale, on voit que le géant atteint un rapport de 113, ou si l'on préfère, dépasse de 13 centièmes les hommes robustes de 1m,77. S'il avait les mêmes proportions que ces derniers, ce nombre 113 se retrouverait en face de chaque dimension. Ce serait là un cas bien extraordinaire, car on rencontre, pour chaque individu, des variations personnelles plus ou moins considérables. Il ne faut donc pas s'étonner de ne pas rencontrer partout le même rapport. Mais ces variations offrent un maximum d'écart qu'il est déjà intéressant de noter. Or, nous voyons qu'elles sont comprises entre 97 et 128 et même 132, c'est-à-dire que leur écart maximum atteint 51 centièmes, presque un tiers des dimensions des trois Parisiens. Ce minimum et ce maximum portent sur des régions faciles à mesurer ; ils se rattachent aux valeurs moyennes par une suite ininterrompue de nombres intermédiaires, ce ne sont donc pas des accidents locaux. L'étendue considérable que présente ce champ des variations nous montre déjà que nous avons affaire à un individu dont la croissance a échappé aux conditions normales, je veux dire à cet ensemble d'excitations fonctionnelles et nutritives dont les relations à peu près constantes déterminent les proportions somatiques moyennes.

TABLEAU I. — Mesures du tronc.

B A Moyenne Si de B = 100 Géant. 5 Parisiens. A = Taille debout l,n990 lm770 115 Tronc-

Hauteur : trou auditif à pubis 0,740 0,740 100 — trou auditif à épine iliaque. 0,048 0,659 98 Largeur bi-acromiale 0,40 Circonférence thoracique 1,015 — au niveau de la taille.. 0,892 Bassin.

Hauteur verticale : épine iliaque à pubis 0,092 0,081 113 Largeur : entre crêtes iliaques 0,303 0,311 97 — entre épines. 0,265 0,262 100 Membre inférieur droit.Hauteur : fémur 0,529 0,441 119 — tibia 0,50 0,390 128 — malléole interne 0,087

B -V Moyenne Si Je B J00 GéunL, ô Parisiens. A = Longueur : pied 0,287 0,256 112 — '1er orteil avec înéLulaïaieii. 0,145 0/150 110 — ~orteil seul. 0.082 0,066 124 — -1er orteil (partie libre 0,048 0.0479 100 Largeur :bicondyHenne. 0,108 0,094 114 — bimalléolairc. 0,081 0,0658 125 — du pied 0,126 0,095 152 Membre supérieur.

Hauteur: humérus. 0,381 0,341 111 — radius 0,298 0,248 120 Longueur : main 0,255 0,200 116 — médius. 0,1185 0,1045 115 — pouce avec iiiotucaiviuii 0,125 0,1111 112 -- pouce seul 0,072 0,0658 112 -- ongle du mjdiu~ 0,016 0,016 100 Largeur: humérus (extrémité inl'ér. 0,074 Il » — poignet. 0,067 0,059 - 115 — main 0,097 0,0826 117

« Une seconde question se pose dès lors à nous : ces irrégularités montrent-elles un véritable affolement dans la croissance de ce géant, frappant çà et là une partie de l'organisme, au hasard et sans ordre aucun, ou au contraire obéissent-elles à une loi, peuvent-elles être systématisées? — Un examen attentif du tableau 1 va nous permettre de répondre.

« On voit de suite que le tronc est la région qui a le moins augmenté.

La hauteur et la largeur du bassin ont à peu près les mêmes dimensions que chez les trois Parisiens.

« Il n'en est plus de même pour les membres, dont tous les segments sont bien supérieurs à la moyenne B; mais avant d'entrer dans leur examen détaillé, constatons tout d'abord que le membre inférieur s'est accru davantage que le supérieur.

« Il y a là un caractère très important à noter, car les troubles pathologiques de la croissance portent particulièrement sur les membres inférieurs. C'est ce que l'on peut constater après les maladies fébriles des adolescents. C'est ce qu'on trouve également chez les eunuques qui ont été mutilés avant la puberté. Très souvent je rencontre parmi les cadavres de la Faculté ce type de dégénéré dont le tronc étroit, malingre, s'associe avec des membres inférieurs très longs et des membres supérieurs courts.

« La croissance relative des segments n'est pas moins intéressante.

Les segments proximaux, fémur et humérus, ont un rapport beaucoup moins élevé que les segments distaux. On sait, et j'ai un certain nombre de mesures qui en font la preuve, que les statuaires augmentent la longueur du segment distal dans le membre inférieur; on sait, d'autre part, que la grandeur de l'avant-bras par rapport au bras est un carac-

tère simien. Il est curieux de voir une cause pathologique déterminer du même coup des caractères aussi inverses, et on doit en conclure qu'il y a bien des retouches à faire dans les classifications les plus généralement admises des formes esthétiques ou régressives.

« La main et le pied ont augmenté de longueur un peu moins que le segment distal qui leur correspond. Cet accroissement semble avoir porté à peu près également sur tous les os qui les composent.

« En résumé, la cause déterminante de ce cas de gigantisme a atteint les divers segments d'une façon systématique. Elle a eu, dans l'organisme, une élection spéciale pour les membres, dans les membres pour le membre inférieur, dans leurs segments pour le segment distal.

< L'accroissement des os en épaisseur ne montre pas nettement le parallélisme qu'on serait en droit de supposer entre lui et l'élection spéciale qu'on observe dans l'allongement, ou, si cette élection agit encore ici, elle est en grande partie masquée par une loi beaucoup plus simple : tout le périoste semble avoir reçu une excitation fonctionnelle à peu près uniforme ; la couche osseuse déposée ainsi sur toute la surface du squelette détermine forcément dans la forme et l'épaisseur relative des os des modifications d'autant plus sensibles qu'on observe des os plus petits. Il en résulte que l'épaississement des extrémités, qu'on constate dans certaines maladies osseuses, comme l'acromégalie, ne tient peut-être qu'à une irritation générale du périoste, causée, comme on le sait, dans l'exemple que j'invoque, par les produits de la glande pituitaire. Il en résulte aussi dans notre cas que, lorsqu'un diamètre ne porte que sur un seul os (longueur bicondylienne du fémur), c'est-à-dire lorsque le diamètre ne comprend entre ses deux extrémités que deux membranes périostiques, on constate l'accroissement le plus faible. L'indice augmente quand le diamètre comprend deux os, c'est-àdire quatre membranes périostiques (malléoles, poignet). Enfin, il atteint son maximum au niveau de la main et du pied quand le diamètre comprend quatre ou cinq os juxtaposés sur une même ligne. (Voir tableau I.) « Ces deux modes d'accroissement, en longueur et en largeur, obéissent donc chacun à une loi particulière : peut-on entrevoir une explication satisfaisante de ces processus différents? Pour avoir une réponse sûre, il faudrait avoir un plus grand nombre d'observations.

Cependant quelques remarques, faciles à faire dès maintenant, vont nous donner des indications sur cette question.

« Comme nous le verrons plus loin, ce cas de gigantisme n'est qu'une croissance prolongée au delà de son époque habituelle par une cause anor- male. Ordinairement, un adolescent qui arrive à l'âge de 17 à 18 ans est bien près d'atteindre sa taille définitive. Certains de ses cartilages de conjugaison ont déjà disparu par suite de la soudure des épiphyses, d'autres sont sur le point de s'arrêter, d'autres enfin vont croître encore jusqu'à 24 ans. Ces cartilages sont donc à des périodes d'activité très diverses, depuis l'arrêt complet jusqu'à la prolifération la plus forte. On

peut dès lors supposer qu'ils auront, devant une cause pathologique d'irritation, des réactions fort différentes, et il en résultera une élection particulière pour les cartilages qui étaient encore en activité, et un trouble systématique dans les proportions du corps.

« Le périoste, au contraire, a une période d'activité beaucoup plus longue, puisque les os augmentent d'épaisseur jusqu'à un âge assez avancé, il réagira donc d'une façon beaucoup plus uniforme. Il est possible et même probable que cette activité de la couche ostéogénique du périoste n'est pas exactement partout la même, il y aura donc encore de sa part une réaction variable suivant les régions devant l'irritation pathologique. Mais ces variations seront bien moins prononcées que dans les cartilages, puisque partout le périoste garde le pouvoir de créer de l'os, tandis que beaucoup de cartilages ont perdu définitivement leur activité.

« On voit donc que les troubles qui surviennent dans la sécrétion des glandes trophiques doivent imprimer à l'organisme une croissance très spéciale et dont le mode varie nécessairement suivant l'âge où ces troubles surviennent. Tous les tissus ostéogènes (cartilagineux ou périostiques) réagissent suivant le degré d'activité normale qu'ils possédaient encore au début de la maladie. Il en résulte nécessairement dans le squelette un défaut de corrélation avec les organes neuro-musculaires qui le meuvent et en temps ordinaire dirigent sa croissance.

C'est donc, dans toute l'acception du mot, un squelette anormal, puisqu'il échappe à la loi fondamentale de corrélation qui détermine ses proportions.

« C'est bien là le cas de notre géant; ses muscles sont restés stationnaires, tandis que son squelette croissait toujours. Par suite, ses forces ont diminué, il se fatigue très vite, sa force des mains est bien audessous de la moyenne, ses formes encore assez arrondies, comme on peut le voir sur la photographie (fig 2 et 5), laissent apercevoir difficilement les saillies musculaires sous la couche assez abondante du tissu adipeux. Le tableau II montre bien que les membres n'ont pas un volume en rapport avec leur longueur.

« Ces faits vont nous expliquer la genèse du genu valgum que le géant présente du côté gauche, et qui est apparu au cours de sa croissance anormale.

TABLEAU II. — Circonférences.

Cou. 0m570 Thorax 1,015 Taille 0,892 Bras 280 AvanL-braR. 271 Poignet 197 Cuisse : circonférence supérieure ùroile 544 — — — gauche. 539 — — inférieure droite 420 "- — — gauche. 599

MolleL : circonférence droite 582 — — gauche. 375 Malléoles, des deux côtés - 240

« Remarquons tout d'abord que d'une façon générale le squelette a acquis une résistance parfaitement suffisante pour remplir ses fonctions de support. Il ne présente aucune de ces incurvations qui sont les signes évidents de la faiblesse osseuse. Au contraire les muscles et les ligaments n'ont pas acquis un développement corrélatif avec celui du squelette, et sont devenus de plus en plus insuffisants à remplir leur tâche. Si donc ces parties molles jouent un rôle important dans la forme et la résistance de certaines régions du squelette, c'est là seulement que nous découvrirons des traces de faiblesse, et elles ne tiendront pas au tissu osseux lui-même, mais à des causes extérieures à lui, à la faiblesse des membres et des ligaments.

« Nous en trouvons tout d'abord dans les courbes du rachis qui sont très accentuées. Le sujet avait même beaucoup de peine à se redresser pendant que je le mesurais.

« Ce fait était dû évidemment à sa faiblesse générale; on sait en effet que DUCHENNE DE BOULOGNE a démontré

depuis longtemps le rôle des muscles dans les courbures de la colonne vertébrale.

« C'est aussi à la même influence musculaire que cet auteur rattachait le maintien de la voûte plantaire. On ne sera donc pas étonné de constater que notre géant avait sa voûte plantaire légèrement affaissée, qu'il avait, en un mot, une tendance au pied plat.

« Enfin c'est encore à la même cause qu'il devait l'apparition progressive de son genu valgum. La figure 17 le fera comprendre facilement : la diaphyse fémorale est oblique sur l'axe des condyles XX, c'est-à-dire qu'elle fait avec cet axe un angle plus petit que 90°; comme conséquence immédiate elle fait avec les os de la jambe un angle A ouvert en dehors et plus petit que 180°. Naturellement le poids du corps, agissant dans la direction P, va tendre à fermer davantage cet angle A. Examinons ce qui va se passer chez un adolescent dont les cartilages de conjugaison ne sont pas encore soudés. (Pointillé de la fig. 16.) « Si l'angle A tend à se fermer, ce mouvement d'inclinaison du fémur sur le tibia va tendre

FIG. 16. — Les os du membre inférieur avec leurs épiphyses non encore soudées. (D'après l'anatomie de POIRIER.)

à séparer en dedans les surfaces articulaires tibio-fémorales ; il en

résulterait une luxation à laquelle vont s'opposer les puissants liga- ments de l'articulation, ligaments croisés et ligament interne. Par eux

7

LAUNOIS ET ROY.

l'épiphyse condylienne sera donc maintenue solidement en place sur l'épiphyse tibiale.

« Mais nous avons un autre point faible, c'est le cartilage de conjugaison C D, qui forme un disque dont la prolifération cellulaire détermine l'allongement de l'os. La tendance de l'angle A à se fermer sous l'influence du poids du corps va déterminer dans la partie externe D de ce disque une pression considérable, et au contraire dans la partie interne C une pression négative, une tendance à la disjonction des deux surfaces osseuses diaphysaire et épiphysaire. Cette différence de pression dans les deux régions du disque va déterminer une différence de croissance à leur niveau; elle sera très faible en dehors et considérable en dedans, et l'obliquité de l'axe fémoral ira en augmentant jusqu'à la formation d'un genu valgum. A moins qu'une force contraire ne vienne annuler l'effet de la pesanteur.

« Nous n'avons pas le choix dans la détermination de cette force : elle ne peut exister que dans les muscles. Le manchon épais qu'ils forment autour des os dans le membre inférieur est toujours, dans la station debout, en un état de contraction ou de tonicité qui agit précisément au moment où agit la pesanteur. Tous les muscles internes qui partent du bassin ou du fémur et vont s'insérer sur la jambe (vaste interne, demi-tendineux, demi-membraneux, jumeau interne etc.), vont avec leurs antagonistes équilibrer l'action de la pesanteur et corriger l'influence néfaste qu'à elle seule elle aurait exercée sur la croissance des cartilages.

« Si les muscles internes sont trop forts, par suite d'un exercice continuel, comme dans l'équitation, il peut se faire que cette correction soit exagérée, et produise une inflexion inverse; si au contraire le système musculaire est trop faible, comme chez notre géant, son action reste inefficace, et la déformation due à la pesanteur se produit.

« La localisation de cette infirmité sur un membre ou sur un autre est souvent due sans doute à des causes locales et accidentelles difficiles à préciser, mais le tableau II nous montre ici bien nettement pourquoi elle est apparue à gauche : c'est que les circonférences et, par suite, le développement et la force des muscles étaient nettement plus faibles à gauche qu'à droile.

a II. Étude de la tête. — L'examen que je viens de faire du tronc et des membres nous a montré le processus qu'a suivi le trouble pathologique survenu chez notre géant à la fin de l'adolescence : Il a irrité le tissu ostéogénique en proportion de l'activité fonctionnelle que celui-ci possédait encore et cette époque. Cette activité étant très variable suivant les cartilages, dont certains sont déjà arrêtés, tandis que d'autres sont encore en pleine prolifération, il en est résulté une grande variété dans l'accrois- sement des os à leur niveau. Les tissus ostéogéniques d'origine membraneuse, conservant plus longtemps leur pouvoir, ont montré plus d'uniformité dans leur accroissement. Quant aux autres tissus, ils sont restés indifférents à cette irritation, et leur état stationnaire a déterminé

un défaut de corrélation entre le squelette et le système neuro-musculaire tout entier.

« Appliquons ces données à l'étude de la tête, et essayons d'en déduire ce qui doit se passer à son niveau.

« Tous les os dont les sutures sont complètement soudées ne pourront plus nécessairement s'allonger; seule leur épaisseur pourra encore augmenter, puisqu'elle dépend de l'activité périostique.

« Toutes les sutures restées libres vont proliférer, mais la croissance des os à leur niveau ne sera plus déterminée, comme à l'état normal, par le développement du cerveau qu'ils renferment, ou par celui des muscles qui prennent insertion sur eux; comme dans le tronc, elle échappera ici aux corrélations fonctionnelles et dépendra de l'activité que possèdent encore les sutures entre 17 et 18 ans.

« Voyons maintenant si le tableau III confirme ces hypothèses. Les mesures y sont sériées suivant leur ordre de décroissance relative chez le géant. Les dernières sont donc celles qui présentent chez lui le moindre développement; elles nous prouvent immédiatement le défaut de corrélation fonctionnelle que je signalais plus haut dans le squelette : le crâne s'est accru indépendamment du cerveau, et les os de la voûte, s'étendant au niveau des sutures sans subir de pression interne, n'ont pas augmenté leurs courbures; il a dû même en résulter une sorte de pression négative tendant à effacer les courbures qu'ils avaient déjà.

Aussi la distance qui sépare les bosses pariétales est-elle chez lui bien inférieure à notre moyenne, dont elle n'atteint que les 92 pour 100. Je n'ai pu prendre les bosses frontales, complètement effacées, comme on peut s'en rendre compte sur la photographie n° 2, qu'il est très intéressant de comparer avec celle que M. CAPITAN a fait prendre en 1893 et dans laquelle le front est manifestement plus droit, et possède des bosses frontales encore visibles. Le transverse maximum tombait très bas chez lui, immédiatement au-dessus de l'oreille, et s'il est un peu plus développé que le diamètre bi-tubéral, c'est à cause précisément de sa proximité de la base du crâne, dont l'influence se fait déjà sentir sur lui.

TABLEAU III. — Mesures de la tête, sériées d'après la décroissance de leur

~T3 A Moyenne Si de B=10U Géunl. 5 Parisiens. A =

mm. mm.

Hauteur naso-alvéolaire 87 74,5 116 Hauteur naso-sous-nasalc. 64 56,7 1 12 Largeur bi-angulaire interne (yeux).. 36 32,2 111 Hauteur ophryo-ahéolaire. 102 95,2 107 Largeur bi-angulairc externe (yeux) 96 91,5 104 9 — bi-mastoïdienne~ 142,5 141 101 Diamètre antéro-postérieur glabellaiie 199 196 101 Hauteur ophiyo-mentonnièie 154 155,5 1013,5

B A Moyenne Si de B := 190 Géant. 3 Parisiens. A = mm. mm.

Diamètre antéro-postérieur métopique. 195 195,5 99,7 Largeur bi-zygomatiquc. 145 145,5 99,6 — bi-gouiaque. 116 117 91,1 Diamètre gonio-mentonnier. 108 109,5 98,6 Largeur du nez. 3'à 5G,7 98,0 Diamètre transverse maximum. 156 163,5 95,4 — frontal minimum. 104,5 109,7 95,2 — bi-tubéral pariétal 136 147,5 92

« Il faut tenir compte, ici, je le sais, des variations individuelles; il est probable que si on sériait les mesures d'un autre individu atteint de la même affection, elles ne tomberaient pas exactement à la même place que celles-ci, mais le sens général n'en serait certainement pas changé, parce que les mesures se sont placées, dans notre sériation, en groupes trop nettement systématiques pour qu'ils soient l'effet du hasard.

« C'est ainsi que nous venons de constater que les deux mesures le plus étroitement liées au développement cérébral ont l'indice le plus faible et sont restées bien au-dessous de la moyenne. Le diamètre métopique n'atteint pas encore cette dernière et d'un autre côté il est de 4 millimètres plus petit que le D. glabellaire, ce qui est en rapport évident avec l'effacement des bosses frontales. Mais sa valeur est encore trop forte et n'est pas l'expression exacte du développement cérébral : on verra en effet plus loin que l'occipital fait une saillie en arrière qui augmente la longueur totale du crâne, et qui ne tient nullement à un accroissement du cerveau.

« Sont encore au-dessous de la moyenne les diamètres qui portent sur un os dont les points d'ossification se soudent bien avant la puberté.

C'est ainsi que la mandibule, par ses dimensions transversales (D. bi-goniaque) et par sa longueur (D. gonio-mentonnier) est restée au-dessous de la moyenne.

« La largeur du frontal rentre dans le même cas. Les deux os, soudés de bonne heure, avaient des dimensions transversales en rapport avec le volume médiocre du cerveau ; ils les ont conservées au milieu de la croissance générale.

« Nous pouvons maintenant comprendre la largeur bi-zygomatique.

Elle présente chez l'homme deux sortes de variations bien différentes : l'une est fonctionnelle, et dépend des muscles masticateurs (ce n'est pas le cas ici) ; l'autre est purement mécanique et dépend de l'écarte- ment des os qui la soutiennent, frontaux en avant, et temporaux en arrière. C'est ce qui s'est passé chez le géant, aussi voyons-nous son indice être intermédiaire entre celui du bi-mastoïdien, et celui du frontal minimum.

« Toutes les sutures restées libres se sont au contraire accrues et suivant la même loi que l'étude seule du tronc nous avait révélée; on le

voit de suite en parcourant la première moitié du tableau III. Tous les diamètres comprennent dans leur étendue une ou plusieurs sutures qui restent libres pendant toute l'adolescence. Mais d'un autre côté il est évident que leur accroissement n'est nullement proportionnel au nombre des sutures, puisque c'est la hauteur naso-alvéolaire qui a l'indice le plus élevé. Dans la tète comme dans le tronc l'extension des os a dépendu de l'activité des sutures à l'époque où les troubles pathologiques sont survenus.

« Il n'est pas facile de savoir quelle est au juste cette activité dans l'adolescence; cependant on peut s'en faire une idée très approximative en tenant compte de l'état des sutures avant et après la période que nous examinons. Après elle, l'activité des sutures nous est révélée par l'époque plus ou moins tardive de leur soudure; avant elle, leur activité nous est indiquée par la croissance du crâne à leur niveau depuis la naissance. Examinons d'abord cette dernière, de beaucoup la plus importante, en comparant, comme je l'ai fait dans le tableau IV, des crânes de nouveau-nés avec des crânes d'adultes : l'indice de la troisième colonne représente la croissance de l'adulte depuis sa naissance, la valeur de cet accroissement étant représentée pour chaque diamètre en centièmes de sa longueur chez le nouveau-né.

TABLEAU IV. — Mesures sériées d'après la décroissance de leur indice

~A B 20 crânes Si 50 crânes de B = 100 d'adultes. nouveau-ncs. A =

mm. mm.

IlauLeurnasoalvéolair~ 68,9 21,8 316 — naso-spinale 40,1 '18,8 261 — ophryo-alvcolairc. 84,5 56,1 254 Largeur bi-zygomatiquo 129,7 61,2 211 — duncz. 25,9 '12,2 195 — bi-orbitaire interne 25 14,05 178 Diamètre Iransverse maximum 145,5 84,2 170 — anléro-poslérieur glabellaire 181 108,1 167 — frontal minimum~ 96,4 58,6 164 Dislance bi-tubérate frontale. 61,2 45,5 155

« Ce tableau ne nous dit pas à quelle époque se fait la croissance, mais il nous donne une indication précieuse sur l'accroissement relatif des diamètres et par suite sur l'activité totale des sutures qui leur correspondent. Si les sutures de notre géant ont réagi proportionnellement à l'activité qu'elles possédaient encore, il est déjà probable que l'activité totale de chaque suture indiquée par le tableau IV et l'activité de ces sutures vers l'âge de la puberté doivent avoir une dépendance assez étroite, d'où résultera un certain parallélisme entre les sériations des tableaux III et IV. Mais ce parallélisme doit être encore bien plus étroit si on se rappelle une loi de croissance sur laquelle le Dr M. HOLL

a insisté tout particulièrement l'année dernière (1) les transformations du crâne ont lieu surtout à deux périodes, pendant la première et pendant la seconde dentition. Comme cette dernière s'étend jusqu'à la puberté, on doit en conclure que les sutures qui prolifèrent le plus dans cette transformation étaient encore, pour la plupart, en activité au moment où le gigantisme a débuté.

« En fait les deux tableaux montrent dans leur sériation une analogie remarquable tout à fait en accord avec les déductions que je viens de faire. La hauteur de la face est dans les deux cas en première ligne; le diamètre frontal minimum et la distance bi-tubérale (frontale ou pariétale, c'est à peu près la même chose) sont les dernières.

« Mais il y a également des différences, on devait le prévoir, car s'il y a, comme je le disais plus haut, une dépendance entre l'activité générale de chaque suture pendant la période totale de sa croissance et son activité à l'âge de la puberté, cette dépendance n'entraîne pas une similitude complète. C'est ici qu'il faudrait tenir compte de l'époque où chaque suture se ferme : celles qui se soudent le plus tôt devant être déjà presque arrêtées au moment qui nous occupe. Mais les différences entre nos deux tableaux peuvent aussi tenir à des variations individuelles spéciales au géant, et pour faire le départ entre ces deux ordres de facteurs, il faudrait avoir assez de sujets pour avoir une moyenne stable. C'est pourquoi, négligeant ces différences, je retiendrai seulement la loi générale qui ressort de la grande ressemblance qu'affecte l'ordre de ces deux sériations : le géant s'éloigne de notre moyenne dans le même sens que l'adulte s'éloigne du nouveau-né, loi qui peut s'exprimer d'une manière plus précise, dans les termes suivants : les sutures qui prolifèrent le plus pendant la période de crois- sance sont aussi, d'une façon générale, celles qui ont montré le plus d'activité dans la formation du gigantisme.

« La forme générale de la tête répond tout à fait au mode de croissance que je viens d'analyser : d'une façon générale elle accentue les différences qui séparent l'adulte de l'enfant, mais avec quelques caractères spéciaux sur lesquels j'appellerai l'attention.

« Elle s'éloigne au maximum de l'enfant par la largeur de la base et l'étroitesse de la voûte dans tous les sens, par l'allongement de la face, la saillie de la glabelle qui est considérable, l'effacement des bosses frontales.

« Mais le menton est en retrait, comme le faisaient prévoir les dimensions de la mandibule, et le sus-occipital fait une saillie très brusque en arrière et si considérable qu'elle est parfaitement visible sur la photographie de profil (fig. 3).

« Cette saillie est un caractère très intéressant, car on sait qu'elle se rencontre plus souvent chez certaines races. Je ne peux pas m'étendre

(1) Ueber Gesichtsbildung, par le professeur M. Holl, in Graz, in Mittheilungen der Anthrop. Gesell., in Wien, 1898.

outre mesure sur sa genèse. Cette question peut cependant être éclairée sur quelques points par les renseignements que nous possédons sur notre géant. Remarquons d'abord qu'il ne faut pas confondre la saillie, dont je parle ici, avec la simple projection du sus-occipital en arrière de l'inion. Cette dernière est parfaitement compatible avec une courbe de profil parfaitement régulière. Examinons, au contraire, le dessin ci-joint (fig. 17), qui représente un acromégalique appartenant à l'École d'Anthropologie. On voit que la courbe est interrompue au niveau du lambda : le bord supérieur du sus-occipital fait une saillie

FIG. 18. — Crâne acromégalique destiné à montrer le ressaut post-lambdoïdien.

(D'après Papillault.)

en arrière des pariétaux, et il en résulte une sorte de ressaut à ce niveau, toujours très sensible au toucher. Cette différence de niveau entre les deux os est si prononcée sur le géant, qu'on l'aperçoit très bien malgré la chevelure, sur la photographie en profil (fig. 5).

« Examinons maintenant la photographie faite en 1894. Il est assez difficile de la comparer avec la plus récente, parce que les positions ne sont pas exactement les mêmes. De face, la tête est plus inclinée en ayant dans la photographie ancienne, et, en profil, elle est plus tournée à droite. Leur comparaison attentive peut nous réveler cependant quelques transformations importantes acquises pendant les cinq ans qui les séparent, et durant lesquelles le géant a encore grandi de 13 centimètres. D'une façon générale on peut dire que la deuxième photographie s'éloigne de la première dans le même sens et suivant les mêmes caractères que le géant s'éloigne de la moyenne dans le tableau III ou que l'adulte s'éloigne du nouveau-né dans le tableau IV.

Quant à ce qui regarde la saillie post-lambdoïdienne, on ne l'aperçoit pas sur la photographie faite en 1894. La tête semble être alors parfai-

tement régulière, quoique les cheveux fussent alors plus courts. Peutêtre la différence de position la masquerait-elle un peu, mais il paraît évident que, du moins, elle était beaucoup moins prononcée. C'est là un fait très important puisqu'il nous révèle que ce caractère est acquis, au moins en grande partie, dans la dernière période de croissance du géant, c'est-à-dire qu'il est apparu dans la période nettement pathologique. Nous pouvons déjà en conclure avec une entière certitude que les muscles masticateurs ou ceux de la nuque n'y sont pour rien, car nous savons que le système musculaire s'est très affaibli depuis 1894.

Nous pouvons en dire autant du cerveau : toutes nos mesures nous ont prouvé que cet organe était resté stationnaire et d'un volume très ordinaire. Voilà un second point très important, puisque BROCA, dans son travail sur les crânes des Eyzies (1), pense que la saillie postlambdoïdienne se produit « lorsque, pendant l'enfance, le volume du cerveau s'accroît plus rapidement que de coutume ». C'est très nettement le contraire ici, il s'est produit après l'enfance, il ne dépend pas de la croissance cérébrale.

« A quoi peut-on l'attribuer? Je pense que des facteurs très différents peuvent intervenir, mais, avant de les passer en revue, examinons d'abord le mécanisme immédiat de cette malformation. Elle est manifestement le résultat d'une disjonction entre le bord supérieur du susoccipital et le bord postérieur des pariétaux. Comme la saillie qui lui a succédé, cette disjonction était d'autant plus prononcée qu'on se rapproche de la pointe occipitale; elle devient nulle au contraire dans les environs de l'astérion. Si donc on envisage le crâne dans sa position normale, c'est-à-dire en place sur ses condyles, on peut dire que cette saillie est due à un mouvement de bascule soit de l'occipital en arrière, soit des pariétaux en avant.

« Cet examen théorique nous conduirait donc à admettre deux types très différents de crânes affectés de cette anomalie ; les uns auraient un occipital très faible, qui s'affaisserait autour de son point d'appui, condyles et colonnes vertébrales. Les autres auraient au contraire des os très développés, un occipital résistant, et ce serait le reste du crâne, qui, pour une cause à déterminer, basculerait en avant.

« Ces deux types existent en effet. Je ne sais s'ils peuvent à eux seuls expliquer tous les cas de saillies post-lambdoïdiennes; peut-être pourra-t-on invoquer quelquefois la soudure prématurée de certaines sutures de la région antérieure. Mais je pense que la grande majorité des cas rentrent dans les deux types que je viens de décrire.

« Un premier se présenterait donc chez les crânes dont l'occipital ne peut suffire à sa tâche de support. Cette variété n'est pas une vue de l'esprit, j'en ai prouvé l'existence à l'état normal dans mon travail sur la base du crâne (2). Les cas de déformation plastique n'en sont que l'exagération; l'acromégalique que je reproduis ici en est un exemple.

(1) BROCA, Mémoires, t. II, p. 180.

(2) Étude morphologique de la base du crâne. Bull, Soc. d'Anthrop., 1898.

Les os de la base du crâne sont très minces et n'ont pu résister au poids du cerveau. L'occipital a basculé en arrière et forme une saillie très marquée. J'ai rencontré encore cette saillie sur des hydrocéphales anciens, sur des crânes pathologiques, celui de Mazarin entre autres, tous présentant l'enfoncement de la base du crâne, c'est-à-dire l'affaissement de l'occipital autour de ses condyles.

« Le second type est bien différent. Les crânes sont robustes, les condyles font une forte saillie au-dessous de la base crânienne, les méats auditifs, au lieu d'être à peu près au même niveau que le basion, comme dans la figure, sont situés beaucoup au-dessus de lui; tout nous montre que l'occipital a résisté facilement au poids qu'il doit supporter. Dès lors la saillie n'a pu se former que par un déplacement en avant et en haut des pariétaux, mais il semble à première vue difficile de comprendre ce mouvement. C'est pourtant celui qui a dû se produire chez notre géant.

« Supposons un crâne dont la dentition soit achevée; les muscles masticateurs vont s'arrêter dans leur développement. Dès lors le crâne antérieur (face, frontal, sphénoïde) n'aura plus aucune tendance pour se porter en avant, puisque la cause déterminante de cette impulsion, les muscles masticateurs, n'agit plus, et la suture basilaire, qui rend possible ce mouvement, va se fermer, puisqu'elle est devenue inutile.

« Cependant les autres sutures de la base peuvent encore proliférer et déterminer à leur niveau un accroissement notable des os; la suture temporo-occipitale si épaisse, si longtemps libre, sera particulièrement active. Cette croissance peut survenir pour les causes les plus diverses : pour une cause pathologique, comme chez notre géant, ou par suite d'un accroissement des muscles de la nuque, qui se feront de la place en repoussant en haut l'inion externe, et en écartant transversalement les os de la base; enfin elle peut tenir à une simple corrélation avec le reste du squelette qui continue à grandir.

« Cette activité des sutures déterminera non seulement un élargissement de la base, mais aussi un mouvement des temporaux en avant et en haut, par suite de la direction oblique de la suture temporooccipitale.

« Si la suture basilaire était libre, il y aurait un glissement total des temporaux et du crâne antérieur en avant de l'occipital, les pariétaux s'étendraient un peu, et la courbe resterait bien probablement régulière. Si, au contraire, la suture basilaire est soudée, les sphénoïdes s'opposent à ce glissement en avant, et il en résulte un mouvement de bascule en haut et en avant exécuté par les temporaux et par les pariétaux qu'ils supportent. Le crâne augmente de hauteur, en même temps que se forme le ressaut au niveau du lambda, en même temps aussi que la base s'élargit. Le crâne tend, par suite, à devenir ogival, si on le regarde de face, et en profil il perd la régularité de sa courbe.

« Il semble bien que c'est le processus qui a agi chez le géant, et je

serais bien tenté d'invoquer encore une action analogue dans des crânes magdaléniens. « III. Pathogénie. — Maintenant que j'ai analysé le mode de croissance qui s'est produit dans ce cas de gigantisme, il resterait à découvrir quelle est la cause déterminante de tous ces troubles. Venant après des pathologistes tels que MM. LUCAS-CHAMPIONNIÈRE et CAPITAN qui ont observé ce géant dans les hôpitaux, il m'est difficile d'ajouter quelque chose.

« On ne peut rien tabler sur les renseignements du malade, dont l'intelligence est très médiocre, et qui ment comme tous les dégénérés.

Il se nomme F., est âgé de 27 ans, son gigantisme aurait débuté vers 18 ans. Son habitus peut, au contraire, nous donner des indications utiles. Je ne reviendrai pas sur la forme générale du corps et de la tète décrite plus haut: j'ajouterai seulement que les oreilles sont détachées, le lobe est visible, elles ont 72mm,5 de long et 41 de large. La face est sans expression, l'intelligence semble avoir bien diminué depuis quelques années, elle a suivi sans doute la même décroissance que la force musculaire.

« Ce qui frappe le plus c'est l'état d'infantilisme où est resté le sujet : la barbe manque totalement, le corps est tout à fait glabre, quelques poils ont cependant poussé au pubis depuis l'âge de 22 ans. C'est également à cet âge que la puberté serait apparue, les désirs vénériens étant toujours restés fort peu développés. C'est du moins ce que je lui ai fait avouer et il faut reconnaître que c'est tout à fait en accord avec l'état des organes génitaux. La peau qui les recouvre n'est pas plus pigmentée que sur le reste du corps, les testicules sont petits, la verge au-dessous de la moyenne.

« Est-ce cet infantilisme qui aurait déterminé la croissance exagérée de F.? On serait tenté de l'admettre. OTTO AMMON, dans son étude sur l'infantilisme en Bavière (1), n'a-t-il pas trouvé que les jambes sont relativement plus longues chez les infantiles parce qu'elles continuent à croître au lieu de s'arrêter, comme c'est l'habitude, au moment de la puberté ou peu après? Ne sait-on pas que chez les eunuques mutilés dans l'enfance, la taille devient supérieure à la moyenne surtout par l'allongement des membres inférieurs? Tout cela est vrai et cependant les infantiles et les eunuques ne deviennent pas des géants de deux mètres.

« C'est pourquoi il me semble qu'on doit invoquer un trouble plus profond. Infantilisme et gigantisme ne sont ici probablement que des résultats concomitants d'une cause que je n'ai pas la prétention de découvrir, mais qui, sans doute, a son siège dans une de ces glandes trophiques dont les variations fonctionnelles influent si puissamment sur la croissance générale de l'organisme. Il serait naturel de penser tout d'abord à la glande pituitaire, mais il ne me semble pas que ce

(1) Voir Anthropologie, 1896, p. 284,

soit un cas très net d'acromégalie. Rien n'empêche d'ailleurs d'admettre ici un cas mixte où viendrait converger l'influence de plusieurs glandes trophiques parmi lesquelles les testicules ont pu jouer leur rôle. Malheureusement nous entrons ici dans le champ des hypothèses actuellement invérifiables. »

De cette étude si précise de Papillault, que nous avons tenu à reproduire intégralement, on peut dégager les conclusions générales suivantes : Chez un géant infantile, a. Le tronc est proportionnellement à peu près normal et l'allon- gement anormal porte surtout sur les membres; b. Les membres inférieurs sont proportionnellement plus accrus que les membres supérieurs; c. Les segments proximaux des membres (fémur, humérus) sont moins accrus proportionnellement que les segments distaux; d. La main et le pied sont un peu moins accrus que le segment distal correspondant.

Il serait superflu d'insister sur l'analogie de ces conclusions, particulières au géant Charles, avec celles, beaucoup plus générales, qui se dégagent des plus récents travaux de Manouvrier et Papillault sur les variations des proportions du corps suivant la taille. (Voir chapitre III du livre I, page 40).

Déjà, à l'époque où il observait le géant Charles, Papillault concluait que le trouble systématique, constaté dans les différentes proportions de son corps, devait s'expliquer par des modifications existant dans l'état des différents cartilages juxtaépiphysaircs, qui, par suite, réagissaient inégalement à la cause anormale et inconnue qui excitait et prolongeait leur activité proliférative. Nos recherches radiographiques sont venues pleinement confirmer cette hypothèse : les cartilages, dont les rayons de Röntgen nous ont montré la persistance, sont précisément ceux qui, à l'état normal, s'ossifient le plus tardivement (épiphyses voisines du genou, épiphyses éloignées du coude). C'est au niveau de ces cartilages encore actifs que s'est produit en trois ans l'allongement des différents segments des membres que rend plus évident la comparaison des chiffres recueillis en

1899 et en 1902. Celte comparaison montre, de plus, que les différents segments des membres ne se sont pas accrus d'une manière égale et proportionnelle, et, à cet égard, il semble que les conclusions de Papillault, exactes en 1899, ne le soient peutêtre plus autant en 1902.

En ce qui concerne le membre inférieur droit, il semble tout d'abord que l'allongement n'ait pas été très considérable : le grand trochanter, qui était il y a trois ans à une hauteur de 1m, 118 au-dessus du sol, est aujourd'hui à 1m,129; il n'a donc subi qu'une augmentation de 11 millimètres. Mais il faut tenir compte de l'affaissement de la voûte plantaire (la hauteur de la malléole interne, de 87 millimètres, en 1899, n'atteint plus aujourd'hui que 79 millimètres); il reste ainsi pour le segment fémoro-Libial un allongement global de 19 millimètres, qui se répartit de la manière suivante : en trois ans, le fémur a gagné 12 millimètres et le tibia 7 millimètres. Pour apprécier cet allongement, il faut encore observer que les mesures ont été prises sur le membre inférieur droit, resté rectiligne, mais qui, ayant à supporter seul tout le poids du corps, s'est certainement moins accru que le membre inférieur gauche. En examinant les photographies, il apparaît nettement que ce dernier, tout difforme et inaccessible qu'il soit aux mensurations précises, a une longueur supérieure à celui du côté droit, et cela en négligeant même l'inclinaison compensatrice du bassin. Quant au pied (droit), sa longueur a augmenté d'une manière appréciable (12 millimètres). Mais à droite comme à gauche le pied et les orteils sont trop déformés par les attitudes vicieuses pour qu'on puisse songer à comparer avec quelque précision des mensurations prises dans des conditions par trop différentes et par trop variables.

Il n'en est pas de même pour les mesures prises sur le membre supérieur (gauche); elles sont susceptibles d'une assez suffisante rigueur : la longueur totale du membre supérieur, comprise entre l'acromion et l'extrémité du médius, qui était en 1899 de 912 millimètres, est aujourd'hui de 963 millimètres; elle s'est donc accrue de 51 millimètres. La répartition de l'accroissement sur les différents segments du membre peut être indiquée de la façon suivante :

Mai 1899. Nov. 1902. Accroissement.

Humérus. u81 mm. 422 mm. + 41 mm.

Radius 298 — 298 — + 0 — Main 255 — 243 — + 10 — Mcdius. 118 1/2 124 - + 5 1/2

En comparant ces chiffres, on remarque que l'allongement a porté principalement sur l'humérus, puis sur la main et les doigts, épargnant pour ainsi dire le segment anti-brachial.

Par ce mode de croissance, tout à fait anormal, notre géant échappe donc aux règles posées il y a trois ans, comme aussi aux règles très générales de la croissance chez les hommes grands. Il est en effet admis que l'allongement porte sur les segments distaux des membres plus que sur leurs segments proximaux, et moins sur les extrémités (mains, pieds) que sur Les segments distaux (Papillault).

Parmi tous ces désordres d'une croissance gigantesque qui semble ne suivre aucune loi, nous signalerons particulièrement l'énorme développement qu'ont atteint les membres inférieurs.

Cet allongement des membres inférieurs réalise un type tout à fait particulier de géant, de taille un peu plus qu'ordinaire (0m,96) quand il est assis, grand échassicr, haut sur pattes quand il est debout (2m,04). Ce type diffère totalement de celui des géants au grand tronc, ou tout au moins au tronc développé proportionnellement avec le reste du corps, type qu'on retrouve surtout chez les géants acromégaliques et dont le géant tambour-major que nous avons étudié (voir observation VIII, page 159) est un bel exemple.

Cet allongement excessif des membres inférieurs est à rapprocher de celui qui a été signalé, depuis longtemps déjà chez les eunuques opérés avant la puberté et aussi chez les jeunes animaux ayant subi la castration de convenance ou expérimentale. Ce rapprochement nous conduit à rechercher les rapports qui peuvent exister entre l'atrophie génitale observée chez les géants infantiles et les troubles divers du développement squelettique.

CHAPITRE III

ATROPHIE GÉNITALE ET INFANTILISME (1)

De même que le genu valgum peut se rencontrer fréquemment chez les infantiles, les acromégaliques et les géants, de même l'atrophie génitale peut s'observer dans ces trois variétés de dystrophie : 1° Dans l'acromégalie. — Dès les premières descriptions qu'il donna de la maladie qui porte justement son nom, P. Marie a insisté sur les troubles des fonctions génitales (arrêt des règles chez la femme, impuissance chez, l'homme, etc.); ils ont été retrouvés par tous les auteurs, français et étrangers, qui se sont occupés de celte affection. Dans son tableau synoptique des symptômes de l'acromégalie, Sternberg (2), place, parmi les signes subjectifs constants, la perte de l'instinct sexuel et la rapproche de la polyphagie et de la polydipsie; parmi les signes objectifs, inconstants, il signale l'atrophie des testicules, susceptible de coïncider parfois avec l'hypertrophie du pénis.

Après avoir décrit les hypertrophies localisées caractéristiques de l'affection, Woods Hutchinson s'exprime ainsi au sujet des modifications observées dans la sphère génitale : « Un autre symptôme singulier et très constant, constituant ainsi l'unique exception à la loi régionale de ces hypertrophies, est la diminution des fonctions sexuelles, qui se rencontre dans environ 65 pour 100 de la totalité des cas, diminution qui peut même s'étendre à la taille des organes externes; ceux-ci

d'après mes recherches, n'ont jamais été trouvés hypertrophiés, bien qu'ayant subi d'ordinaire un développement moyen.

En réalité, on les a trouvés imparfaitement développés et audessous de la taille moyenne dans beaucoup de cas, et spé-

(1) D'une manière générale et dans une proportion beaucoup plus sensible que ne le comporterait la légère différence de la taille moyenne chez l'homme et chez la femme, le gigantisme s'observe bien plus souvent dans le sexe mascu- lin: sur 14 cas étudiés, DANA trouvait 10 hommes. Nous-mêmes, parmi toutes les observations que nous avons colligées, nous n'avons retenu que 5 obser- vations de femmes géantes.

(2) STERNBERG, Die Akromegalie, Specielle Pathologie und Therapie (Nothnagel), VII Band, II Theil, 1897.

cialement dans ceux où l'affection s'est montrée à un âge relati- vement peu avancé. Chez la grande majorité des femmes, la menstruation devient irrégulière et finalement se supprime entièrement; tandis que chez 60 pour 100 environ des hommes l'appétit sexuel, subissant dans un petit nombre d'exemples un accroissement temporaire de vigueur, finit par diminuer nettement et rapidement pour, en dernier lieu, disparaître; cette diminution peut, comme je l'ai dit, s'accompagner de l'atrophie du pénis et des testicules. En fait, cet affaiblissement sexuel est un trait si frappant de la maladie qu'une des plus récentes théories pathogéniques est celle de Freund, qui en fait le principal facteur étiologique et considère l'affection comme due à un arrêt de développement sexuel. Mais comme cet affaiblissement n'est vraiment présent que dans environ 60 pour 100 des cas, et comme il ne se montre dans la grande majorité que longtemps après l'établissement non seulement de la puberté, mais même de la conception, chez la femme, ou de la période d'activité génitale, chez l'homme, on le regarde maintenant comme un effet et un symptôme plutôt que comme une cause de la maladie (1). » Enfin Hinsdale (2), dans sa monographie sur l'acromégalie écrit : « Les organes génitaux externes peuvent être hypertrophiés, tandis que l'utérus et les testicules sont trouvés atrophiés. Il est commun de trouver que la menstruation a cessé au début de l'affection. Dans la forme géante de l'acromégalie, comme dans la forme ordinaire, la stérilité est l'état habituel. »

2° Dans le gigantisme. — En dehors des rapports jusqu'à présent discutés entre l'acromégalie et le gigantisme, il est un fait généralement constaté chez les géants, c'est leur impuissance.

Cette impotence fonctionnelle n'avait pas échappé à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (3), qui l'avait signalée de la façon sui-

(1) WOODS IIUTCIIINSON, New York Med. Journ., 12 mars 1898, p. 344.

(2) HINSDALE. loc. cit., p. 16.

(3) ISIDORE GEOFFROY SAIT-HILAIRE (loc. rit.) avait déjà insisté sur les rapports intimes qui existent entre la puberté et la croissance : le corps ne cesse de grandir que lorsque l'appareil génital a achevé son évolution; l'accroissement exagéré se produit chez les géants parce que « l'appareil sexuel n'accomplit son évolution qu'avec une lenteur extrême et s'arrête même sans avoir acquis son état de perfection ».

vante : « Le point par lequel les géants se rapprochent le plus des nains et justifient le mieux l'idée de Changeux(1), c'est qu'ils sont ordinairement impuissants, comme ceux-ci, et sont très promptement énervés par les plaisirs de l'amour. Le défaut d'aptitude des géants aux fonctions génératrices ne saurait au reste étonner chez des êtres épuisés et affaiblis par la rapidité et l'excès de leur accroissement et s'explique beaucoup mieux à leur égard qu'au sujet des nains. » Il avait de plus constaté que le pénis du géant irlandais Patrick O'Bryan, mort à 29 ans, qu'on conserve au Muséum du Collège des Chirurgiens à Londres, ne surpassait pas les dimensions normales de cet organe. « Chez quelques géants, ajoute encore l'auteur de l'histoire des « anomalies», l'érection est même presque impossible (2). »

Il n'est pas toujours facile de faire un examen détaillé de l'appareil génital d'un géant et de savoir comment s'accomplissent ses fonctions; cependant plusieurs observations renferment des détails assez circonstanciés sur ce sujet. Dana (3), par exemple, dans sa description du géant Péruvien, mort à 50 ans avec une taille de 7 pieds 8 pouces, note qu'il avait un pénis extrêmement petit, mesurant 3 pouces de long. De même, chez le Chinois, géant acromégalique de 25 ans, observé par Matignon(4), « la verge est petite, les testicules microscopiques, à peine des haricocèles ». Le géant examiné par Henry Meige(5) dans le service de Gilbert, homme de 59 ans, mesurant 1m,96, déclare n'avoir aucun appétit sexuel. Bonardi(6) remarque chez un géant acromégalique qu'il lui avait été donné d'observer : « Le sens génésique a subi chez le malade une atteinte notable : indifférence complète pour les plaisirs vénériens; érection

(1) CHANGEUX, auteur d'un Traité des extrêmes ou Éléments de la science de la réalité (1767), dans lequel il s'efforce de démontrer l'analogie nécessaire qu'il y a entre les extrêmes dans tous les domaines : physique, moral, etc., a fait une application particulière de ce principe dans sa Dissertation sur les nains et les géants. Journ. de Phys., t. XIII, Suppl., p. 167, 1778.

(2) ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Histoire générale et particulière des.

anomalies de l'organisation chez l'homme et chez les animaux, ou Traité de Tératologie, t. I, p. 183 et note 2.

(5) DANA, The Journ. of nervous and mental Diseases, nov. 1893 (Obs. X, p. 227).

(4) MATIGNON, Un cas d'acromégalo-gigantisme. Méd. moderne, 6 nov. 1897, p. 705 (Obs. XVIII, p. 275).

(5) HENRY MEIGE, Sur le gigantisme. Arch. gén. de Méd., oct. 1902, p. 431 (Obs. XXVII, p. 358).

(6) BONARDT, II Morgagni, n° 9, 1899 (Obs. XXIX. p. 360).

incomplète et fugace. » Chez le géant Constantin, dont on trouvera plus loin l'observation complète (voir page 317), l'inappétence sexuelle était également en rapport avec une atrophie congénitale des testicules : « les testicules étaient petits, atrophiés, infantiles, écrit Dufrane (de Mons); Constantin n'avait jamais eu de désirs sexuels. Il nous a rapporté également « que plusieurs fois des étudiants, après l'avoir excité par « l'alcool, l'avaient fait provoquer par des femmes et cela sans « aucun succès » D'autres observations sont non moins explicites à cet égard : S. Garnier et Santenoise ont publié une note sur le « cas tératologique complexe d'un aliéné (gigantisme, féminisme, cryptorchidie) », où il est dit : « Les bourses sont très réduites et ne contiennent pas trace de testicules ; on a beau enfoncer le doigt aussi avant que possible dans le canal inguinal, déprimer la paroi abdominale à ce niveau, on ne perçoit absolument rien qui puisse faire soupçonner la présence de ces organes. La verge est très petite, longue de 6 centimètres avec une circonférence à sa racine de 7 centimètres.

Nous n'avons pas pu savoir comment fonctionnent ces organes génitaux, le malade étant trop troublé pour pouvoir répondre à cet égard(1). »

Mais parmi toutes les observations publiées, celles qui méritent avant tout d'être rapprochées des nôtres ont été recueillies par Woods Hutchinson et Buday et Jancso(2) Elles mettent également en valeur l'association de l'atrophie génitale et du gigantisme.

Voici l'observation de Woods Hutchinson :

(1) GARNIER et SANTENOISE, Arch. de Neurol., mars 1898, p. 203. — L'intérêt très grand qui semblerait, d'après son titre, devoir s'attacher à cette observation est un peu diminué par le fait que le malade qualifié géant ne mesurait que 1 m. 71; que son féminisme ne se justifiait peut-être pas par l'hypertrophie réelle des glandes mammaires et qu'enfin l'examen microscopique de l'appareil génital, enlevé à l'autopsie, manque absolument. De plus, il y est fait mention d'un développement exagéré de la face, sans que le mot d'acromégalie y soit même prononcé.

(2) Les exemples d'atrophie génitale chez les géants pourraient être multipliés à l'infini : les sujets observés par FRITSCHE et KLEBS, SIRENA, CASELLI, d'autres encore, présentaient également une diminution dans le volume ou dans les fonctions de leur appareil génital, contrastant avec le développement gigantesque de leur squelette (Obs. XVII, XLVII, XLIX, p. 269, 383, 391).

OBSERVATION III. (Woods Hutchinson).

Un cas d'acromégalie chez une géante (lady Aama) (1.)

Vers le milieu de février 1895, « LADY AAMA », une géante française, vint en notre ville pour être exhibée dans un « muséum ». Au bout d'une semaine-elle tomba malade et mourut le 27 du même mois.

FIG. 18. — La géante française Lady Aama. (WOODS HUTCHINSON.)

On entama des négociations avec la troupe dont elle faisait partie et son corps fut acheté par le Muséum de l'Université de l'État d'Iowa. Ainsi je fus conduit à examiner cette très intéressante anomalie.

(1) WOODS HUTCHINSON, The American Journ. of the Med. Sciences, août 1895, p. 190.

« LADY AAMA » avait été annoncée comme ayant plus de 8 pieds de haut (2m,44). Mais ce n'était là que l'exagération habituelle aux géants .qui se montrent en public et nous ne fûmes pas surpris de trouver, en la mesurant soigneusement cinq jours après sa mort, que sa hauteur, ou, plus exactement, sa longueur était strictement de 6 pieds et 7 pouces 3/4 (2m,02), quoique, à la vérité, elle ait pu dépasser légèrement celle-ci, alors que la voûte plantaire était mieux formée et que les disques intervertébraux n'étaient pas aplatis. Les mesures furent prises entre deux perpendiculaires à la table sur laquelle le corps reposait, menées respectivement par le sommet de la tête d'une part, par le talon et la plante du pied d'autre part. Son nom de baptême était Emma-Aline Batallaid; elle était née en France au pied du Jura, son âge variant, d'après les déclarations de ses sœurs, entre 19 et 17 ans ; ce dernier semble plus probable en raison de l'examen ultérieur qui montra qu'à peine un tiers des épiphyses du sque-

FlG. 19. — La géante française Lady Aama sur la table d'autopsie. (WOODS HUTCHINSON.)

lette étaient soudées aux diaphyses; mais ceci peut aussi avoir été le résultat du développement imparfait de ses tissus. La plus vieille épiphyse soudée était celle de l'extrémité inférieure du tibia (18e année, QUAIN).

La cause de. sa mort était, disait-on, une consomption rapide qui n'avait duré que six mois; mais une enquête soigneuse montra que ses forces avaient toujours été en diminuant depuis quatre ou cinq ans, et qu'elle était morte presque subitement. Elle fut exhibée encore trois jours avant sa mort, qui semble avoir été causée par une attaque de grippe ou de bronchite aiguë, mort survenue par syncope au cours d'une forte quinte de toux. Elle souffrit très peu durant sa maladie, mais sa faiblesse musculaire était si grande que, plusieurs semaines avant sa mort, elle était obligée de se soutenir, étant debout, sur des tiges fixées dans le plancher. En fait, la mort semble avoir été causée par un état de collapsus général, hâté par une grippe.

Elle était la quinzième enfant d'un pauvre laboureur, tous les autres étant de taille normale; une sœur l'accompagnait et déclara que la taille avait été en augmentant jusqu'à sa mort.

Son intelligence était véritablement pauvre, mais en aucune façon anormale.

Le corps était extrêmement amaigri et la première chose qui attira notre attention fut la petite taille apparente de la poitrine et du tronc comparés dans l'ensemble avec les membres grandement allongés.

Ceci d'ailleurs est d'accord avec ce qui est, à mon avis, la règle en pareil cas, à savoir que les géants sont grands et les nains petits surtout par les jambes, le corps étant dans les deux cas très voisin de la normale.

Cette impression fut confirmée par les mensurations qui montrèrent que la longueur des extrémités inférieures du sommet du grand trochanter au bord inférieur du calcanéum était de 47 pouces (1m,19), c'est-à-dire près de 60 pour 100 de la hauteur totale, tandis que la moitié de cette hauteur se trouve d'ordinaire située un pouce audessous de ce niveau, au bord supérieur de la symphyse (QUAIN).

D'après les canons du Blanc (MATHIAS DUVAL, Anatomie artistique) établis par les anciens artistes égyptiens, la longueur des membres inférieurs, depuis ce point, devrait représenter les 10/19 de la hauteur totale; dans le cas d'AAMA elle devrait être de 41 pouces 2/3 (1m,06), c'est-à-dire 5 pouces (0m,15) en moins que la mesure constatée. La même chose existait aux membres supérieurs (de l'acromion à l'extrémité du médius), qui, d'après les mêmes canons, auraient dû représenter les 8/19 de la stature et mesurer 55 pouces 1/3 (0m,85), alors qu'ils mesuraient 57 pouces (0m ,94).

Le même rapport est retrouvé dans les mesures des os du thorax, le sternum mesurant 8 pouces 1/4 (0m,21), c'est-à-dire à peine un quart de pouce plus long que celui d'un adulte normal (MATHIAS DUVAL), et la clavicule 7 pouces (0m,18) ou seulement un pouce au-dessus de la même moyenne. Le degré de cet allongement des jambes, responsable de la taille excessive, peut être mis en valeur en comparant la longueur des membres inférieurs de lady AAMA avec leur longueur moyenne dans sa race, qui serait les 10/19 de 5 pieds, 5 pouces 2 (1m,65) (QUATREFAGES), c'est-à-dire 54 pouces 3 (0m,87), soit une différence de 12 pouces 6 (0m,32) ou près des 3/4 de l'excès total de la hauteur.

Le second fait notable fut chez elle la taille disproportionnée et la forme particulière de ses mains et de la mâchoire inférieure. Les mesures d'ailleurs confirmèrent cette impression; la main, au lieu d'être d'accord avec les canons artistiques, 1/10 de la hauteur totale, c'est-à-dire égale à 7,9 pouces (0m,20), était longue de 11 pouces 25 (0m,285), c'est-à-dire près de 1/7 de la taille; elle avait en outre la forme spéciale en battoir, avec des doigts carrés du bout, et de largeur uniforme sur toute leur longueur. Les pieds, au lieu d'être les 3/19 de la taille, soit 12 pouces 6 (0m,52), mesuraient 15 pouces 75 (0m,55). D'autre part, non seulement la mâchoire, mais aussi les os du nez étaient manifestement élargis. La mâchoire inférieure mesurait 6 pouces 1/4 (0m,16) de l'angle à la symphyse, au lieu de 3 pouces 3/4 (0m,095) qui est la longueur normale des adultes mâles. Quant au crâne, il fut trouvé

à peine au-dessus de la moyenne, mesurant 21 pouces 1/8 (0m,56) de circonférence au lieu de 20 pouces (0m,51) (longueur normale chez la femme).

Il n'y avait absolument rien de visible sur le tronc au-dessus du pubis qui indiquât le sexe, les glandes mammaires étant presque complètement absentes et la circonférence de la poitrine n'ayant que 2 pouces (0m,05) en moins que celle des hanches.

Les mamelons étaient aplatis et petits; leur dissection montra à peine la trace du tissu glandudaire et du ligament suspenseur. — Les téguments du corps étaient épaissis et terreux, mais sans rien autre d'anormal, et les cheveux étaient minces et épais, mais de longueur à peu près normale.

AUTOPSIE. — Émaciation extrême. Cœur légèrement au-dessus de la taille normale, ventricule gauche élargi, valvules dilatées, péricarde normal.

Poumons. — Normaux, sauf pour la taille, qui semble au-dessous de la moyenne. Coloration pâle, collapsus complet. Pas d'adhérences pleurales.

Rate. — Considérablement augmentée. Poids : 2 livres. Pulpe grisâtre. Capsule épaisse et surface lobulée.

Reins. — Normaux; capsulé non adhérente.

Foie. — Légèrement augmenté, mais sain par ailleurs.

Capsules surrénales augmentées.

Glande thyroïde. — Taille et apparence normales, Le cerveau était pâle et ramolli; mais, en raison de l'impossibilité de faire une autopsie près d'une semaine après la mort, il fut trouvé dans un tel état de désintégration qu'on ne pût le retirer en entier.

Ceci fut surtout marqué au sommet du lobe temporo-sphénoïdal gauche, qu'on retira sous forme d'un amas de débris ramollis. Pour la même raison, le corps pituitaire, qui était grandement augmenté de volume, fut retiré de travers et sa forme et son contour furent complètement détruits.

Les dimensions, qu'on estime être environ celles de la dernière phalange du pouce, peuvent toutefois être estimées d'après celles qu'avait atteintes la fosse pituitaire, celle-ci mesure, en effet, 1 pouce 1/4 (0m ,032) d'avant en arrière et 1 pouce 1/2 (0m,059) transversalement.

Le poids du cerveau, après durcissement dans l'alcool pour permettre son maniement, était de 56 onces, soit 8 onces au-dessous du poids moyen chez la femme.

Les ventricules latéraux apparurent quelque peu dilatés, le sommet de la corne antérieure était élargi et arrondi et la cavité du 3e ventricule bien prolongée en bas dans l'infundibulum. Il n'y avait pas de foyer hémorragique et les méninges étaient saines. Les circonvolutions, scissures et les proportions générales étaient normales, sauf un épaississement particulier avec compression en arrière des lobes temporo-sphénoïdaux obligeant le tiers antérieur de la scissure de

Sylvius à se diriger presque verticalement et à repousser le gyrus unciforme à l'intérieur.

L'anomalie la plus frappante fut trouvée dans les organes génitaux. Le mont de Vénus et les grandes heures étaient aplatis et peu développés. Le clitoris avait presque un demi-pouce de diamètre et était extrêmement proéminent, avec de grands replis clitoridiens, d'un pouce 1/2 (0m,04) de lon- gueur, présentant une ressemblance assez vraisemblable avec un petit pénis imparfaitement développé ; ce fut là sans doute l'origine des bruits courant pendant la vie d'Aama qu'elle était une hermaphrodite.

Le vagin était petit et étroit, admettant à peine l'index.

L'utérus avait une longueur de 1 pouce 1/4 (0m,032) et une largeur de 2/5 de pouce (0m,02), environ la taille et la forme de la dernière phalange du petit doigt; il pesait 2 drachmes.

Les trompes de Fallope étaient difficiles à reconnaître, et leurs extrémités abdominales n'avaient que 5 ou 4 fibres rudimentaires (aucune ne s'atta-

FIG. 20.— Crâne de la géante française Lady Aama.

(WOODS HUTCHINSON.)

chant à l'ovaire). Les ovaires étaient représentés par de petites masses granuleuses de la taille de l'ongle d'un doigt, adhérentes à la face postérieure du ligament large.

LE SQUELETTE. — Après avoir enlevé les parties molles, les os furent macérés et nettoyés, dans l'espoir de les monter pour le musée ; mais leur état spongieux et criblé était tel qn'il sembla douteux qu'ils fussent assez résistants pour soutenir les fils métalliques et supporter leur propre poids. L'ensemble du système osseux parut

être en état d'ostéoporose; un simple attouchement aurait délogé les dents de leurs alvéoles, les côtes et les os faibles se seraient tordus au moindre effort et les disques épiphysaires sur les corps des vertèbres auraient été dérangés avec le doigt. En fait, il apparut littéralement qu'il n'y avait pas dans tous les matériaux osseux de ce squelette gigantesque de quoi faire une bonne et solide charpente osseuse de taille moyenne.

Les os, quoique beaucoup plus grands, étaient à peine plus durs que normalement, le radius, l'omoplate et le péroné, par exemple, n'excédant le poids moyen des os sains que de 10 pour 100.

Le squelette.

Pouces, mm.

Circonférence au niveau de la glabelle 21 1/8 535 Distance entre les apophyses orbitaires externes. 5 1/8 130 De l'arcade sourcilière à la symphyse. 6 5/4 170 De l'angle du maxillaire inférieur à la symphyse 6 1/4 160 Longueur de l'os nasal 11/4 30 Largeur de l'os nasal 5/4 20 De la glabelle à la protubérance occipitale 7 5/4 198 Largeur index 74 Hauteur index. 76

Un très frappant exemple de l'état de raréfaction, pour ne pas dire de l'état caverneux, des os est visible dans l'état des sinus frontaux, qui forment d'énormes cavités mesurant 2 pouces (0m,05), transversalement à droite et 2/8 ou 5/8 de pouce (0m,01) à gauche, contre 3/4 de

pouce (0m,02) d'avant en arriére et 1/2 pouce (0m,012) en profondeur, le tissu osseux étant réduit à une simple.écaille de l'épaisseur d'une feuille de papier.

Le même état se retrouvait dans le sinus maxillaire, criblé sur la tubérosité, tandis que l'écaille du temporal était si épaisse que la rainure pour l'artère méningée moyenne formait une perforation longue de 1/2 pouce (0m,012) à droite. L'apophyse zygomatique est réduite en un point à l'épaisseur d'un carton.

A part la grande taille de la fosse pituitaire, la seule altération remarquable à l'intérieur du crâne est le peu de longueur et l'épaississement antéro-postérieur du rocher, s'accompagnant d'un trou auditif interne.

FIG. 21. — Base du crâne de la géante française Lady Aama. (WOODS HUTCHINSON.)

presque double de la taille normale et placé très bas sur la face postérieure. Ceci a presque l'air d'être le résultat de la pression d'un corps pituitaire hypertrophié pendant la vie embryonnaire, empêchant l'accroissement du rocher en dedans et en avant et produisant son augmentation transversalement. Comme si c'était le cas, le canal carotidien est considérablement plus grand que normalement, 3/8 de pouce (0m,01) dans le diamètre antéro-postérieur, tandis que le foramen jugu- laire est de ce fait si repoussé en bas que son diamètre, comme on peut le voir à l'intérieur du crâne, est réduit à droite à moins de 2/3 de ce qu'il est, sur la face inférieure du crâne, et à gauche à moins de 1/3. À droite un éperon osseux se projette à travers l'ouverture et à gauche il y a une fente allongée et irrégulière.

Les grandes dimensions des os du nez et la largeur de l'extrémité supérieure de la gouttière lacrymale sont très visibles. Le canal lacrymal est relativement dilaté, ne mesurant, au niveau du plancher de l'orbite, pas moins de 3/8 de pouce (0m,01) transversalement et 1/4 de pouce (0m,008) d'avant en arrière. Une sonde de femme ordinaire en argent (n° 18) peut y être facilement introduite dans le nez.

L'état criblé des deux bords alvéolaires supérieur et inférieur et le relâchement des dents sont également très visibles. Les deux incisives supérieures, la canine, les bicuspides et la première molaire ont disparu à gauche et les alvéoles sont atrophiées, tandis que les dents qui restent sont elles-mêmes ébranlées dans leurs alvéoles ou ont de larges cavités dans leurs couronnes. Un appareil était porté pendant la vie à la mâchoire supérieure.

BASSIN ET TRONC.

Bassin.

Pouces, mm.

Circonférence par les crêtes iliaques 58 965 Distance entre les épines iliaques antéro-supérieures. 15 580 Détroit supérieur 6 1/2 165 Détroit inférieur. 6 155 Profondeur 7 180 Diamètre transverse 6 1/2 165 Diamètre antéro-postérieur 7 180 De la symphyse pubienne à la tubérosité de l'ischion. 6 1/2 165 De la crête iliaque à la tubérosité de l'ischion 11 280 De l'épine antéro-supérieure à l'épine postéro-supérieure 8 203 De l'épine antéro-supérieure à l'épine postéro-inférieure 9 1/2 240 De la crête iliaque à l'échancrure sciatique. 7 180 Longueur du sacrum avec le coccyx (extérieurement). 10 1/2 266 — — — (intérieurement). 9 1/2 240 Grand diamètre du trou sacro-sciatique. 2 3/4 70 Diamètre de l'acetabulum : 2 pouces 1/4 (55 mm.) et 2 1/2 65 Profondeur de l'acetabulum : 1 pouce 5/4 (45 mm.) et. 1 1/2 40 Profondeur de la symphyse pubienne. 2 5/4 70 Vertèbre lombaire (4e).

Entre les 2 sommets des apophyses transverses 5 5/4 145 Corps 2 1/4 pouces (57 mm.). 2 5/4 70

Tronc.

De l'épine de l'atlas au sommet du coccyx, en suivant les courbes 42 1065 Longueur du sternum 8 1/4 210 Longueur de la clavicule 7 180 Omoplate (de l'angle inférieur au sommet de l'acromion). 10 1/2 270

Le sternum présentait une perforation centrale arrondie d'un diamètre de 1/3 de pouce (0m,01) dans la 3e pièce du glaive et la 4e pièce était fendue et élargie à son extrémité. L'épiphyse acromiale était en deux pièces.

Membre supérieur.

Pouces, mm.

Longueur totale. - 57 940 Humérus. 15 1/4 390 De l'olécràne à l'extrémité du médius. ? 585 Cubitus 11 3/4 300 Radius 11 1/8 282 Métacarpien et doigt médius 9 5/8 243 Métacarpien (5e) 3 7/8 99 Phalange (5e) 2 5/8 65

Membre inférieur.

De la tête du fémur au calcanéum. 47 1/2 1265 Fémur (de la tète au condyle interne). 23 1/4 590 De la fosse du ligament rond au bord externe du grand trochanter. 5 3/4 145 Largeur aux condyles 5 1/2 140 Du grand au petit trochanter 5 1/2 140 Du grand trochanter au condyle interne 22 5/4 580 Circonférence du col fémoral 6 5/4 170 — de la tête 8 203 — du milieu du corps 5 3/8 135

Tibia.

Longueur (de la tubérosité interne à la malléole interne). 18 5/8 470 Largeur du tibia et du péroné à la cheville. 4 100 Circonférence au milieu du corps. 5 3/8 135

Pied.

Longueur 13 5/4 550 Hauteur de la voûte tarsienne. 4 1/4 110 Circonférence du pied 10 1/2 267 Longueur du 1er métacarpien 5 75

Il y avait une saillie distincte, d'aspect velvétique, sur la face postérointerne des deux tibias au tiers moyen.

Je me suis risqué à ranger ce cas dans l'acromégalie en m'appuyant sur les bases suivantes : 1° Le développement excessif et la forme spéciale des mains, des doigts, des pieds, de la mâchoire, des os du nez et des sinus frontaux ; 2° L'hypertrophie du corps pituitaire et les dimensions énormes de la fosse pituitaire ; 3° L'histoire de la déchéance intellectuelle et de l'affaiblissement permanent et progressif des forces, aboutissant à la mort par syncope.

OBSERVATION IV. (Buday et Jancso.) Un cas de gigantisme pathologique (Simon Botis) (1).

(Observation résumée.)

SIMON BOTIS, 55 ans, catholique grec, célibataire, exerçant la profession de porcher, entre à l'hôpital le 24 mai 1894 (Fig. 22). Tous les membres de la famille sont de taille moyenne. Les parents étaient alcooliques; ils sont morts. Un frère et une sœur sont morts en bas âge de maladies indéterminées. Un frère, âgé de 25 ans, domestique, est d'une taille moyenne.

Il eut une enfance chétive, mais ne fut atteint d'aucune maladie; et à 17 ans il était développé comme un homme de 20 ans. A cette époque il se livra à des excès génitaux; d'après les renseignements recueillis, il eut deux maîtresses, avec lesquelles il pratiquait le coït quatre à six fois par nuit, et cela pendant deux années. Au bout de ce temps, des troubles commencèrent à se manifester : l'éjaculation suivant immédiatement l'érection, il ne pouvait plus satisfaire ses maîtresses; puis, il eut encore quelques érections, mais sans éjaculation. A 20 ans (1879) il était tout à fait impuissant et depuis il est resté tel.

C'est à ce moment qu'il commença à grandir d'une manière anormale.

En effet, lorsqu'il se présenta à 20 ans pour la première fois devant le conseil de revision on recueillit les mesures suivantes :

Taille 4m,63 Périmètre thoracique 0 80

Un an plus tard, au second conseil de revision, on trouvait :

Taille. lm,69 Périmètre thoracique 0 86

Enfin, lors du troisième conseil de revision, ces mesures avaient encore augmenté.

Taille 1 m, 72 Périmètre thoracique. 0 91

Il fut reconnu inapte au service militaire pour son genou bancal et une carie du talon droit. En effet, il avait eu à 18 ans, au niveau du pied droit, un œdème, avec suppuration et fistules, qui nécessita un premier séjour à la clinique chirurgicale. En décembre 1889 il revint pour des accidents similaires : carie nécrotique du tibia droit, nécessitant l'ablation d'un séquestre. Il pesait alors 110 kilos et était si grand qu'il ne pouvait coucher dans un lit ordinaire. Il sortit guéri et se remit à garder les porcs.

(1) BUDAY et JANCSO, Ein Fall von pathologischen Riesenwuchs, Deutsches Archiv. fiir klin. Med., 1898, p. 385.

En avril 1894 il se produit une nouvelle poussée à la cheville droite,

sans douleurs dans les autres extrémités, et c'est pour cela qu'il entre à notre clinique.

État actuel (24 mai 1894). —

SIMON BOTIS est un homme de taille gigantesque : il mesure 1m,98 et pèse 114 kilogrammes. Au premier abord on remarque que le corps est augmenté dans toutes ses dimensions et que tout chez lui est gigantesque : sque- lette, peau, musculature.

La peau, pâle au visage, brune sur les avant-bras et la paume de la main, présente une consistance normale, en dehors des adhérences cicatricielles de la jambe droite; nulle part elle n'est plus épaisse, durcie ou ridée qu'à l'état normal.

Les cheveuxsont noirs et courts; moustache rare; pas de barbe. Les poils du creux de l'aisselle et du pubis sont suffisamment longs et fournis.

Tête. — La partie crânienne de la tête est à peine plus grande qu'à l'état normal, mais la partie faciale est réellement augmentée, aussi bien en largeur qu'en longueur; en particulier le nez, les os malaires et les maxillaires, aussi bien le supérieur que l'in- férieur, semblent énormes, au point que le visage produit dans son ensemble une impression très désagréable et répugnante.

Le crâne, augmenté en largeur

FIG. 22 (1). — Le géant Simon Botis.

(BUDAY et JANCSO.)

et en longueur, est un peu aplati en arrière : le front est étroit (2).

(1) Extraite des Deutsch. Arch. für klin. Med., 1898.

(2) Les auteurs donnent en une série de tableaux une foule de dimensions recueillies avec le plus grand soin, tant sur le vivant que sur le cadavre.

Nous n'avons reproduit parmi leurs mensurations que celles qui nous ont paru les plus intéressantes et nous ne donnons qu'un résumé très abrégé de la très longue observation de BUDAY et JANCSO qui remplit plus, de 68 pages (petit texte) des Deulsch. Arch. für klin. Med.

L'élargissement de la partie supérieure du visage est due : 1° A l'énorme élargissement de la racine et de la partie osseuse du nez; 2° A la saillie notable des os malaires.

Par contre, l'allongement porte surtout sur la croissance des maxillaires supérieur et inférieur.

Le nez, très fort, est courbé; sa pointe regarde un peu à gauche; son dos est très élargi, en particulier à l'extrémité inférieure de la partie osseuse, tandis que la racine et la partie cartilagineuse sont un peu plus rétrécies. Le septum membraneux n'est pas dévié.

Par suite de l'élargissement du nez, les yeux sont très éloignés l'un de l'autre (distance biangulaire interne : 7em,3, au lieu de la normale : 5cm ,9).

Le maxillaire inférieur présente un accroissement gigantesque, par suite duquel les dimensions suivantes sont très augmentées :

Hauteur entre le point mentonnier et le vertex 30cm,8 Diamètre mento-occipital. 23 3 Circonférence maxima de la tête, passant par le point mentonnier, le bord antérieur de la racine des oreilles et le vertex 80

Les lèvres sont à peine plus épaisses que normalement. Longueur de la bouche, fermée : 6cm,3.

Les oreilles sont petites et bien conformées.

Tronc. — La cage thoracique est augmentée dans tous les sens. La partie supérieure est aplatie; l'inférieure est fortement bombée en avant et sur les côtés. — Les clavicules sont épaisses, longues et fortement courbées. — Les côtes, larges et épaisses, sont plus recourbées à droite qu'à gauche; du côté gauche, les premières côtes sont plus fortes que les dernières. Les côtes inférieures forment avec leurs cartilages un angle droit, et la conjugaison des cartilages et des côtes est marquée par de petites nodosités dures et perceptibles à la palpation.

La colonne vertébrale, dans sa portion dorsale, est courbée vers la droite, en allant de la 3e à la 6e vertèbre dorsale. Elle est un peu courbée en arrière.

Les épaules sont horizontales : scapulæ alatæ.

Membres supérieurs. — Plus longs qu'à l'état normal : l'allongement porte sur tout le membre, mais est frappant surtout aux mains, qui semblent disproportionnées relativement au reste du membre. Musculature faible et flasque. — Tous les os semblent, à la palpation, augmentés non seulement en longueur, mais dans toutes leurs dimen- sions. Mais cet accroissement n'est pas proportionnel sur tous les os : ainsi l'axe longitudinal de la main est incliné vers le bord radial de l'avant-bras, comme si la croissance du radius était restée en retard sur celle du cubitus. Les deux mains sont très grandes, surtout très longues; la forme en est cependant tout à fait proportionnée, en sorte que, malgré leur grandeur, elles ne sont pas sans élégance. Les doigts

sont longs, leurs articulations non épaissies, leurs ongles conformés normalement. Seul, le petit doigt a sa première phalange fléchie, et ses mouvements d'extension, actifs ou passifs, sont abolis.

Membres inférieurs. — Augmentés également dans toutes leurs dimensions; mais le plus frappant est l'accroissement des pieds. A la face antérieure de la jambe droite, cicatrice profonde résultant de la carie osseuse ancienne et de l'ablation du séquestre. Genu valgum droit, avec forte projection en avant du condyle interne; épaississement notable de la moitié inférieure du tibia droit. La jambe gauche, non difforme, est plus longue et plus grêle que la droite. Les deux pieds semblent trop grands pour le reste du corps : un certain degré de pied-bot varus du côté droit.

Les facultés psychiques ne présentent pas d'anomalie frappante.

L'intelligence est plus grande qu'on ne pourrait le croire d'après la physionomie : en effet, la saillie énorme des pommettes, l'écartement des yeux, le front borné et la mandibule énorme lui donnent l'aspect d'un idiot. Mais il répond avec intelligence aux questions qu'on lui adresse, s'intéresse aux maladies de ceux qui l'entourent, s'occupe et noue volontiers conversation avec eux; il gagne souvent aux jeux de cartes, etc.

Organes des sens normaux. Sensibilité à tous les modes intacte.

Réflexes normaux. Force musculaire au dynamomètre un peu diminuée.

La marche, comme aussi tous les mouvements et gestes sont pénibles, le moindre mouvement coûtant une très grande fatigue. Le malade boite, en raison de l'inégalité de ses jambes.

La respiration se fait la bouche ouverte. Les deux côtés de la poitrine se soulèvent également; type costal plutôt qu'abdominal, — 18 respirations par minute. Toux et expectoration, sans bacilles de Koch à l'examen. Légère submatité aux deux sommets.

Cœur et pouls normal : 72 à la minute.

Le sang examiné au microscope a été trouvé normal comme nombre, forme et couleur des globules rouges et blancs.

Cavité bucco-pharyngée très augmentée. Il manque quelques dents.

Amygdales un peu volumineuses. La langue est plus longue, plus large et plus épaisse que normalement.

Bon appétit, un peu plus considérable que celui d'un homme normal.

Pas de soif exagérée.

Urine normale, D : 1012. Ni sucre, ni albumine.

Les organes génitaux externes ne sont pas plus grands que ceux d'un homme normalement développé. Longueur du pénis : 10 centimètres; circonférence : 9 centimètres. Bourses non épaissies. Testicules petits.

Marche de la maladie. — Le malade resta à la clinique du 24 mai 1894 au 23 septembre 1896, date de sa mort.

31 mai 1894. — Ouverture spontanée de deux petits abcès au niveau de la jambe droite. Guérison rapide.

Août 1894. — Amygdalite. Végétations adénoïdes. Extirpation en des

séances répétées de plusieurs polypes du nez; mais la respiration reste gênée, plusieurs gros polypes nasaux n'ayant pu être extirpés.

Octobre 1894. — Apparition de la polydypsie (12 litres d'eau environ ) et de la polyurie : 13 litres d'urine claire, de densité 1027, donnant la réaction du sucre et déviant le polarimètre de 5 pour 100.

Novembre 1894. — Pneumonie de la base gauche, pendant laquelle la quantité d'urine tomba à 3 ou 4 litres et la teneur en sucre à 1 ou 2 pour 100.

Mars 1895. — 9 à 16 litres d'urine par jour; teneur en sucre : 6 ou 6.5 pour 100.

Août 1895. — Le malade a maigri de 12 kilogrammes (poids : 102 kilogrammes); mais sa taille s'est accrue d'un centimètre (1m,995). Les circonférences thoraciques ont diminué d'une façon assez notable, ainsi que la circonférence des membres. Toux et expectoration. Anémie et diminution des forces.

Janvier 1896. — L'amaigrissement continue (poids : 96 kilogrammes).

.Signes très nets d'infiltration des deux sommets, malgré qu'on continue à ne pas trouver de bacilles de Koch dans l'expectoration. Le sucre a disparu des urines, dont la quantité oscille entre 2 et 3 litres 1/2 par jour. Il n'a pas reparu jusqu'à la mort. Opothérapie thyroïdienne (30 centigrammes de thyroïdine) sans résultat appréciable.

Mars 1896. — Fièvre hectique. Dans les crachats, bacilles de Koch et fibres élastiques. La déchéance se précipite (poids : 70 kilogrammes).

25 septembre 1896. — Mort dans le marasme par suite du progrès des lésions tuberculeuses des deux poumons.

AUTOPSIE (1) (pratiquée le 24 septembre 1896). — Longueur du corps dans le décubitus dorsal : 2m,02. Poids : 74 kilogrammes.

Cerveau : poids (y compris l'hypophyse) 1613 grammes. Tumeur plus grosse qu'un œuf de poule formée par l'hypophyse augmentée de volume ; cette tumeur repose pour la plus grande partie sur la selle turcique très élargie ainsi que sur les parties voisines du sphénoïde et du frontal. Elle a 7 centimètres de longueur sur 5 centimètres de largeur.

Elle empiète sur le sommet du lobe temporal et la partie antérieure du pont de Varole. On la trouve constituée de deux parties : l'une, antérieure, petite, et l'autre plus grande, postérieure, réunies par une partie moyenne plus mince, sur les côtés de laquelle se trouve une petite gouttière, qui reçoit le nerf optique. Les deux tractus du nerf optique et le chiasma sont couverts et aplatis par la tumeur; mais, bien que comprimés, ils ne présentent ni atrophie, ni changement de coloration.

Les nerfs olfactifs et la partie postérieure des lobes frontaux sont, comprimés par la portion antérieure enclavée de la tumeur. La hauteur de celle-ci est de 3 centimètres de haut en bas. Elle ne pénètre pas dans les ventricules; la commissure blanche est intacte.

La structure histologique de l'hypophyse normale ne se retrouve que

(1) Très résumée.

dans la partie moyenne. Dans les autres parties, on note une prolifération intense, avec des figures cellulaires désordonnées et un tissu conjonctif épaissi. Il ne s'agit donc pas d'une simple hypertrophie, mais véritablement d'une tumeur qui est plutôt un angio-sarcome qu'un adénome ou qu'un adéno-sarcome.

Quelques vestiges de thymus; mais, d'après l'examen microscopique, on ne peut pas dire que ce soit une persistance anormale.

Poumons : dégénérescence caséeuse des sommets: nodules et cavernes communiquant avec les bronches; quelques tubercules disséminés dans les bases. L'examen microscopique à révélé très nettement la nature tuberculeuse de ces lésions.

Langue : 11cm,05 de long sur 8 de large. Cartilage thyroïde : longueur ; 6cm,7.

Cordes vocales : longueur : 2cm ,8.

- Le corps thyroïde n'est pas sensiblement accru : 57gr,05. Rien d'anormal à l'examen microscopique.

Pharynx très augmenté.

Rate : 840 grammes. Capsule épaissie. Coloration brun pâle. Consistance dure. Prolifération du tissu conjonctif.

Reins très augmentés; poids du rein droit : 298 grammes; du rein gauche : 315 grammes. Consistance plus dure que normale. L'examen histologique montre des traces de néphrite; l'épithélium des tubes urinifères est granuleux; on trouve des cylindres à l'intérieur des canaux, de la dégénérescence hyaline des glomérules et de l'augmentation du tissu conjonctif périglomérulaire.

Les capsules surrénales ne sont pas très augmentées ; mais leur structure est à peu près normale.

Foie : 2960 grammes. Congestion muscade, avec infiltration graisseuse des zones périphériques des acini. Quelques granulations tuberculeuses miliaires disséminées dans le tissu conjonctif.

Estomac et intestins augmentés dans toutes leurs dimensions. Longueur : intestin grêle (10m,70), gros intestin (3m ,80). Quelques lésions tuberculeuses dans l'intestin grêle et le côlon ; tubercules caséifiés dans les ganglions mésentériques.

Testicules très diminués de volume, au contraire de tous les autres organes, dont on a vu l'augmentation. Testicule droit : 9gr,5 ; gauche : 12gr,5. — Atrophie testiculaire sans inflammation : ni la capsule, ni le tissu conjonctif ne sont hypertrophiés. Atrophie des canaux séminifères, sclérosés et ratatinés : épithélium très bas; cellules indifférentes, atrophiées, ne présentant aucune apparence de travail de spermatogénèse.

Pas de spermatozoïdes dans les canaux. Il s'agit en somme d'une atrophie testiculaire primaire, semblable à celle de certains tuberculeux.

Prostate petite et pâle.

Muscles atrophiés et pâles, en particulier les gastrocnémiens, dans lesquels on trouve quelques trichines encapsulées.

Moelle épinière à peu près normale, sauf un peu d'hyperémie dans la

portion lombaire, avec sclérose commençante de la partie médiane des cordons de Goll et de la partie inférieure des cordons latéraux.

Nerfs périphériques. — Sur les coupes du sciatique, on note un peu d'atrophie des fibres nerveuses; les fibres normales sont en minorité;

FIG. 23(1). — Le squelette du géant Simon Botis. (BUDAY et JANCSO.)

le tissu fibreux l'emporte sur le tissu nerveux; mais il n'y a pas trace d'inflammation.

Ni atrophie, ni dégénérescence graisseuse des nerfs optiques.

Articulations. — Arthrite déformante des grandes articulations avec déformations caractéristiques, surtout à la hanche. Corps étranger articulaire libre (souris articulaire), formé de tissu cartilagineux de la hanche droite. Synoviale villeuse et hypertrophiée aux articulations des membres supérieurs. Au niveau de la tibio-tarsienne droite, les cartilages sont augmentés, mais il n'y a pas trace d'inflammation tuberculeuse présente ou passée.

Squelette (fig. 23). — Les diaphyses sont grandes, mais à peu près normales. Pas d'exostoses, sauf quelques ostéophytes aux os de la jambe. Les épiphyses sont plus inégales que les diaphyses ; leurs vaisseaux sont plus larges. Insertions musculaires très saillantes, notamment celle du biceps sur le radius, celle du sous-clavier à la clavicule. Les os sont très légers, car la substance compacte corticale est anormalement mince; en revanche la cavité médullaire est extraordinairement développée; elle se poursuit jusque dans les épiphyses, où les travées osseuses forment un réseau fin en toile d'araignée. Ostéoporose remarquable, accentuée dans les petits os,

particulièrement ceux du tarse, au point que la substance corticale a une consistance parcheminée et garde l'empreinte du doigt.

Crâne. — Augmentation disproportionnée de sa portion faciale par rapport à sa portion crânienne, bien que celle-ci ne soit pas tout à fait normale. Épaisseur de la voûte crânienne : 4 à 7 millimètres.

A l'intérieur du crâne, selle turcique aplatie et très élargie.

Distance des trous optiques. 36 mm.

Distance des apophyses clinoïdes antérieurs. 45 — Distance des trous ronds. 5f —

(1) Extraite des Deutsch. Arch. für. klin. Med., 1898.

Au fond de la selle turcique, l'os est très aminci au-dessus du sinus sphénoïdal, mais non perforé. La grande fosse plate qui en somme tenait lieu de selle turcique se continue avec la partie postérieure des fosses cérébrales de l'os frontal et de la lame criblée, car l'hypophyse ne trouvait pas de place suffisante dans

la selle turcique et débordait en avant, de même qu'en arrière, sur la partie basilaire de l'occipital.

Le trou occipital semble très petit (diamètre sagittal : 31 millimètres; diamètre transversal : 32 millimètres).

Toutes les parties du temporal sont très augmentées : le conduit auditif externe est long de 57 millimètres (au lieu de la longueur normale : 15 millimètres).

Face (fig. 24). — Les maxillaires supérieurs sont très augmentés (distance de la suture fronto-nasale au bord alvéolaire : 10cm,2). Les fosses nasales montrent un tel degré d'allongement et d'élargissement qu'il est à peu près sans exemple : les os nasaux sont doublés de largeur (15 millimètres), et de longueur (42 millimètres). Hauteur du nez : 84 millimètres. L'antre d'Higmore s'est accru en propor-

FIG. 24(1). — Le crâne du géant Simon Botis. (BUDAY et JANCSO.)

tion des maxillaires supérieurs. Les molaires sont surtout augmentées en hauteur.

Le maxillaire inférieur est plus augmenté dans son corps que dans ses branches :

Hauteur du corps du maxillaire inférieur 46 mm.

Longueur du bord inférieur 107 — Diamètre bigoniaque. l'22 — Diamètre bicondylicn. 145 —

Le bord inférieur est épaissi et saillant en avant, l'angle du maxillaire est plus ouvert que normalement (138° au lieu de 120°).

Colonne vertébrale. — Scoliose à deux courbures : convexité gauche cervico-dorsale, convexité droite dorsale inférieure. Pas de cyphose à proprement parler. Les corps des vertèbres sont augmentés surtout dans la portion cervicale.

Thorax. — Augmenté notablement dans toutes ses dimensions, sur-

(1) Extraite des Deutsch. Arch. für Klin. Med., 1898.

tout dans le diamètre sagittal. La partie inférieure droite est saillante en avant. — Augmentation des côtes et des clavicules.

Membres supérieurs. — Les deux humérus en comparaison des autres os longs sont courts, surtout le gauche, qui est à peine plus long qu'à l'état normal; le droit est de 3cm,5 plus long que le gauche; l'asymétrie est frappante. — Au contraire des bras, les avant-bras sont très longs; mais les os ne sont pas très gros. Contrairement à la normale, l'apophyse styloïde radiale descend moins bas que la cubitale ; le cubitus

FIG. 23(1). — Le crâne du géant Simon Botis. (BUDAY et JANCSO.)

étant plus long que le radius, il en résulte une inclinaison de la main sur le côté radial de l'avant-bras; la grosse épiphyse inférieure du cubitus est très saillante (manus valga). — Les métacarpiens et les phalanges sont très longs, mais le rapport des parties entre elles n'est guère modifié.

Bassin. — Augmenté dans toutes ses dimensions, mais surtout dans les diamètres transversaux, par suite de l'élargissement du sacrum et du fort allongement de la branche horizontale du pubis.

Membres inférieurs. — La longueur des fémurs est encore plus exagérée qu'on ne pourrait l'attendre d'après la longueur du corps. Le fémur gauche est plus long de 1cm,5 que le droit. L'extrémité inférieure du fémur droit présente les déformations caractéristiques du genu

(1) Extraite des Deutsche Archiv. für Klin. Med., 1898.

valgum. Les jambes sont encore plus allongées que les cuisses. Vestiges de la carie antérieure du tibia droit. — Les pieds ne sont pas allongés en proportion des jambes, ni des autres parties du corps. Pied droit en varus équin. Il n'y a d'ostéophytes qu'aux phalanges unguéales.

De tous ces faits, en particulier de celui de Buday et Jancso qui, à tant d'égards, est si comparable aux nôtres, on peut conclure que chez les géants, plus souvent encore que chez les acro- mégaliques, il existe de l'atrophie génitale (1).

Réciproquement, pour ainsi dire, il est une autre donnée non moins intéressante à signaler, c'est que l'infantilisme peut s'observer chez les sujets de taille élevée.

Si Le plus souvent l'infantilisme s'accompagne d'arrêt de développement du squelette, on peut parfois noter un accroissement excessif des os (Henry Meige) (2). Il y a peu de temps, le professeur Joffroy(3) évoquait le souvenir de Lorain montrant à ses élèves un cuirassier de haute stature, qu'il ne craignait pas de considérer comme un infantile. Otto Ammon(4), à la suite d'une longue enquête sur l'infantilisme et le féminisme, poursuivie dans les conseils de revision de Bavière, concluait que « l'infantilisme se manifeste chez les sujets de toute taille, depuis les plus petits jusqu'aux plus grands ».

(1) Le mariage des géants a été encouragé à toutes les époques et pour des motifs divers par tous les « montreurs et propriétaires » de géants, aussi bien que par FRÉDÉRIC LE GRAND [voir le récit de son amusante déconvenue, par DIEUDONNÉ THIBAULT, cité par GARNIER (loc. Cit., p. 305)] et par le donateur original, plus généreux qu'éclairé, qui laissa sa fortune à la ville de Rouen pour enrichir un couple de géants. — En fait, dit WOODS HUTCHINSON (New York Journ., 21 juillet 1900), sur 30 géantes, pas plus de 2 ou 3 furent mariées, et parmi les géants une très faible proportion quitta le célibat. Et, parmi ceux dont l'histoire nous est connue, aucun, sauf peut-être WINCKELMEYER, ne laissa d'enfants. — C'est l'Amérique qui se vante (GOULD et PYLE, loc. cit.) de posséder le plus grand couple du genre humain (the tallest married couple known to mankind) : le 17 juin 1871, en effet, on maria à Saint-Martin-des-Champs, à Londres, le captain VAN BUREN BATE, du Kentucky et miss ANNA SWANN, de la Nouvelle-Écosse, tous les deux hauts de 7 pieds. — Mais, comme dit HENRY MEIGE (Arch. gén. de Méd., oct. 1902; et Congr. des Neurol. Grenoble, 1902), on ne nous parle pas de la descendance de ce couple de géants. — « Les tailles exceptionnellement grandes ou petites sont des productions anormales, dit DENIKER (Races et peuples de la terre, p. 30) : la stérilité avérée des nains et des géants suffirait à elle seule à le prouver. »

(2) HENRY MEIGE, Sur les rapports réciproques de l'appareil sexuel et de l'appareil squelettique Journ. des connais, méd., 14 mai 1896, p. 164.

(3) JOFFROY, Soc. de Neurol. de Paris, 7 juin 1900. Discussion à la suite de la communication de Babinski.

(4) OTTO AMMON, L'Anthropologie, p. 285, 1896.

Il convient d'ailleurs de rapprocher tous ces faits des modifications que l'ablation des glandes génitales imprime au squelette et qui sont connues depuis longtemps ('). Constatées par les vétérinaires, d'une façon courante, chez les animaux domestiques, elles sont plus fréquemment observées chez les mâles que chez les femelles; s'il en est ainsi, c'est parce que l'opération se pratique plus souvent chez les premiers.

En supprimant d'une façon plus ou moins précoce, chez les animaux mâles, les glandes génitales, en leur faisant subir la castration dite de convenance, on cherche à modifier leur organisme, à imprimer des changements non seulement à leur caractère, mais encore à leurs formes extérieures, à leurs fonctions physiologiques ; on tend, en d'autres termes, à les approprier davantage aux exigences de la domesticité.

Bouley (2), étudiant les modifications que la castration imprime à l'organisme des animaux mâles, les résume de la façon suivante : « Pratiquée de bonne heure, la castration arrête le dévelop- pement du squelette, et conséquemment celui des masses musculaires auxquelles il sert de support; sous son influence, la tête s'allégit, les membres s'affinent, le corps demeure plus svelte dans ses proportions générales; les animaux mâles tendent, en un mot, à se rapprocher par leurs formes et même par leurs attributs des femelles de leur espèce. Ainsi le cheval hongre ressemble à la jument par l'ensemble de ses formes : il en a le hennissement, moins accentué que celui du mâle entier, et surtout plus rare, la physionomie plus douce et moins expressive, l'encolure plus effilée, la crinière moins touffue et garnie de poils plus soyeux, etc.

« Le bœuf se rapproche de la vache ; sa voix n'a pas le timbre sonore et retentissant de celle du taureau. Sa tête, plus étroite par le sommet et plus allongée, supporte des cornes longues et recourbées comme celles de la femelle de l'espèce; cette expression d'énergie un peu sauvage qui appartient au mâle de

(1) P.-E. LAUNOIS et P. Roy, Gigantisme et castration. Les modifications du squelette consécutives à l'atrophie testiculaire et à la castration. Communication à la Soc. de Pathol Comparée, 9 déc. 1902; et Revue internal, de méd. et de chir., 10 déc. 1902.

(2) BOULEY, Diction, de méd., de chir. et d'hyg. vétérin., t. III, p. 90, 1857.

cette espèce, en pleine puissance de ses aptitudes génitales, est complètement éteinte en lui. Son encolure plus grêle, son poitrail plus étroit, son ossature moins volumineuse et plus élancée, tout dénonce l'influence profonde que la castration a exercée sur son organisme.

« Chez le mouton, les appendices frontaux, organes désormais inutiles, ne se développent pas, mais, en revanche, la laine devient plus longue et plus soyeuse ; les défenses avortent chez le jeune porc châtré de bonne heure, enfin la crête du coq chaponné se flétrit et se décolore, et les éperons dont ses pattes sont armées pour l'attaque et la défense, ou bien avortent, ou bien s'arrêtent dans leur développement. »

Si Bouley ne fait que signaler les modifications que la castration détermine dans l'ossature des animaux mâles, Lortet (1) met en valeur l'allongement qui s'observe du côté des membres inférieurs après l'ablation des testicules. « Les ailes du chapon, écrit cet auteur, ne sont pas plus développées que celles du coq; mais les pattes, très élancées chez ce volatile castré, lui donnent une apparence toute particulière. Le taureau, toujours bien plus bas sur jambes que le bœuf de sa race, a surtout des membres postérieurs peu élevés, tandis que c'est l'allongement des membres postérieurs qui, chez le bœuf, redresse la ligne du dos qui est généralement descendante sur le taureau. »

Déjà, en 1877, A. Poncet (2), opérant sur de jeunes animaux, lapins, chats, etc., de la même portée et du même âge, dont les uns étaient castrés et les autres restaient indemnes, et qui.

étaient sacrifiés au bout de trois mois ou trois mois et demi, avait signalé que l'hyperaccroissement des os était surtout marqué pour le squelette des membres inférieurs : « Les os des castrats sont plus forts, mais surtout plus longs que ceux des lapins étalons. La différence de longueur est notable et se constate à première vue. Elle m'a paru plus accusée encore (6 à 8 millimètres) pour certaines parties du squelette; c'est ainsi que les fémurs, les tibias, les os des îles ont subi un accroissement plus marqué que les autres os. »

(1) LORTET, Allongement des membres inférieurs chez un eunuque. Arch.

d'Anthrop. crim. Lyon, 1896; et Soc. de Méd. de Lyon, 16 mars 1896.

(2) PONCET, Influence de la castration sur le développement du squelette, Congrès de l'Assoc. franç. pour l'avanc. des sc., session du Havre, 26 août 1877.

— Sur la castration. Soc. de Méd. de Lyon, 23 mars 1896.

A la coupe, la substance compacte semble un peu augmentée de volume et le canal médullaire est agrandi. Les os sont plus droits qu'à l'état normal, les inflexions et les courbures y sont absentes ou peu accusées.

Ces expériences de Poncet, qui remontent déjà à 1877, ont été confirmées à l'étranger, notamment par celles de Sellheim (1) , et reprises récemment en France par les élèves de Poncet : Briau (2), sur une même portée de jeunes chiens, castre les uns à 15 jours et sacrifie les castrés avec les témoins à l'âge de 6 mois : le poids du squelette du chien castré est de 240 grammes, tandis que le squelette du témoin ne pèse pas plus de 175 grammes.

Sur les chiennes, les résultats sont très semblables et confirment celte influence incontestable de la castration sur l'hypermégalie squelettique.

Pirsche (3) résume de la manière suivante les résultats de ses expériences : Chez tous les animaux castrés observés dans les expérimentations, le squelette subit un allongement notable (exception faite pour les équidés où le cas est très discuté par les vétérinaires). Le fait que les animaux témoins sont plus petits que les animaux castrés expérimentalement peut être considéré comme constant.

L'hyperaccroissement porte principalement sur les membres postérieurs; il est également plus accusé pour le tibia.

Chez les chapons, la différence de longueur est de 8 millimètres pour les fémurs et 18 millimètres pour les tibias.

Chez les cobayes, la différence est de 5 millimètres pour les fémurs et de 4 millimètres pour les tibias.

De même, L. Guinard (4) note que, d'une manière générale, la castration pratiquée chez les animaux jeunes, avant qu'ils aient atteint leurs formes définitives, allonge les rayons osseux; le train antérieur reste étroit pendant que les parties postérieures s'élargissent, en sorte que leurs formes, dans leur ensemble, sont moins trapues et moins ramassées.

(1) SELLHEIM H.. Castration und Knochenwachsthum. Beitr. zur Geburtsh und Gynäkol, II, 2, 1899.

(2) BRIAU (du Creusot), De l'influence de la castration testiculaire et ovarienne sur le développement du squelette. Gaz. hebd. de Méd. et de Chir.

15 août 1901.

(3) PIRSCHE, loc. cit., p. 56.

(4) L. GUINARD, Article Castration du Dictionnaire de physiologie de CH. RICHET, t. II, p. 476.

Toutes ces constatations dépassent le domaine de l'expéri- mentation; elles tendent à prouver la réalité de l'allongement du train postérieur chez les animaux, quand ils ont été castrés avant que leur squelette ait atteint son développement complet.

Mais elles sont applicables également à l'homme, quand il est castré jeune ou au moment de la période de la puberté; l'eunu- que se fait avant tout remarquer par l'allongement exagéré de ses membres inférieurs.

Cette anomalie a été pour la première fois scientifiquement observée par E. Godard (1); dans ses Notes de voyage, il décrit de la façon suivante l'habitus extérieur des eunuques égyptiens : « Les eunuques sont maigres, de grande taille, hébétés. Leurs jambes sont monstrueuses par leur longueur. Les nègres du pays peuvent être grands, mais jamais disproportionnés comme les eunuques. M. le Dr Rossin, à qui je demandais la raison de ce fait, me disait qu'il n'avait lieu qu'au moment de la puberté.

Ainsi un eunuque d'Alim-Pacha, qui a de longues jambes, était fait comme les autres quand il était jeune. Les jambes n'ont grandi d'une manière démesurée que depuis le moment de la puberté. »

Dans le portrait qu'il trace du chef eunuque d'une grande princesse, le même observateur écrit : « C'est un grand gaillard qui a près de six pieds ; il est grand, maigre et paraît gelé; il a de grands doigts allongés et osseux. On dirait que la castra- tion détermine un grand développement du corps. » De Amicis (2), Matignon (3), Hikmet et Regnault (4), Korsakow(5) ont, chacun de leur côté, confirmé et complété cette description.

Dans une lettre adressée à Pirsche (°) et reproduite par celuici, Matignon a précisé les observations qu'il avait faites sur la grande taille des eunuques chinois, attachés au Palais Impérial.

« Avant la dernière guerre de Chine, je n'ai eu qu'un nombre

(1) E. GODARD, Observations médicales et scientifiques. Égypte et Palestine.

Paris, 1867, p. 115.

(2) DE AMICIS, Constantinople. Paris, 1883.

(3) MATIGNON, Les Eunuques du Palais Impérial. Bull, de la Société d'Anthropologie, 7 mai 1896. p. 323.

(4) HIKMET et REUNAULT, Les Eunuques du Sultan. Bullet. de la Société d'An- thropologie, 1901, fasc. 3.

(5) KORSAKOW, Med. Wochenschrift. Berlin und Leipzig, 1898.

(6) PIRSCHE, loc. cit., p. 12.

limité d'eunuques dans mon hôpital, cinq ou six au maximum.

Deux avaient été castrés avant la puberté. Ils avaient seize à dix-sept ans et étaient d'une taille bien au-dessus de la moyenne pour leur âge.

« Après la prise de Pékin par les alliés, j'ai pu voir plusieurs groupes d'eunuques dans le Palais. Ces eunuques étaient très grands; ils avaient au moins 1 m. 80. Quelques-uns étaient encore très jeunes et avaient été opérés en bas âge.

« S'il y a un rapport à établir entre la castration précoce et le développement de la taille, je puis vous citer encore un fait très probant.

« Quand, le 16 août, nous pénétrâmes, avec une avant-garde de marsouins, dans le parc du Palais Impérial, un groupe d'eunuques se porta à notre rencontre et se prosterna à nos pieds. L'un d'eux s'approcha de nous, implorant la pitié; c'était un homme de haute stature, mesurant au moins 1 m. 85. Je le montrai à quelques camarades et lui demandai depuis combien de temps il avait été castré. Il avait subi l'opération vers l'âge de dix ans.

« J'ai remarqué un eunuque d'aussi haute taille. C'était à Séoul. Il se tenait, vraiment imposant, derrière l'Empereur de Corée, un jour où je fus reçu par le souverain. Sa haute fonction permet de supposer qu'il avait été castré de bonne heure. »

De même l'eunuque, que l'un de nous (1) put étudier à Paris et qui avait été castré avant la puberté, se faisait remarquer par une haute taille et par un allongement tout à fait disproportionné de son arrière-train.

Beaucoup plus précises que ces simples appréciations sont les mensurations anthropométriques qui ont été faites sur des squelettes d'eunuques.

Les premières ont été pratiquées par Rollet, au Laboratoire de médecine légale de la Faculté de Lyon, sur le squelette d'eunuque égyptien, rapporté par Lortet et dont voici l'observation :

(1) P.-E. LAUNOIS, Castration et atrophie de la prostate. Ass. française pour avancement des sciences. Congrès de Caen, 1894.

OBSERVATION V. (Lortet.) Allongement des membres inférieurs dû à la castration chez un eunuque égyptien (1).

Eunuque âgé de vingt-quatre à vingt-cinq ans probablement et paraissant venir de la région habitée par les Schillouks, peuplade occupant les territoires situés entre Khartoum et le Bahr-el-Gazal. La peau était d'un vert de bronze foncé. Le crâne est petit, mais bien conformé, quoique le prognathisme maxillaire et dentaire soit des plus prononcés.

La mensuration exacte des os des membres a fourni les résultats suivants :

Fémur droit. 535 millimètres.

Fémur gauche. 530 — Tibia droit 463 — Tibia gauche 464 — Péroné droit < 442 — Péroné gauche 445 — Humérus droit 572 — Humérus gauche 372 — Cubitus droit. 325 — Cubitus gauche 324 — Radius droit. 306 — Radius gauche 305 —

En recherchant la taille du sujet par la mensuration de ces os longs, on trouve que, d'après la méthode ROLLET,

Le fémur indique une taille de 1" 94 Le tibia — lm,99 Le péroné — 2m,02 L'humérus — : ~88 Le cubitus — 2m,07 Le radius — 2~09

La longueur du membre inférieur indiquerait donc une taille de 1m,99, celle du membre supérieur, une taille de 2 mètres.

Or la taille du squelette rapporté à Lyon est de 1m,79. La différence, dit M. ROLLET, entre la taille d'un individu et celle de son squelette étant d'environ 3 centimètres, le sujet devait donc mesurer, de son vivant, 1m,82.

Quoiqu'il soit difficile d'indiquer exactement la taille de sujets à stature extrême, à l'aide de la mensuration des os, ajoute cet auteur, il est cependant permis dans notre cas, en raison de l'écart considérable entre la taille déterminée par le calcul et la taille réelle, d'avancer qu'il s'agit d'un individu présentant un allongement anormal des membres.

(1) LORTET, Allongement des membres inférieurs dû à la castration. Archives d'Anthropologie criminelle. Lyon, 1896, p. 361.

Or, c'est bien le cas chez les eunuques, comme il est très facile de

FIG. 26. — Squelette d'eunuque égyptien.

(LORTET.) — Allongement disproportionné des membres inférieurs, absence de soudure des épiphyses.

s'en assurer par l'observation simple. L'excès de longueur, chez notre sujet, porte principalement sur les os longs. Il est moins marqué pour l'humérus.

Le thorax parait court comparé à la longueur des membres abdominaux et à la taille totale.

Le bassin est très petit, presque atrophié. Les trous ovales sont très grands et ne laissent entre eux qu'une symphyse pubienne étroite.

Les os longs sont tous excessivement grèles, féminins, et ne pré- sentent point les crêtes saillantes destinées aux insertions musculaires. L'humérus est relativement court; le radius et le cubitus sont longs et faibles. Les métacarpiens, très allongés ainsi que les phalanges, constituent une main longue, étroite, presque simienne.

Le fémur, très faible, ne présente pas de courbure. Le tibia et le péroné, tous deux très grèles, sont d'une longueur tout à fait exagérée. Les pieds sont plais, comme ils le sont chez presque tous les nègres. Les phalanges et les métacarpiens sont longs et grêles.

L'allongement insolite des membres porte donc, comme le démontrent les mensurations de M. ROLLET, sur les membres postérieurs.

« Pour mettre en lumière celte disproportion étonnante des membres inférieurs par rapport à la taille, écrit Pirsche (1), nous utiliserons un squelette de race

(1) PlRSCHE. loc. cit., p. 14.

nègre (Echillouks). Nous comparerons les mesures obtenues avec celles de deux squelettes de même race et de même âge.

Nous aurions peut-être pu emprunter des tables basées sur des mensurations de squelettes nègres, mais nous avons craint que les sujets employés fussent de race différente. Pour être plus logique, nous réduirons à une même mesure toutes ces mensurations et nous reporterons au nombre 100 les résultats obtenus. Ce sera un moyen de comparaison plus schématique à la fois et la disproportion apparaîtra plus évidente entre les deux catégories d'individus.

« Le squelette n° 1 de nègre normal est âgé de vingt ans; le squelette n° 2 de nègre normal est âgé de vingt-trois ans; celui du castrat, de vingt-deux ans.

« Ce squelette d'eunuque a été étudié au laboratoire de M. le professeur Lacassagne.

« La taille des nègres normaux est pour le squelette n° 1 de 151 centimètres, de 160 centimètres pour le n° 2, de 180 centimètres pour le castrat.

« Les mensurations suivantes des divers segments de membre ont été prises exactement d'après la méthode proposée par Ollier.

RAPPORT EN 100.

Eunuque Nègre n" 1 Nègre n° 2 Eunuque Nègre n" 1 Nègre n° t 180. |. 160. 100. 100. 100.

Humérus. 37,2 28,5 30,0 20,66 18,81 19,25 Cubitus.. 52,5 26,6 25,5 17,9 16,9 15,94 Radius.. 50,6 23,6 24.0 16.9 15,58 15,00 Fémur-.. 55,5 59,9 45,0 29,7 26,54 28,81 Tibia. 46,3 34,7 36,5 25,72 22,9 22,89

« Ecker, de l'Université de Fribourg (1), publie, de son côté, une observation intéressante faite sur un squelette d'eunuque nègre. Les mensurations des segments de membre ont été prises suivant la méthode d'Ollier et nous avons procédé par comparaison avec les deux squelettes de nègres normaux et de même race.

La taille du squelette est de 1m,83 et la castration a été pratiquée en bas âge.

(1) ECKER, loc. cil.

RAPPORT EN 100.

Eunuque Nègre n° 1 Nègre n°,2 Eunuque Nègre n° 1 Nègre n° 2 185,9. 151. 160. 100. 100. 100.

Humérus. 36,5 28,5 50,0 19,9 18,81 19,25 Cubitus.. 32,2 25,6 25,5 17,5 16,9 15,94 Radius.. 50,0 23,6 24,0 16,3 15,58 15,00 Fémur 55,6 59,9 45,0 30,9 26,54 28,81 Tibia. 47,0 34,7 56,5 25,6 22,9 22,89

« Si nous nous en rapportons aux mensurations, nous remarquons que le rapport des segments du membre supérieur à la taille est légèrement plus élevé chez l'eunuque que chez les nègres normaux. Le rapport des divers segments des membres inférieurs à la taille est au contraire surprenant. Nous insistons sur la longueur exagérée des fémurs et des tibias. Un anthropologiste, à qui l'on confierait de tels os pour déterminer la taille d'un individu supposé inconnu, n'hésiterait pas à lui accorder une taille de 2 mètres, après avoir consulté les tables de mensurations. La conséquence de cette interprétation serait donc une erreur.

« Enfin, sans vouloir pousser plus loin l'étude du rapport des segments de membre à la taille, nous citerons les conclusions aussi probantes du Pr Becker d'Heidelberg (1). Après avoir étudié un squelette d'eunuque de race nègre (1m,85) et l'avoir comparé aux squelettes de nègres normaux et de même race, il arrive aux conclusions suivantes : « Par suite de la longueur exagérée du fémur et du tibia, il existe une disproportion très grande entre les membres inférieurs et la taille. »

La même systématisation aux membres inférieurs du gigantisme des eunuques orientaux se retrouve chez les Skoptzys (2), ou « Blanches Colombes », secte mystique de castrés volontaires, habitant certains districts de la Russie : ils se font remarquer

(1) BECKER, loc. cit.

(2) Les Skoptzys sont des fous religieux qui s'estiment les seuls vrais chrétiens parce qu'ils rachètent le péché originel d'Adam et d'Eve par l'émasculation (Skoptzys à deux cachets). Les premières sectes de ces castrés volontaires se montrèrent au début du XVIIe siècle, sous Catherine II et Alexandre Ier. STEIN en a compté, en 1866, plus de 5500 en Russie ; vers 1880, ils avaient émigré et vivaient en Roumanie. On en compte aujourd'hui plus de 16 000 (MANTEGAZZA).

— Voir E. TEINTURIER, Les Skoptzys, Progrès médical, 1876-1877.

par un allongement tout à fait disproportionné des jambes par rapport aux cuisses.

Pelikan (1), conseiller privé de l'Empire, président du Conseil de Médecine, a, dans une série de rapports, résumé les résul-

FIG. 27. — Portrait d'un Skoptzy (2).

tats des différentes enquêtes sociales et médicales faites sur les Skoptzys. Il a reproduit, en particulier, les mensurations recueillies par le médecin légiste Merschejwski, qui compara dix-sept

(1) Gerithtlich Medicinisch Untersuchungen über das Skophzenthum in Russland. Deutsch von Iwanoff. Giesen, 1876. — Voir aussi le Mémoire de E. TEINTURIER, loc. cit.

(2) Photographie communiquée par Mme C.

squelettes de Skoptzys adultes, opérés de trois à cinq ans, avec vingt-six squelettes normaux de la même race.

Les moyennes obtenues ont été réunies dans le tableau suivant :

Skoptzvs. Hommes normaux.

Taille 1690 millimètres. 1656 millimètres.

Bras et avant-bras. 550 — — Tibia. 476 — —

Ces chiffres démontrent la réalité, chez les castrés volontaires, d'un allongement global de la taille, portant surtout sur les membres et en particulier sur les membres inférieurs.

E. Pittard ('), de Genève, a, tout dernièrement, poursuivi des recherches anthropométriques du même genre sur les Skoptzys de la Dobrodja. Parmi les conclusions qu'il nous a gracieusement communiquées, nous retiendrons les suivantes, qui nous intéressent plus particulièrement.

« 1° La taille absolue des castrats est ici plus grande que celle de leur groupe ethnique. »

« 2° Cette augmentation de la taille provient d'un allongement du membre inférieur. » Parmi les chiffres qu'il a recueillis, nous citerons les suivants qui montrent l'existence d'un gigantisme infantile véritable chez les Skoptzys :

Longueur absolue Taille Taille des membres debout. assise. inférieurs.

1er groupe (10 individus glabres) 1751mm,8 1278mm,6 875inm,4 Ie groupe — 8 1277mm,0 844mm,2 5e groupe (10 individus avec pilosilé). 1704,11,2 1287mm,0 818mm,2

Ces données se trouvent justifiées et complétées dans la note suivante communiquée tout dernièrement à l'Académie des Sciences par Laveran, au nom de E. Pittard.

« On possède quelques indications anthropométriques très clairsemées et quelques renseignements descriptifs, relatifs aux modifications causées par la castration. La présente étude apporte une importante contribution à la connaissance de ces

(1) E. PITTARD, Communication écrite; et La castration chez l'homme et les modifications qu'elle apporte. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 8 juin 1903, p. 1411.— Anthropologie de la Roumanie. Les Skoptzys. Modifications anthropométriques apportées par la castration. In Bulletin de la Société des Sciences de Bucarest, 1903.

modifications. Elle est basée sur l'examen de trente hommes appartenant à la secte des Skoptzys.

« Cette secte religieuse est formée, en l'espèce, presque

FIG. 28. — Un groupe de femmes Skoptzys (1).

entièrement par les Grands-Russiens ou Velikorouses. Elle a été fondée vers le milieu du XVIIIe siècle. Elle comprend des individus dont la castration est complète ou incomplète. Lorsqu'elle est complète, la verge et les testicules sont enlevés

(1) Photographie communiquée par Mme C.

en un ou deux temps. Quand elle est incomplète, un testicule seul ou les deux sont enlevés. Les châtrés complets s'appellent « les blanches colombes » ; seuls, ils sont dignes de monter sur le cheval blanc de l'Apocalypse.

« Les Skoptzys ont été violemment poursuivis en Russie, où la secte a pris naissance. Dans le Drobodja, où ceux qui figurent ici ont été étudiés, ils vivent paisiblement dans quelques hameaux.

« L'étude anthropométrique de trente de ces individus (hommes) permet d'émettre les conclusions suivantes : « 1° Chez les individus châtrés avant l'apparition de la puberté, l'enlèvement des testicules amène une augmentation de la taille. Cette augmentation est assez sensible pour que la stature moyenne des eunuques dépasse, et de beaucoup, celle du groupe ethnique auquel ils appartiennent.

« 2° Dans cette augmentation de la taille, c'est le membre inférieur qui prend la plus forte part. Le buste se développe relativement peu, tandis que les jambes, au contraire, s'allongent beaucoup.

« Ces faits ont déjà été relevés chez quelques géants et dans des squelettes, très rares, d'eunuques.

« Le rapport de la grandeur du membre inférieur au buste est bien plus grand, à taille égale, chez les châtrés que chez les individus normaux.

« 5° La longueur des membres supérieurs est aussi relativement plus grande chez les châtrés que chez les normaux. « 4° Au contraire, la hauteur de la tête est relativement plus petite chez les châtrés que chez les normaux. « 5° Le diamètre antéro-postérieur maximum du crâne, qui, normalement, suit une marche d'accroissement proportionnel à la taille, présente chez les eunuques Skoptzys un développement inversement proportionnel.

« 6° Le diamètre transversal maximum du crâne, de même que le diamètre antéro-postérieur, suit un développement inversement proportionnel à l'élévation de la taille.

« 7° La castration restreint donc la croissance du crâne. Elle restreint donc aussi la croissance de l'encéphale.

« 8° Elle retarde ou restreint également la croissance du front dans le sens transversal. Le développement du frontal minimum,

qui est, chez les normaux, proportionnel à l'élévation de la taille, devient inversement proportionnel.

« 9° La castration fait ressentir ses effets sur le développement en hauteur du crâne (diamètre auriculo-bregmatique). Ce développement est d'ordinaire inversement proportionnel par rapport à la taille. Cet ordre de croissance demeure, mais il subit un retard.

« 10° Elle amène un retard et probablement un arrêt à un certain moment dans le développement latéral de la face (représenté par les diamètres bijugal et bizygomatique), et dans celui de la hauteur du visage. C'est surtout la partie inférieure du visage qui serait affectée, et probablement, en particulier, la hauteur du corps du maxillaire inférieur.

« 11° Chez les castrés, la région ophryaque paraît moins développée.

« 12° La castration cause un arrêt dans la croissance du nez, surtout en hauteur.

« 15° Elle semble, au contraire, produire un allongement du pavillon de l'oreille.

« En résumé, et sans qu'il soit possible, avec un tel matériel d'études, de saisir le processus modificateur dû à la castration, nous pouvons dire que : « I. Cette opération diminue, augmente ou restreint la croissance absolue et relative du buste, de la tête, du crâne dans les trois dimensions principales, du front, de la face, latéralement et en hauteur.

« II. Cette opération augmente ou accélère la croissance absolue et relative de la taille en totalité, celle du membre inférieur, du membre supérieur, probablement de l'oreille.

« Tous ces faits mériteraient d'être étudiés empiriquement sur de plus grandes séries d'hommes, et expérimentalement sur des animaux. »

On est tout naturellement amené à rapprocher cet allongement de l'arrière-train que présentent les animaux castrés et les eunuques de celui que nous avons observé au niveau des membres inférieurs chez les géants infantiles.

Topinard avait noté, de son côté, que chez les géants, comme chez les nains, c'étaient les membres qui s'allongeaient ou se raccourcissaient démesurément, tandis que les proportions du crâne et du tronc ne s'écartaient guère de la normale : étant assis, un nain paraît toujours plus grand et un géant plus petit qu'ils ne sont l'un et l'autre en réalité.

Le grand Charles, par exemple, véritable castrat congénital en raison de l'atrophie de ses testicules, est, comme nous le

FIG. 29. — La géante Russe.

disions, grand à la façon d'un chapon, d'un bœuf ou d'un eunuque.

Par la simple inspection, on est frappé de la petitesse relative de son tronc : la taille assise n'est que de 0m,96. Les membres inférieurs, au contraire, sont démesurément longs : celui du côté droit, qui n'est pas déformé et qui, ayant à supporter tout le poids du corps, s'est certainement moins accru que le

membre gauche, mesure néanmoins, du grand trochanter au sol, 1m,29. D'après les canons artistiques des anciens Égyptiens, très grossièrement approximatifs du reste, la longueur des membres inférieurs doit représenter environ les 10/19 de la hauteur totale, pour une taille de 2m, 14, elle devrait être inférieure de 6 centimètres à ce qu'elle est chez lui.

La même disproportion entre le développement des membres inférieurs et du tronc se retrouve chez notre géant infantile de l'observation II (page 82). Elle avait, comme on le verra plus loin, atteint son maximum chez le géant Constantin.

Elle est toujours très apparente sur les gravures ou photographies qui représentent les géants et rendue plus évidente encore par les comparaisons que l'on peut faire entre les différentes parties de leur habillement et par les témoins normaux placés à côté d'eux pour rendre plus apparente leur excessive grandeur (1).

Il est intéressant de noter qu'on la retrouve aussi bien chez l'homme que chez la femme, comme en témoignent les deux curieuses observations suivantes.

OBSERVATION VI. (Virchow.) Le géant Winkelmeier (2).

Par l'intermédiaire de M. B. Frænkel, j'ai eu, il y a environ 14 jours, l'occasion de faire connaissance de M. Franz Winkelmeier, que l'on appelle d'habitude Franzl, et qui est originaire de la Haute-Autriche. Le propriétaire de l'établissement Concordia, M. Holf Düssel, a eu la grande amabilité de me permettre de mesurer le jeune géant et de le conduire aujourd'hui devant la société.

(1) WOODS HUTCHINSON (N.-Y. Méd. journ., 1898) fait remarquer que le milieu du corps de la Géante Russienne arrive à l'épaule du sujet normal placé à côté d'elle : très grossièrement, on peut calculer que la distance de la crête iliaque au sol représente chez elle les 2/3 ou 66 pour 100 de la hauteur totale, au lieu de la normale 55 pour 100; c'est-à-dire que les 4/5 de l'excès total sur la taille moyenne d'une femme normale de sa race et de son âge portent sur la partie du corps située au-dessous de la ceinture, autrement dit sur les mem- bres inférieurs.

(2) Verhandlungen der Berliner anthropologischen Gesellschaft, 25 oct. 1883.

Zeitschrift für Ethnologie, 1885, p. 469.

WINKELMEIER est âgé de 20 ans, né à Mattikhopen, dans la HauteAutriche; d'une manière générale, il a une structure corporelle (1) très régulière, cependant il a un facies pâle et une musculature quelque peu faible. Cela paraît être en relation avec sa croissance rapide, car, d'après ses dires, il a été, comme enfant, d'une grosseur ordinaire; ce n'est que vers l'époque de la puberté qu'il s'est mis à grandir anormalement ; aujourd'hui nous ne pouvons affirmer si la croissance, chez lui, est définitivement arrêtée. Dans sa famille, il n'a point connu de parents qui fussent de taille considérable.

Il est si anormalement grand que les appareils de mensuration, avec lesquels je voulais procéder à l'examen, ne suffisaient point. Je dus m'aider de divers artifices, et il peut se faire que, de la sorte, quelques inexactitudes se soient produites. Les résultats généraux ne seront cependant pas influencés considérablement.

Je mets, à la fin, dans un tableau comparatif, les mensurations que j'ai effectuées, il y a plus de 20 ans, chez le Géant MURPHY, dans la mesure toutefois où elles peuvent être mises en parallèle avec les mensurations que je rapporte à l'heure actuelle. J'y ajoute les mensurations correspondantes d'un compatriote, très grand, âgé de 52 ans, du nom de LENTZ, que j'ai prises le 14 mai 1866.

De là nous déduirons que FRANZL, non seulement est le plus grand des trois, mais aussi celui dont les formes structurales ont conservé le mieux leur proportionnalité. La longueur de son corps (2m,278) dépasse de 58 millimètres celle de MURPHY. Il y a à la vérité quelques exemples d'une taille plus considérable; un Kalmuk, dont le squelette est conservé à Paris, au Musée Orfila, mesure 2m,53 et un Finnois, nommé CAJANUS, 2m,83 (TOPINARD, Anthropologie, p. 436). Toutefois la majorité des géants connus reste au-dessous des mesures de Franzl. Ainsi, dans le travail très étendu de LANGER (Wachsthum des menschlichen Skeletes mit Bezug auf den Riesen, Wien., 1871, Seite 3, 91), le Géant d'INNSBRUCK, de la région de Tridence, mesure 2m,226 ; le Géant de Pétersbourg, qui doit sortir de Poméranie, mesure 2m,195.

C'est peut être un effet du hasard que, justement, l'on connaisse en Autriche un grand nombre de géants. A propos du maxillaire inférieur de la caverne de Schipka, on a insisté sur la haute taille de la population morave; je veux attirer l'attention sur ce fait que les parties ouest et sud des Etats impériaux ont fourni également, comme cela ressort du livre de LANGER, des géants très remarquables, auxquels désormais nous pouvons ajouter FRANZL.

En ce qui a trait aux rapports proportionnels de sa structure, je veux

(1) Bien que VIRCHOW prétende que WINKELMEIER soit un géant bien proportionné, la main qui, sur ses photographies, nous montre la hauteur de sa hanche atteste que les membres inférieurs représentent 64 pour 100 de sa hauteur, au lieu de la normale 55 pour 100. (WOODS HUTCHINSON, loc. cit.).

— „ Ses jambes étaient si longues qu'il préférait s'asseoir sur un comptoir ou une commode que sur une chaise. » (GUYOT-DAUBÈS, Nature, 1887, 1, p. 18.)

tout d'abord signaler que la longueur de son pied est contenue 6,5 fois dans la hauteur du corps.

Chez Lentz, on trouvait 6,7; chez MURPHY, 7,1; chez le squelette d'Innsbruck de même 7,1; chez celui de Pétersbourg, seulement 6,0.

J'omets l'exposé plus détaillé des autres parties; mais je voudrais mettre en relief que l'affirmation de LANGER, à savoir que tous les géants ont une tète relativement petite, ne peut s'appliquer ici. Chez les personnes que j'ai mensurées, le périmètre horizontal aussi bien que les diamètres transverses dépassent la moyenne et cela, non seule-

FIG. 30(1). — Les variations de la taille humaine (portrait du géant Winkelmeier).

ment pour ce qui a trait à la face, mais aussi pour ce qui se rapporte au cerveau; sous un seul rapport cependant se montre une diminution relative, je veux dire pour ce qui a trait à la longueur de la base du crâne; la distance de la racine du nez à l'orifice auditif se trouve être chez FRANZL et MURPHY moindre que chez LENTZ; chez celui-ci on note à la vérité des dimensions élevées. En regard de la longueur gigantesque du crâne de Franzl (217 mm.) tous les diamètres de largeur, même la distance des angles maxillaires et la largeur du front, sont bien en arrière de celles que l'on observe chez MURPHY et même chez LENTZ. Aussi, c'est pourquoi j'insiste sur ce surprenant aspect de la tête de FRANZL, qui saisit d'autant plus si l'on considère la longueur gigantesque du tronc et des extrémités.

(4) Extraite d'un article de DANA, Les géants et le gigantisme. Seribner's Magazine, février 1895.

MENSURATIONS DE LA TÈTE

Winkelmeier. Murphy. Lenlz.

Longueur maxima 217 205 197 Largeur maxima 161 162,5 167 Rapport de la longueur avec la largeur. 741 79,2 84 7 Largeur du front. 115 127,5 126 Hauteur de la face: A. 225 220 187 B. — Racine du nez jusqu'au menton. 149 145 109 Milieu de la face (racine du nez jusqu'à la bouche). 96 78 69

Largeur de la face : a. Arczygomatiquc. 157 165 148 b. Saillie de l'os malairc. 91 Il c. Angle maxillaire 118 155 130 Distance des angles internes de l'œil.. 46 40 41 — externes — 114 116 105 Nez : hauteur. 71 65 59 — largeur. 67 Il » — épaisseur. 41 » Bouche: largeur. 62 » » Oreille : hauteur. 75 71 64 Distance de l'orifice auditif à la racine du nez. 141 140 153 Périmètre horizontal 615 640 612

MENSURATIONS DU CORPS

Winkelmeier. Murphy. Lentz.

Hauteur totale 2278 2220 1905 Klafter weite 2503 2550 1970 Hauteur du menton. 2052 2000 1643 — de l'épaule. 1991 — du coude 1499 » » — de l'articulation du poignet.. 1091 — du médius. 856

— du nombril 1448 — deIacrêteUinque. 1525 1590 1154 — de la symphyse pubienne 1297 » »

— dM<ro~Acn~er. 1355 1225 1025 — de la rotule (bord supérieur).. 761 705 535 — du malléole externe -105 90 55 — du vertex en station assise. 1012 » » — de l'épaule, 689 Il Il Largeur d'épaule 505 475 402 Pourtour de la poitrine 1120 402 Main : longueur (médius). 26l 245 191 — largeur(4doigts). 116 115 87 Pied :.longueur. 358 510 283 — largeur 135 » »

OBSERVATION VII. (Woods Hutchinson.) La géante du Missouri (1).

Je découvris Miss ELLA EWING, géante du Missouri, à une foire d'un État de l'Ouest. Je regrette extrêmement d'être incapable de donner des mesures exactes de ce cas, ce qui provient, en partie, de la pudeur naturelle de la jeune fille en question, et, en partie, de la répugnance bien connue des sujets de ce genre exhibés à se prêter à des mensura-

tions exactes. On déclarait qu'elle mesurait 8 pieds, 8 pouces, qu'elle avait 23 ans et pesait 256 livres.

Comme le Dr DANA a déclaré que son expérience lui avait montré, qu'avec cette classe de sujets on pouvait obtenir un résultat approximativement exact en déduisant 3 à 5 pouces de la hauteur qu'ils annoncent, cela lui donnerait une hauteur probable d'environ 7 pieds 9 pouces. D'après mon estimation personnelle et les méthodes si grossières qu'il me fut permis d'employer, en comparant sa hauteur avec celle d'individus normaux de taille connue se tenant à côté d'elle, elle devait avoir dans les environs de 7 pieds 6 pouces. Tout en refusant de me permettre quelque autre mensuration, j'eus cependant le privilège d'avoir une conversation prolongée avec miss Ewing, et elle sembla parfaitement désireuse de me donner toutes les informations qui étaient en son pouvoir. D'après son rapport, elle n'avait pas commencé à grandir

FIG. 51. — La géante du Missouri, miss Ella Ewing. (WOODS HUTCHINSON.)

au-dessus de la mesure normale jusqu'à l'âge de 9 ans, lorsque, rapidement, elle s'éleva presque à sa taille actuelle, quoiqu'elle n'eût pas encore apparemment atteint la limité de sa croissance, puisqu'elle avait gagné 1 pouce pendant la dernière année. Sur la photographie donnée ici, je pense que l'augmentation disproportionnée des membres inférieurs et supérieurs des deux côtés est si frappante, qu'il n'est besoin

(1) New-York Méd. Journ., juillet 1900.

d'aucune vérification par des mensurations. En fait, l'allongement effrayant de ses membres inférieurs était si apparent que j'étais poussé à soupçonner que sa hauteur avait été augmentée par quelque manière d'échasses. Pour dissiper ce soupçon, les investigations directes m'étaient naturellement interdites, en raison de son sexe; mais après une observation attentive, je réussis à avoir une bonne vue de ses pieds, qui dissipa en même temps tous mes soupçons antérieurs sur l'emploi possible d'échasses ou de pieds artificiels. Ils étaient de taille si énorme et si grossière que chez aucune femme de n'importe quel âge, géante ou non, on n'aurait pu les imaginer, et son refus de me permettre de les mesurer fut extrêmement catégorique. On remarquera toutefois que les mains, sur la seconde photographie, descendent apparemment au-dessous du niveau normal, au milieu du fémur; mais ceci est dû sans doute à ce fait que ce membre aussi est grandement augmenté en longueur ; ce que montre bien l'envergure de ses bras étendus qui n'est pas inférieure à 10 pieds 2 pouces, développement disproportionné, même par rapport à la taille, et qui rappelle celui des singes anthropoïdes. La longueur de la main, de l'articulation du poignet à l'extrémité du doigt médius était de 10 pouces, en excès de près d'un pouce sur la proportion du rapport avec l'estimation de sa taille. Mais c'est dans ses autres dimensions qu'elle devient caractéristique : elle a, en effet, une circonférence qui n'atteint pas moins de 10 pouces, et les doigts, sans être énormément épaissis, ont l'aspect en saucisse si particulier de la forme moyenne dans l'acromégalie. On ne permit aucune mesure de la mâchoire ou d'une autre partie de la face, mais l'impression donnée par la seule inspection fut que la mâchoire inférieure, le nez et les os malaires avaient visiblement un développement excessif, en comparaison du front et du crâne; et nous pensons que cette disproportion se montre très suffisamment sur les photographies.

Miss EWING était née dans le Missouri, fille unique de parents dont les tailles sont respectivement de 7 pieds 1 pouce et de 5 pieds 1 pouce 1/2; ils semblent tous deux normaux. Elle ne se souvient d'aucune maladie, en dehors des affections habituelles de l'enfance, sa croissance ayant débuté peu après une attaque de rougeole, et le seul fait intéressant dans ses antécédents était une fracture du tibia (de sa cheville, comme elle disait), deux ans auparavant, simplement en sautant d'un tronc d'arbre de 2 pieds de haut. Elle me dit que l'os s'était consolidé sans déformation, mais ne me permit pas de m'en assurer.

Malgré l'absence d'examen de sa bouche, sa parole était nettement épaissie et presque bégayante, ce qui faisait deviner une langue élar- gie. Son intelligence, bien que normale, semblait être à peu près celle d'une fille de la campagne de 15 ou 14 ans. Elle n'avait aucun trouble de la vue, et niait l'existence de maux de tête, mais avouait qu'elle se fatiguait aisément. Il n'y avait aucun symptôme qui pût déceler quelque augmentation du corps pituitaire. Aucune cyphose n'était révélée, et la jeune fille déclarait elle-même se trouver en parfaite santé.

Bien qu'il soit impossible de faire définitivement état d'aussi maigres données, pourtant, en raison de l'impression frappante causée par l'aspect de la jeune fille, de l'excessif développement des deux extrémités supérieures et inférieures (1), de la forme des mains, des dimensions disproportionnées des deux mâchoires, ainsi que du nez, de la parole embarrassée, je serais porté à regarder ce cas comme une forme légère d'acromégalie, dont je m'efforcerai de suivre le développement ultérieur.

Les observations que nous avons recueillies et interprétées, les faits que nous avons colligés dans la littérature médicale, nous ont amenés à rapprocher l'un de l'autre deux troubles dystrophiques de l'évolution, assez disparates pour qu'il semblât téméraire, au premier abord, de les réunir dans une description commune, le gigantisme et l'infantilisme.

Nous avons défini le gigantisme : une anomalie de la croissance du squelette se traduisant par une taille excessive du sujet par rapport aux dimensions moyennes de sa race et entraînant une dysharmonie morphologique et fonctionnelle, qui est caractéristique de cet état morbide.

D'autre part, suivant la définition classique, telle que la formule Henry Meige (2), l'infantilisme est une anomalie de développement caractérisée par la persistance, chez un sujet ayant atteint ou dépassé l'âge de la puberté, de caractères morphologiques appartenant à l'enfance.

Rapprochant l'une de l'autre ces deux définitions, nous considérerons le gigantisme infantile comme une forme particulière de gigantisme, dans laquelle la dysharmonie morphologique et fonctionnelle caractéristique se traduit par la persistance, chez un sujet ayant atteint ou dépasse l'âge de la puberté, de caractères morpho- logiques appartenant à l'enfance. Le plus important, au point de vue de la croissance gigantesque, de ces caractères prépubéraux anormalement persistants est la non-ossification des cartilages épiphysaires.

En donnant au terme infantilisme son acception la plus large, nous avons cherché à nous mettre à l'abri des critiques et en

(1) Comme chez WINKELMEIER, WOODS HUTCHINSON calcule que la portion du corps située au-dessous de la crête iliaque représente, chez miss ELLA EWING, 64 pour 100 de la hauteur totale.

(2) HENRY MEIGE, L'Infantilisme. Revue générale in Gazette des Hôpitaux.

22 fév. 1902, p. 207.

particulier de celles formulées par Brissaud (1), qui estime, à bon droit, que l'atrophie génitale ne suffit pas pour constituer l'infantilisme et qu'il faut donner à ce terme un sens à la fois plus compréhensif et plus précis. « L'atrophie testiculaire acquise, observée chez un certain nombre d'infantiles, écrit-il, n'est pas la cause de l'infantilisme, mais la conséquence des circonstances qui ont créé l'infantilisme. » Multiples, en effet, sont les causes d'atrophie des organes génitaux; mais, parmi ces causes, il en est une seule que nous voulons retenir, c'est celle qui détermine leur arrêt de développement. L'atrophie congénitale des glandes génitales ne va jamais sans s'accompagner d'autres stigmates morphologiques; il en résulte que les sujets, qui en sont porteurs, n'ayant pas subi l'évolution pubérale habituelle, demeurent, à l'âge adulte, ce qu'ils étaient au sortir de l'enfance. Ils restent enfants, mais continuent à grandir, et, cela, souvent d'une façon démesurée; ce sont bien des géants infantiles. A côté des malformations du squelette (allongement de la taille, allongement surtout marqué des membres inférieurs, genu valgum), on retrouve chez eux les différents caractères propres à l'infantilisme (absence de pilosité, troubles du chimisme urinaire, stigmates psychiques).

« Mais, dit encore Brissaud, l'infantilisme se complique de gigantisme, même chez des sujets dont le développement sexuel ne laisse rien à désirer : l'anorchidie ne prédispose, en somme, ni au gigantisme, ni à l'infantilisme. » — Il y a lieu de nettement préciser cette objection qui s'adresse au gigantisme infantile, tel que nous le comprenons. Assurément, ni l'anorchidie, ni l'atrophie testiculaire ne s'accompagnent nécessairement et toujours de gigantisme. Mais ce que nous croyons avoir établi par nos observations, ce que Poncet et ses élèves ont démontré par leurs recherches expérimentales, c'est que l'atrophie testiculaire congénitale ou prépubérale, de même que la castration pratiquée avant l'époque de la croissance, détermine toujours des modifications du squelette et en particulier un allongement anormal des os des membres inférieurs.

(1) E. BRISSAUD, Leçons sur les Maladies du système nerveux. 2e série, 1897, p. 421 et Société de Neurologie. 7 juin 1900. Discussion à la suite d'une communication de BABINSKI (tumeur du corps pituitaire sans acromégalie avec arrêt e développement des organes génitaux).

Il se peut que cet allongement, localisé à l'arrière-train, n'aille pas jusqu'à produire, chez l'homme, la taille communément appelée gigantesque, comme le démontre notre observation II (page 82), où l'hypermacroskélie n'avait produit que la taille pourtant déjà élevée de 1m ,86 chez un anorchide dont les cartilages de conj ugaison n'étaient pas encore ossifiés à plus de 27 ans. Mais la réalité des relations qui existent entre l'état des glandes génitales et le développement du squelette n'en est pas moins nettement démontrée.

Le type de géant infantile, que nous avons cherché à isoler, est loin d'ailleurs d'être une rareté ('), comme ont pu nous en convaincre nos investigations bibliographiques. De plus, si on veut bien oublier, pour un instant, les inhabituelles dimensions de la taille qui, aujourd'hui encore, lui méritent communément l'appellation de géante, on reconnaîtra que le développement disproportionnel et dysharmonique du squelette est d'observation assez courante. Ne sont-ce pas, en effet, les disproportions constatées entre la longueur du tronc et celle des membres qui ont amené Manouvrier à distinguer les brachyskèles et les macroskèles? (Voir page 45.) A côté de ces types normaux, il y a des types anormaux caractérisés par une véritable exagération morbide : les hypermacroskèles, en particulier, quelle que soit leur taille globale, représentent assez nettement le type du géant échassier, que nous avons voulu isoler sous le nom de géant infantile.

De même que Brissaud et H. Meige(2) ont décrit une forme d'acromégalie transitoire, s'observant chez la plupart des adolescents à l'époque de la mue, adolescents qui se font remarquer « par de grands pieds, de larges mains, un nez volumineux, une voix indécise, parfois grave, et par des organes génitaux exubérants », de même on pourrait décrire une sorte de gigan-

(1) Le Professeur HUTINEL, tout récemment, voulait bien nous faire part qu'un jeune infantile de 17 ans, haut de 1m,85, était venu lui demander des conseils. En même temps qu'il constatait le petit volume des testicules, il apprenait que ce sujet, en proie à des attaques épileptiformes fréquentes depuis 3 ans, avait perdu son père du fait d'une tumeur de la base de l'encéphale, développée probablement aux dépens de l'hypophyse.

(2) E. BRISSAUD et II. MEIGE, Journal de médecine et de chirurgie pratiques.

25 janvier 1893, p. 75.

tisme passager de l'âge ingrat, se traduisant, non pas tant par l'excessive hauteur de la taille, que par le dysharmonieux développement des membres inférieurs par rapport au dé-

FIG. 52(1). — Les gardes du corps qui accompagnaient Guillaume II à Rome (le plus grand a 2m,06).

veloppement du tronc, par un genu valgum simple ou double, etc. Ces éphèbes, transitoirement échassiers, hypermacroskèles (Manouvrier), du genre peuplier (Landouzy)(2), et dont

(1) Extraite de La Vie illustrée, 16 mai 1905. — Comparer le facies du plus grand garde allemand avec celui de noire grand CHARLES, type de géant infantile. (Fig. 6 et 10, pages 62 et 66.) (2) LANDOUZY a insisté sur la fréquence, chez ces éphèbes « peupliers», de la tuberculose pulmonaire, qu'on trouve également notée dans un assez grand nombre d'observations de géants.

le développement génital est troublé, se rapprochent en tous

FIG. 53. — Un géant infantile avec genu valgum rencontré dans les rues de Constantinople (1).

(1) Au voisinage de la Sublime Porte, à Stamboul, se lient habituellement un géant infantile, Husséin, âgé de 20 ans. Il a grandi démesurément depuis l'âge de 12 ans et appartient à une famille, dont tous les membres sont de taille ordinaire. Ses mains sont énormes, sa face est élargie, les maxillaires sont très développés, les lèvres épaisses laissent entrevoir des dents larges et écartées les unes des autres. Le thorax est voûté et présente une légère cyphose.

La station debout est très difficile et la marche n'est possible qu'à l'aide de béquilles, à cause d'un genu valgum droit, qu'on a cherché à redresser.

Il répond aux questions qu'on lui pose d'une voix aiguë et se plaint d'une céphalée frontale continue. 11 ne semble pas présenter de troubles visuels.

Le visage est complètement glabre : il n'a pas été possible de recueillir de renseignements sur l'état de son appareil génital.

La hauteur de la taille n'a pu être mesurée; elle avoisine 2 mètres, malgré la déformation cyphotique du dos et on pourra l'apprécier par comparaison avec celle du guide, placé à côté de lui et qui mesurait 1m,72. (Note et photographie recueillies en octobre 1903, au cours d'un voyage par le docteur E: GÉRAUDEL et gracieusement communiquée par lui.)

points des géants infantiles. Mais, tandis que chez eux, le développement génital se faisant normalement par la suite, la dysharmonie morphologique n'est que passagère, elle demeure permanente chez nos dystrophiés géants et ils restent de grands enfants, aux glandes génitales atrophiées, conservant, à l'âge adulte, des cartilages juxta-épiphysaires encore fertiles.

(Voir notre observation II, page 82.) L'existence de ce gigantisme passager de l'adolescence, qui, d'après les recherches de Godin (1) commence normalement à disparaître à partir du premier semestre de la seizième année, nous paraît donner une explication très plausible des cas de gigantisme de l'enfance, ou précoce (Pédomacrosomie de Sacchi (2), dont on rapporte de temps en temps des exemples.

En nous basant sur les documents qui précèdent et sur les considérations que nous avons développées, nous croyons pouvoir conclure : Qu'il existe un type de gigantisme infantile, se caractérisant par la continuité de la croissance à l'âge adulte (persistance des carti- lages juxta-épiphysaires), par la modalité tout à fait particulière de cette croissance (allongement disproportionné des membres, surtout des membres inférieurs), par ses anomalies (genu valgum,) et aussi par la coexistence d'une atrophie des glandes génitales et des prin- cipaux stigmates de l'infantilisme.

Pour donner plus de brièveté à cette formule, on peut dire que le gigantisme infantile est le gigantisme observé chez les sujets adultes, dont les épiphyses ne sont pas soudées.

(1) GODIN, loc. cit. (Voir livre I, chap. III, p. 49.) (2) SACCHI, Un cas de gigantisme infantile avec tumeur du testicule. Riv.

sperim. di frenatria. vol. XXI, I, 1893, p. 149.

DEUXIÈME PARTIE

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE

A la variété de gigantisme infantile, dont nous avons cherché à nettement préciser les caractères particuliers, on peut en opposer une autre, non moins facile à différencier, et à laquelle convient l'appellation de gigantisme acromégalique, proposée par Brissaud.

Chez un sujet de haute taille, on voit apparaître, à un âge variable, une hypertrophie des extrémités (nez, langue, men- ton, verge, mains, pieds), et une augmentation de volume plus ou moins étend ue et plus ou moins marquée des os du crâne et de la face. Ces déformations, en pareil cas secondaires, sont caractéristiques de l'entité morbide qui a été, pour la première fois, isolée, en 1886, par Pierre Marie (1) et décrite par lui sous le nom d'acromégalie (ἄϰρoν, extrémité, μἑγλoς, grand).

Le plus bel exemple anatomo-clinique que nous puissions choisir pour démontrer l'association morbide du gigantisme et de l'acromégalie est celui du tambour-major K., dont l'histoire clinique a été publiée par Achard et Lœper (2) et dont il nous a été donné de faire l'autopsie (3).

OBSERVATION VIII. (Achard et Lœper, P.-E. Launois et Pierre Roy.) Le tambour-major K.

I. OBSERVATION CLINIQUE D'Achard ET Lœper. 1900. — Ko., âgé de 34 ans, charpentier, entre le 14 avril 1900 à l'hôpital Tenon, salle (') PIERRE MARIE, Revue de Médecine, avril 1886.

(2) ACHARD et LOEPER, Soc. de Neur., 5 mai 1900 et Nouv. Jean. de la Salpêtrière, juillet-août 1900, p. 398.

(3) P.-E. LAUNOIS et P. ROY, Soc. de Neurol., 15 janvier 1903; et Nouv. Icon.

de la Salpêtrière, mai-juin 1903.

Bichat, n° 10. Sa haute stature attire immédiatement l'attention.

Pieds nus, il mesure 2m,12. Il paraît avoir atteint cette taille depuis l'âge de 21 ans. A 18 ans, il n'avait que 1m,76 ; puis, d'après son dire, en 2 ans, sans cause appréciable, sans maladie aiguë, sa taille s'éleva de 0m,20.

Au conseil de revision, il fut inscrit comme mesurant déjà plus de 2 mètres. Il accomplit son service militaire et remplit l'emploi, pour lequel il était tout désigné, de tambour-major.

Il est d'une famille où les grandes tailles sont habituelles. Sa sœur a 1m,80; son père, mort à 65 ans, d'une maladie indéterminée, avait 1m,0 ,95; un de ses oncles paternels avait 2m,10. Mais les autres oncles et tantes paternels (au nombre de 8) n'étaient pas d'une stature exagérée.

Quant à sa mère, elle est de taille moyenne; sa santé est bonne; elle n'a pas fait de fausse couche et n'a pas eu d'enfant mort en bas âge; la syphilis ne paraît pas exister dans les antécédents héréditaires du malade.

Dans ses antécédents personnels, on .ne relève qu'une légère otite moyenne du côté droit, qui persiste depuis 5 ans, en donnant lieu parfois à l'écoulement d'un peu de liquide louche. Il est venu consulter à l'hôpital pour quelques douleurs qu'il éprouvait dans les jambes. Là on reconnut pour la première fois l'existence d'un diabète sucré, qui paraît, d'ailleurs, de date assez récente.

L'examen des formes permet de constater une certaine disproportion entre diverses parties du corps.

A la tête, le profil de la face rappelle un peu celui du polichinelle : le nez est long, pointu, arqué, un peu recourbé vers la lèvre supérieure; le menton est un peu relevé « en galoche ». De face, ce qui frappe surtout, c'est l'enfoncement des fosses temporales et la saillie exagérée des pommettes. La mensuration donne les résultats suivants :

Longueur de la tête, du vertex au menton 27 cent.

dont 11 cent. pour le front (6 jusqu'à la ligne des cheveux).

— 8 — pour le nez.

— 8 — pour le menton.

Tour de tète 62 cent.

Diamètre frontal la — — bijugal. 18— bixygomatiquc. 17 — — antéro-postérieur. 25 — Distance des deux fosses temporales 14 1/2 — desdeuxapophysesmasto'ides. 18 —

Il y a donc une disproportion très grande entre la largeur du front et celle de la face. Le reste du crâne parait normal, cependant la protubérance occipitale est très saillante et la partie postérieure de l'occipital tombe presque à pic sur la nuque. Les oreilles sont petites par rapport aux autres parties de la face, leur lobule n'est nullement allongé. La langue, très étalée, mesure 6cm,5 d'un bord à l'autre.

Le cou mesure à sa base 0m ,50 de tour. Le corps thyroïde n'est pas saillant; le larynx est moyennement proéminent. Pas de scoliose.

FIG. 54. — Le géant K., tambour-major au 101e régiment d'infanterie de ligne.

Le thorax présente la forme d'un baril. Le sternum, à l'union du corps et de la poignée, et la partie terminale des 2e et 3e côtes forment un relief très prononcé. Les clavicules ne présentent pas d'hyperostose.

Le thorax paraît très développé par rapport à l'abdomen et les fausses côtes descendent très bas, presque au contact des crêtes iliaques.

Tour du thorax, sous les aisselles. -106 cm.

— à la partie moyenne. 111 — à la base 118 Longueur du sternum 28 — de l'abdomen (de la pointe de l'appendice xyphoïde à l'épine du pubis). 40 — Distance de l'ombilic à l'appendice xyphoïde 19 — — à l'épine du pubis 21 —

Aux membres, les proportions sont à peu près normales, sauf aux mains dont la largeur est exagérée, surtout à cause de l'allongement des doigts. Ceux-ci ont des extrémités carrées, à peu près aussi larges que la racine. Au membre inférieur, on remarque que la longueur totale est bien proportionnée, mais que la cuisse, au lieu d'être aussi longue que la jambe, est plus longue qu'elle.

Les orteils sont bien conformés, mais le gros orteil est étranglé à sa racine et étalé en spatule à son extrémité.

Mesures calculées d'après les canons de proportions.

Longueur totale du membre supérieur (du fond de l'aisselle à l'extrémité du médius) 91 cm. 81 cm. (5 têtes).

Longueur de l'avant-bras. 52 — 53 3/4 — de la main. 24 — 20 1/4 — du médius. 15 — Largeur de la main. 12 — Longueur totale du membre inférieur (du grandtt'ochanterausol). 108 — 108 cm. (4 têtes).

Longueur de la jambe (du pli du genou au sol) 51 — 54 — Longueur de la cuisse. 57 — 54 — — du pied (du talon au gros orteil) 3i — 33 5/4 (1 1/4).

— dugrosorteil. 10 — Largeur du pied (au niveau des têtes métatarsiennes) 14 — Circonférence du cou-de-pied 29 —

Les bras écartés en croix mesurent 2m,10, c'est-à-dire presque exactement, comme à l'état normal, la taille du sujet.

Les organes génitaux sont bien proportionnés et bien conformés.

Si le gigantisme s'est manifesté chez cet homme de 16 à 20 ans, il semble que l'accroissement excessif des mains et de la largeur de la face soit apparue vers 18 ans. A cette époque, dit-il, son nez était déjà long, mais plus fin et moins proéminent que 2 ans après. Les tempes se sont creusées au même âge et cette dépression s'est accentuée depuis. Enfin la saillie des pommettes, très peu développée à

17 ans, est devenue considérable à ce moment (1). Le menton même se serait un peu relevé et allongé. Il est impossible de savoir si l'allonge-

FIG. 55. — Le géant K., en 1900.

FIG. 56. — Le géant K., en 1900.

(D'après ACHARD et LOEPER.)

ment et l'élargissement des doigts remontent à la même époque ou s'ils se sont faits peu à peu.

Les troubles fonctionnels du diabète paraissent remonter seulement à 9 semaines. A cette époque, il commença à uriner en abondance, jusqu'à 4 et 5 litres par jour. Cependant, depuis 1 an déjà, il a un peu de

(1) Nous avons pu voir des photographies faites pendant que le malade accomplissait son service militaire : la saillie des pommettes y paraît moins accentuée qu'aujourd'hui. L'une de ces photographies est reproduite dans la figure 34.

polyurie. En même temps, la soif est devenue impérieuse et le malade absorbait plusieurs litres de liquide dans la journée. Très gros mangeur de tout temps, il ne paraît pas avoir un appétit plus développé qu'autrefois; il éprouve un goût particulier pour le pain et les féculents et mange relativement peu de viande. Il a maigri depuis quelque temps et pèse 110kgr,500. — En rapport avec le diabète on note un prurit cutané, quelques douleurs lancinantes dans les jambes, une sensation de

FIG. 57. — La main du géant K., comparée à celle d'un adulte normal.

(D'après ACHARD et LOEPER.)

sécheresse permanente de la bouche, une disposition des gencives à saigner facilement, une certaine frigidité génitale : marié depuis 4 ans, il n'a, d'ailleurs, pas d'enfant. Il éprouve assez rarement de la céphalalgie, n'a pas de troubles visuels; l'ouïe est un peu affaiblie à droite, en raison sans doute de l'otite moyenne signalée plus haut. Les réflexes rotuliens sont très affaiblis. Il n'y a pas de troubles de la sensibilité. La réflectivité et la sensibilité plantaires sont normales.

Les jambes présentent des varices très accusées.

Les téguments du cou et du dos portent plusieurs petites tumeurs de molluscum. Il existe une petite hernie épigastrique.

L'examen des viscères ne révèle rien de pathologique. La voix a un timbre grave.

Urines du 14 avril : 6200 centimètres cubes en 24 heures. Densité, 1033. Sucre: 586 grammes en 24 heures. Pas d'albumine ni d'urobiline.

Traces d'indican.

Mis au régime des viandes et du lait, le malade est pris d'un peu de diarrhée, pour laquelle on lui fait absorber un peu d'opium (10 centigrammes d'extrait). En même temps, l'urine tombe à 2 litres 500 et 2 litres le 20 avril, et le sucre disparaît presque entièrement (4 grammes).

FIG. 38. — La langue du géant K. (D'après ACHARD et LOEPER.)

C'est seulement dans les urines émises quelques heures après le déjeuner et le dîner qu'on peut en déceler la présence.

Il en fut de même après la cessation de l'opium jusqu'au 22 avril.

Ce jour-là le malade mangea en assez grande quantité des féculents (pommes de terre, biscuits); le lendemain le sucre remonta à 53gr,3 en 24 heures. Une injection de 10 grammes de glycose sous la peau fit monter la quantité de l'urine à 5 litres et celle du sucre à 165 grammes.

Le malade quitte l'hôpital le 8 mai.

Il y rentre le 18 mai, se plaignant de douleurs dans les membres inférieurs et la région lombaire, et d'une certaine lassitude générale. Il a repris son travail, mais il se fatigue vite et est incapable d'un long effort.

Les urines sont relativement peu abondantes: 1500 centimètres cubes seulement en 24 heures. Elles contiennent 14 grammes de sucre par litre (soit 21 grammes par jour). Le taux de l'urée et des chlorures est normal (4gr,75 de chlorures et 17gr,21 d'urée par litre). Le point cryoscopique est de —1°,32. Il n'y a pas trace d'albumine, un peu d'indican. Le malade a toujours un peu de diarrhée.

Aux membres inférieurs, les réflexes patellaires sont très diminués; à droite la disparition est presque complète. Le réflexe plantaire est très affaibli et les orteils se fléchissent peu à la suite du chatouillement de la plante des pieds.

Phénomène nouveau, la sensibilité est diminuée dans tous ses modes aux pieds et aux jambes jusqu'à une ligne circulaire passant au-dessus des condyles fémoraux. La piqûre est peu perçue, et avec un certain retard.

La mensuration du malade, faite de nouveau, a donné 2m,10 de hauteur le matin au réveil, et environ 1 centimètre de moins dans l'aprèsmidi.

On met le malade au régime mitigé des diabétiques et on lui donne de 0gr,05 à 0gr,10 d'extrait thébaïque chaque jour. La glycosurie devient à peine perceptible le matin, elle reparaît légère dans la journée et s'accuse surtout à la suite des repas. Le sucre ne dépassait pas 3 grammes par jour. L'urine était en moyenne de 1000 à 1100 centimètres cubes.

Le malade sort de l'hôpital le 8 Juin.

II. COMPLÉMENTS A L'OBSERVATION CLINIQUE (P.-E. Launois ET Pierre Roy, 1903). — A partir de juin 1900, K., qui n'avait, depuis son retour du régiment, guère pu exercer sa profession de charpentier, vit sa santé péricliter. Il devint un commensal habituel des différents hôpitaux parisiens, séjournant successivement à Saint-Antoine, à Tenon, à Necker(1).

Il eut à souffrir, en effet, d'une otite moyenne droite, d'hémorroïdes, de douleurs rhumatoïdes dans les membres inférieurs. La glycosurie, jointe aux autres manifestations habituelles du diabète, la toux en rapport avec des lésions tuberculeuses des poumons, la suppuration due à une fistule anale, enfin des troubles nerveux divers furent

(1) RENDU, qui l'étudia à l'hôpital Necker, concluait dans une leçon faite le 14 juin 1900 (ses notes nous ont été obligeamment communiquées par son fils H. RENDU), qu'il correspondait à un type de géant pur, bien proportionné et exempt de troubles fonctionnels, c'est-à-dire sans acromégalie.

Quant à la pathogénie du diabète nerveux, qu'il avait constaté après ACHARD et LOEPER, RENDU relevait l'absence de céphalée et de troubles visuels contre l'hypothèse d'une tumeur pituitaire; il portait cependant un pronostic sombre, malgré une absence transitoire de glycosurie et l'apparente conservation des masses musculaires.

RENDU fait aussi mention de trois crises vertigineuses, sans convulsions ni perte de connaissance et qui rappellent les troubles d'obnubilation intellectuelle et les manifestations nerveuses que nous devions observer peu de temps avant la mort.

les différents incidents pathologiques qu'il présenta avant de venir échouer pour la dernière fois à l'hôpital Tenon, dans notre service.

C'est au sortir de celui de LEJARS, qui venait de l'opérer d'une fistule anale (Avril 1902) que PIERRE K. entra salle Barth et fut couché au lit n° 17.

A cette époque, il est encore assez musclé, mais cependant considérablement amaigri. La disparition de la couche graisseuse sous-cutanée

FIG. 39. — Le géant K., un mois avant sa mort (Mai 1902).

rend plus apparentes, en certaines régions, les saillies osseuses : à la face, en particulier les deux os malaires forment de chaque côté, au niveau des pommettes, des proéminences très accusées (Fig. 40). Il en est de même des deux rebords supérieurs de l'orbite. Le crâne, qui n'a pas subi le même développement que la face, semble petit; par le palper, on constate en arrière l'exagération du ressaut post-lambdoïdien.

Le nez s'est arqué, le menton, caché en partie par de longs poils, est devenu plus saillant et plus pointu. La figure rappelle celle du polichinelle classique..

Le diagnostic de manifestations acromégaliques, qui pouvait être douteux deux ans auparavant, s'impose actuellement.

La taille s'est affaissée, le thorax s'est infléchi en avant ; le tronc peut encore être redressé, mais aux dépens de contractions musculaires qui exagèrent considérablement les douleurs éprouvées spontanément dans les masses musculaires lombo-sacrées.

Il existe en même temps un état marqué de lassitude générale, qui pousse K. à rester au lit pendant la plus grande partie de la journée, bien que sa couche soit, par son exiguité, peu en rapport avec les dimensions exagérées de sa stature. On constate quelques troubles parétiques du côté des membres supérieurs et une certaine inhabileté des mains. Des crises névralgiques (céphalalgie, névralgie intercostale, arthralgies) s'accompagnent de douleurs plus ou moins intenses qui gênent et vont même jusqu'à empêcher le sommeil. K. se plaint d'éprouver de temps en temps des palpitations qui s'accompagnent de sensations pénibles dans la région précordiale supérieure. L'appétit est conservé, mais considérablement diminué, si on le compare à ce qu'il était autrefois. La soif est toujours vive; il urine de 5 à 6 litres par jour; son urine renferme de 40 à 50 grammes de glycose par litre et 50 à GO centigrammes d'albumine. Bien que la ration alimentaire soit aussi copieuse que possible, l'amaigrissement fait de jour en jour des progrès marqués ; il est en rapport avec une diarrhée abondante, datant de plusieurs mois et indiquant par elle-même des troubles de l'assimilation. En même temps il est devenu triste, apathique; il ne sort guère de sa torpeur que pour donner des marques d'une irascibilité manifeste.

A partir du 15 mai, K. se plaint d'une recrudescence de ses douleurs précordiales ; elles s'irradient dans le bras gauche et affectent le caractère paroxystique des crises angineuses. Cependant l'examen du cœur ne permet de constater aucune modification sthétoscopique : au moment des accès, les battements cardiaques sont augmentés de fréquence, mais non irréguliers.

L'auscultation du poumon permet de percevoir la progression rapide du ramollissement du sommet gauche (submatité sous-claviculaire, respiration soufflante, craquements provoqués par la toux).

Le 28 mai, au matin, le malade est incapable de répondre aux questions qu'on lui pose; il ne s'exprime que par monosyllabes et se plaint d'un assez grand malaise. Le soir, il se trouve mieux et explique qu'il entendait bien les questions posées le matin, mais était dans l'impossibilité absolue d'y répondre.

Le lendemain, 29 mai 1902, il semble en meilleur état que la veille; pourtant il garde un visage un peu hébété; dans la nuit, il a souillé ses draps de ses matières fécales. — Le même jour, il est pris brusquement à 1 heure 1/2 de l'après-midi d'une crise convulsive généralisée, à caractère épileptiforme. D'autres crises semblables se succèdent à des intervalles plus ou moins rapprochés et deviennent bientôt subintrantes. — A 5 heures du soir, le malade est dans le coma; il s'est mordu la langue, une écume sanguinolente sort de ses lèvres, les extré-

mités sont cyanosées, le corps est recouvert d'une sueur froide; le pouls reste cependant assez fort et bien frappé. De 3 en 5 minutes, les membres en résolution sont agités de secousses convulsives toniques, puis cloniques; la figure grimace, les yeux, injectés de sang, demeurent fixés en haut. Cette crise convulsive, d'une durée de deux minutes environ, fait place au coma absolu et celui-ci ne tarde pas à être interrompu par un nouvel accès.

Une saignée de 400 grammes, pratiquée au bras, et suivie de l'injection sous-cutanée de 500 centimètres cubes de sérum artificiel, ne modifie en rien la succession de ces manifestations; la mort survient le soir même à 10 heures 1/2.

AUTOPSIE DU GÉANT ACROMÉGALIQUE ET DIABÉTIQUE PIERRE K. (P.-E.

Launois ET Pierre Roy, 1903). — L'autopsie a été pratiquée le lendemain, 18 heures environ après la mort.

A l'ouverture de la cavité thoraco-abdominale, ce qui attire tout d'abord l'attention c'est l'inégalité des proportions respectives du thorax et de l'abdomen, inégalité qui d'ailleurs avait été remarquée pendant la vie (page 162). Si la cavité abdominale a conservé des proportions à peu près normales, la cavité thoracique s'est au contraire considérablement agrandie. Il en résulte que la masse intestinale, qui a suivi le développement gigantesque des autres parties du corps, semble à l'étroit dans un abdomen trop petit pour la contenir. Les différents segments du tractus intestinal, considérablement élargis, ont perdu leurs rapports normaux : l's iliaque, très dilaté, présentant une circonférence de 27 centimètres, se trouve refoulé sous le foie; il semble que cette portion de l'intestin ait pris la place de l'estomac et se trouve située en avant du côlon transverse, qui, lui aussi, a subi un développement énorme : il mesure 26 centimètres de circonférence. Le diaphragme refoulé forme une voûte à courbure très accusée.

Malgré l'énorme développement extérieur du thorax, les poumons sont peu volumineux. Dans le lobe supérieur de chacun d'eux, plus particulièrement à gauche, existent des lésions tuberculeuses à différents degrés d'évolution : à côté de granulations confluentes, on rencontre des masses caséeuses en voie de ramollissement.

Le cœur est volumineux : débarrassé de ses caillots, il pèse 510 grammes. La hauteur du sillon interventriculaire, mesuré depuis la pointe du cœur jusqu'au sillon interauriculo-ventriculaire, est de 15 centimètres. La largeur maxima, mesurée suivant ce dernier sillon, est de 14 centimètres. L'anneau de la valvule mitrale a une circonférence de 11 centimètres.

Tous les organes abdominaux ont subi un développement véritablement gigantesque; ils ne présentent pas toutefois d'altérations macroscopiques : Le foie pèse 4650 grammes et mesure 42 centimètres de largeur sur 10 centimètres de hauteur.

La rate pèse 570 grammes et mesure 17 centimètres de hauteur sur 11 centimètres de largeur.

FIG. 40. — Le corps thyroïde du géant,K (face antérieure). Poids : 250 grammes.

Les reins sont également volumineux : le droit pèse 390 grammes et mesure 17 centimètres de hauteur sur 10 centimètres de largeur; le gauche pèse 325 grammes et mesure 16 centimètres de hauteur sur 10 centimètres de largeur.

Le pancréas atteint le poids de 250 grammes.

La glande thyroïde, sur le vivant, ne paraissait pas extrêmement développée. Achard et Loeper avaient constaté que la circonférence à la base du cou était de 50 centimètres et noté l'absence de toute saillie thyroïdienne. Nos constatations ultérieures n'avaient fait que confirmer les leurs. Cependant, à l'autopsie, c'est la glan-

de thyroïde qui nous a paru, avec la glande pituitaire, présenter le développement le plus excessif. Elle constitue une masse dure, ferme, très facile à isoler des parties voisines. Dans son ensemble, elle a conservé la forme et les dispositions qu'elle présente à l'état normal. Ses caractères anatomiques sont d'autant plus faciles à observer que son hypertrophie est des plus marquées. Débarrassée de ses enveloppes celluleuses, elle pèse 250 grammes : son poids est donc dix fois plus élevé que le poids de la thyroïde chez l'adulte ; on sait en effet que le poids de la thyroïde de l'homme oscille entre 18 et 25 grammes (Fig. 40 et 41).

FIG. 41. — Le corps thyroïde du géant K.

(face postérieure).

Des deux lobes, unis par l'isthme, qui ne présente pas de prolonge-

ment de Lalouette, le gauche descend plus basque le droit. Les dimen-

sions respectives de ces deux lobes sont les suivantes :

Lobe droit.

Hauteur 9 cm.

Largeur 4 — Épaisseur 6 —

Lobe gauche

Hauteur. 15 cm.

Largeur. 5 — Épaisseur. 3 —

La face interne de chacun d'eux est excavée et forme une gouttière moulée sur le tube trachéal. Le bord postérieur du lobe gauche se prolonge en arrière de celui-ci sous forme d'une languette aplatie.

Quant à l'isthme qui unit les deux lobes, il mesure 4 centimètres en hauteur et centimètres en largeur.

Dans la région normalement occupée chez le fœtus par le thymus existaient, disséminées au milieu du tissu cellulo-adipeux, de pelites masses ayant une consistance assez ferme, de coloration gris jaunâtre. En raison de leurs caractères macroscopiques, on pouvait supposer qu'elles correspondaient à des vestiges anormalement persistants de la glande thymique. L'examen microscopique, que nous rapportons plus loin, ne devait pas confirmer cette hypothèse.

FIG. 42. — Squelette du médius droit du géant K., comparé avec celui d'un adulte normal.

L'ouverture du. crâne est rendue très difficile par l'épaississement acquis par les parois osseuses. Cet épaississement, inégal d'ailleurs, atteint, en certains endroits de la voûte pariétale, près de 2 centimètres. A la région antérieure, les sinus frontaux sont considérablement élargis.

La masse encéphalique n'a pas subi un accroissement proportionnel à celui des autres viscères. Elle ne pèse dans sa totalité que 1550 grammes, et, dans ce chiffre global, 170 grammes correspondent au poids du cer- velet et 20 à celui du bulbe.

Les méninges sont saines.

En soulevant en avant les hémisphères, pour les extraire, on constate

FIG. 43. — Face inférieure du cerveau du géant K, montrant, en avant du chiasma, le prolongement de la tumeur du corps pituitaire qui s'enfonce, par la scissure interliémisphérique, à l'intérieur du lobe frontal droit.

la présence d'une tumeur pédiculée, située à la face inférieure du cerveau. En raison de sa friabilité, cette tumeur menaçait d'être dilacérée au cours des manœuvres de l'ablation, qu'elle rendait d'ailleurs impossibles ; aussi dut-on se résoudre à en sectionner le pédicule.

Le cerveau étant enlevé, il fut facile de retrouver une partie de la tumeur enclavée dans la selle turcique et occupant le lit de l'hypophyse.

Cette portion de la tumeur, de consistance assez molle, de coloration grisâtre, a le volume d'une grosse noix. Elle remplit complètement la

loge osseuse qui s'est agrandie pour la recevoir : le diamètre transversal de la selle turcique est en effet de 40 millimètres.

L'examen détaillé de la face inférieure du cerveau, indispensable pour préciser les relations de la tumeur avec les différentes parties de l'encéphale, ne fut pas sans causer quelque surprise. Il était à supposer, en effet, que le pédicule de la tumeur était constitué par la tige pituitaire considérablement hypertrophiée. Celle-ci présente, sur la surface de section, un épaississement notable de ses parois, en même temps qu'un élargissement marqué de son canal central, dont l'orifice est des

FIG. 44. — Segment postérieur d'une coupe frontale du cerveau du géant K, montrant le prolongement de la tumeur hypophysaire à l'intérieur du ventricule latéral droit dilaté.

— Par un artifice de dessin, on a figuré en position, sur la photographie, la portion de la tumeur comprise à l'intérieur de la selle turcique, de manière à faciliter la compréhen sion des rapports généraux de cette tumeur. Lors de l'autopsie, on dut sectionner le pédicule qui unissait les deux portions de la tumeur et menaçait d'être dilacéré au cours des manœuvres de l'ablation du cerveau.

plus apparents à l'œil nu, mesurant 2 millimètres environ. Ainsi augmentée dans ses dimensions, la tige pituitaire forme un mamelon creusé à son centre et occupe sa position normale en arrière du chiasma des nerfs optiques. En avant de ce chiasma, on trouve la surface de section d'une masse ayant le volume du pouce et mesurant 2cm,5 dans son diamètre transversal et 4 centimètres dans son diamètre antéro-postérieur. Cette masse n'est autre qu'un prolongement de la tumeur qui, partant de la région antérieure de l'hypophyse et passant entre les deux nerfs optiques, sans les comprimer, s'enfonce, par la scissure interhémisphérique, jusque dans le lobe frontal droit.

Sur une coupe frontale de l'hémisphère droit, on retrouve la tumeur qui remplit la cavité du ventricule latéral correspondant, très dilatée.

Elle forme, à ce niveau, une masse allongée, cylindrique, haute de 5 centimètres, large de 2cm,5. Elle tranche par sa coloration grisâtre sur les parties blanches environnantes et la consistance assez ferme de la zone périphérique permet aisément de l'isoler. La portion centrale est occupée par une sorte de gelée à reflet cérulescent, analogue à du mucus. Il semble qu'un produit de sécrétion se soit accumulé dans le centre même du prolongement intraventriculaire de la tumeur hypophysaire.

EXAMEN HISTOLOGIQUE. — L'examen histologique des différents viscères n'a pas montré de lésions bien caractéristiques. Toutefois il nous a paru intéressant de résumer les différentes constatations que nous avons faites avec l'obligeant concours de M. Lefas, interne des hôpitaux.

Foie. — Il n'existe pas de sclérose proprement dite; les espaces portes ne présentent rien de particulier; il n'existe pas d'artérite.

En de rares points, on voit un peu de tuméfaction des cellules endothéliales des capillaires; ces derniers sont un peu dilatés et renferment dans leurs parois quelques granulations pigmentaires.

Les noyaux des cellules hépatiques sont inégaux; quelques-uns, volumineux et clairs, sont en voie de chromatolyse. Il y a de plus une dégénérescence graisseuse modérée, répartie irrégulièrement, en même temps que de la dégénérescence granuleuse et, par place, granulo-pigmentaire du protoplasma cellulaire.

Reins. — Il existe une sclérose nette au niveau de la substance médullaire; elle se retrouve, mais plus légère, dans la substance corticale, où elle semble plus marquée qu'elle ne l'est réellement à cause de la dilatation des capillaires renfermant une fine émulsion granuleuse, produit de la dissolution des globules rouges par le formol.

Les glomérules ne sont pas entourés de sclérose et il n'y a pas de lésions évidentes du revêtement capsulaire. Les capillaires sont dilatés à l'intérieur des glomérules et renferment de fins granula pigmentaires.

Ces grains de pigment sont abondants dans l'endothélium et la lumière des capillaires de la substance corticale. Les artères en collapsus ne montrent pas de lésions.

Les tubes contournés sont désordonnés, les uns possèdent des cellules hypertrophiées, les autres des cellules de dimensions normales.

Toutes ces cellules ont des contours fusionnés, et présentent un contenu granulo-graisseux, avec un certain nombre de pigments, leurs noyaux ne sont pas visibles.

Dans cette substance corticale, on trouve des alvéoles remplis de cellules du type cubique à noyau bien coloré, à protoplasma assez large; certaines de ces cellules ont des contours nets, une forme en raquette et renferment deux et même trois noyaux.

Quelques alvéoles de ce genre se retrouvent dans la substance médullaire, mais en très petit nombre.

Les branches de Heidenhain et les tubes droits sont sains, mais leurs

cellules sont en désordre et, dans les branches larges, les cellules granuleuses, mais à noyau visible, sont fusionnées par leurs contours.

Capsules surrénales. — On note une grande dilatation des capillaires de la substance centrale. Les glomérules apparaissent très nets dans la substance corticale; leurs cellules, bien limitées, sont, par places, en voie de dégénérescence muqueuse. Le tissu conjonctif est relativement abondant dans la région corticale et, en ce point, il existe quelques petits îlots embryonnaires.

Rate. — On ne note rien de particulier, sauf un peu de sclérose, les corpuscules de Malpighi ne sont pas très volumineux, le pigment est assez abondant dans les corpuscules et dans les capillaires de la pulpe (1).

Testicule. — Il existe une sclérose interstitielle diffuse et régulièrement périartérielle ainsi qu'autour des capillaires intertubulaires. Les cellules des tubes séminifères présentent de la dégénérescence granulopigmentaire ; elles ont une forme en raquette et renferment un noyau ovalaire volumineux; quelques-unes renferment deux et même trois noyaux. Les capillaires dilatés renferment un peu de pigment, qu'on retrouve également à l'intérieur des veines et dans leurs parois. L'épididyme parait normal.

Corps thyroïde. — Les vésicules, assez larges, inégales, renfermant de la substance colloïde, ont leurs cellules en voie de fonte muqueuse et de chromatolyse; elles sont séparées par quelques larges bandes conjonctives. On remarque la présence du pigment dans les vésicules et le tissu interstitiel.

Système nerveux (2). — Bien qu'il n'y ait pas d'épaississement des méninges, il existait au niveau de la pie-mère des petites plaques dures et résistantes en assez grand nombre. L'examen histologique a montré qu'elles étaient formées non seulement de tissu fibreux adulte, mais surtout de tissu osseux.

L'étude du cerveau a montré son intégrité : les cellules pyramidales étaient nombreuses, grandes et bien colorées; il n'y avait pas d'infiltration embryonnaire.

On ne constate aucune lésion au niveau du bulbe ni de la protubé- rance.

A la région cervicale de la moelle, il n'y a ni sclérose, ni épaississement des méninges rachidiennes, mais on observe, outre une prolifé- ration marquée de l'épithélium de l'épendyme, une certaine diminution dans le nombre des cellules des cornes antérieures : ces dernières, normales d'aspect et de dimensions, sont en moyenne au nombre de 6 pour le groupe antéro-externe, 10 pour le groupe antéro-interne et 7 pour le groupe postérieur. Mais cette diminution du nombre des cellules est

(1) Une regrettable erreur de technique, consistant dans le séjour trop prolongé dans le formol, a empêché l'examen de la structure fine du pancréas.

(2) Nous remercions bien sincèrement KLIPPEL et LEFAS, qui ont bien voulu se charger de l'examen du système nerveux.

surtout marquée à la région dorsale, où l'on en compte en moyenne 3 pour le premier, 3 pour le second et 2 pour le groupe postérieur. De plus, à ce niveau, la lumière de l'épendyme renferme des cellules épithéliales libres. Sur certaines des préparations relatives à cette région on voit dans la substance blanche, en dehors de la corne postérieure, quelques grosses cellules isolées, arrondies, qui paraissent être des cellules névrogliques. A la région lombaire on trouve de la prolifération

FIG. 45. — Tumeur de l'hypophyse. Prolongement intra-ventriculaire.

(Faible grossissement.) c, cordons épithéliaux complètement remaniés par la prolifération des cellules glandu laires devenues presque toutes atypiques. — v, vaisseaux capillaires dont la gaine conjonctive est extrêmement hypertrophiée.

de l'épendyme, avec desquamation cellulaire. On compte en moyenne 17 cellules motrices dans le groupe externe, 6 dans le groupe interne et 6 à 7 dans le groupe postérieur. Nulle part, dans la moelle, on ne note de sclérose; en quelques points de la région dorsale on voit seulement de la dilatation des vaisseaux situés à la jonction des deux cornes, avec épaississement, comme cela se rencontre fréquemment dans les moelles séniles. Les racines sont normales. Les coupes portant sur le filum terminale ne montrent rien de spécial.

TUMEUR CÉRÉBRALE. — L'examen histologique de cette tumeur a été pratiqué en deux régions distinctes : 1° Portion contenue dans la selle turcique.

A. Certains points montrent encore la structure presque typique de la glande pituitaire. On voit des tubes épithéliaux plus ou moins nets ; ces cordons sont délimités par des parois conjonctives non hypertrophiées, mais on n'observe pas la fine trame conjonctive, parfois intracellulaire, que l'un de nous (1) a décrite dans l'hypophyse de la femme enceinte et que l'on peut considérer comme normale.

Les capillaires sillonnant les travées sont à peu près normaux..

Les cellules qui forment la masse du tube appartiennent presque

FIG. 46. — Tumeur de l'hypophyse. Prolongement intra-ventriculaire.

(Grossissement moyen.) c, cordons épithéliaux complètement remaniés par la prolifération des cellules glandulaires devenues presque toutes atypiques. — v, vaisseaux capillaires dont la gaine conjonctive est extrêmement hypertrophiée.

toutes au type éosinophile. Il n'y a pas du tout de cellules cyanophiles.

Il y a peut-être quelques éléments sidérophiles (2).

Les éléments éosinophiles sont caractérisés par un noyau de 4 µ.

environ, régulièrement arrondi, riche en chromatine. Leur protoplasma est teint en rose.

Certains de ces éléments sont assez petits, d'autres au contraire sont

(1) P.-E. LAUNOIS et P. MULON, Communication à l'Assoc. des Anatom. Liège, avril 1903.

(2) La coloration caractéristique n'a pas été faite (voir P.-E. LAUNOIS, Comptes rendus Soc. de Biol., mars 1903).

assez volumineux (15 à 18 µ). Leur forme générale est polygonale par pression réciproque; on trouve des cellules arrondies qui correspondent à des cellules saines; mais elles sont rares : la plupart des éléments sont plus ou moins polygonaux.

B. En certains points enfin les cellules, toujours du type éosino-

FIG. 47. — Tumeur de l'hypophyse. Portion contenue dans la selle turcique. (Fort grossissement.) Les éléments rappellent encore la forme des éléments cellulaires normaux de l'hypophyse. Presque toutes ces cellules sont des éosinophiles; certaines d entre elles sont plurinucléées (a), sans que l'on trouve nulle part de division karyoki- nétique. Il n'y a pas de cellules cyanophiles.

Quelques éléments par leur irrégularité et surtout par leur noyau pâle rappellent les cellules sidérophiles (s).

phile, prennent une forme allongée, étirée; le cytoplasma effilé s'accole à celui des cellules voisines de façon à former des masses pleines sans travée conjonctive. Dans ces endroits on ne rencontre plus que de très rares cellules éosinophiles de forme typique. Ce sont ces points qui établissent une transition vers une autre portion de la tumeur que nous étudierons plus loin : on reconnaît encore l'épithélium de la glande, mais il est en pleine végétation, il s'organise atypiquement.

On trouve la preuve très nette de cette végétation dans l'existence de nombreux éléments plurinucléés. On observe en effet toujours parmi les éléments éosinophiles (1) des cellules à 2, 3, 4 et jusqu'à 7 noyaux. Ces noyaux sont toujours ronds, petits, riches en chromatine. Mais dans le voisinage on trouve des éléments dont les noyaux étranglés peuvent être absolument considérés comme en voie de division amitosique.

Nulle part nous n'avons pu

relever une disposition qui rappelle les figures de la division karyokinétique.

Au milieu des éléments éosinophiles que nous venons d'étudier on trouve çà et là quelques cellules à gros noyau vésiculeux, clair, qui

(1) Cet aspect justifie l'opinion émise par l'un de nous, à savoir que les cellules éosinophiles sont la forme primordiale d'où proviennent les autres types cellulaires de l'hypophyse (P.-E. LAUNOIS et P. MULON, loc. cit.).

sont vraisemblablement des cellules sidérophiles. Ce sont les seules cellules qui indiquent un processus physiologique au sens de cette glande.

Nous pouvons en effet nous résumer en disant que cette région de la tumeur montre un épithélioma encore typique qui rompt la trame conjonctive où il était contenu et dont les éléments tendent à s'éloigner de leur forme normale : en un mot, c'est un épithélioma primitif au début.

2° Prolongement intra-ventriculaire de la tumeur à l'intérieur du lobe frontal droit.

A un faible grossissement, on voit que le prolongement intraventri-

culaire de la tumeur est formé d'une nappe cellulaire assez vascularisée : cette vascularisation donne en certains points (notamment au voisinage de la partie colloïde que la section macroscopique du cerveau avait décelée au centre du prolongement intraventriculaire), un aspect de cordons épithéliaux séparés par des vaisseaux sinueux assez régulièrement disposés. Dans d'autres points on n'a pas cet aspect et on voit seulement çà et là, dans la nappe cellulaire, la section longitudinale ou transversale d'un vaisseau. Ces vaisseaux sont, dans les parties périphériques de ce prolongement intra-ventriculaire de la tumeur, de grandes dimensions.

C'est en somme l'aspect général de la, glande normale, sauf que les tubes sont beaucoup plus larges et que les vaisseaux sont beaucoup plus visibles.

A un grossissement plus fort, on voit que ces vaisseaux

FIG. 48. — Tumeur de l'hypophyse. Portion contenue dans la selle turcique. (Fort grossissement.) La préparation montre en cet endroit des cellules qui commencent à s'éloigner tout à fait du type normal, marquant ainsi le passage vers l'épithélioma.

n'ont pas l'apparence de capillaires : tous possèdent, en dehors de leur endothélium, normal et bien conservé, quelques assises de fibres conjonctives; c'est une sclérose, une hypertrophie considérable de la mince lame conjonctive des travées entourant les capillaires à l'état normal.

Il y a une couche interne d'éléments fibro-plastiques absolument remar-

quable. Les vaisseaux les plus petits, situés au centre du prolongement ventriculaire, ont une paroi conjonctive relativement plus épaisse, étant donné leur calibre, que les vaisseaux de la périphérie. Ceux-ci sont dilatés, remplis de globules rouges; ils renferment de nombreux globules blancs, mono et poly-nucléaires, ainsi que des cellules épithéliales, assez nombreuses, parfaitement conservées et bien colorées, identiques à celles qui constituent la tumeur et que nous allons décrire; c'est ainsi qu'on voit un gros vaisseau, tout à fait périphérique, oblitéré par un véritable thrombus leucocytique.

La tumeur épithéliale apparaît formée de cellules étroitement pressées les unes contre les autres et traversées par un réticulum fibrillaire extrêmement délicat que l'on ne voit que par dissociation. Ces cellules présentent des formes diverses qui toutes se rapportent à la forme polygonale. Cet aspect se voit nettement sur la périphérie des préparations que l'on a légèrement dissociées par écrasement, car dans la masse de la tumeur les cellules sont déformées par pression réciproque : c'est ainsi qu'il en existe de triangulaires, de presque cubiques, d'ovalaires à contour légèrement brisé, de polygonales vraies. Leurs dimensions sont à peu de chose près identiques; leur protoplasma granuleux se teinte en rose pâle par l'éosine, en jaune, brun, rouge par le picro-carmin; leur noyau arrondi, occupant le tiers ou le quart du corps cellulaire, souvent excentrique, se colore fortement par le carmin et l'hématoxyline. Cependant, en examinant de près, on reconnaît qu'il existe des éléments en nombre variable suivant les points examinés et qui répondent aux types suivants : a. Cellules à deux noyaux isolés ou accolés en sablier (en petit nombre).

b. Cellules ovalaires, larges, à protoplasma se colorant mal, réticulé, granuleux, à noyau plus ou moins excentrique, déformé, mal coloré.

Ces cellules, nombreuses, représentent des éléments en dégénérescence colloïde.

c. Cellules à noyau en karyolyse (assez rares).

d. Cellules à noyau géant paraissant occuper la totalité ou les trois quarts du corps cellulaire. Elles sont relativement nombreuses en certains points isolés de la tumeur et représentent des éléments en karyokinèse, des cellules sidérophiles atypiques, probablement.

e. Cellules à trois noyaux (rares).

Les cellules libres dans quelques vaisseaux affectent le type général que nous avons décrit au début comme le plus habituel.

Au voisinage de la portion colloïde située au centre du prolongement ventriculaire, les cellules sont presque toutes en dégénérescence colloïde, avec disparition ou mise en liberté du noyau.

(Quant à la partie colloïde elle-même, elle n'a pu être coupée, car elle

s'est rétractée et détachée lors du durcissement.) On est frappé de la similitude des cellules de cette tumeur avec celles du corps pituitaire normal et la seule dénomination qui semble convenir

à la tumeur est celle d'épithélioma primitif du corps pituitaire. Quant à la dégénérescence colloïde, elle n'a rien que de très normal dans les épithéliomas dérivés des cellules qui normalement ont une sécrétion, soit muqueuse, soit colloïde (corps thyroïde, estomac, gros intestin, etc.).

La tumeur végétait, mais n'envahissait pas le cerveau : elle se laissait facilement détacher des parois du ventricule et les coupes microscopiques des portions des hémisphères contiguës à la tumeur (lobe frontal) ont montré l'intégrité des circonvolutions et de la substance blanche.

Les résultats de l'examen macroscopique et microscopique pratiqué sur les différents organes du géant PIERRE K. nous permettent de mettre en valeur quelques-unes des particularités qui nous ont paru les plus intéressantes.

La première, et non la moins importante, est que l'observation de K. se rapproche en tous points de celles, déjà nombreuses, qui peuvent servir aujourd'hui à édifier la description biologique des géants acromégaliques à tumeur hypophysaire.

En 1900, on pouvait encore douter que le malade fût véritablement un acromégalique ; il ne présentait que quelques-uns des stigmates de la maladie de Pierre Marie et ces stigmates étaient très atténués. Pourtant Brissaud n'hésitait pas, dès cette époque, à reconnaître en K. un « petit acromégale » et à rappeler que, pour lui, le gigantisme et l'acromégalie étaient une même affection dont les manifestations extérieures dépendaient de Vépoque d'apparition des phénomènes de croissance excessive, c'està-dire de l'élat des cartilages de la conjugaison (') ». En 1902, peu de temps avant sa mort, les déformations caractéristiques s'étaient très nettement accusées; l'examen de la face en particulier, avec la saillie anormale des os malaires, la courbure exagérée du nez, la proéminence marquée du menton, l'hypertrophie accusée de la langue, la déformation caractéristique du thorax, les dimensions inusitées des mains et des pieds, rendaient le diagnostic indiscutable.

D'autre part, la tumeur hypophysaire est capable, pour nous, d'expliquer non seulement l'acromégalie, mais encore le gigantisme.

Le géant acromégalique K. ressemble à tous ceux dont

(1) E. BRISSAUD, Discussion à la suite de la présentation d'ACHAPRD et LOEPER.

Soc, de Neurol., 3 mai 1903.

l'observation a été publiée, par les déformations deson squelette, par la présence d'une tumeur pituitaire et présente, comme certains d'entre eux, des modifications anatomiques dignes d'être signalées : 1° C'est ainsi qu'on a pu constater, chez lui, l'existence de plaques osseuses méningées spinales. Elles ont été, pour la première fois, observées par Henrot (1) chez un géant acromégalique dont l'un de nous recueillit l'histoire clinique et fit l'autopsie le 28 janvier 1877. Duchesneau (2), Finzi (3), Sainton et Staté (4) les ont, de leur côté, retrouvées et, pour ce dernier observateur, elles seraient la cause déterminante des douleurs à caractère névralgique observées chez certains acromégaliques (forme douloureuse de l'acromégalie).

2° Comme chez nombre de géants (Constantin (5), Simon Botis (6), etc.), on a rencontré chez K. des lésions de tubercu- lose pulmonaire. Cette infection par le bacille de Koch trouve une facile explication dans la contagion à laquelle notre sujet fut exposé pendant les séjours répétés et plus ou moins prolongés dans les différents services hospitaliers.

5° Parmi les constatations faites à l'autopsie, une des plus intéressantes est l'hypertrophie énorme du corps thyroïde (250 grammes), qui resta cependant inaperçue pendant la vie.

Les altérations similaires de cet organe ont été déjà signalées chez les acromégaliques et ont une grande importance au point de vue de la pathogénie (page 340).

4° Quant à la tumeur cérébrale que nous considérons ici comme la cause commune du gigantisme et de l'acromégalie, il nous faut avant tout faire remarquer que, malgré son volume énorme, elle demeura presque silencieuse pendant la vie. Sa présence ne se traduisit, en effet, que la veille de la mort par l'apparition de crises convulsives épileptiformes. Malgré son

(1) HENROT, Notes de clin. med. Reims, 1877 et 1882 (observ. reproduite par P. MARIE. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1888, p. 251, et 1889, p. 255).

(2) DUCHESNEAU, Étude anatomique et clinique de l'acromégalie. Thèse de Lyon, 1891-92.

(5) FINZI, Sopra un caso di acromegalia. Ospedale civile di Badia-Polense.

Bologne, 1897.

(4) STATÉ, La forme douloureuse de l'acromégalie. Obs. X, in Thèse de Paris, 1900.

(5) DUFRANE, P.-E. LAUNOIS et PIERRE ROY. Soc. mëcl. des hôp., 8 mai 1903.

(6) BUDAY et JANCSO, loc. cit.

enclavement entre le pédicule de la pituitaire et le prolongement intra-cérébral de la tumeur, le chiasma des nerfs optiques avait échappé à toute compression : il avait subi un élargissement transversal, mais les fibres nerveuses qui entrent dans sa constitution avaient probablement conservé leur fonction physiologique, ainsi que le démontre l'absence complète de phénomènes oculaires. « On ne trouve pas les signes de compression qui permettraient d'incriminer la présence d'une tuméfaction de l'hypophyse », avaient dit Achard et Lœper en 1900.

Leur assertion, confirmée par Rendu, restait encore exacte deux ans plus tard, c'est-à-dire dans les derniers mois de la vie. S'il en était ainsi, c'est que la tumeur, ainsi que nous l'apprit l'autopsie, gênée dans son expansion par la base osseuse du crâne, s'était développée dans le ventricule latéral droit, en pleine substance blanche. Notons, tout de suite, que dans aucun des cas de tumeur hypophysaire, observés à l'autopsie des géants ou des acromégaliques, on ne trouva un prolongement intrahémisphérique analogue.

Au point de vue histologique, la tumeur est un épithélioma primitif du corps pituitaire ; cette variété histologique serait très rare, si l'on s'en rapporte à la statistique publiée par Parona (voir p. 189) (1).

5° Enfin, dans ce cas particulier, il faut remarquer que le gigantisme n'a pas seulement porté sur le squelette, mais encore sur les principaux viscères qui, sans présenter d'altérations histologiques notables, ont subi une augmentation de volume plus ou moins considérable, caractérisant le véritable gigantisme viscéral.

Sans parler du corps thyroïde dont l'hypertrophie (250 gr.) a été mentionnée plus haut, le foie (4500 gr.), la rate (570 gr.), le pancréas (250 gr.), les reins (390 et 525 gr.) sont grandement augmentés de volume.

Ce gigantisme viscéral a déjà été relevé chez un certain nombre de géants (Fritsche et Klebs (2), Dana (3), Sirena (4),

(1) PARONA, Rivista critica di clinica medica, 11 et 18 août 1900.

(2) FRITSCHE et KLEDS, Ein Beitrag zur Pathologie des Riesenvwuches (obs. du géant PETER RHYNER, reproduite par P. MARIE, loc. cit.).

(3) DANA, loc. cit.

(4) SIRENA, Riforma médira, 1894, vol. 2, p. 783.

Dallemagne (1), Buday et Jancso, (2)) et chez un certain nombre d'acromégaliques, du type géant ou non (Linsmayer (3), Boùrneville et Regnault (4), Chauffard et Ravaut (5), etc.). Chez tous ces malades, le foie, la rate, le pancréas, les reins étaient doublés ou triplés de volume; chez quelques-uns, l'intestin, le cœur, la moelle même (Linsmayer) avaient subi un développement parallèle (6).

Il est à noter que chez tous aussi le cerveau avait conservé à peu de chose près le poids qu'il présente chez un adulte normal.

Notre géant ne faisait pas exception à la règle, établie depuis longtemps par les anthropologistes, à savoir que « la partie qui subit le moins de changement dans ces constructions extrêmes (nains et géants) est justement la tête (7) ».

Le problème qui se pose en présence du gigantisme viscéral est celui du mécanisme intime de sa production. S'agit-il d'une splanchnomégalie secondaire au développement gigantesque du squelette, ou bien, plus vraisemblablement, n'est-ce pas la même cause qui tient sous sa dépendance les hypermégalies viscérales et l'hypertrophie des extrémités (acromégalie) ou de tout le squelette (gigantisme) La malade de MM. Chauffard et Ravaut, qui ne mesurait que 1m ,53, « n'avait pu gigantifier son squelette en raison de l'âge avancé (19 ans), auquel les premiers symptômes acromégaliques s'étaient montrés; elle n'avait réalisé son gigantisme que sur ses viscères ». Quoi qu'il en soit de la réalité de cette explication donnée par les auteurs, en particulier de la prétendue impossibilité pour un squelette de

(1) DALLEMAGNE, loc. cit.

(2) BUDAY et JANCSO, loc. Cit.

(5) LINSMAYER, Wiener klin. Woch., p. 16 , 1894.

(4) BOURNEVILLE et REGNAULT, Bull. Soc. Anat. de Paris, 31 juillet 1896.

(5) CHAUFFARD et RAVAUT, Acromégalie avec diabète sucré, tumeur du corps pituitaire et gigantisme viscéral. Bull. Soc. méd. des Hôp., 23 mars 1900.

(6) Récemment J. NoÉ essayait d'établir l'influence prépondérante de la taille sur la longueur de l'intestin (Soc. de Biol., 20 décembre 1902), montrant qu'en dehors de toute différence alimentaire, il existait un rapport inverse entre la taille, ou mieux, le poids et la longueur de l'intestin. — De même, RICHET et MAUREL (Soc. de Biol., 10 janv. 1903) ont établi que le poids du foie est, lui aussi, en raison inverse de la taille. — Tous ces auteurs, il est vrai, ont envisagé presque exclusivement les variations de la taille dans la série animale, et non les variations de la taille dans la race humaine : par exemple, la souris a 53 mètres d'intestin par kilogramme, tandis que le cheval n'en a que 0 m. 06.

— Voir aussi les objections de LAPICQUE aux règles énoncées ci-dessus (Soc.

de Biol., 10 janv. 1903).

(7) QUÉTELET, Anthropométrie, 1871, p. 296.

19 ans de faire du gigantisme (1), il est bien certain que, dans le cas de Ravaut, il ne pouvait s'agir d'une hypertrophie viscérale secondaire à un développement squelettique gigantesque.

On est ainsi amené à attribuer la splanchnomégalie à la même cause que l'acromégalie, c'est-à-dire à l'existence de la tumeur pituitaire, révélée par l'autopsie.

6° De même que la splanchnomégalie, le diabète qui existait chez notre géant nous paraît être une conséquence directe de la tumeur hypophysaire. La fréquence bien connue du diabète dans l'acromégalie nous explique son existence chez le géant K.

Quant aux relations qui existent entre les tumeurs de l'hypophyse et la glycosurie, elles constituent un intéressant problème, dont on trouvera plus loin l'exposé (voir p. 195).

CHAPITRE PREMIER

L'HYPOPHYSE DANS L'ACROMÉGALIE ET LE GIGANTISME ACOMGALIQUE

Avant d'aborder l'étude symptomatologique du gigantisme acromégalique, il ne sera pas inutile de consacrer une description détaillée à l'altération anatomique, tout à la fois la plus fréquente et la plus frappante, que l'on observe chez les acromégaliques comme aussi chez les géants acromégaliques.

L'altération de l'hypophyse est presque constante dans l'acromé- galie; elle ne fait jamais défaut dans le gigantisme acromégalique.

Parmi les statistiques les mieux documentées sur ce sujet, la première place appartient à celle qu'a publiée, en 1900, Woods Hutchinson (2); elle comprend les résultats fournis par 48 autopsies d'acromégaliques. Sur ce nombre, on a constaté

(1) Voir les exemples que nous avons rapportés de gigantisme par prolongation de la croissance, c'est-à-dire par retard anormal de l'ossification des cartilages épiphysaires, révélée par la radiographie. P.-E. LAUNOIS et PIERRE ROY. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, n° 6, nov.-déc. 1902, p. 540.

(2) WOODS HUTCIIINSON, La glande pituitaire envisagée comme facteur de l'Acromégalie et du Gigantisme. New York med. Journ., 12 mars, 2 avril 1898 et 21, 28 juillet 1900.

44 fois, soit dans la proportion de 92 pour 100, l'hypertrophie caractéristique du corps pituitaire. Plusieurs des cas négatifs publiés sont, eux-mêmes, discutables : c'est ainsi que, parmi les faits classés comme appartenant à l'acromégalie et dans lesquels l'hypophyse avait conservé ses dimensions normales, on remarque celui qui, publié par Sarbo (1), concerne un malade, tout à la fois tuberculeux et syphilitique et dont ni la mâchoire, ni le nez, ni les lèvres ne paraissaient augmentés de volume; le crâne présentait d'ailleurs les altérations de l'ostéite simple.

La même objection peut être faite à l'observation des frères Hagner, publiée par Friedreich et Arnold(2) : la mâchoire, le nez, les lèvres, la langue avaient conservé, chez eux, leurs proportions normales; on constatait seulement une hypertrophie étendue à tous les os du corps et produite par un processus d'ostéo-périostite. On peut se demander avec Pierre Marie si ces altérations généralisées du squelette n'étaient pas le résultat d'une ostéo-arthropathie hypertrophique d'origine pulmonaire. Le seul cas d'acromégalie où l'hypophyse paraissait normale, tout au moins en ce qui concerne ses caractères morphologiques, est celui de Bonardi(3).

Le montant de l'hypertrophie hypophysaire est très variable, mais toujours très considérable. D'après les données des anatomistes, d'après celles de Boyce (4), de Comte (5), de Caselli(6), de l'un de nous (7), le poids moyen de la glande pituitaire, chez l'homme adulte, est de 0gr,50 et présente des variations allant de 0gr,30 à 0gr ,60. A l'autopsie des acromégaliques, le poids de l'hypophyse a été rarement inférieur à 5 grammes et on l'a vu atteindre jusqu'à 51 grammes.

La plupart des observations publiées ne donnent pas le

(1) SARBO A., Brosi hetil., Budapest, 1889, vol. XXXVI; et Pest. med. chir.

Presse, Budapest, 1892, vol. XXVIII, p. 575.

(2) ARNOLD, Akromegalie, Pachyakrie oder Osteitis? Ein anatomischer Bericht über den Fall Hagnert. Ziegler's Beiträge sur pathologischen Anatomie und zur allgemeinen Pathologie, 1891, X, 5, 1.

(3) BONARDI, Riforma medica, 1895, II.

(4) BOYCE et BEADLES, Journ. of Bacteriology and Pathology, 1892, vol. I, p. 223 et 559.

(5) COMTE, Contribution à l'étude de l'hypophyse humaine et de ses relations avec le corps thyroïde. Thèse Lausanne, 1898.

(6) CASELLI, Étude anatomique et expérimentale sur la physiologie pathologique de la glande pituitaire. Reggio-Emilia, 1900.

(7) P.-E. LAUNOIS, L'hypophyse humaine.

poids exact atteint par la glande hypertrophiée, mais mentionnent seulement les dimensions très accrues de la fosse pituitaire qui la contenait.

La selle turcique est assez mal limitée en avant et sur les côtés : la divergence des apophyses clinoïdes antérieures, par exemple, peut varier sans qu'il y ait une corrélation nécessaire avec le volume du corps pituitaire. Mais les variations normales de la selle turcique ne dépassent guère les suivantes :

Le diamètre antéro-postcrieur varie de 0,10 à 0,15 millimètre.

Le diamètre transverse — 0,10 à 0,20 — -

Tandis que, dans toutes les autopsies d'acromégaliques, où ces dimensions sont consignées, elles sont toujours considérablement augmentées et on constate que :

Le diamètre antéro-postérieur mesure. 0,25 millimètre.

Le diamètre transverse — 0,35 —

Les comparaisons les plus diverses ont été faites pour donner l'idée approximative du volume atteint par la glande hypertrophiée : Godlee rapporte que la glande avait les dimen- sions d'une cerise; Rolleston, Roxburg et Collin, Strœbe, Thomson, celles d'une noix; Dallemagne, celles d'un œuf de pigeon; Rothmell, celles d'un œuf de poule; Caton et Paul, celles d'une mandarine, etc.

Le corps pituitaire hypertrophié mesurait, dans les cas suivants :

2CM,2 de longueur sur lcm, 6 de largeur. (BAILEY).

2 8 — 3 8 — (BRIGIDI).

15 — 7 — (BROKY et BARUCH).

3 — 7) — (DANA).

5 — 4 2 — (HENROT).

2 5 — 3 — (HOLSTI).

- 5 — 5 — (PACKARD).

4 — 2 — (SCHULTZE).

11 — 7 et G — (SIGURINI et CAPOHIACCO).

5 — 7 5 — (SMYTH).

2 — 2 5 — (STRUMPELL).

5"> — 3 9 — (TAMBURINI).

Quant aux dimensions de la selle turcique, elles ont donné :

25 centim. de longueur sur 50 centim. de largeur. (HOLSTI).

30 — — 42 — — (HENROT).

28 — — 58 — — (BRIGIDI).

32 — — 38 — -- (PIERRE MARIE).

30 — — 31 — — (DANA).

31 — — 57,5— — (WOODS HUTCHINSON).

Pour avoir une opinion satisfaisante de la fréquence de l'hypertrophie hypophysaire dans l'acromégalie, il faut tenir compte des résultats fournis par l'analyse symptomatique des malades pendant leur vie. Dans 60 pour 100 des cas, on constate en effet des signes non douteux de tumeur intra-crâ- nienne (céphalée, obnubilation cérébrale, phénomènes vertigineux, etc.) et on connaît la fréquence des troubles visuels, en particulier de l'hémianopsie bitemporale, observés quand la tumeur hypophysaire exerce une compression sur le chiasma optique.

L'examen radioscopique, comme nous le verrons plus loin, permet aussi d'apprécier les modifications survenues dans le domaine de l'hypophyse.

D'ordinaire, la forme de la glande pituitaire hypertrophiée est conservée; parfois cependant elle apparaît lobulée par une série de plis transversaux, occupant plus particulièrement ses parties antéro-inférieures.

La consistance varie avec la nature histologique de la tumeur : le plus souvent elle est assez ferme pour comprimer les parties voisines et élargir la fosse qui la loge, et même pour amener l'usure des parois osseuses. On peut aussi la trouver molle et friable, au point que son extraction soit rendue laborieuse (Henrot et P. E. Launois, P. E. Launois et P. Roy). Elle peut même avoir une consistance fluide, comme dans le cas rapporté par Duchesneau, où la glande, réduite à une coque, formait une cavité distendue par un liquide de coloration vineuse.

En raison de sa grande vascularisation et de son pouvoir proliférant, la tumeur pituitaire non seulement déforme, creuse les os et dilate la selle turcique proportionnellement aux dimensions qu'elle acquiert, mais elle est capable encore d'exercer une compression plus ou moins marquée sur les parties situées dans son voisinage : chiasma optique, sinus caverneux, artère carotide, nerfs de la IIIe, de la IVe paire, nerf ophtalmique de Willis, circonvolutions unciformes, bandelettes olfactives,

circonvolutions orbitaires, pédoncules cérébraux et même à distance capsule interne, couche optique et protubérance, etc.

On a vu la compression exercée être assez intense pour déterminer l'atrophie complète du chiasma optique.

Quant à la nature histologique de la tumeur, elle est diversement interprétée. Dans 19 autopsies d'acromégalie où elle a été suffisamment indiquée et que rapporte Woods Hutchinson, on a constaté les modifications suivantes :

BURY (1890) « Gliome contenant des kystes. »

HOLSTI (1890). Masse pulpeuse de tissu embryonnaire. »

TAMBURINI (1892) Hypertrophie (adénome) de la totalité de la glande. »

CEPEDA (1893). Hypertrophie pure. » CLAUS et STRICHT (1893) « Glande en voie de nécrose. — Vestiges de tissu lymphoïde. »

BOLTZ (1893) « Adénome. » CATON et PAUL (1894). - Sarcome avec cellules embr yonnaires. e DALLEMAGNE (1895) « Masse sarcomateuse très vasculaire, formée de petites cellules avec noyaux se colorant fortement. »

DALLEMAGNE (1895). « Dégénération kystique de la portion nerveuse. — Développement exagéré des acini de la portion buccale. » DALLEMAGNE (1895). Hypertrophie de la portion nerveuse (?), avec nombreuses zones dégénérées. »

ROXBURG et COLLINS (1896) Hypertrophie apparente du lobe postérieur (?) de caractère glandulaire. »

DANA et BROOKS (1897) "Masse formée de tissu embryonnaire de nature douteuse, mais vraisemblablement adénomateuse. HANSEMANN (1897). « Sarcome à cellules ovalaires. »

UHTHOFF (1897) « Tumeur sarcomateuse. » DALTON (1897). Hypertrophie ou sarcome. » ROLLESTON (1897). Sarcome à cellules arrondies. » GODLEE-LAWRENCE (1897) « Agrandissement des cellules normales. »

OSBORNE (1897) Masse pulpeuse kystique, vraisemblablement sarcomateuse. »

WOODS HUTCHINSON (1893-190Û). « Furieux effort d'hypertrophie glandulaire excessive, effortrelativementheureux dans la portion corticale de la glande, moins heureux dans lazoneintermédiaire, échouant dans un désordre chaotique de cellules néoformées et aboutissant à un simple exsudat hémorragique au centre de la glande, et qu'on retrouve à un degré plus faible dans la constitution de la pituitaire normale. ,

A cette nomenclature des examens histologiques rapportés par Woods Hutchinson, on doit joindre un certain nombre de faits récents, publiés depuis son mémoire. Parmi les plus démonstratifs, nous citerons ceux de Buday et Jancso (1898) (angiosarcome), de Chauffard et Ravaut (1900) (néoplasie sarcomateuse), de Caselli (1900) (adénome), de Pierre Marie et Ferrand (1901) (adénome).

Parona(1) décompose de la manière suivante les 57 cas de tumeur pituitaire qu'il a rassemblés :

Adénosarcome. 45 pour 100 Adénome. 26,5 — Sarcome 19,4 — Angiome 5,4 —

Nombre d'autres variétés de dégénérescences histologiques peuvent s'observer, l'épithéliome en particulier; la présence d'une tumeur épithéliale intracéphalique suffit d'ailleurs pour affir- mer son origine pituitaire.

L'incertitude des observateurs, quand il leur faut préciser la nature exacte des modifications qu'ils constatent, tient à l'ignorance dans laquelle ils se trouvent sous le rapport de la structure cytologique de l'hypophyse normale. Celle-ci a été l'objet, dans ces dernières années, de nombreuses recherches parmi lesquelles nous citerons celles de Caselli, de Comte, et de l'un de nous (2).

Si telle est la fréquence de l'hypertrophie hypophysaire dans l'acromégalie, il nous suffira, pour montrer sa constance dans le gigantisme acromégalique, de rapporter la statistique suivante, basée sur les résultats de 10 autopsies, la plupart récentes :

Gigantisme acromégalique.

(HENROT, 1877) Tumeur du corps pituitaire.

(FRITSCHE et KLEBS, 1884). Tumeur de l'hypophyse.

(DANA, 1893) Hypertrophie glandulaire excessive du corps - pituitaire.

(DALLEMAGNE, 1895) Sarcome du corps pituitaire.

(1) PARONA, Rivista critica di clinica medica, 11 et 18 août 1900. (Note clinique et anatomique sur un cas d'acromégalie avec angiosarcome de l'hypophyse.) (2) P.-E. LAUNOIS, L'hypophyse humaine.

- (WOODS HUTCHINSON, 1895) Glande pituitaire très augmentée de volume.

(BOURNEVILLE et F. REGNAULT, 1897) Tumeur du corps pituitaire. (BUDAY et JANCSO, 1898). Angiosarcome de l'hypopbyse.

(CASELLI, 1900). Volumineux adénome du corps pituitaire..

(P.-E. LAUNOIS et P. ROY, 1905). Épithélioma du corps pituitaire avec prolongement dilatant à l'excès le ventricule latéral droit. - (A. DUFRANE, P.-E. LAUNOIS et ,

P. Roy, 1905) Tumeur volumineuse du corps pituitaire.

A ces résultats il faut ajouter ceux fournis par l'examen des différents squelettes de géants acromégaliques conservés dans

FIG. 49. — Radiographie du crâne du grand Charles, montrant l'inégale épaisseur des parois du crâne, la dilatation des sinus frontaux, le ressaut post-lambdoïdien et l'agrandissement de la selle turcique.

les musées, montrant toujours une augmentation disproportionnée de la selle turcique (Langer), et par l'étude des géants du même genre, actuellement encore vivants, mais présentant des signes fonctionnels (céphalée, troubles de la vue, etc.) ou

des signes physiques (radiographie de la selle turcique, Béclère), qui attestent l'existence d'une tumeur ou tout au moins d'une hypertrophie du corps pituitaire.

Pour expliquer la constance de l'hypertrophie de l'hypophyse dans l'acromégalie, Gauthier(1), et quelques observateurs avec lui, ont pensé que cet organe était augmenté de volume en tant qu'α̋xρoν et au même titre que toutes les autres extrémités du corps. La même objection serait applicable au gigantisme acromégalique.

Pour la réduire à néant, il suffira de rappeler qu'il est dans l'encéphale un autre organe atrophié, la glande pinéale, que l'on doit, pour de nombreuses raisons, rapprocher de l'hypophyse et considérer également comme un vestige ancestral, lequel, ni dans l'acromégalie, ni dans le gigantisme acromégalique, ne présente aucune augmentation de volume. Elle faisait complètement défaut chez notre tambour-major et, si elle n'est pas mentionnée dans le protocole des autres autopsies minutieusement rédigé, c'est qu'elle n'existait pas.

Toutefois nous devons à la vérité de dire que chez le géant observé par l'un de nous à l'Hôlel-Dieu de Reims, en 1877, Henrot a constaté que la glande pinéale avait au moins le double de son volume normal.

D'autre part, si l'hypophyse était modifiée simplement en tant qu'extrémité, les modifications observées dans sa structure histologique seraient toujours les mêmes et on ne comprendrait pas la multiplicité et la variabilité des altérations cellulaires et de développement signalées à son niveau.

Plus ou moins hypertrophiée, mais toujours modifiée dans sa structure, telle est l'hypophyse que l'on rencontre chez les acromégaliques et chez les géants acromégaliques. Les lésions dont elle est le siège entraînent secondairement des troubles dans sa fonction et on est amené ainsi, en se basant sur des faits et non sur des hypothèses, à reconnaître, avec Woods Hutchinson, « dans l'hypertrophie du corps pituitaire, la base pathologique commune de l'acromégalie simple et du gigantisme acromé- galique ».

(1) GAUTHIER, Progrès médical, 1890, n° 21.

On peut résumer les données fournies par l'étude biologique, symptomatique et anatomo-pathologique, dans la formule suivante. :

L'ACROMÉGALIE ET LE GIGANTISME ACROMÉGALIQUE CONSTITUENT UN SYNDROME HYPOPHYSAIRE.

CHAPITRE II

GLYCOSURIE ET HYPOPHYSE (1)

Le curieux problème des relations qui unissent la glycosurie aux tumeurs de l'hypophyse, et dès lors au gigantisme et à l'acromégalie, a été, à l'étranger, dans ces dernières années, l'objet d'un certain nombre de travaux, ainsi qu'en témoignent nos recherchesbibliographiques. Nous avons été amenés à l'aborder à notre tour, à l'occasion de nos études sur le gigantisme acromégalique et en particulier à propos du tambour-major K. dont la glycosurie, constatée, pour la première fois, deux ans avant sa mort (en avril 1900), persistait pendant le séj our qu'il fit dans notre service du 15 avril 1902 au 29 mai, date de son décès. La glycosurie, chez lui, ne montrait plus alors les mêmes oscillations qu'à son début : elle se maintenait, sans grandes variations journalières, entre 40 et 50 grammes de sucre par litre, pour une quantité quotidienne de 3 à 6 litres d'urine.

Par le diabète qu'il présentait, le tambour-major K. ne constituait pas une exception : plusieurs géants, dont l'histoire fut publiée par Caselli, Buday et Jancso, Dallemagne, présentaient aussi de la glycosurie.

Si nous ne mentionnons que ces observations, c'est qu'elles sont récentes et bien établies; mais il est probable, sinon certain, que le nombre des géants diabétiques est relativement assez élevé. Le diabète paraît bien avoir existé chez le géant scrofuleux observé par Alibert (2), qui « était tourmenté d'une soif si vive qu'il buvait jusqu'à dix-huit bouteilles d'eau pure tous les jours », et qui « urinait parfois avec tant d'abondance qu'il pro-

(1) P.-E. LAUNOIS et P. Roy, Glycosurie et Hypophyse. Soc. de Biol., 21 mars 1903, et Arch. gén. de Méd., 5 mai 1903.

(2) ALIBERT, Traité des maladies de la peau, t. II, p. 317.

duisait une sorte d'inondation dans les lieux où il se trouvait ».

La glycosurie peut donc s'observer dans le gigantisme; il nous faut rechercher si on la constate aussi chez les acromégaliques.

Les auteurs qui ont recherché cette coexistence sont assez unanimes à cet égard : la glycosurie s'observe fréquemment au cours de l'acromégalie. On la constate dans le tiers ou même la moitié des cas, disait Pierre Marie dans une leçon récente (11 décembre 1902). Les statistiques publiées semblent, au premier abord, infirmer cette estimation : sur 97 cas d'acromégalie qu'il a réunis, Hansemann (1) ne mentionne que 12 fois le diabète. De même Hinsdale (2), dans sa monographie basée sur l'analyse de 130 cas, ne trouve que 14 diabétiques. Cette disproportion entre les estimations du plus autorisé des auteurs et les consciencieuses statistiques rapportées s'explique par ce fait que, dans un grand nombre de cas d'acromégalie, on n'a pas toujours analysé l'urine.

Aussi l'affirmation de Pierre Marie garde-t-elle toute sa valeur si on la complète en disant que la glycosurie a été notée dans plus de la moitié des cas. où elle a été recherchée.

Dans ce chapitre, qui a surtout pour but d'établir les rapports existant entre la glycosurie et les altérations de l'hypophyse, nous ne ferons qu'indiquer les observations d'acromégalie, non suivies d'autopsie, où fut relevée la glycosurie; ce sont les cas de Chadbourne (3), Chvostek (4), Finzi (5), Kalindero (6), Lancereaux (7), Pierre Marie (8), Marinesco (9), Schaffer (10), A. Frankel (11); etc.

(1) HANSEMANN, Surf l'acromégalie. Berl. klin. Woch., 1897, n° 20, p. 417.

(2) HINSDALE, Acromegaly, 1898, p. 20.

(5) CHADBOURNE, Un cas d'acromégalie avec diabète. New-York med. Journal, 2 avril 1898, p. 449.

(4) CHVOSTEK, Un cas d'acromégalie avec glycosurie alimentaire, liémoglobi- nurie, etc. Wiener klin. Woch., 2 nov. 1899, n° 441, p. 1086.

(5) FINZI, Riforma medica, 25 avril 1901, p. 254.

(6) KALINDERO, La Roumanie médicale, mai-juin 1894, obs. 1.

(7) LANCEREAUX, Des trophonévroses des extrémités ou acrotrophonévroses.

— La trophonévrose acromégalique; sa coexistence avec le goitre exophtalmique et la glycosurie. Sem. méd., 1895, p. 61.

(5) PIERRE MARIE, obs. 5 et 5 in Souza-Leite. Thèse de Paris, 1890.

(9) MARINESCO, Un cas d'acromégalie avec hémianopsie bitemporale et diabète sucré. Soc. de biol., 22 juin 1895.

(10) SCHAFFER, Zur Casuistik der Akromegalie Neurol. Centralblatt, 1er avril 1903, p. 296. (11) A. FRANKEL, Soc. de méd. int. de Berlin, 1er avril 1901. Gaz. hebd. de méd; et de chir., n° 31, p. 365.

En revanche, nous croyons devoir retenir et résumer l'histoire des 16 malades acromégaliques et diabétiques dont l'autopsie a été pratiquée (1). Il nous semble d'ailleurs qu'il y a grande importance a faire remarquer que dans ces seize cas on ne vit jamais manquer la tumeur pituitaire, qui est d'ailleurs la base pathologique de la Maladie de Pierre Marie.

Nous avons résumé ces 16 observations dans le tableau suivant où ont été mises en valeur les particularités cliniques et anatomo-pathologiques les plus importantes.

Des faits ainsi rassemblés, il résulte avec évidence que la glycosurie se rencontre trop fréquemment chez les sujets, géants ou non, porteurs d'une tumeur du corps pituitaire pour qu'il n'y ait là qu'une simple coïncidence. On est amené tout naturellement à établir une relation de cause à effet entre le diabète observé chez notre géant acromégalique et l'existence de la volumineuse tumeur du corps pituitaire que nous avons constatée à son autopsie.

Parmi les auteurs qui ont cherché à élucider les relations qui rattachent le diabète aux lésions de l'hypophyse, nous devons tout particulièrement citer Pineles (2), Loeb(3), Caselli(4). C'est en nous basant sur leurs travaux que nous nous proposons de résumer l'état actuel de la question.

Dès 1884, c'est-à-dire deux ans avant la magistrale description de l'acromégalie faite par Pierre Marie, Loeb notait la coïncidence de la glycosurie avec les tumeurs de l'hypophyse(5). A l'occasion d'un cas d'adénome du corps pituitaire qu'il avait observé, cet auteur rappelait les différentes observations de néoplasmes hypophysaires recueillies dans la litté-

(1) Aux 16 cas que nous rapportions dans notre mémoire de 1903, on pourrait ajouter encore ceux de WOODS HUTCHINSON et COOLEY (Obs. XVI, p. 263), de Du MESNIL (Soc. méd. d'Altona), de WALTON, CHENEY et MALLORY (Boston med Journal, 7 déc. 1899), etc. Dans tous ces cas d'acromégalie manifeste, compliqués de glycosurie, on trouva à l'autopsie une tumeur de l'hypophyse, comme dans les 16 observations du tableau suivant.

(2) PINELES, Acromégalie und Diabetes mellitus. Jahrb. der Wiener k. Krank., 1897, Bd. IV.

(5) LOEB, Hypophysis cerebri und Diabetes mellitus. Centralblalt für innere Medicin, n° 55, 1898.

(4) CASELLI, Ipofisi e glicosuria. Rivisla di frenalria, février 1900.

(5) LOEB, Ein Erklärungsversuch der Temperaturverhältnisse bei der tuberkulosen Basilarmeningitis. Deutsche Arch. für klin. Med., 1884 Band XXXIV, p. 449.

TABLEAU RÉSUME DE 16 ORSERVATIONS D'AUROMÉGALIQUES DIARETIQUES (COMPRENANT LES RESULTATS DE L'AUTOPSIE (GLYCOSURIE ET TUMEUR DE L'HYPOPHYSE)

l'Ali I It.l LAIii I ES GI.Yt'.nM T.IE COUPS N". DATES. AUIKIIÏS. ci ill'i'l 1 1870-188!) CLNMXGIIAW-TIIOMSON,.tour- Homme mort à 56 ans. I)„- Diabète siurO. - l.a lusse pituitaire avail atteint un grand devenal o/' Anal, and Mu/s. formations acromégaliques du loppement par suite de l'hypertrophie tïu corps pinnl'l',,''l,i- '1 sipielette. tu i taire, lequel présentait envi ron 4 à 5 l'ois sa taille )8:'U,\Xt\,p.tt.(. o)'d!t).Hrp.((;un))ir~1~n).tS7')

2 1880-1803 PiîciiM III:-I.MIII;IIAZ. Itecue lemme. r'i ans. ( as typique « On a Oit que les aciomégaIIQUes Corps pituitaire très volumineux et. ramolli.

de med., 18X51; — et Lyon d'acromegalie. Mort suliile i> étaient glycosuriques, mais non diabeHird., 18'), LXXXIII,p. il.) 43 ans. tiques. (Celle-ci a été manifestement diabétique: elle faisait 80 gr. de sucre par litre et un grand nombre de litres par jour; toutefois sa nutrilion se faisail assez bien » ( I.KI'INK, Discussion à la suite de la présentation du crâne par l.alliuia/. Soc. des se. med. de /,//««.

juin 1895.)

5 1801 lti IIY fliossj, Manchester Femme 23 ans. Déformations Glycosurie. Crosse tumeurpulpeuse eveavant la selle turciqiie ""iii. Sac., I.»mai 1801 ; acromégaliques depuis 18 mois. et s'étendant depuis lc chiasrna jusqu'au cervelet, - - et Lancet, 1.SJ1, I. p. 1383. Morte dans le coma diabétique. (Uionie.

1 ~t'. T. COKE SQUAx<:K,/ir/ med. Femme dedans. Morte de Diabète sucré. Hypertrophie considérable du corps pituitaire, le inov. 180o, II, p.U03. phtisie pulmonaire. canal communiqiiantavec leô' ventriculeélailouvei t.

5 1895 DU.I I:M\C.NK, A rch. de med. Le géant Goliath, 47 ans. Mort Diabète sucré. Xanthomcgénéralisé. Tumeur du corps pituitaire. du volume d'un (eut e^ iper.. 1S'J5, ji. 305. dans un accès de coma diahé de pigeon, ayant dilaté la selle linéique et curnlit/ne. primé les deux nerfs optiques. Sarcome.

<> 18% Itur.r.Farw. The Lancet. Femme de 53 ans. Acroméga- Clycosurie transitoire. Sarcome du corps piluitaiie, du volume d'une -o avril 18'Jb. |je axjnï- (3 ans). Mort après noix, ayant envahi le thalamus droit et le sinus nu accès épileptiforme. caverneux. Sarcome à petites cellules arrondies.

7 1807 NOIIJIAN DAI.TON The Lan- Symptômes d'acromégalie cl Glycosurll', C(lrps pituitairc ..ouidérablernenl altéré: lohl' ici, i) nov. t8'.l7, II, p. 1100. de myxfpdème. 0 postérieur presque complètement disparu. Ramollissement notable. Dans les parties solides, nombreuses cellules irrégulières, avec souvent deux noyaux, mais stroma très peu abondant. Impossible de décider s'il s'agit d'une hypertro/iliic ou d'un sarcome du corps pituitaire.

S 1897 HAxsuxnNx, lier! hier Uni. Femme 4t> ans. Kntree pour Diabète sucré. Volumineuse tumeur du corps pituitaire, ayant trw/i., 18.(7, n" zO, ]i. 41i. diabète et furonculose. 3 cm. de largeur, ::! ('Ill. Je haukul' el z'm"j d'épai,.

--

0 1807 hI.I., Bull, délie Sru-nie Acromégalie avant débuté à Glycosurie, pendant les premières Dégénération de l'hypophyse.

I, p. 410; — ui III.XMMI i min), oans ie ucmi-eoina. nr2.>. Ainuinine : t pour 1"0. meule a environ a lois son volume iiaimuei. i-one Acromegaly, 1898. p. I>6. postérieur très petil. structure normale. Le reste de l'hypophyse et la petite tuineur y appendue présentent UIIC illiple hyperplasie de la portion lymphadénoïde du corps pituitaire.

11 1897 Smi MI'EI.I., Deutsche Zeil- Femme. Début de l'acromé- Glycosurie, disparaissant lorsqu'on Tumeur du corps pituilaire, comprenant deux schrift Nerrejih., Bd. 11. galie à 23 ans (rorille doulou- réduisait l'alimentation aux graisses parties : une supérieure, arrondie, se dirigeant en lleft 1 et 2, 1897. reuse). Mort à 28 ans dans le et à la viande. A\ec une nourriture haut et comprimant le ventricule moyen, mais non coma. mixte 4 à t) litres d'urine donnant la substance cérébrale ; l'autre, inférieure, reliée à 1-20 gr. de sucre par .jour. la précédente par un pédicule, et taisant corpsavec la base du crâne, comme soudée à l'os. Sarcome malin ayant détruit l'os sous-jacent.

12 1898 liun.w et JV.NCSO, Deutsch. Le géant Simon Itotis. Mort à DéhutdudiabNetansavantlalIIort: TuuH'ur plus rose qu'un œur de pOllle, tllrmél' Arcli. 1,/in. Met/., 1 SUS. 37 ans dans le marasme (tuber- polydipsie ( 12 litres d'eau environ) et par l'hypophyse augmentée de volume (7cm. de long p. 38.'). culose pulmonaire). polyurie : 13 litres d'urine claire, de sur 5 cm. de large), constituée de deux parties, andensité I,OÛ, donnant la réaction du térieure et postérieure, empiétant sur le sommet sucre et déviant le polarimètre de du lobe temporal et la partie antérieure du pont de o pour 100. Le sucre disparut des iiri- Varole. \nj<iosnrcnme.

lies 3 mois avant la mort.

13 1900 UWW T.S'IC. méil.t/eshô/)., Kenime29ans, de petite taille. Diabète rapide, semblable au dia- Tumeur du corps pituitaire, d'apparence sarco23 mars 11)00. Début de l'acroniégalie à 21 ans. béte nerveux : début brusque, glyco- inatcuse, formée de petites masses en chou-lleur.

Mort dans le coma. surie intense, troubles décompression formant hernie à travers la dure-mère. Nôoplasie cérébrale (céphalée, troubles visuels', sarcomateuse on hyperplasie plus ou moinsdégénéévolution rapide, consomption. rativode la portion glandulaire du corps pituitaire.

li 1900 AHNOI.DO CA SKI.I,I. Étude Acromégalic avec gigantisme. Glycosurie, apparue 2 ans avant la Tout l'espace interpédonculaire est occupe par anatomique et expérimen- compliquée de sarcome du mort: 29 gr. de sucre par litre. Po- une masse qui représente indubitablement le corps taie sur la physiologie pa- maxillaire inférieur et de lyurie. pituitaire. très augmenté de volume, allant du thologiqne de la gl:lIIde pi- IlIyxollie de la l'osse ilia'iue.. chiasma des nerfs optiques jusqu'à l'angle de contuitaire. lleggio-Emilia : Mort par cachexie à 30 ans. vergence des pédoncules cérébraux. Le tuber ciuep. 180. reum est réduit à une mince lame qui pénétre dans le troisième ventricule. Adénome.

L'i 1901 P. JIABIK, MARI.NKSC.O. STATÉ Femme 31 ans. Acromégalic à Début du dialiète à 27 ans. Glycosu- Tumeur pituitaire, du volume d'un o'iif de piet KKHHA.NII. SOC. de neurol.. forme douloureuse. (Obs.in Z/iésc rie très abondante : 150 à 200 g r. par néon. d'apparence kystique, avec titi prolongement 7 mars. 1901, et lté rue neu- Slnté. Paris, 1900.) Déduit de jour. (MAIIINKSCO. Soe. de biol., 22 juin dans la fosse cérébrale moyenne. Adénome, roi., l'.Kjl, p. 271. l'acromégalie à 24 ans, à la suite 1895.) d'une chute d'une hauteur de 7 métros. Mort par tuberculose.

1() 1903 P.-E. LAI.NOIS et PIKHIO-: Géant acromégaliqueetdiabé- Diabète sucré à 31 ans, oscillations Énorme ejtn'heUoma du corps pituitaire, ayant dillov, Soc. de neurol., 13jan- tique. Mort brusque à 31i ans, brusques dans la quantité du sucre : lalé notablement la selle turcique (diamètre transvier 1903. et Hevue neurol., avecconvulsionsépileptiformes. 386 gr. en 21 heures. versai : 0"n,i0) et se prolongeant en haut par lui pé31 janvicr 1903. dicule qui passe entre les deux nerfs optiques, sans les comprimer, s'enfonce dans la scissure interhéinisphérique et pénétre dans l'intérieur du lobe frontal droit, où il remplit la cavité' très agrandie du ventricule latéral.

rature médicale et constatait que tous ces néoplasmes se distinguaient par la fréquente combinaison de l'hyperthermie (parfois de l'hypothermie) et du diabète sucré.

Sans doute Rosenthal (1) dès 1870, Bernhardt(2) dès 1881, avaient observé le diabète dans certains cas de tumeurs de l'hypophyse; mais, n'établissant aucune relation de cause à effet entre ces deux phénomèmes, ils avaient admis la coexistence d'une lésion du quatrième ventricule.

A mesure que la Maladie de Pierre Marie était mieux connue, les observations de tumeurs du corps pituitaire se multipliaient; Hansemarin(3), Finzi(4), Schlesinger (3), Caselli(6), constatèrent que, dans aucun cas d'acromégalie compliqué de diabète, la lésion hypophysaire causale ne faisait défaut. L'autopsie de K., notre géant acromégalique, vient confirmer leur assertion.

Quant aux cas de tumeurs de l'hypophyse chez des sujets non acromégaliques, le nombre en est assez rare. Sternberg pense que l'acromégalie a pu être méconnue : c'est ainsi que Thomson retrouva en 1889 les déformations acromégaliques caractéristiques sur le squelette d'un malade dont Cunningham avait rapporté l'observation dix ans auparavant (voir le tableau précédent, observation I).

Toutefois il est un nombre, assez restreint, il est vrai, de faits où l'acromégalie, aussi bien que le diabète, faisait défaut, bien que l'hypophyse fût modifiée. Tels sont les faits publiés par Packard (7), Waddell(8), Wilks(9), Burr et Riesmann (10) et aussi celui que rapporta Babinski(11). Par contre, l'observation de Rosenthal concerne un médecin de 54 ans, ayant succombé à un diabète sucré grave, sans signes d'acromégalie, et à l'autopsie duquel on trouva un sarcome du corps pituitaire, sans autre lésion cérébrale capable d'expliquer le diabète.

(1) ROSENTHAL, Lehrbuch der Nervenkrankhciten, 1870, p. 66.

(2) BERNHARDT, Hingeschwiilste, 1881, p. 299.

(5) HANSEMANN, loc. cit.

(4) FINZI, Centralblatt f. innere Med., 1897, n° 51.

(5) SCHLESINGER, Atti del club medico di Vienna, 17-31 janvier 1900.

(6) CASELLI, loc. cit.

(7) PACKARD, Amer. Journal of med. Sciences, 1892.

(8) WADDELL, Lancet, 1893, t. I, p. 921.

(9) WILKS, Brain, 1892.

(10) BURR et RIESMANN, Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie. Journal of nervous and mental diseases, 1899, p. 21.

(11) BABINSKI, Soc. de Neurol., 7 juin 1900.

Strümpell pense qu'il est impossible qu'une tumeur du corps pituitaire puisse causer la glycosurie, étant donné que l'on observe des tumeurs du corps pituitaire, sans diabète. Mais Loeb fait justement remarquer qu'il serait plus exact de dire simplement qu'une tumeur du corps pituitaire est incapable à elle seule de produire la glycosurie.

Quoi qu'il en soit de ces cas d'une interprétation difficile, nous ne retiendrons que les 16 observations de nos acromégaliques diabétiques porteurs d'une tumeur hypophysaire.

Pour expliquer la pathogénie de la glycosurie, observée chez des malades porteurs d'une tumeur de l'hypophyse, on a émis plusieurs hypothèses : 1° Dallemagne (obs. V), Hansemann (obs. VIII), Pineles ont trouvé des lésions du pancréas, qui pourraient à elles seules constituer la cause vraisemblable de la glycosurie. Dans le cas de Dallemagne, on notait de plus des lésions, à la vérité peu importantes, siégeant dans l'épendyme du quatrième ventricule.

Il existait à ce niveau deux petites productions gliomateuses spéciales, non visibles extérieurement, mais appréciables seulement sur une coupe transversale, ayant un diamètre d'à peine un millimètre de diamètre, formées d'un mince tissu lamelleux et donnant l'impression de masses cellulaires d'origine épendymaire émigrées et enkystées dans la substance nerveuse.

On pouvait donc supposer que dans ces cas la tumeur hypophysaire était une simple coïncidence et ne constituait pas la lésion causale réelle du diabète, qui était d'origine pancréatique ou ventriculaire. Mais cette coïncidence est trop exceptionnelle pour pouvoir être généralisée, et d'autres théories ont cherché à expliquer la glycosurie par la tumeur hypophysaire elle-même (1).

2° Pour certains auteurs, la glycosurie observée dans les tumeurs du corps pituitaire dépendrait d'un trouble de la sécrétion interne de cette glande. Récemment Arnold Lorand, rapprochant dans une même étude le diabète, l'acromégalie et la maladie de Basedow, affections causées par les modifi-

(1) Il faudrait aussi tenir compte de l'état du foie : « Dans d'autres cas, qu'il y ait hypertrophie ou non, le foie est sain macroscopiquement ou histologiquement; mais tout plaide en faveur de l'hyperfonctionnement du foie : tels sont les cas (GILBERT et LEREBOULLET) où le diabète survient au cours de l'acromégalie. » — GILBERT et CARNOT. Les fonctions hépatiques, p. 257, 1902.

cations pathologiques du pancréas, de l'hypophyse et de la glande thyroïde, cherchait à expliquer la glycosurie qui s'observe fréquemment au cours de ces trois maladies et concluait que le diabète n'est qu'un symptôme, et un symptôme de la mala- die des glandes sanguines (1).

Mais un trouble de la fonction glandulaire ne peut guère se comprendre avec la nature adénomateuse de la tumeur, habituellement constituée par une simple hypertrophie glandulaire, capable d'expliquer plutôt un hyper-fonctionnement.

Il en serait de même pour l'hypo-fonctionnement.

Quant à l'hypothèse de l'hyper-fonctionnement, c'est-à-dire de la sécrétion excessive d'un produit toxique par la glande pituitaire, hypothèse rendue vraisemblable par les constatatations anatomo-pathologiques, elle est contestée par les expériences de Caselli qui a vu se produire le diabète chez des chiens auxquels il enlevait l'hypophyse.

Enfin il serait bien invraisemblable qu'un organe pesant en tout 0gr,6 puisse par des altérations dans son fonctionnement produire un trouble de la nutrition générale aussi grave que le diabète. D'autre part, il est bien difficile d'admettre un centre nerveux glycogénique spécial au niveau de l'hypophyse, car les recherches histologiques de Caselli et de l'un de nous (P.-E Launois) n'ont pas permis de retrouver d'éléments nerveux dans le lobe postérieur du corps pituitaire chez l'homme adulte. Ainsi l'existence de cellules nerveuses, malgré l'opinion classique, qui fait du lobe postérieur un lobe nerveux, reste au moins très douteuse.

3° La troisième hypothèse, celle qui semble la plus vraisemblable et qui est le plus en accord avec les faits cliniques et expérimentaux, a été imaginée par Loeb.

Pour lui, la glycosurie serait la conséquence de la com- pression exercée par la tumeur pituitaire sur les parties voisines de l'encéphale. Il ne s'agit pas là d'une compression générale intracrânienne ou de désordres dans les conditions de pression du liquide céphalo-rachidien, puisque ces mêmes troubles se

(1) ARNOLD LORAND (de Carlsbad), L'origine du diabète et ses rapports avec les états morbides des glandes sanguines. Conférence faite à la Société royale des sciences méd. et naturelles, 2 mars 1903. Journal méd. de Bruxelles, 1903, n° 12, p. 187 et Congrès de Madrid, 1905. — Voir aussi l'opinion du même auteur sur cette question in Presse méd., 1903 et C.-R. Soc. de Biologie, 1904.

retrouvent dans toutes les tumeurs cérébrales, de localisation indifférente, où l'on sait que la glycosurie s'observe exceptionnellement. La compression de la tumeur pituitaire capable de produire la glycosurie doit nécessairement s'exercer sur un centre glycogénique situé dans les parages du corps pituitaire, peut-être au niveau du tuber cinereum.

L'hypothèse d'un nouveau centre glycogénique, voisin du corps pituitaire, n'est pas inadmissible. Avec Claude Bernard on crut longtemps que le seul centre glycogénique encéphalique était situé au niveau du plancher du quatrième ventricule.

Mais Schiff produisit la glycosurie par la lésion des couches optiques, des pédoncules cérébraux, du pont de Varole, des pédoncules cérébelleux moyens et inférieurs. De même, Lépine (1), rapportant un cas de diabète par ramollissement du corps strié, avec lésion de la capsule interne, pouvait écrire : « C'est un fait acquis que l'irritation de diverses parties du cerveau peut occasionner l'apparition du diabète ». De son côté, Eckhardt (2) a réussi à reproduire chez le lapin, par lésion du lobe postérieur du vermis, la polyurie avec glycosurie. Enfin, Loeb(3), dans l'apoplexie cérébrale, Naunyn (4), dans les hémorragies, ont signalé la fréquence relative de la glycosurie.

Aujourd'hui le diabète nerveux ne peut plus être considéré comme le symptôme spécifique d'une lésion du plancher du quatrième ventricule, mais comme un phénomène presque banal pouvant accompagner les altérations des régions encéphaliques les plus diverses. En particulier, la fréquence avec laquelle la glycosurie accompagne les tumeurs du corps pituitaire rend très vraisemblable l'hypothèse d'un centre glycogénique voisin de lui, sur lequel la tumeur agirait par compression directe.

La réalité de la compression exercée par les tumeurs sur leur voisinage est prouvée tout d'abord par l'écrasement si habituel des nerfs et bandelettes optiques, par l'usure des os et par l'élargissement de la selle turcique. Mais, en outre, Loeb

(1) LÉPINE, Revue de Médecine, 1897, p. 835.

(2) ECKHARDT, cité par Loeb.

(3) LOEB, Apoplexia cerehri und Glicosuria. Prager Wochenschrift, 1892, n° 50.

(4) NAUNYN, Ueber Diabeles mellitus.

fait observer que plusieurs faits cliniques confirment, en l'illustrant très curieusement, sa théorie pathogénique. Tel est le cas de Finzi (obs. IX) dans lequel les symptômes acroméga- liques et le diabète s'étaient montrés à la suite d'une chute sur la région sacrée. Progressivement le sucre disparut des urines.

A l'autopsie, on trouva que l'hypophyse absente était remplacée, dans la selle turcique, par une épaisse masse blanche fibreuse, vestige d'une tumeur qui, en régressant et en faisant cesser la compression qu'elle exerçait sur les parties voisines, aurait, d'après Loeb, amené la disparition du diabète(1).

Le cas de Strümpell (obs. XI) est d'une explication plus difficile : en février 1888, on constate l'existence d'une glycosurie abondante; en mai de la même année, le sucre avait disparu. Il se montre à nouveau en octobre, puis tend à disparaître, et en décembre l'ingestion d'une quantité abondante d'hydrates de carbone n'amène nullement le passage du sucre dans les urines. A la fin même de ce mois de décembre, de nouveau, on constate une glycosurie évidente. Elle persiste plus d'une année, puis disparaît à la suite de la diète carnée exclusive, puis se montre une fois de plus, et ainsi de suite.

Le malade étant mort, on trouve à l'autopsie une tumeur du corps pituitaire, mollasse, laissant sourdre à la coupe un suc lactescent; son aspect autorise à penser qu'elle avait pu subir, pendant la vie, des variations de volume, augmentations ou diminutions alternatives, capables, d'après Loeb, d'expliquer les apparitions et disparitions alternatives du sucre dans les urines.

Dans ce cas, il se serait produit.pour la glycosurie ce qui se passa pour les troubles visuels chez un malade de Saemisch (2) qui présentait de l'hémianopsie bitemporale, des vertiges et de la céphalée. La fonction visuelle, qui avait été nulle, réapparut par la suite, en même temps que les autres symptômes s'amélioraient. A l'autopsie, on trouva un angio-sarcome du corps pituitaire.

(1) FINZI (Riforma mectica, 25 avril 1901, p. 254) critique, il est vrai, cette interprétation de son cas par LOEB : il fait remarquer qu'outre la dégénération de l'hypophyse il existait une méningo-myélite chronique, et qu'avant d'affirmer que l'hypophyse est la seule lésion, capable d'expliquer tous les symptômes de l'acromégalie il faut s'assurer que l'axe cérébro-spinal dans son entier est indemne de toute altération anatomique, secondaire ou primaire.

(2) SAEMISCH, Klin. Monatsblätter, 1865, p. 61.

Il y a donc des tumeurs, et c'est le cas pour les tumeurs du corps pituitaire, d'ordinaire assez vascularisées, dont la réplétion alternative peut produire des oscillations de pression suffisantes pour faire varier la compression des organes voisins et amener des changements symptomatiques assez notables.

Enfin Loeb produit encore à l'appui de sa théorie l'observation communiquée par Schech (1) au Congrès de laryngologie de Heidelberg : elle concerne un malade chez lequel l'extirpation d'un polype du sinus sphénoïdal amena de la polyurie et de la glycosurie, qui furent attribuées à une hémorragie de la base par fracture de la paroi du sinus. Il y avait de plus compression des régions encéphaliques voisines de l'hypophyse.

Ces faits cliniques rendent très vraisemblable la théorie de Loeb sur la pathogénie de la glycosurie hypophysaire. Jusqu'à présent les résultats expérimentaux ont été trop incomplets pour en apporter la preuve péremptoire. Sans doute Falkenberg(2), Gley(3), Rogowitch(4), Traina(5), ont constaté chez les chiens thyroïdectomisés une augmentation concomitante de la glande pituitaire. Mais il n'est guère qu'une expérience de Caselli qui permette de supposer l'existence d'un centre glycogénique sur lequel s'exercerait la compression des tumeurs de l'hypophyse.

Dans une expérience restée unique en son espèce, Caselli réussit à détruire le lobe postérieur de la glande pituitaire chez un chien, sans léser le lobe antérieur. La glycosurie qui s'ensuivit pourrait donc s'expliquer, ou par la lésion de la portion nerveuse de l'hypophyse, ou, plus vraisemblablement, par un traumatisme agissant dans le voisinage, en particulier au niveau du tuber cinereum. Cette région renferme des éléments nerveux de structure élevée, tandis que dans le lobe postérieur de l'hypophyse les éléments nerveux sont si rudimentaires qu'on peut affirmer qu'ils n'existent pas, au moins chez l'animal adulte, ainsi que de nombreuses recherches l'ont appris à l'un de nous.

(1) SCHECH, Deutsche medicinal Zeitung, 1898, n° 46.

(2) FALKENDERG, Centralblatt für klin. Med., 1891.

(3) GLEY, Soc. de Biologie, 1891.

(4) ROGOWITCH, Sur les effets de l'ablation du corps thyroïde chez les animaux. Arch. de Physiol., 1898, II, p. 419.

(5) TRAINA, Ricerche sperimentali sul sistema nervoso degli animali tireoprivi.

Policlinico, 1898.

Si imparfaite et si critiquable que soit l'expérience de Caselli que nous venons de rapporter, elle n'en est pas moins fort intéressante. Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir Caselli adopter l'opinion de Loeb et admettre qu'il existe dans le tuber cinereum un centre nerveux dont la lésion donne lieu à une glycosurie marquée, s'accompagnant de symptômes propres au diabète sucré.

Comme un seul fait expérimental ne nous parait pas suffisant pour édifier une théorie pathogénique, nous serons moins affirmatifs que l'auteur italien. En rassemblant les données du problème, nous avons surtout cherché à mettre en valeur l'étroitesse des relations qui unissent certaines glycosuries aux tumeurs de l'hypophyse et nous conclurons en disant qu'il appartient à la physiologie expérimentale plus encore qu'à la physiologie pathologique de préciser ces relations avec toute la rigueur scientifique désirable.

CHAPITRE III

HISTORIQUE DU GIGANTISME ACROMÉGALIQUE

La nature des rapports qui unissent le gigantisme à l'acromégalie est encore discutée aujourd'hui et quelques observateurs n'admettent pas une étroite parenté entre ces deux dystrophies. Henry Meige(1) résumait récemment l'historique des discussions soulevées sur ce sujet; elles sont multiples déjà, malgré qu'un temps très court se soit écoulé depuis que l'acromégalie a été isolée dans un cadre nosologique particulier par Pierre Marie (1886).

Dans le premier mémoire original de 1886 (2) où Pierre Marie étudiait « une affection singulière caractérisée par l'hypertrophie non congénitale des extrémités supérieures, inférieures et céphaliques, » cet auteur reconnaissait que plusieurs dès anciennes observations auxquelles pouvait se rapporter sa description

(1) HENRY MEIGE, Sur le gigantisme. Arch. gén. de Méd., octobre 1902.

(2) P. MARIE, loc. cit.

avaient été publiées sous le titre de gigantisme; mais il en concluait simplement que les observateurs, frappés par l'apparence gigantesque de quelques malades, avaient méconnu les déformations tout aussi caractéristiques, présentées par d'autres individus, n'ayant qu'une taille ordinaire.

Cette même idée était reprise en 1889 par Georges Guinon, qui, pour éviter toute confusion, s'efforçait de préciser les caractères distinctifs de ces deux états morbides : « Il existe encore une classe d'individus avec lesquels on a confondu, plus d'une fois, les acromégaliques, ce sont les géants.

Les raisons pour lesquelles on peut affirmer que le gigantisme et l'acromégalie sont absolument différents l'un de l'autre sont de deux ordres : 1° tous les acromégaliques, ainsi que l'a déjà montré P. Marie, sont loin d'être des géants; en effet, s'il est vrai que, en tenant compte de la diminution de stature qui peut résulter de la cyphose, quelques malades aient eu près de six pieds, le plus grand nombre avaient moins de 1 m. 75, et chez les femmes le chiffre de 1 m. 60 semble répondre à la majorité des cas; de telle sorte qu'on peut dire que, assez souvent, les sujets atteints d'acromégalie présentent une taille un peu au-dessus de la moyenne, mais il ne saurait ici être question de considérer le gigantisme comme l'un des caractères de cette affection. On devra d'ailleurs remarquer que les tailles sont plus élevées dans les anciennes observations que dans les nouvelles, l'attention des observateurs n'étant alors attirée que par des malades dont la taille élevée attirait les regards sur les dimensions colossales des membres; 2° dans le gigantisme, l'aspect n'est nullement celui que l'on constate dans l'acromégalie, les différents segments des membres et de la face conservant notamment, par rapport les uns aux autres, les dimensions ordinaires ; enfin, l'âge auquel se montrent ces modifications dans le volume des membres, la façon progressive avec laquelle celles-ci procèdent, tout révèle que non seulement il s'agit bien de deux états absolument différents, mais encore que, contrairement au gigantisme qui n'est, le plus souvent, que l'exagération d'un processus normal, l'acromégalie est une véritable maladie ('). »

(1) G. GUINON, Sur L'acromégalie. Gazette des hôpitaux, 9 novembre 1889, p. 1163.

Il suffira de se reporter à notre définition pathologique du gigantisme pour comprendre que nous ne saurions accepter cette distinction entre l'état de maladie et « l'exagération d'un processus normal », lequel, à proprement parler, ne peut être qu'un processus morbide.

Néanmoins les arguments de Georges Guinon étaient reproduits, en 1890, par Souza-Leite(1) dans sa thèse et par Pierre Marie lui-même, en 1896, à la Société médicale des Hôpitaux (2).

« Ces arguments, ajoutait-il, me semblent aujourd'hui encore aussi valables qu'au premier jour, et, quel que soit le talent avec lequel MM. Brissaud et Meige ont soutenu leur thèse, je ne saurais admettre que le gigantisme et l'acromégalie soient « la même maladie ».

« Et d'abord, pour bien s'entendre, il n'est rien de tel que de définir les termes sur lesquels on discute: qu'est-ce donc que le « gigantisme »? Peut-on dire que c'est une maladie, et surtout peut-on, avec Brissaud et Meige, dire que c'est telle maladie? Je ne le pense pas.

« Qu'est-ce qu'un géant? A partir de quelle taille est-on un géant? Au-dessous de combien de centimètres n'en est-on plus un? J'avoue que la réponse à ces questions me paraît bien vague et que le mieux semble être de confesser qu'en parlant de géants nous employons un terme dont les limites scientifiques manquent un peu de précision. Mais je ne veux pas argumenter davantage sur ce point, et tout ce que je cherche à établir, c'est que ce terme de « géants » comprend des états fort divers. Prenons, par comparaison, un terme symétrique, celui de « nains ». Nous y voyons des rachitiques, des syphilitiques héréditaires, des myxœdémateux, etc. ; pourquoi n'en serait-il pas de même des « géants»? Pour moi, c'est là purement et simplement un terme générique sans signification précise et comprenant des états fort différents, les uns (gigantisme vrai) consistant, comme je l'ai dit déjà, dans une simple exagération du processus physiologique, les autres (gigantisme symptomatique), n'étant qu'une manifestation d'une affection préexistante (acromégalie, syphilis héréditaire, etc.).

(1) SOUZA-LEITE, De l'acromégalie (Maladie de P. Marie), Thèse, Paris, 1890.

(2) P. MARIE, Sur deux types de déformation des mains dans l'acromégalie Soc. méd. des Hôpitaux, 1er mai 1896, p. 414.

« Cette manière de voir a d'ailleurs été adoptée par un certain nombre d'auteurs, et Sternberg (1), qui a consacré à ce sujet une étude spéciale, arrive à cette conclusion que sur 34 cas de gigantisme existant dans la science, et présentant des garanties suffisantes d'examen, 14 sont des cas d'acromégalie, soit 42,2 pour 100. Certes, c'est là un chiffre considérable, mais il n'en est pas moins vrai que l'acromégalie ne fournit pas même la moitié des cas de gigantisme connus; aussi nous croyons-nous aujourd'hui encore parfaitement autorisé à conclure, contrairement à Brissaud et Meige et Massalongo, que acromégalie et gigantisme ne sont nullement des états pathologiques identiques, mais bien que l'acromégalie est pure- ment et simplement un des facteurs du gigantisme. »

Au contraire des dualistes, dont P. Marie est assurément le représentant le plus autorisé, un grand nombre d'auteurs ont estimé que l'acromégalie n'était pas seulement un des facteurs du gigantisme, mais qu'entre les deux affections il y avait identité de nature.

Virchow (2), le premier, en 1889, indique d'une phrase la possibilité de cette hypothèse, mais pour la repousser. Rapportant l'histoire d'un homme célèbre plus pour sa vigueur que pour ses proportions, qui, à la fin, vit ses forces et son esprit baisser et chez lequel se montrèrent les déformations acromégaliques caractéristiques, il écrit : L'acromégalie est un état secondaire de dégénération après l'hypercroissance.

Après lui d'autres documents sont apportés pour éclairer la question : Langer (3) (1872), Fritsche et Klebs(4) (1884), Cun-

(1) STERNBERG divise les Géants en normaux (haute taille, sans difformité, ni aucun état maladif; type : Winckelmeyer) et en pathologiques. Ce dernier groupe de Géants pathologiques comprend : l'acromégalie, — les exostoses néoplasiques multiples, — l'hémihypertrophie faciale, — les courbures multiples des os, — l'hérédo-syphilis, — le développement prématuré avec croissance rapide et tumeur du testicule dans l'enfance, etc. « Le terme de géant n'est rien autre qu'une expression générique désignant des états très différents, qui, les uns et les autres, ont pour seul point commun de dépasser la taille moyenne. » Specielle Pathologie und Therapie (Nothnagel), VII, Band II. theil, Wien, 1897. (Note des A.) (2) VIRCHOW, Berl. klin. Woch. 1889, XXVI, 81.

(3) LANGER, loc. cit.

(4) FRITSCHE et KLEBS, loc. cit. — STERNBERG reproche, il est vrai, à FRITSCHE et KLEBS d'avoir lu trop vite le travail de LANGER, lorsqu'ils croient que cet auteur indique l'hyperthrophie de l'hypophyse chez un géant dont l'accroissement exagéré s'est produit peu à peu et sans trouble spécial, comme une

ningham (1) (1891), Taruffi(2), Tamburini(3) (1892), retrouvent sur les squelettes d'anciens géants, conservés dans les muséums, toutes les déformations caractéristiques de l'acromégalie, et notamment cette dilatation de la selle turcique qui est la marque de l'hypertrophie du corps pituitaire. Et, dès 1892, Massalongo(4) pouvait écrire, sans toutefois apporter de documents personnels : L'acromégalie n'est pas autre chose qu'un gigantisme tardif anormal.

Puis des observations de géants autopsiés ne tardèrent pas à venir confirmer d'une manière éclatante l'hypothèse de l'identité des déformations et de la lésion causale des deux affections.

En 1893, deux auteurs apportaient au Pan American médical Congress deux cas typiques à cet égard : Dana rapportait l'autopsie du géant péruvien (obs. 9) et Woods Hutchinson celle de la géante française lady Aama (obs. 6). Les faits se multiplièrent : observations de géants vivants reconnus acromégaliques (Brissaud et Meige (obs. 29), Matignon (obs. 27), Woods Hutchinson (obs. 16, 17, 18), Achard et Lœper); observations de géants autopsiés reconnus porteurs d'une tumeur du corps pituitaire (Buday et Jancso, Caselli). Nous-même avons apporté une double contribution à la défense de cette thèse et nous pouvons citer, d'une part, notre géant Charles qui s'acromé- galise à mesure que ses cartilages épiphysaires, anormalement persistants, s'ossifient (obs. I, page 56), et, d'autre part, notre tambour-major K., géant acromégalique et diabétique, à l'autopsie duquel nous avons trouvé un volumineux épithélioma du corps pituitaire (obs. VIII, page 159).

Tous ces faits, et nous n'avons mentionné que les plus importants, tendent à établir une étroite connexion entre ces deux affections hyperostéogéniques : l'acromégalie et le gigantisme.

« Le gigantisme et l'acromégalie, disaient Brissaud et Meige,

simple exagération du travail de croissance ; « cette fausse interprétation.

dit STERNBERG, devint décisive pour la plupart et donna lieu à une confusion regrettable de la part des auteurs français et italiens sur la compréhension des rapports entre le gigantisme et l'acromégalie », loc. cit., p. 4.

(1) CUNNINGHAM, loc. cit.

(2) TARUFFI, loc. cit.

(3) TAMBURINI, loc. cit.

(4) MASSALONGO, Sull' Acromegalia. Riforma medica, 157, 158. juillet 1892.

dès 1895, sont une seule et même maladie, ou du moins, s'il s'agit de deux maladies nosographiquement différentes, la même cause semble provoquer l'une et l'autre et en diriger l'évolution.

« Dans celle-ci comme dans celle-là, l'hypertrophie primitive du squelette et l'hypertrophie secondaire des parties molles se produisent dans un laps de temps déterminé, puis le processus ostéogénique s'arrête.

« Si cette époque du temps pendant laquelle l'exubérance de l'ossature s'accomplit appartient à l'adolescence et à la jeunesse, le résultat est le gigantisme, et non l'acromégalie.

« Si elle appartient à l'âge adulte, c'est-à-dire à une époque de la vie où la stature est depuis longtemps un fait acquis, le résultat est l'acromégalie.

« Si enfin, après avoir appartenu au temps de la jeunesse, pendant lequel la taille continue à s'accroître, elle empiète sur le temps où l'on est homme fait, en d'autres termes sur la phase de l'existence qui ne comporte plus de développement ostéogénique, le résultat est la combinaison de l'acromégalie et du gigantisme.

« L'acromégalie est le gigantisme de l'adulte, le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescent (1). »

Et d'autre part, l'année suivante, voici comment Brissaud, à la Société médicale des hôpitaux (14 mai 1896), répondait aux objections formulées par Pierre Marie et reproduites ci-dessus : « Il semble à M. Marie que c'est « retourner au point de départ que de vouloir identifier le gigantisme avec l'acromégalie, alors que, dans une revue datée de 1889, il s'efforçait de distinguer l'une de l'autre ces deux affections ». Sur ce premier point, le reproche ne porte pas : en matière de doctrines médicales, on revient souvent au point de départ. C'est même là une des formes du progrès. Les opinions se meuvent un peu comme la roue de la Fortune. La roue tourne, mais elle avance; et, après une révolution complète, le point de départ est derrière elle. Si nous sommes revenus au point de départ, c'est-à-dire à la théorie uniciste, nous prétendons quand même avoir fait quelque chemin.

(1) BRISSAUD et MEIGE, Gigantisme et acromégalie. Journ. de méd. et de chir.

pratiques, 25 janvier 1895, p. 73 et 76.

« Tous les acromégaliques sont loin d'être des géants », dit M. Marie. D'accord, cela ne prouve pas que les uns et les autres soient différents par nature. Les dimensions extérieures n'ont qu'une valeur relative; je le démontrerai tout à l'heure.

M. Marie dit encore : « Dans le gigantisme, l'aspect n'est nullement celui que l'on constate dans l'acromégalie. » Nous ne l'avons pas nié davantage.

« Notre contradicteur résout trop prestement la difficulté quand il dit : « Ce terme de géant comprend des états forts « divers. Prenons par comparaison le terme symétrique, celui « de nain. Nous y voyons des rachitiques, des syphilitiques hé« réditaires, myxœdémateux, etc., pourquoi n'en serait-il pas de « même des géants? » Pourquoi? je vais le dire. Cette liste des états morbides qui permettent de considérer le nanisme comme quelque chose de très vague et de réellement indéterminé, M. Marie aurait pu l'augmenter encore. Mais il eût été bien embarrassé d'augmenter la liste des états morbides qui donnent lieu au gigantisme. Parmi ceux-là il cite l'acromégalie et la syphilis héréditaire. L'acromégalie, c'est la question même, et je n'en parle pas. Quant au pouvoir gigantogène de la vérole, les preuves n'en sont pas encore éclatantes. Il me semble que la moyenne de la taille humaine aurait dû prodigieusement augmenter depuis la découverte de l'Amérique, si cette vertu n'était pas usurpée. Non, le gigantisme n'est pas à l'antipode du nanisme au point de vue pathologique et la comparaison n'est pas justifiée. D'ailleurs, il est facile de se rendre compte par les chiffres que, ne relevant que de lui-même et indépendant de tant d'autres circonstances morbides capables de produire le nanisme, il est, en fait, beaucoup plus rare que ce dernier. Qu'on ouvre simplement le livre si intéressant de Garnier, Sur les Géants et les Nains, et l'on constatera que le chapitre où il traite des nains occupe 250 pages, tandis que celui consacré aux géants n'en compte que 50 à peine.

« Les chiffres ont une signification encore plus éloquente lorsqu'on envisage sans parti pris les rapports numériques des cas d'acromégalie et de gigantisme. D'après Sternberg, sur 54 cas de gigantisme existant dans la science et présentant des garanties suffisantes d'examen, 14 sont des cas d'acromégalie, soit 42,5 pour 100. P. Marie constate que, « si c'est là un chiffre

« considérable, il n'en est pas moins vrai que l'acromégalie ne « fournit pas même la moitié des cas de gigantisme connus».

« Assurément, mais faut-il en induire que l'acromégalie soit purement et simplement un des facteurs du gigantisme ?

« Pas du tout, nous allons le voir. Cette statistique de Sternberg met en relief un fait sur lequel Pierre Marie ne s'était pas jusqu'ici prononcé, à savoir que la moitié des cas de gigantisme authentique font retour à l'acromégalie.

« De combien d'états morbides se compose donc l'autre moitié?

« A mon avis, d'un seul, qui est le gigantisme proprement dit, essentiel, si l'on veut, c'est-à-dire celui qui ne consiste que dans l'exagération d'un processus normal. Or, je ferai observer que bon nombre de géants, ressortissant à cette seconde moitié, peuvent être des acromégaliques sans présenter, d'une manière évidente, les caractères morphologiques qui rendent du premier coup le diagnostic indiscutable.

.« L'acromégalie continue le gigantisme. Qu'on interroge avec soin les géants acromégaliques, qu'on s'efforce de savoir très exactement l'époque de leur vie où les protubérances de l'acromégalie ont commencé à poindre, et voici ce qu'on apprendra toujours, nous le prétendons du moins jusqu'à plus ample informé : c'est que les difformités acromégaliques n'ont apparu qu'au moment où la taille est devenue définitive.

Pendant la période de croissance, les proportions respectives des différentes parties du squelette étaient demeurées normales. L'acromégalie ne se révèle donc qu'à partir du jour où le développement en longueur est enrayé par la soudure indestructible des cartilages diaphysaires.

« L'exagération du processus normal se poursuit néanmoins chez quelques sujets au delà du laps de temps prévu par la croissance. Jusqu'alors les rapports réciproques des différentes parties du squelette n'avaient éprouvé aucune modification appréciable, et l'équilibre organotaxique n'avait pas été troublé. Mais, si la couche périostique d'ossification n'interrompt pas sa besogne histogénique en même temps que le cartilage inter-épiphyso-diaphysaire, toutes les têtes osseuses, toutes les sutures des os longs, toutes les tables externes des os larges vont s'épaissir. La main, par exemple, ne pouvant

plus s'accroître en longueur, va augmenter en largeur et en épaisseur. L'hypertrophie se fait dans le sens des deux dimensions de l'espace restées libres. Et cette hypertrophie; qui par une sorte de vitesse acquise, n'est que la suite d'un travail physiologique excessif et depuis longtemps commencé, représente finalement un type complexe, qui n'est ni de hasard ni de convention et auquel on pourra, si l'on veut, donner le nom épouvantable d'acromégalo-gigantisme. Tant mieux pour le géant si la vitesse acquise est épuisée avant la fin de la croissance; on peut se consoler d'une taille exorbitante quand on n'est pas difforme. Tant pis, si l'ostéogénie périostique n'est pas enrayée à la fin de l'adolescence; on n'était que géant, on devient acromégalique ; et à plus forte raison, tant pis encore, si, en vertu d'un réveil mystérieux et imprévu de l'énergie de développement, l'ostéogenèse reprend sur de nouveaux frais lorsqu'on a fini depuis longtemps de grandir. Il faut se résigner à n'être qu'un vulgaire acromégalique et l'on n'a même pas la compensation d'une belle prestance. Ces réveils tardifs de la force ostéogénique ne sont pas exceptionnels : la pathologie humaine et animale nous en offre par centaines de très curieux exemples.

« Il ne faut pas prendre absolument au pied de la lettre la formule : le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescence, pour la simple raison que l'adolescence n'est pas une période mathématiquement définie.

« Je modifierai notre première formule et, sans en rien changer quant au fond, je dirai : Le gigantisme est l'acromégalie de la période de croissance proprement dite, l'acromégalie est le gigantisme de la période de croissance achevée; l'acromégalo-gigantisme est le résultat d'un processus commun au gigantisme et à l'acromégalie, empiétant de l'adolescence sur la maturité(1). »

Enfin les conclusions de Woods Hutchinson, en 1900, sont tout aussi explicites que celles de Brissaud : « Tous ces faits justifient du moins cette tentative de conclusion, jusqu'à ce que l'évidence du contraire soit produite, que l'acromégalie et le gigantisme sont simplement des expressions diffé-

(1) BRISSAUD, Sur les rapports réciproques de l'Acromégalie et du Gigantisme. Soc. méd. des Hôp., 14 mai 1896.

rentes d'un seul et même état morbide; en d'autres termes, que l'acromégalie est une tendance à la croissance générale qui, pour certaines raisons, ne commence pas à se manifester avant que la taille adulte ait été atteinte et qui, par conséquent, se manifeste sur les points du corps où la croissance cesse en dernier (les extrémités des os longs et les segments distaux des membres) ; secondement, que le gigantisme, dans la grande majorité des cas, est le même état se manifestant dans l'enfance ou avant que la taille adulte ait été atteinte, et que, par suite, la croissance y est plus symétrique et moins strictement confinée aux derniers segments des membres et aux épiphyses ; dans quelques cas, toutefois, la tendance semble être pour ces derniers segments de croître d'une manière asymétrique et excessive ; troisièmement, qu'étant donnés la brièveté de la vie, la stérilité, la débilité mentale, le développement physique faible et incomplet des géants, nous sommes justifiés à regarder l'acromégalie et le gigantisme comme deux états morbides ayant presque exactement la même évolution et comportant un pronostic identique; enfin, que dans le pourcentage remarquablement étendu de tous les cas soigneusement étudiés, des deux affections, dans lesquels se trouve notée l'hypertrophie du corps pituitaire, nous avons ce qui semble être la base pathologique commune de ces deux états morbides(1). »

Pour notre part, nous partageons absolument les opinions exprimées par tous ces auteurs, notamment par Brissaud et Meige, et par Hutchinson. Nos études sur le gigantisme, entreprises sans parti pris et sans avoir pu prévoir à l'avance les résultats qu'elles nous donneraient, nous ont tout naturellement conduits à des conclusions identiques : nous avons tenu à remonter aux sources, à relire soigneusement et dans le texte original la plus grande partie de la littérature gigantologique, et nous nous trouvons obligés de déclarer que nous sommes encore à chercher l'observation précise et complète d'un géant (squelette, géant vivant ou géant autopsié) qui ne présente ni déformations acromégaliques, ni tumeur du corps pituitaire.

Nous ne voulons pas affirmer qu'un tel géant ne puisse se

(1) WOODS HUTCHINSON. La glande pituitaire considérée comme facteur de l'acromégalie et du gigantisme, New-York med. Journ., 14 juillet 1900, t. II, p, 92.

rencontrer; mais, en ce qui nous concerne, nous ne l'avons pas trouvé.

Et pourtant nous l'avons consciencieusement cherché : tout récemment encore nous faisions une enquête pour savoir si on avait pu pratiquer l'autopsie du fameux Géant Constantin, qui se montra avec succès dans un Music-Hall de Paris, il y a quelques années, et qui succomba aux suites d'une septicémie gangreneuse à l'hospice civil de Mons (Belgique); et voici ce que très aimablement nous répondait le docteur Dufrane (de Mons) : «. Du côté du cerveau, ce qui nous frappa, c'est le développement de la glande pituitaire, du volume d'une grosse noix.

La selle turcique qui la contenait était tellement profonde qu'en soulevant la base du cerveau il nous sembla tomber dans le canal médullaire. » (Lettre inédite à P.-E. Launois, 18 janvier 1903.) On lira plus loin (page 517) l'observation du Géant Constantin, que nous avons publiée ultérieurement avec la collaboration de Dufrane.

Donc, « jusqu'à ce que l'évidence du contraire soit produite », nous devons tenir pour exactes les conclusions formulées par Brissaud et Meige et par Woods Hutchinson.

Si pourtant il fallait modifier une fois de plus la formule Brissaud-Meige, nous proposerions de l'étendre encore, en la précisant, instruit par l'exemple de notre Géant Charles, aux cartilages de conjugaison encore persistants à 30 ans, et de dire que, non seulement le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescence ou même de la période de croissance, mais, plus précisément encore, que le gigantisme est l'acromégalie des sujets aux cartilages épiphysaires non ossifiés, quel que soit leur âge.

Mais, à notre avis, le problème, si longuement controversé, de l'identité de nature du gigantisme et de l'acromégalie doit être aujourd'hui, sinon entièrement résolu, du moins reculé jusqu'à la glande pituitaire, en raison de la particulière constance de la lésion de cet organe; et nous dirons simplement, une fois de plus, que, sans préjuger de la nature et des causes encore mal connues de ces deux états morbides, l'acromégalie et le gigantisme nous apparaissent comme des syndromes pituitaires, dont nous aurons à préciser la valeur et les rapports,

mais dont, dès à présent, il est possible de tracer les caractères distinctifs.

Avant d'aborder leur description, on doit reconnaître, avec Pierre Marie et Sternberg, que tous les géants ne présentent pas de déformations acromégaliques. Mais, comme on le verra plus loin, en étudiant le géant Constantin (page 517) nous croyons avoir démontré que tous ceux du moins qui ne sont pas déjà acromégaliques sont aptes à le devenir.

CHAPITRE IV

DESCRIPTION DU GIGANTISME ACROMÉGALIQUE

Le gigantisme acromégalique est cette forme clinique du gigan- tisme où la dysharmonie morphologique et fonctionnelle caractéris- tique reproduit, à un degré plus ou moins accentué, les syptômes et les déformations acromégaliques, après soudure, retardée ou non, des épiphyses aux diaphyses.

Chez nombre de géants, comme chez notre tambour-major, on retrouve la plupart des stigmates de l'acromégalie. Tantôt, peu marquées, les difformités doivent être recherchées, tantôt, très accusées, elles attirent l'attention à la simple inspection et sont aussi remarquables que les dimensions exagérées de la taille du sujet qui en est porteur. Le volume considérable et disproportionné des mains et des pieds, l'aspect disgracieux, parfois même repoussant, du visage, l'affaissement souvent notable du tronc rendent peu enviable l'apparent prestige de la taille gigantesque, même aux yeux du profane qui, cependant, ne pose pas le diagnostic d'acromégalie en présence du sujet exhibé. Et, pour la plupart des phénomènes forains, le cachet d'anomalie monstrueuse ou pathologique que nous voudrions attacher au mot même de Géant ne paraît certes pas déplacé.

C'était véritablement le cas pour le géant Jean-Pierre Mazas de Montastruc, si bien étudié par Brissaud et Meige(1), en 1895,

(1) E. BRISSAUD et II. MEIGE, Gigantisme et acromégalie. Journ. de méd. el de chir. prat., 25 janvier 1895, p. 49, art. 16 208.

et qui, jusqu'à ces dernières années, était traîné à travers les fêtes et les champs de foire, lamentable débris d'une vigueur et d'une taille jadis phénoménales, incapable, dans les derniers jours d'exhibition, de se tenir debout et se contentant d'exposer devant ses curieux visiteurs la colossale envergure de ses deux

FIG. 50. — Jean-Pierre Mazas, géant de Montaslruc. (BRISSAUD et H. MEIGE.)

bras étendus.

Représentant le type plus achevé de géant acromégalique, il doit être choisi comme sujet de description.

Celle qu'en ont donnée Brissaud et Meige ne peut être égalée; le mieux est de la reproduire in extenso.

OBSERVATION IX.

(Brissaud ET Henry Meige.) Jean-Pierre Mazas, géant de Montastruc (1).

I. Les bizarreries du corps humain ont toujours donné prétexte à des exhibitions.

A côté des géants et des nains, qui sont de toutes les fêtes, on voit les hommes-poissons, les femmes colosses, les hommeschiens, etc. La description de ces monstruosités trouve sa place dans les traités de dermatologie ou de tératologie. On a bien raison de ne pas faire fi de la curiosité qu'elles inspirent ; elles ont conduit parfois à d'intéressantes découvertes.

Nous avons vu dans une foire

un bel exemple d'atrophie musculaire présenté au public sous le nom d'homme-squelette.

(1) BRISSAUD et MEIGE, Journ. de méd. et de chir. prat., 25 janv. 1895.

Un hasard du même genre nous a permis d'observer un curieux cas d'acromégalie associée au gigantisme.

L'été dernier, à la fête foraine de l'Esplanade des Invalidés, une grossière peinture sur toile, tendue sur la façade d'une baraque, représentait un personnage colossal, debout, au milieu d'un paysage fantai-

siste. Malgré la médiocrité de l'exécution, il y avait dans la figure de ce géant un trait significatif : elle était toute en mâchoire. En outre, les pieds et les mains semblaient d'excessives dimensions.

Ces disproportions choquantes pouvaient être mises sur le compte de l'impéritie d'un artiste très préoccupé de représenter un être phénoménal. Elles évoquaient ce- pendant le souvenir d'une déformation pathologique bien connue, et il n'était pas impossible que l'auteur de cette peinture eût consciencieusement reproduit son modèle.

Nous en fûmes bientôt convaincus.

Un prospectus faisait déjà connaître quelques détails peu ordinaires sur le sujet enfermé dans la baraque. Et, pour allécher le public, celuici passait de temps en temps, au travers d'une ouverture ménagée à cet effet, une main dont les proportions gigantesques laissaient deviner un corps à l'avenant.

Pour un sou, l'on entrait.

Sur une estrade, le person- nage figuré à l'extérieur, prétentieusement accoutré, exhibait ses formes colossales.

FIG. 51. — Jean-Pierre Mazas, géant de Montastruc.( BRISSAUD et H. MEIGE.)

L'artiste avait vu juste: Un corps énorme et déformé, une tète au maxillaire inférieur très proéminent, des mains et des pieds hors de toute proportion.

Si le phénomène en question était bien un géant, c'était aussi un acromégalique.

Désireux de l'examiner plus complètement, nous lui avons demandé de venir un matin à l'hôpital. Après bien des difficultés, il y consentit,

FIG. 52. — Jean-Pierre Mazas, geant de Montastruc. (BRISSAUD et H. MEIGE.)

et nous avons pu recueillir en détail son observation.

II. HISTOIRE CLINIQUE. — JEANPIERRE MAZAS, âgé de 47 ans, est né à Montastruc (Haute-Garonne), d'une famille de paysans sur laquelle il n'a pas su fournir de renseignements précis. Son interrogatoire est d'ailleurs assez malaisé: Jean-Pierre ne parle, ou ne veut parler, que le patois de son pays. Il comprend cependant le français, mais se contente de réponses vagues ou laconiques qui nous sont traduites par une femme servant à la fois de barnum et de truchement.

Nous savons seulement que tous les membres de sa famille sont en bonne santé et vigoureux ; beaucoup sont de grande taille, mais non gigantesques.

Lui-même a toujours été bien portant dans son enfance, et, jusqu'à seize ans, sa taille n'avait rien d'extraordinaire.

A cette époque, il commença à grandir d'une façon excessive, sans cesser toutefois de se bien porter. Il travaillait aux champs et était d'une force remarquable.

A l'âge de 21 ans, lorsqu'il passa le conseil de revision, il avait atteint la taille colossale de deux mètres douze centimètres. Passé ce temps, il aurait encore grandi de huit centimètres. Sa santé resta excellente pendant plus de quinze

années, sa force était célèbre dans toute la région. Jean-Pierre le laboureur maniait sa charrue avec une maestria que lui enviaient les plus robustes cultivateurs. Son poids était de 160 kilogrammes.

Vers l'âge de 37 ans, en soulevant un fardeau très pesant, Jean-Pierre

ressentit une violente douleur dans le dos. Selon lui, il se serait fracturé la colonne vertébrale. Quoi qu'il en soit de cette explication, c'est depuis cette époque que la taille a commencé à décroître par suite d'une déformation progressive du rachis.

Les travaux pénibles étant devenus de plus en plus difficiles, JeanPierre dut renoncer à son métier de laboureur.

Il était condamné à la misère quand un compère avisé lui proposa de tirer parti de sa monstruosité naturelle et de l'exhiber dans les

foires comme géant.

Il accepta, et commença son tour de France en amassant à chaque étape une somme respectable de gros sous.

C'est ainsi qu'il arriva jusqu'à Paris, où, depuis près d'un an, il est devenu une des attractions des fêtes foraines annuelles.

Sans doute, il n'est plus le géant dont la taille atteignit deux mètres vingt centi- mètres. Il ne mesure plus sous la toise qu'un mètre quatre- vingt-six; son torse a gagné en épaisseur une partie de ce qu'il a perdu en hauteur, mais ses membres sont toujours gigantesques, en particulier les extrémités.

Malheureusement, depuis deux ans, sa

FIG. 55. — Jean-Pierre Mazas, géant, de Montastruc.

(BRISSAUD et H. MEIGE.)

santé s'est altérée. Il a eu plusieurs « fluxions de poitrine » consécutives. On voit sur son corps la trace des vésicatoires qui lui furent appliqués à ces occasions. La nuit, il transpire beaucoup ; il boit d'ailleurs énormément : de l'eau, du vin, ou des liqueurs. Il éprouve constamment une grande fatigue. Enfin, depuis un an, il a des maux de têle extrêmement pénibles, la nuit et le jour.

Son intelligence est lente, paresseuse. Son caractère est sombre et difficile. L'appétit sexuel a complètement disparu.

ÉTAT ACTUEL (15 juin 1894). — Il n'est pas aisé de décrire dans son ensemble ce corps difforme et colossal. Les photographies que nous avons faites, après avoir décidé, non sans peine, le malade à se déshabiller, sont suffisamment éloquentes (Fig. 50, 51, 52, 53).

Avec ses bras démesurés qui.descendent jusqu'à mi-jambe, son corps penché en avant, sa face aux pommettes saillantes et son menton proéminent, Jean-Pierre rappelle les grands singes anthropoïdes dont il a aussi le dandinement et certains gestes maladroits (1).

Dans la longueur des membres, dans la largeur des épaules et du bassin, dans l'énormité des extrémités, on retrouve le géant qui mesura plus de six pieds six pouces. Mais il semble que le corps ait été comprimé de haut en bas, le segment inférieur se télescopant dans le supérieur. Entre le bassin et les épaules, une tranche du tronc de plus de 30 centimètres de hauteur a disparu ; elle est remplacée par un amas informe de bosses et de dépressions où il est presque impossible de reconnaître les masses osseuses ou musculaires. Cependant, dans leur ensemble et vues de profil surtout, ces déformations ont de grandes analogies avec celles de l'acromégalie (Fig. 52, 53).

On retrouve en avant et en arrière les deux bosses de Polichinelle — „ mais d'un polichinelle énorme, avec lequel l'allongement du nez et celui du menton complètent la ressemblance.

La bosse antérieure résulte à la fois de la projection en avant de la partie inférieure du thorax et de l'enfoncement de l'abdomen au-dessous et en arrière de cette saillie.

Les cartilages costaux descendent notablement au-dessus de la crête iliaque; la peau, devenue trop lâche et sillonnée de longs plis curvilignes, s'enfonce dans l'encoche ainsi formée.

La gibbosité postérieure est produite par une cyphose énorme de la colonne dorso-lombaire et aussi par l'allongement et le chevauchement des côtes inférieures (Fig. 52, 55).

Au-dessous d'elle, dans la région lombo-sacrée, une courbure de sens inverse, mais de bien moindre hauteur, rend encore plus sensible la saillie de cette gibbosité.

A cette double cyphose s'ajoute une double lordose, à concavité gauche dans la région cervico-dorsale, à concavité droite dans la région dorsolombaire.

En haut, les apophyses épineuses sont enfoncées dans un sillon profond formé par les bords internes des omoplates et leurs masses musculaires.

En bas, et surtout au sommet de la gibbosité, elles sont saillantes et semblent élargies.

La cyphose inférieure est la plus prononcée. De ce fait, toute la partie

(1) L'idée que l'acromégalie était une sorte d'évolution régressive vers le type anthropoïde a été défendue en Allemagne par FREUND. Elle a été soutenue de nouveau tout récemment par HARRY CAMPBELL. North. West. London clin. Society, 12 décembre 1894.

supérieure du corps se trouve déjetée à droite. Ce géant semble avoir été coupé par le milieu, et les deux tronçons, mal raccordés, ne sont plus sur le prolongement l'un de l'autre.

Ainsi, tandis qu'à droite la crête iliaque pénètre sous le rebord costal inférieur qui fait saillie sur le côté, à gauche au contraire, les côtes s'enfoncent dans le bassin qui fait latéralement une bosse proéminente (Fig. 51).

La surface d'implantation du cou sur le tronc est presque verticale.

La fourchette sternale est basse et les clavicules dirigées d'avant en arrière à 45°. Aussi le cou, fortement rejeté en arrière, paraît-il encore plus long par devant. Quand la tête regarde directement en face, la distance du menton à la fourchette sternale est de 11 centimètres.

Le cartilage thyroïde n'est pas très saillant.

La circonférence du cou, à ce niveau, est de 46 centimètres. Le corps thyroïde est peu développé.

On apprécie mal le déplacement des omoplates, mais l'épaule gauche est sensiblement plus élevée que la droite.

Quant aux côtes, les inférieures surtout sont extraordinairement déformées, chevauchant les unes sur les autres, bosselées et comme coudées en certains endroits. Il est difficile de juger si elles ont subi dans leur ensemble une augmentation d'épaisseur ; mais leurs courbures sont méconnaissables.

La circonférence du thorax au niveau de la ligne mamelonnaire est de 155 centimètres. Sa plus grande circonférence, passant par le sommet des gibbosités, dépasse 186 centimètres.

Il n'y a pour ainsi dire plus de ventre. La paroi abdominale antérieure est remplacée par une série de bourrelets séparés par des plis profonds au milieu desquels est perdu l'ombilic. La majeure partie s'enfonce sous le bord inférieur du thorax : les cartilages costaux et l'appendice xiphoïde sont presque en contact avec le pubis. Les mamelons sont à la hauteur de l'épine iliaque antéro-supérieure.

Le bassin ne semble pas avoir subi de modifications notables; d'ailleurs on en juge mal, puisqu'il est enfoui sous le thorax; la crête iliaque du côté droit qui fait saillie est cependant fort épaisse.

Les os des membres sont gigantesques, mais assez bien proportionnés.

Au voisinage des extrémités ils sont notablement épaissis.

Les plateaux internes des tibias sont très larges. Mais c'est surtout au niveau des malléoles que l'hypertrophie osseuse est visible. Les extrémités inférieures du tibia et du péroné forment sous la peau deux énormes reliefs arrondis qui modifient complètement la morphologie de la région tibio-tarsienne.

La circonférence passant par l'extrémité inférieure des deux malléoles est de 38 centimètres.

Le poignet est aussi fort gros. Sa circonférence est de 25 centimètres.

Après le torse, la main est surtout d'apparence monstrueuse; sa

forme est régulière, mais elle est démesurément agrandie dans toutes ses dimensions.

Les parties molles ne semblent pas participer à l'hypertrophie. Les doigts n'ont pas cette apparence de boudin signalée dans l'acromégalie. Mais la peau est dure, coriace, très épaisse; ses plis sont nombreux et profondément creusés.

Les ongles ne sont pas comparativement très larges.

On y voit nettement la striation longitudinale décrite par P. MARIE, et qu'on retrouve d'ailleurs chez un assez grand nombre de sujets de grande taille non acromégaliques.

La pulpe des doigts atteint son maximum de développement au pouce avec lequel Jean-Pierre, comme il est annoncé dans le boniment, peut couvrir une pièce de cinq francs.

Face. — Ce qui frappe aussitôt dans la physionomie, c'est l'énormité de la mâchoire inférieure et la proéminence des pommettes (Fig. 55).

La face sémble donc allongée dans le diamètre vertical, avec une double saillie latérale au-dessous de la ligne bi-oculaire.

Le front étroit, bas, est sillonné de rides irrégulières courtes et profondes. Les plus creuses convergent vers la racine du nez. Les arcades sourcilières sont saillantes.

Les cheveux sont abondants, pas très gros, grisonnants, un peu crépus. Les sourcils épais, touffus.

L'œil est à demi couvert par les paupières plissées et creusées de grosses rides. Les conjonctives sont très rouges.

La saillie des os malaires est, nous l'avons dit, considérable ; ceux-ci forment de chaque côté de la face deux grosses éminences qui font paraître l'œil très enfoncé. De même, au-dessous d'eux, les joues semblent creuses. La peau épaisse et foncée qui les recouvre est sillonnée de deux ou trois rides curvilignes profondes qui circonscrivent les commissures.

Le nez est long, fort, un peu busqué, mais sa largeur n'est pas excessive.

La bouche n'est pas disproportionnée. Les commissures sont toutes les deux tombantes et se perdent dans une courte fossette.

Le bord rouge de la lèvre supérieure est complètement caché, celui de la lèvre inférieure au contraire est très apparent. Cette dernière est proéminente sans être augmentée de volume. L'hypertrophie du maxillaire inférieur en est assurément la cause, car les dents, régulières et de grosseur normale, qui s'y implantent, sont situées sur un plan antérieur à celui des dents supérieures. De là résulte un prognathisme très accusé.

Le maxillaire inférieur est, en effet, accru dans toutes ses dimensions, tant dans sa partie inférieure (mentonnière) que dans ses branches verticales.

L'hypertrophie n'est pas symétrique; elle est beaucoup plus marquée du côté gauche et l'angle de la mâchoire descend de ce côté un

centimètre plus bas qu'à droite. Le contour inférieur de la face est de ce fait plus anguleux à gauche.

Quand le malade serre les dents, le prognathisme est encore plus apparent, c'est alors surtout qu'il rappelle le profil « en casse-noisette » du polichinelle.

La langue est élargie, épaissie. Cependant, elle n'atteint pas les proportions monstrueuses signalées dans certains cas d'acromégalie.

Les oreilles sont grandes, mais régulières et bien ourlées.

Le crâne ne semble pas augmenté de volume, sa forme est un peu allongée verticalement. Les sutures osseuses y sont très saillantes surtout à la région postérieure; la protubérance occipitale externe est très développée.

La voix est extrêmement grave et sourde.

Il nous a été impossible de voir les organes génitaux; le malade n'a jamais voulu se prêter à cet examen. On nous a dit qu'ils n'avaient rien d'anormal.

Les mensurations suivantes permettent d'apprécier le développement gigantesque du malade. Nous avons été guidés pour les recueillir par les conseils éclairés de M. le Dr PAUL RICHER, auquel nous empruntons aussi, chemin faisant, les proportions de l'homme moyen d'après le canon établi par lui, sur un très grand nombre de sujets adultes (1).

Principales mesures de longueur.

Centimètres.

Stature actuelle (station debout verticale symétrique) 180 Hauteur de la tête (du vertex au menton) 29,5 Distance du menton à la racine du nez (les mâchoires serrées 14 Diamètre bihuméral 55 Longueur du bras (de l'acromion à l'extrémité du médius) 105 Coudée 02 Main. 26 Médius. 15,6 Du plateau interne du tibia au sol 57,5 Du grand trochanter au plateau externe du tibia. 59

Principales mesures de circonférences.

Circonférence du cou (au niveau du cartilage thyroïde).. 46 — du thorax (ligne mamelonnaire) 155 — de la taille 186 — de la cuisse. 59 — du mollet. 40 — du bras (à son milieu) 51 — du bras (au-dessus du coude) 5'1 — de Favant-bras. 52 — du poignet 25

(1) PAUL RICHEH, Canon des proportions du corps humain. Paris, Delagrave, 1895.

Mains. — Les dimensions sont sensiblement les mêmes pour la main droite et la main gauche.

Longueur de la main (depuis l'interligne articulaire du poignet jusqu'à l'extrémité du médius) 26

Longueur des doigts (prise dans la flexion à partir des articulations métacarpo-phalangiennes) :

Index -13 Médius. 15,(3 Annulaire. 14 Auriculaire. 11 Pouce. 9

Largeur de la main à la partie moyenne 娉 14 Circonférence de la main au niveau de la tète des métacarpiens. 32

Circonférence des doigts :

Pouce (l™ phalange). 9.5 - ('2e - ) 10' Médius (2e — ) - 9 Index (2e - ) 8,5 Annulaire (2e — ) 8 Auriculaire (2e — ). 7,4 Circonférence du poignet 25

Pieds. — Ceux-ci sont également très volumineux.

Toute la peau est d'une épaisseur extrême. Les parties molles participent à l'hypertrophie et forment sur le bord externe un épais bourrelet.

Les ongles sont aussi striés longitudinalement.

Longueur LoLale du pied 55 Circonférence à la partie moyenne. 55 — du gros orteil 12,5 — au niveau des malléoles. 58

Muscles. — Jean-Pierre a été, paraît-il, dans sa jeunesse, d'une très grande force musculaire.

Aujourd'hui ses muscles sont flasques et pour la plupart atrophiés.

Il est cependant capable d'exécuter tous les mouvements qu'on lui commande et que lui permet sa déformation. Sa poignée de main est encore redoutable.

Au tronc, l'atrophie porte principalement sur les muscles de l'omoplate (sus-épineux et sous-épineux); les pectoraux sont réduits à de minces lamelles sous lesquelles les côtes transparaissent.

Les fessiers ont presque complètement disparu. La morphologie des fesses rappelle celle qu'on observe chez les singes. L'atrophie du

moyen fessier n'est pas constatable de visu; il est permis de supposer qu'elle est aussi très avancée, car le malade a la démarche dandinante (démarche de canard) qui se retrouve chez les myopathiques.

Les muscles des cuisses, et surtout ceux des jambes, sont mous et très peu développés. On voit à peine se dessiner le relief du mollet.

Au bras et à l'avant-bras, même macilence musculaire.

Cependant, on peut dire d'une façon générale que, si les corps charnus sont très peu saillants, les reliefs qu'ils forment n'ont rien d'anormal. Ils ne sont pas raccourcis comme chez les sujets atteints

FIG. 51. — Moulage du pied de Jean-Pierre Mazas, géant de Montastruc.

(BRISSAUD et H. MEIGE.)

d'atrophie musculaire. Ils n'ont pas non plus la dureté que cause en pareil cas l'envahissement fibreux.

La peau, sur tout le corps, est épaisse et de teinte foncée, fripée et écailleuse par places.

Aux jambes, à la jambe gauche notamment, on trouve de grosses varices au niveau du creux poplité et au-dessus des gastro-cnémiens.

La sensibilité est normale.

L'ouïe, le goût, l'odorat ne paraissent pas altérés. Ici encore il a été difficile d'obtenir des réponses précises, Jean-Pierre se prêtant d'assez mauvaise grâce à ces explorations.

Il a été plus facile de le décider à faire examiner ses yeux en détail.

M. Kœnig a bien voulu se charger de ce soin et nous a communiqué les renseignements suivants : « Paupières augmentées de volume. Kyste transparent sur le bord de la paupière supérieure gauche, près de l'angle interne de l'œil.

Globe de l'œil gros, mais proportionné. Ptérygion à l'angle interne de l'œil droit, atteignant par son sommet le bord scléro-cornéen.

« Papilles petites, réagissant bien à la lumière et à l'accommodation.

« Mouvements du globe oculaire normaux dans toutes les directions.

« Acuité visuelle normale. Pas de diplopie.

« Pas de lésion du fond de l'œil.

« Pas de rétrécissement du champ visuel.

« Les couleurs sont bien reconnues, sauf le violet.

« En outre de la rougeur des conjonctives, le globe de l'œil est extrêmement vascularisé.

« Et sur le fond de l'œil les veines apparaissent grosses et turgescentes. » III. Telle est l'histoire de Jean-Pierre MAZAS, Géant de Montastruc.

C'est assurément un bel exemple de gigantisme, car si Jean-Pierre, depuis l'effondrement de son torse, ne mesure plus aujourd'hui sous la toise que 186 centimètres, sa taille a dépassé à son apogée le chiffre déjà respectable de 2m,20 (1).

Mais Jean-Pierre n'est pas un géant vrai. En tout cas, la définition scientifique du gigantisme ne peut lui convenir (2).

Chez lui, l'hypertrophie du squelette s'est effectuée en dehors des lois de l'accroissement proportionné des parties constitutives du corps humain.

Eût-il conservé la taille de 2m ,20, qu'il atteignit vers sa 25e année, le développement de ses membres — des supérieurs surtout — a très notablement outrepassé les dimensions qur ceux-ci auraient dû conserver pour rester dans une proportion harmonieuse.

Jean-Pierre mesure actuellement 240 centimètres de grande envergure-

(1) On peut rappeler à ce sujet la stature de quelques géants célèbres : un Piémontais de 9 pieds (M. Delrio, Rouen, 1572). — Un squelette trouvé près de Salisbury mesurant 9 pieds 4 pouces (Gaz. de France, 21 sept. 1719). — Un Suisse de 8 pieds cité par BAUHIN (De Hermaphrodit., p. 78). — Un Frison de même taille (VAN DER LINDEN, Phys. ref., p. 212). — Un Suédois, garde du corps du roi de Prusse : 8 pieds 1/2 (Wachstum des Menschen, p. 18). — Un homme de même taille cité par DIEMERBROCK (Anal., p. 2) et une femme (UFFENBACH, Itin., t. III, p. 546). — Rappelons encore les exemples rapportés par BUFFON (Suppi. à l'hist. nat., t. XI, p. 122) : un Finlandais de 6 pieds 3 pouces 8 lignes. — Le géant de Thoresby (Angleterre), 7 pieds 8 pouces anglais. — Le géant portier du duc de Wurtemberg, 7 pieds 8 pouces 1/2, du Rhin, etc.

(2) « Un géant est un être qui, exempt d'ailleurs de toute défectuosité dans les caractères essentiels de l'organisation, dépasse notablement par la taille les autres êtres de la même espèce, parvenus à l'âge adulte. Le géant ainsi défini, et dont on peut dire qu'il est peut-être un être imaginaire, doit se montrer tel que l'harmonie de structure de ses divers organes soit manifestement normale malgré le développement excessif de la taille. La vigueur physique et la résistance aux causes de destruction doivent ainsi être proportionnées à ce développement inusité, la puissance génératrice étant, du reste, au moins égale à celle des adultes de même espèce. » — O. LARCHER, in Dict.

encycl. des sc. méd., art. Géant, Géanlisme.

(d'une extrémité du médius à celle du côté opposé, les bras étant horizontalement mis en croix).

Or, les statistiques de M. PAUL RICHER nous apprennent que si, chez l'homme moyen, la grande envergure (169 centimètres) est sensiblement supérieure à la taille (165 centimètres), cette différence diminue au fur et à mesure que l'on considère des sujets de taille plus élevée.

(Pour une taille de 184 centimètres, la grande envergure est de 185 centimètres) (1).

Dans notre cas, la grande envergure excède de 20 centimètres la plus grande taille atteinte par le malade. Actuellement elle la dépasse de 54 centimètres.

Sans s'attacher à ce second chiffre, dont l'incurvation rachidienne permet de comprendre en partie l'élévation, et en ne s'en tenant qu'au premier, on voit dans quelle proportion considérable les membres supérieurs se sont accrus. De plus, cet accroissement s'est effectué surtout au profit des extrémités. Nous en donnerons plus loin la raison.

A l'augmentation générale du squelette, s'ajoute donc l'allongement des extrémités ; le gigantisme se complique d'acromégalie.

D'ailleurs, on retrouve, dans le cas de Jean-Pierre, la plupart des symptômes caractéristiques de l'acromégalie.

Outre l'hypertrophie des mains, des pieds, et du maxillaire inférieur, le torse a subi les déformations déjà souvent décrites: double gibbosité, antérieure et postérieure, allongement et épaississement des côtes; la crête iliaque est élargie; les plateaux des tibias, les condyles des fémurs, les malléoles, les poignets, les clavicules, les sutures crâniennes sont très sensiblement hypertrophiés.

La voix grave et sourde, la peau foncée, sèche et plissée, les muscles flasques, les jambes variqueuses, la stase veineuse oculaire, la soif extrême, la céphalée persistante, tous ces signes, jusqu'à la torpeur intellectuelle et génitale, se retrouvent dans le tableau classique de l'acromégalie.

Ainsi le géant de Montastruc est en même temps acromégalique (2).

Du si curieux géant JEAN-PIERRE MAZAS se rapproche, par plus d'un caractère, le géant PÉRUVIEN, décrit par Dana et Woods Hutchinson.

(1) PAUL RICHER, loc. cil. Voyez aussi les résultats des statistiques de A. BERTILLON, Rev. scientif., 27 avril 1889.

(2) On lit dans la Revue sportive l'Éducation physique d'avril 1902, p. 13 : « Jean-Pierre Mazas vient de s'éteindre à Bordeaux, le 5 novembre dernier, nouvelle victime de l'acromégalie. (Note des A.)»

OBSERVATION X. (Dana, 1895; — Woods Hutchinson, 1900.) Santos Mamaï, le géant Péruvien (1).

SANTOS MAMAÏ était un homme âgé de 30 ans, qui fut exhibé dans notre ville sous le nom du Géant Péruvien. On lui annonçait une taille de 7 pieds 8 pouces (2 mètres) et un poids de 550 livres.

En ce qui regarde son histoire, on ne put rien apprendre, sauf qu'il était venu récemment dans le pays avec une troupe d'autres Indiens Boliviens, qui tous se prétendent les descendants directs des Incas.

Ils avaient pour objet de se montrer; mais ils ne réussirent pas et, ayant échoué, la troupe fut conduite en cette ville, où Santos tomba malade.

On le disait d'un tempérament très calme et même mélancolique, réticent, plutôt faible d'esprit et peut-être très atteint de nostalgie. Bien que de proportions gigantesques, il n'était pas très vigoureux et son développement musculaire n'était pas très grand. Sans cause connue, il se trouva tout à coup très mal et fut conduit dans mon service à l'Hôpital Bellevue.

Quand on l'admit, il était incapable de se tenir debout ou de s'asseoir, tant il était affaibli. Son esprit était très engourdi et il ne répondait pas aux questions. Son pouls était faible et plutôt rapide, 108. Respiration haute, 24 par minute, rude et pénible. Il y avait quelques signes physiques de bronchite. La température était normale. Il ne paraissait pas souffrir et ne présentait aucun phénomène de paralysie ou de quelque affection manifestement aiguë; il semblait simplement être en état de collapsus. En dépit des stimulants ce collapsus alla grandissant, et, en l'espace de 3 ou 4 heures, il tomba dans un état comateux, où il resta plongé jusqu'à sa mort, 12 heures environ après son entrée.

La physionomie de cet homme, dès que je le vis, me suggéra aussitôt la possibilité que j'étais en présence d'un cas d'acromégalie; les mensurations de son corps confirmèrent cette opinion. Ces mensurations avec la description du corps et les résultats de l'autopsie m'eurent bientôt convaincu de l'exactitude de mon diagnostic. On reconnut que sa hauteur était de 6 pieds 7 pouces et son poids de 500 livres. Toutefois, ce qui frappait le plus dans son aspect, c'étaient les dimensions très grandes de sa mâchoire inférieure et l'énormité de son thorax. La mesure de l'angle à la symphyse du maxillaire inférieur était 14cm,5 ou 5 pouces 3/4, la mesure moyenne chez un homme adulte n'étant pas supérieure à 10 centimètres ou 3 pouces 3/4. La longueur de la face, de la racine des cheveux au menton, était 34 centimètres ou 12 pouces 1/2;

(1) DANA, On Acromegaly and Gigantism, wilh unilatéral facial hypertrophy; cases with autopsy. The Journ. of nervous and mental Diseases, nov. 1895.

celle allant de la couronne des incisives inférieures au sommet du menton 7 centimètres ou 2 pouces 2/3. Ces mesures montrent que le sujet avait une face développée d'une manière disproportionnée, l'hypertrophie affectant spécialement la mâchoire inférieure. Les os malaires étaient très saillants, comme c'est la règle chez les Indiens.

La circonférence de la tête était de 56 centimètres, dimensions qui ne dépassent guère la moyenne. La circonférence du thorax était de 50 pouces, contrairement à la moyenne qui est de 54 chez l'homme adulte. Cet énorme développement du thorax était, avec l'énorme agrandissement de la face, le trait le plus frappant dans ce cas particulier. Le sujet avait de grandes mains et de grands pieds, dépassant quelque peu les proportions qu'ils auraient dû avoir. Les ongles étaient normaux. Les oreilles et la langue étaient de taille normale. Il y avait un peu de cyphose. En faisant l'autopsie, on trouva la peau du crâne excessivement épaisse et formant des plis comme si elle s'était accrue et avait appartenu à un crâne beaucoup plus grand. Les cheveux étaient excessivement gros et épais.

Les mesures spéciales des différentes parties du corps sont données plus loin.

AUTOPSIE. — L'autopsie fut faite par mon assistant, le Dr C.-J. STRONG, et je lui suis redevable ainsi qu'au Dr Mc. ALPIN, des notes concernant l'état du corps. Malheureusement l'autopsie ne fut pas faite en vue d'établir la possibilité de l'acromégalie ; aussi quelques détails sont-ils incomplets.

Le développement musculaire est très faible.

Cœur. — Poids, 23 onces (650 grammes). Membranes épaisses sur le péricarde. La valvule mitrale admet deux doigts; les valvules aortiques sont normales. Fibres musculaires épaisses, séparées par du tissu conjonctif abondant. Valvules tricuspides normales. Hypertrophie plus marquée du cœur droit.

Poumons. — Gauche, poids : 20 onces. Congestion pleurale, légère pleurésie interlobaire, un peu d'emphysème. Traces de congestion passive modérée. — Droit, poids : 27 onces. Plèvre adhérente au diaphragme. Épaississement considérable du tissu interstitiel. — Les deux poumons sont très pâles. Absence presque totale d'anthracose.

Rate. — Poids : 7 onces (200 grammes). Congestion passive. Substance fine couleur chocolat foncé.

Reins. — Poids : gauche, 14 onces (396 grammes); droit, 13 onces (567 grammes). Écorce augmentée à gauche, un peu trouble. Markings gros et irréguliers. Capsule très épaisse et s'enlevant facilement. Glomérules de Malpighi montrant nettement des traces de congestion.

Mêmes lésions à droite.

Foie. — Poids : 8 livres, 3 onces (3817 grammes), gros et graisseux.

Bord aigu et bien marqué; substance jaune pâle. Lobules difficiles à isoler; friable, couleur opaque; tuméfaction trouble de l'épithélium lobulaire.

La glande thyroïde pesait 4 onces et avait un aspect parfaitement normal.

Le cerveau était sec, pâle et consistant; son poids était de 55 onces. Il n'y avait pas trace d'exsudation ou d'inflammation. Les vaisseaux sanguins étaient normaux. En retirant le cerveau, on remarqua que la

FIG. 55. — Face inférieure du cerveau du géant Santos Mamaï (DANA).

glande pituitaire était très augmentée de volume, et, en la disséquant dans la selle turcique, une partie semblait fixée solidement à l'os; en l'enlevant, un peu de sang et de liquide séreux s'écoula. Elle était de forme à peu près sphérique et on voyait sur sa face inférieure la ligne séparant les portions antérieure et supérieure. Les diamètres transverse et antéro-postérieur étaient chacun d'environ 3 centimètres. Le poids de la glande était de 4gr,5. Elle se trouvait attachée à un pédicule de 1cm,5 de long. La glande était de consistance plutôt molle et apparemment un peu kystique. En tirant sur la portion antérieure, son volume s'était

trouvé un peu diminué par la perte du sang qu'elle contenait. Toutes les autres parties du cerveau semblaient parfaitement normales.

On fit une étude du développement des circonvolutions et on prit quelques mesures et quelques notes, qui n'ont qu'un intérêt anatomique et anthropologique; elles seront données dans un autre Mémoire avec les photographies. Les mensurations spéciales du corps ont été faites avec l'aide du Dr STIVERS, qui m'a remis copie de ses notes.

MENSURATION DU CORPS DU GÉANT.

Hauteur : 6 pieds 10 pouces. — Poids supposé : 300 livres.

Tête.

Centimètres. Pouces.

Circonférence maxima au niveau de la glabelle. 55 22 Distance entre les apophyses orbitaires externes.. 21,5 Largeur de la face au niveau des zygomas. 17 6 3/4 De la racine des cheveux au sommet du menton.. 24 9 1/2 De l'angle maxillaire à la symphyse 14,5 5 5/4

Centimètres. Pouces.

Largeur de la bouche 7,7 » Épaisseur de la lèvre inférieure 1,75 » De la couronne des incisives inférieures au sommet du menton 7 2 3/4 Longueur du nez. 7

Tronc.

Circonférence du thorax 12u 50 Ceinture 104 »

Membres supérieurs.

Du sommet de l'acromion à l'olécrane (bras). 41 » De l'olécrane à l'apophyse styloïde du radius (avantbras) 3i Longueur de la main, de l'extrémité du médius au poignet. 22 8 3/4 Longueur de l'index. 13 — du médius. 15 » — de l'annulairc. 14 — du petit doigt « 12 Circonférence des doigts (lre articulation) de 7,5 à 8,5 » — du poignet 21 » Les doigts n'étaient pas en forme de saucisses.

Membres inférieurs.

De la crête iliaque au bord supérieur de la rotule. 51,5 » Du bord supérieur de la rotule à la pJante du pied 63 » Longueur totale du pied. , 29 11 1/2 — des orteils. de 5,5 à 7,5 Circonférence de la cheville 25 — du cou-de-pied. 33 13 — delaplantcdupicd. 30,5 Il y a un coussin ou matelas charnu abondant sur le côté externe de chaque pied.

Distance entre les épines iliaques antérieures et supérieures. 37 » Le pénis était extrêmement petit, mesurant 3 pouces de long.

Remarques. — Le diagnostic d'acromégalie peut être basé sur l'énorme développement de la face, spécialement de sa partie infé- rieure; l'énorme développement du thorax; l'hypertrophie de la peau du cuir chevelu; l'augmentation légèrement disproportionnée des extrémités; le coussin charnu sur le côté gauche de la plante du pied, amenant son épaisseur. et aussi l'existence d'une hypertrophie de la glande pituitaire. Ces constatations sont à rapprocher de celles fournies par l'histoire du malade, sujet de taille énorme et de force musculaire très faible, présentant un certain degré de débilité mentale.

Dans ce cas, on ne dit rien de l'état du thymus; mais, l'autopsie ayant été faite très soigneusement, on peut être certain que, si cette glande avait existé, sa présence aurait été remarquée.

La glande thyroïde semble avoir été normale pour la taille et la structure anatomique.

WOODS HUTCHINSON (N.- Y. med. Journ., 1900, 28 juillet, p. 134) a complété de la façon suivante l'observation du géant PÉRUVIEN.

Je dois à l'obligeance du Dr C.-L. DANA d'avoir pu faire des coupes et une étude microscopique de la glande pituitaire retirée du crâne du géant PÉRUVIEN ; l'histoire de ce géant est rapportée par DANA dans son très intéressant et suggestif Mémoire de novembre 1893; mais l'étude microscopique a toujours été donnée sous forme de résumé.

La glande mesurait, à l'état frais, 34 millimètres d'avant en arrière et 21 millimètres d'un côté à l'autre. Son poids était de 4 grammes 1/2.

Elle était attachée à un pédicule qui avait 15 millimètres de long, de consistance plutôt molle et semblant un peu kystique. En tirant sur la portion antérieure, son volume s'était réduit, par suite de la perte du sang qu'elle contenait.

La glande fut conservée dans l'alcool et me fut très gracieusement envoyée par le Dr DANA pour l'étude microscopique. On trouvera ci-jointe la représentation de la base du cerveau, montrant la glande en position, et aussi un tracé de la glande elle-même, d'après la photographie primitive du cerveau, rappelant, autant que possible, les dimensions naturelles.

La tumeur n'était que légèrement ovale dans la forme, et, comme on le voit sur la coupe, représentait par son lobe antérieur, énorme, une sorte de haricot, dans l'échancrure duquel se trouvait enclavé le lobe postérieur, beaucoup plus petit. A sa partie inférieure, elle était distinctement lobulée, en sorte que les coupes qui furent faites à plusieurs niveaux montraient un triple contour dans la partie la plus basse; et ce n'est qu'en un point, situé légèrement au-dessus du centre vertical de la glande, que le lobe postérieur se trouva contenu dans les coupes, le lobe antérieur ne s'avançant pas seulement en avant mais encore en arrière du lobe postérieur. La direction de la coupe, d'ailleurs, est horizontale, tandis que le plus long diamètre est transversal. La glande, par suite du durcissement et de l'affaissement par rupture de la partie centrale, a pris une forme beaucoup plus ovale que celle qu'elle présentait tout d'abord. Comme on le verra en comparant avec les coupes de pituitaire normale, le rapport entre les lobes antérieur et postérieur jugé à l'œil nu n'apparaît que peu modifié. Mais, quand nous aborderons l'étude de la structure fine, nous verrons les raisons pour lesquelles ce rapport est si curieusement maintenu en apparence. Même à l'œil nu, les coupes de ce corps montrent une destruction complète allant de la portion corticale, d'une consistance relative, jusqu'à une vaste lacune centrale et qui est due, comme le dit DANA, à l'éclatement de la glande et à l'échappement de son contenu hémorragique. Cette impression se confirme par l'examen microscopique. L'extrême périphérie de la glande, située au voisinage de la solide capsule fibreuse, est formée par une ceinture de masses et de colonnes de cellules épithéliales, disposées

assez irrégulièrement, qui, en certains points, montrent une tendance très nette à former des blocs, avec une lacune centrale, et, en quelques régions, des acini typiques. A cette première couche succède, en allant vers le centre, une zone un peu plus étendue, dans laquelle les masses épithéliales et les blocs sont plus irréguliers et séparés par de larges espaces vasculaires remplis de globules rouges, lesquels ont aussi diffusé à travers tout le tissu. Enfin, autour de la cavité centrale, il y a une marge véritablement toute déchirée, formée de masses désordonnées de cellules à noyaux abondants et montrant peu ou pas de traces d'organisation; il nous serait même difficile de dire si, dans ce point, le tissu est d'origine épithéliale ou mésoblastique.

Il existe un grand nombre de vaisseaux sanguins dispersés au travers de la masse; ils sont pourvus de parois nettes et bien formées à la périphérie, mais vers le centre ce sont de simples lacunes dans un tissu d'aspect embryonnaire. Plus j'ai étudié les différentes coupes de cette formation, plus j'ai apporté de soin à les composer avec les coupes de pituitaire normale en ma possession et avec les figures de PIERSOLL, BERKLEY et autres, et plus je me suis convaincu que nous avions à faire ici à ce qu'on pourrait décrire comme un furieux effort d'hypertrophie glandulaire excessive, effort relativement heureux dans la portion corticale de la glande, moins heureux dans la zone intermédiaire, échouant même en un désordre chaotique de cellules néoformées et aboutissant à un simple exsudat hémorragique au centre de la glande, comme on le retrouve, à un degré à peine indiqué, dans la constitution de la pituitaire normale.

Si maintenant nous reprenons l'étude du lobe postérieur, nous sommes frappés par l'état très singulier qu'il présente : au lieu d'une masse formée par un tissu conjonctivo-vasculaire un peu spongieux, avec quelques cellules ganglionnaires disséminées, nous constatons l'existence d'une masse compacte et relativement régulière de blocs arrondis et pressés les uns contre les autres, formés de cellules épithéliales, entremêlés avec une bonne proportion d'acini semblant normaux. En fait, il y a vraiment une ressemblance marquée avec le tissu du lobe antérieur. Si des coupes successives ne nous avaient pas montré que cette disposition se poursuivait en haut jusque dans la tige infundibulaire du corps pituitaire, où l'on retrouve encore des traces distinctes du canal central, nous aurions presque incliné à soupçonner que nous étions tombés sur un corps pituitaire normal et que l'hypertrophie était due à un adénosarcome. Mais le souvenir de la découverte de BERKLEY nous donnera la clef de cette situation : le processus formatif glandulaire, qui se montre assez fréquemment dans le lobe postérieur normal, a subi ici l'invasion de l'hypertrophie générale et a atteint dans le lobe postérieur cet extraordinaire degré. J'ai montré également ces échantillons au Dr BROOKS, qui m'a dit que cet état était presque identique à celui qu'il rencontra dans le cas, partout cité, qu'il a publié avec le Dr DANA.

A ces faits, il faut encore rattacher le suivant :

OBSERVATION XI. (Brissaud ET Meige.) Le géant portugais da Silva(1).

Au mois d'avril 1895, nous avons eu l'occasion de voir à Lisbonne un pensionnaire de l'Asile des ouvriers invalides qui est encore un bel exemple de gigantisme avec acromégalie consécutive.

Notre excellent ami le Dr TH. DE MELLO-BREYNER a eu l'obligeance de nous transmettre de précieux renseignements sur ce malade.

Joaquin Leviz da Silva, âgé de 52 ans, exerçait autrefois le métier de chaudronnier, mais. le plus souvent, il se montrait dans les foires,

FIG. 56. — Le géant portugais da Silva.

(BRISSAUD et H. MEIGE.)

tantôtcomme «hercule», tantôt comme « géant ». Aux courses de taureaux, il était réputé parmi les plus robustes pour terrasser l'animal en le prenant par les cornes, comme il est d'usage en Portugal.

Son père est mort d'une hémiplégie; sa mère, d'une affection cardiaque; l'un et l'autre étaient de taille moyenne, mais son grand-père paternel, paysan des environs de Lisbonne, était de très haute taille, d'une force peu commune, avec une tête et des mains très grandes dont le souvenir est resté légendaire dans la famille.

Joaquin a eu six frères ou sœurs, tous de taille ordinaire, et même audessous de la moyenne. Deux frères sont morts en bas âge de la petite vérole. Quatre sœurs de petite taille sont actuellement vivantes et bien portantes.

Jusqu'à 18 mois, Joaquin était un enfant ordinaire. Il commençait à par-

ler, disant paë, maë, agua, etc., quand il eut un « grand rhume » (?), avec « écoulement par le nez et par les oreilles ». Il en guérit, mais demeura sourd, et devint par surcroît complètement muet.

A l'âge de 8 ans, étant à l'école des sourds-muets, il commença à grandir d'une façon excessive. A 13 ans, il était déjà d'une taille peu commune et continua à se développer en hauteur et en force jusqu'à devenir le colosse qu'il fut à l'âge adulte.

(1) Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1897.

Actuellement, c'est un vieillard, cassé, ridé, artério-scléreux, aortique. Sa taille ne mesure plus que 1m,78, du fait d'une cyphose assez prononcée et d'une notable incurvation des membres inférieurs qui n'existaient ni l'un ni l'autre au temps de ses exploits de lutteur.

La grande envergure qui peut renseigner approximativement sur la taille primitive est de 1m,87.

Les stigmates acromégaliques sont manifestes.

Face énorme ; protubérance occipitale, arcades sourcilières et pommettes très saillantes ; maxillaire inférieur élargi, allongé, proéminent en avant (les favoris que porte le malade dissimulent un peu la saillie de la mâchoire). Les lèvres sont grosses, la langue aussi; le nez n'est pas très volumineux.

Le dos est fortement voûté ; les mains sont d'énormes battoirs, aux doigts très élargis dans toutes leurs dimensions.

Les deux jambes sont incurvées en parenthèses, la droite principalement ; elles sont couvertes de varices.

Pour qui connaît l'habitus acromégalique, le diagnostic ne pouvait manquer, comme on dit, de sauter aux yeux.

Ce Portugais est encore un exemple de gigantisme et d'acromégalie associés, celle-ci ayant fait son apparition à la suite de celui-là.

L'acromégalie ayant débuté après la période de croissance et lorsque Joaquin était déjà d'une taille élevée, les extrémités se sont développées suivant le type cubique signalé par P. MARIE dans les cas d'acromégalie à début tardif.

Dans le journal A medicina contemporanea, de Lisbonne, du 21 octobre 1900, p. 355, on trouve, en même temps que l'annonce de la mort de ce géant portugais vu par Brissaud et Henry Meige, quelques renseignements complémentaires.

J., né à Villafranca, était âgé de 51 ans, mais paraissait plus âgé à cause de ses cheveux blancs. Il avait joué dans la pièce : Le muet d'Alcantara.

Tête.

Centimètres.

Diamètre antéro-postéricur. 23,4 — latéral 15^6 Circonférence du crâne 14 3 Arc transversal 59 '1 Corps thyroïde très atrophiè.

Circonférence thoracique (bimamelonnaire). 85 Cypho-scoliose dorsale.

Circonférence du bras. , , , , , 20,1 — dePavant-bras. 23

CcnliinèlreSf Circonférence de la cuisse 4^2 — de la jambe. 42,3 Force de la main gauche. 3/4 — droite 35

Organes sexuels normaux. — Hernie à droite.

Réflexes normaux.

Sensibilité tactile et thermique normale.

Les manifestations morbides du gigantisme acromégalique s'observent aussi bien chez la femme que chez l'homme : Byrom-Bramwell(1) eut l'occasion de les observer chez une géante, âgée de 28 ans.

OBSERVATION XII. (Byrom-Bramwell.) Une géante acromégalique.

Le sujet qui fait l'objet de cette observation était une femme haute de G pieds 2 pouces 1/2, et pesant 24 stones.

Jusqu'à l'âge de 16 ans, elle avait été de taille normale; à partir de cette époque, elle commença à grandir rapidement, si bien qu'à sa vingtième année elle avait atteint les énormes dimensions qu'elle présente aujourd'hui. C'est à ce moment qu'apparurent différentes manifestations morbides, telles que des maux de tète, des douleurs névralgiques, un rétrécissement de la portion externe du champ visuel (hémianopsie latérale), de l'œdème des pieds et aussi l'augmentation de volume de certaines parties du corps, l'allongement excessif des cheveux. Les mains étaient grosses, mais ne paraissaient pas aussi caractéristiques que celles que l'on rencontre dans l'acromégalie. La face non plus n'était pas très typique et, bien qu'il existât une courbure de la colonne vertébrale, localisée à la région cervico-dorsale, on pouvait plutôt croire au gigantisme qu'à l'acromégalie. La menstruation se faisait d'ailleurs régulièrement. La peau était parsemée de nombreuses petites verrues.

Le traitement par le suc thyroïdien ne donna aucun résultat. Celui qui fut mis ensuite en pratique par l'extrait de la glande pituitaire semble avoir été beaucoup plus profitable : les maux de tête, dont elle souffrait depuis 6 ans, disparurent, les sueurs diminuèrent, le champ visuel redevint normal et la vigueur plus grande. Mais il est possible

(1) BYROM-BRAMWELL, Edimburg Medical Journal, janvier 1894; et British Médical Journal, 6 janvier 1894, p. 21.

que l'amélioration observée soit due au changement de vie occasionné par l'admission à l'hôpital.

Chez elle, lorsqu'elle avait atteint l'âge de 28 ans, beaucoup de traits rappelaient l'acromégalie, mais nombre de ceux qui appartiennent en propre à cette maladie faisaient défaut. La croissance, bien qu'assurément plus marquée aux pieds et aux mains que dans les autres régions, était plus générale que celle qu'on observe dans l'acromégalie typique.

La forme des doigts et de la mâchoire inférieure n'était pas caractéristique, les fonctions génitales continuaient à se faire et les glandes mammaires n'étaient pas atrophiées (1)

Les études anatomiques et anthropologiques de Cunningham vont nous permettre de bien apprécier les modifications qu'impriment au squelette l'acromégalie et le gigantisme.

OBSERVATION XIII. (Cunningham.) Le squelette du géant irlandais Magralh (2).

Il est nécessaire d'enlever au moins 1 pied 1/4 à la hauteur de CORNELIUS MAGRATH, telle qu'elle fut établie dans le livre de GEORGE HUMPHRY(3), avec le désir de dépasser les dimensions du squelette d'un autre géant irlandais, appelé CHARLES BYRNE, qui est conservé au Muséum du Collège royal des Chirurgiens, en Angleterre; mais cette perte est amplement compensée par les autres détails intéressants révélés par l'examen du squelette et sa valeur s'en trouve considérablement augmentée, car l'intérêt qui s'y attache ne dépend pas tant de sa taille gigantesque que de ce fait qu'il offre un exemple remarquable de cette maladie nouvelle qui a reçu le nom d'acromégalie.

Ayant reconnu dans le squelette de MAGRATH un cas d'acromégalie, je fus naturellement très désireux de connaître son histoire. J'étais au courant des nombreuses légendes qui courent sur son compte à Dublin; mais beaucoup de ces récits portent la marque de l'invraisemblance et même la courte note que nous possédons au Muséum, en dehors des dates de sa naissance et de sa mort, m'a paru inexacte. M'étant adressé

(1) On comprend les hésitations de l'observateur en présence d'une dystrophie aussi complexe; mais il est facile aujourd'hui, étant donnée la multiplicité des documents accumulés depuis la publication de celte observation, d'affirmer, chez cette femme, la coexistence du gigantisme et de l'acromégalie.

(Note des A.) (2) D.-J. CUNNINGHAM, Transactions of the Royal Irish Academy, vol. XXIX, p. 555, 26 janvier 1891.

(3) HUMPLIRY, The human Skeleton, 1858, p. 107, vol. XXIX, pl. VII et VIII, p. 612.

au professeur MACALISTER, mon distingué prédécesseur dans la chaire d'Anatomie de Trinity College, il me reporta au Faulkner's Journal (16 mai 1760). Dans ce journal, comme dans un autre, Pue's occurrences, pubié à Dublin à cette même époque, je trouvais une histoire très intéressante de CORNELIUS MAGRATH. Dans les deux journaux, l'article est conçu exactement dans les mêmes termes, comme suit : Jeudi, 16 mai(1) : Au College-green est mort CORNELIUS MAGRATH, le dernier géant irlandais, né dans le comté de Tipperary, à 5 milles en deçà des mines d'argent, en l'an 1756. Ses parents n'étaient nullement remarquables pour leur taille, qui était moyenne et ordinaire dans la contrée; leurs autres enfants non plus n'étaient pas plus grands que la normale. En juillet 1752, CORNELIUS, âgé d'environ 16 ans, vint à la ville de Cork et fut suivi par la foule en raison de sa taille extraordinaire; car il mesurait 6 pieds 8 pouces 3/4. L'année qui avait précédé il avait été affligé de violentes douleurs dans les jambes, pour lesquelles il se baigna dans l'eau salée : toutefois il s'agissait simplement de douleurs de croissance, car en l'espace d'une seule année il s'était élevé d'une hauteur d'un peu plus de 5 pieds jusqu'à la taille ci-dessus mentionnée. Le bon Dr BERKELEY, alors évêque de Cloyne, le prit chez lui pendant 2 ou 3 mois et se montra très charitable et humain à son égard et prit grand soin de lui jusqu'à ce qu'il eût recouvré l'usage de ses jambes. Ses mains étaient alors aussi larges qu'une épaule de mouton de taille moyenne; et le dernier soulier qu'il portait mesurait 15 pouces. Il mangea toujours et but avec modération; sa boisson était surtout du cidre, qu'il prenait seulement aux repas. Étant à Cork on lui persuada de s'exhiber; et il vint dans ce but à Bristol et de là à Londres et on parla de lui dans le London Magazine de juillet 1752. Il vint ensuite à Paris et dans les grandes villes d'Europe. A Florence, un médecin, du nom de BIANCHI, écrivit une petite note à son sujet. Au bout de deux mois il retourna dans son pays natal; il mesurait alors 7 pieds 8 pouces sans ses souliers. A son arrivée il se trouvait dans un mauvais état de santé, sujet, à ce qu'il disait, à une fièvre intermittente dont il avait d'abord été atteint dans les Flandres. Il était de complexion pâle et faible; son pouls était à de certains moments très rapide pour un homme d'une taille extraordinaire; et ses jambes étaient enflées. A sa mort, son corps a été porté à l'amphithéâtre d'anatomie du Collège, où son squelette amusera les curieux et remplira d'étonnement la postérité. CORNELIUS MAGRATH égalait en hauteur DANIEL CAJANUS, le géant suédois, dont le pouls, d'après le docteur BRYAN ROBINSON, battait 52 fois par minute (2), tandis que MAGRATH à son arrivée ici avait un pouls à 60. (3).

(1) Faulkner's Journal, 16 mai 1760.

(2) D'après BEAUNIS (Traité de Physiol.), le pouls, à âge égal, varie en raison directe de la taille. (Note des A.) (5) Cet article est attribué par CUNNINGHAM. d'accord avec MACALISTER, soit à ROBERT ROBINSON, alors professeur d'anatomie à l'Université de Dublin,

Dans le Daily Advediser, publié à cette époque à Londres, il est fait deux fois mention de MAGRATH : la première est une courte note, la seconde est une annonce. — La première parut le 4 août 1752 et est ainsi conçue : « Cork, 24 juillet. — Actuellement se trouve dans notre ville un certain CORNELIUS MAGRATH, garçon de 15 ans et 11 mois, de la stature la plus gigantesque, puisqu'il mesure exactement 7 pieds 9 pouces 3/4 ; il

FIG. 57. — LE GÉANT CORNELIUS MAGRATH (voir p. 237). — Cornelius Magrath, né en Irlande, le 10 janvier 1737, est âgé de 19 ans et possède une taille et une vigueur extraordinaires, en sorte que l'Europe peut se vanter d'avoir produit, en sa personne, un véritable géant; son poignet (la main étant sur la tête) a une grosseur de 10 pouces 1/2; son doigt médius est aussi long que la main d'un homme de belle taille: son poids est de 557 livres (466 livres anglaises).

est mal bâti; son langage est simple et enfantin. Il vient de Yonghal, où depuis un an il prenait des bains salés pour des douleurs rhumatismales qui l'avaient rendu presque estropié. Les médecins disent maintenant qu'il s'agissait là de douleurs de croissance, car il a atteint cette taille monstrueuse depuis ces douze derniers mois. Pendant un an il resta chez l'évêque de Cloyne qui prit grand soin de lui. Sa main est aussi grosse qu'une épaule de mouton; son dernier soulier mesurait 15 pouces. Il est né dans le comté de Tipperary, à cinq milles en deçà des mines d'argent. »

soit au Dr GEORGE GLEGHORN, anatomiste de l'Université, lequel fut aussi sans doute le prosecteur qui prépara le dissection pour la démonstration publique donnée sur le corps du géant par le professeur ROBINSON.

Dans l'annonce de janvier 1753, on trouve les renseignements suivants : « Sa hauteur est de 7 pieds 3 pouces, sans souliers. Son poignet mesure un quart de yard et un pouce. Il l'emporte notablement sur CAJANUS par les proportions régulières de ses membres. Son visage est le plus franc et le mieux proportionné qui se puisse voir. Il a eu 16 ans le 10 mars dernier. Il est visible au Peacock, à Charing Cross, de 8 heures du matin à 10 heures du soir. »

On remarquera la contradiction entre ces deux notes : la première déclarant le géant « mal bâti » et l'autre « le mieux proportionné du monde ». Le squelette montre que la première appréciation était plus exacte et que CORNELIUS MAGRATH était non seulement mal bâti, mais positivement difforme.

Dans l'Irish Penny Magazine (1833) se trouve le seul article qui attribue la mort de Magrath à une cause définie. « Il venait du Continent à Dublin pour jouer le rôle du géant au théâtre Royal dans une pantomime appelée « le Géant Queller », lorsque son pied glissa sur une peau d'orange; il tomba pesamment sur la scène et cet accident fut la cause directe de sa mort entraînée par la rupture de quelque organe intérieur. » Une autre légende attribue également à une chute la mort de MAGRATH qui aurait été renversé par un étudiant.

Mais je suis porté à croire qu'il ne faut accorder aucune confiance à ces histoires.

TOPINARD, dans son Anthropologie, dit que MAGRATH mourut de phtisie; mais il n'indique pas où il puisa cette information.

Dans le portrait gravé par MAAG, en 1756, MAGRATH est représenté comme un homme bien bâti, bien proportionné, aux membres vigoureux. Ses traits sont agréables et réguliers, et il est revêtu de l'élégant costume de cette époque. Il se tient debout, avec son bras gauche étendu à angle droit au-dessus d'un grenadier prussien coiffé de son énorme schako et le mousquet à l'épaule. — Ce portrait ne peut pas être considéré comme donnant quelque idée véridique de MAGRATH pendant sa vie, parce que l'état de son crâne montre qu'il devait avoir un visage repoussant, parce que les os de ses membres attestent de la manière la plus évidente qu'il était affligé d'un genu valgum et qu'il ne pouvait étendre son bras de la manière indiquée dans le dessin.

Sous la gravure est, en allemand, l'intéressante notice que voici : UN GÉANT IRLANDAIS. — CORNÉLIUS MAGRATH, né en Irlande, le 10 jan- vier 1737, est âgé de 19 ans et possède une taille et une vigueur extraordi- naires, en sorte que l'Europe peut se vanter d'avoir maintenant produit, en sa personne, un véritable géant; son poignet (la main étant sur la tête) a une grosseur de 10 pouces 1/2; son doigt médius est aussi long que la main d'un homme de belle taille; son poids est de 557 livres (446 livres anglaises)

Deux points sont à retenir dans cette notice : la grosseur du poignet, qui est presque la même que celle donnée 4 ans auparavant par le Daily Advertiser, et le poids qui correspondait à 446 livres anglaises.

Ce poids, à mon avis, ne doit pas être estimé au-dessus de la vérité, car le volume énorme de son thorax et de son bassin montre que son poids devait dépasser encore ce qu'on pouvait attendre d'un homme de cette taille.

Je dois rappeler, en passant, qu'à l'époque où vivait MAGRATH, il y avait en Irlande une opinion générale, d'après laquelle ce corps énorme était le résultat heureux d'une expérience d'élevage de géants par l'évêque BERKELEY. Dans Watkinson's Philosophical Survey of Ireland, on trouve l'amusante note que voici : « L'évêque eut la fantaisie de savoir s'il était en notre pouvoir d'augmenter la taille humaine. Un malheureux orphelin fut pris par lui comme sujet d'expérience. Il fit sur lui un essai de sa théorie préconçue, et le résultat fut que l'orphelin MAGRATH devint, à 16 ans, haut de 7 pieds. » — (Il est remarquable que TOPINARD semble avoir accordé quelque croyance à cette fable.) Voici encore quelques passages d'une lettre écrite à un de ses amis par un médecin italien, GIOVANNI BIANCHI, qui vit le géant MAGRATH à son passage à Florence : « Quand il était assis, il avait la taille d'un homme ordinaire. Debout, il mesurait 7 pieds de Paris, soit 2 pieds en plus de la taille des hommes ordinaires, qui tous passaient sous ses bras étendus horizontalement.

Sa main avait un pied de long, soit 5 pouces de plus que la mienne, qui n'est pas des plus petites. Sa tète, ses épaules et les autres parties étaient de longueur et de grosseur proportionnées à son corps immense.

Mais sa force n'était pas en rapport avec sa taille, et ne dépassait pas celle des autres hommes. Je pense que si ce géant continue à grandir, comme il semble le faire, — car il prétend que, depuis un an qu'il quitta sa cité natale de Cork, il a gagné 8 pouces, — il sera forcé de rester toujours étendu ou, tout au moins, assis. Il dit avoir 20 ans 1/2 et ne paraît pas davantage par son visage, ni par son raisonnement. A mon avis une croissance aussi immodérée est une maladie, parce qu'il dit être le fils de parents de taille ordinaire et que jusqu'à l'âge de 11 ans il fut d'une taille moyenne; ce n'est que plus tard qu'il commença à grandir de façon aussi démesurée, et probablement il continuera à grandir aussi longtemps qu'il vivra ou aussi longtemps qu'il sera atteint de cette maladie, laquelle ne peut lui donner plus de force dans les membres, ou plus grand appétit.

« (Lettre écrite à Rimino, le 12 juillet 1757.) » Le squelette de CORNELIUS MAGRATH fut conservé au Museum de l'École de Médecine de Trinity College, mais depuis 1879 il a été transporté au Museum anatomique et zoologique.

Grâce à l'obligeance du professeur STEWART, le Conservateur du

Collège Royal des Chirurgiens d'Angleterre, j'ai eu l'occasion d'étudier le squelette de CHARLES BYRNE, le géant irlandais, qui mourut à

FIG. 58. — Squelette du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

Londres à 22 ans, en 1783, et dont le corps fut obtenu par JOHN HUNTER (1).

Sous plusieurs rapports, le squelette de BYRNE présente une forte ressemblance avec celui de MAGRATH. Il en diffère toutefois parce qu'il est mieux proportionné et ne

(1) O'BRIEN OU BYRNE, « le géant irlandais », haut de 8 pieds 4 pouces (2m,532), se montrait à Londres avec un très grand succès vers 1782. Il mourut en 1785 à l'âge de 22 ans.

« L'histoire de ses rapports avec l'illustre JOHN HUNTER est tout à fait intéressante. HUNTER avait juré qu'il aurait le squelette d'O'BRIEN, et O'BRIEN était tout aussi décidé à ne pas se laisser bouillir dans la chaudière du célèbre savant. Le géant fut tourmenté toute sa vie par les instances continuelles de HUNTER et par la persistance de ce dernier à vouloir l'acheter. A la fin, quand survint le déclin précoce qui est la règle dans cette catégorie de phénomènes, O'BRIEN, sur son lit de mort, paya quelques pêcheurs, leur demandant de porter son corps, après sa mort, au milieu de la mer d'Irlande, et de l'enfoncer avec des poids de plomb. HUNTER, à ce qu'on dit, en fut informé; il réussit par une surenchère à cor- rompre les futurs croque-morts.

On estime que le squelette du fameux géant lui coûta près de 500 livres sterling. La chaudière dans laquelle le corps fut bouilli est conservée au Museum du Royal College of Surgeons à Londres; il y a quelques années, on la montra, en même temps que d'autres reliques du savant

anglais, aux membres de la British Médical Association. Le squelette d'O'BRIEN est actuellement l'une des curiosités du Muséum. » (GOULD et PYLE, Anoma- lies of medicine. London et New-York, 1898.) — (Note des A.)

présente pas de difformités marquées. Mais, en bien des points, il est asymétrique et à plusieurs égards il peut presque être considéré comme présentant des traits qui semblent indiquer un début d'acromégalie. L'étude de ce squelette s'est montrée très instructive, et, dans la description de quelques-uns des os de MAGRATH, j'introduirai, pour la comparaison, les mensurations que je pris sur le squelette de Londres.

HAUTEUR DE MAGRATH. — A l'époque de sa mort, MAGRATH avait atteint l'âge de 23 ans. A l'exception de l'extrémité supérieure de l'humérus et de l'extrémité inférieure du radius, toutes les épiphyses étaient soudées. Toutes les statures qui lui ont été attribuées sont inexactes.

Le squelette ne mesure que 7 pieds 2 pouces 1/4 (Fig. 58) de haut. Mais il est difficile d'estimer correctement la taille de MAGRATH d'après le squelette, pour trois raisons : 1° celui qui a monté le squelette s'est montré très généreux pour remplacer la substance intervertébrale; — 2° le membre inférieur gauche est un peu plus long que le droit; — 3° les membres inférieurs sont déformés par le genu valgum.

Il faut donc choisir un autre procédé. Si nous calculons la taille d'après le fémur droit, elle aurait été de 2m,17; avec le fémur gauche, elle aurait été de 2m,25. A mon avis, le premier résultat est plus exact, parce que le fémur droit est le moins déformé.

Sans aucun doute, MAGRATH fut plus petit que CHARLES BYRNE. La hauteur du squelette de celui-ci, donnée par le catalogue, est de 2m,31.

Je l'ai vérifiée moi-même et l'ai trouvée parfaitement exacte.

Avec les fémurs, on calcule une hauteur de 2m,25 (fémur droit), ou de 2m,31 (fémur gauche).

CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES os. — En plusieurs endroits, on trouve un aspect qui indique que, pendant la vie, les différents os eurent une vasCularisation abondante. Les canaux de Havers sont dilatés et donnent

à la surface des coupes un aspect ponctué. Le canal médullaire de la diaphyse des os longs est très dilaté. FRITSCHE et KLEBS (1) ont appelé l'attention sur ce fait que, dans l'acromégalie, les vaisseaux sanguins sont dilatés.

En outre, aux extrémités osseuses et dans toutes les autres places où le tissu spongieux est abondant, comme dans les vertèbres, la portion basilaire de

FIG. 59. — Un doigt du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

l'occipital, les os du pied, etc., la surface des os est tout à fait irrégulière. Les canaux vasculaires sont visibles et larges ; des productions ostéophytiques se présentent sous forme de saillies verruqueuses ou dentelées, marquant nettement le caractère arthritique. Mais le processus inflammatoire n'est pas restreint aux extrémités articulaires des

(1) Ein Beilräge zur Pathologie des Riesenwuchses. Leipzig. 1884.

os, longs; il semble avoir gagné la diaphyse en suivant les travées fibreuses. Au point d'insertion des muscles et des ligaments, un aspect rugueux'très particulier semble indiquer des traces de périostite, en particulier sur les crêtes intertrochantériennes du fémur, sur l'empreinte deltoïdienne de l'humérus, les surfaces poplitées du tibia, etc.; un état assez semblable s'observe à l'extérieur de la voûte crânienne.

Les érosions et irrégularités de la diaphyse des os longs, si caracté- ristiques de la périostite, sont également visibles.

Par ces caractères généraux, le squelette de MAGRATH est très semblable au squelette acromégalique d'Édimbourg et confirme ce qu'en avait dit le Dr THOMSON (1) : « Le squelette, dans l'acromégalie, montre un début des lésions qu'on rencontre dans l'ostéo-arthrite et, à un faible degré, ceUes qui surviennent dans l'ostéite déformante ».

En étudiant le bassin et les fémurs, nous avons été amenés à discuter aussi certains aspects qui pourraient peut-être indiquer que MAGRATH fut atteint, au début de sa vie, de rachitisme.

TÊTE. — La tête de MAGRATH, lorsqu'elle est en place au sommet. de la colonne vertébrale, semble petite en comparaison du reste du squelette.

Il nous est impossible de reproduire ici toutes les mensurations, très précises et très rigoureuses, présentées par CUNNINGHAM sous forme de tableaux, dans lesquels il met en parallèle les dimensions du crâne de MAGRATH avec celles de BYRNE, du squelette acromégalique d'Édimbourg et de sept Irlandais témoins. Toutefois nous donnerons les conclusions en ce qui concerne le maxillaire supérieur : Le maxillaire inférieur de MAGRATH présente une ressemblance frappante avec celui du crâne acromégalique d'Édimbourg. Les dimensions en sont très voisines. Chez MAGRATH, pourtant, la longueur antéropostérieure du corps est plus grande, comme aussi la largeur intergoniale.

Chez BYRNE, le seul caractère acromégalique de la face est le maxillaire inférieur; mais à bien des égards il diffère de celui de MAGRATH.

Il présente la même hauteur symphysienne excessive, le même développement énorme de la portion basilaire du corps et le même prognathisme si frappant; mais il diffère en ce que l'arcade alvéolaire n'est pas portée en avant, ni manifestement élargie.

CRANE. — Il peut être regardé comme un peu petit, étant donnée la taille du sujet. Les parois crâniennes ne sont pas excessivement épaisses. Les sinus de la face ont atteint un volume extraordinaire, aussi bien les sinus maxillaires, mastoïdiens, que les sinus frontaux. La même dilatation excessive des sinus aériens s'observe chez BYRNE.

La partie de la base du crâne qui attire tout de suite le regard, c'est la fosse pituitaire. Je me demande si jamais on la vit aussi large. Elle

(1) Journ. Anat. and Phys., vol. XXIV, p. 490.

pourrait presque contenir la moitié d'une petite mandarine. La dilatation a atteint un tel degré qu'elle a produit l'oblitération totale du sinus

FIG. 60. — Cràne (face) du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

FIG. 61. — Crâne (profil) du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

sphénoïdal; en un point du plancher, on voit une perforation ellip-

tique, longue d'environ 1/4 de pouce, à travers laquelle la fosse pituitaire communiquerait directement avec la cavité nasale si elle n'était pas couverte sur sa surface inférieure par l'aile élargie de l'os vomer.

Le plancher de la fosse pituitaire montre de nombreuses dépressions séparées l'une de l'autre par de petites crêtes osseuses. Nous pouvons inférer ainsi que la face inférieure de l'hypophyse, grandement hypertrophiée, était lobulée.

Du côté gauche, la fosse est bordée par une mince lame osseuse, sur la face externe de laquelle est la gouttière pour l'artère carotide interne. Du

FIG. 62. — Base du crâne du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

côté droit, il n'y a aucune limite, et l'aspect est tel que je suis porté à croire que le corps pituitaire hypertrophié faisait une saillie si considérable qu'il englobait l'artère carotide droite, et même s'étendait

en avant à travers la fente sphénoïdale dans la portion postérieure de l'orbite. Des cas d'acromégalie ont été rapportés qui présentaient un degré notable d'exophtalmie (1). Il est possible que ce symptôme puisse s'expliquer par la protrusion d'une partie du corps pituitaire hypertrophié dans la cavité orbitaire, comme dans le cas de MAGRATH.

Chez MAGRATH, les bandelettes optiques doivent avoir été soumises à une forte compression par l'hypophyse augmentée de volume. Il est remarquable qu'il n'ait été fait mention nulle part d'une diminution de son pouvoir visuel.

Les dimensions suivantes sont celles de la fosse pituitaire élargie chez MAGRATH et sur le crâne acromégalique d'Edimbourg :

Longueur. Profondeur. lLargeur.

MagraLh 38 millimètres. 28 millimètres.

Crâne d'Edimbourg.. 22,5 — 28 — 21 millimètres.

Sur le crâne de BYRNE, la voûte n'a pas été enlevée et les seuls moyens que j'avais d'explorer la taille de la fosse pituitaire, étaient : l'introduction de mon doigt par le trou occipital et l'exploration, avec l'index, de la région pituitaire; l'éclairage de l'intérieur du crâne par une petite lumière introduite par le trou occipital, et l'examen par une petite ouverture existant au sommet de la voûte crânienne. Par ces deux moyens, je pus me convaincre que la fosse pituitaire était élargie,

FIG. 63. — Fragment de la colonne vertébrale du géant irlandais Cornelius Magrath. (CUNNINGHAM.)

mais pas au même point que celle de MAGRATH ou du crâne d'Édimbourg. Le sommet de mon index atteignant la paroi antérieure de la fosse, j'appuyais en arrière fortement sur la lame quadrilatère, de manière à imprimer une marque sur mon doigt. Par ce moyen, je pus estimer que la fosse avait environ 22 millimètres de long. Sa profondeur est certainement moindre que celle du crâne d'Édimbourg.

COLONNE VERTÉBRALE. — Dans l'acromégalie, il est fréquent de trouver des troubles marqués de la courbure normale de l'épine. MAGRATH ne fait pas exception à la règle et ses déviations vertébrales sont très particulières. Dans la région cervicale, il y a une légère tendance à former une courbure à concavité antérieure ; dans la région dorsale, la colonne est convexe en avant; dans sa partie supérieure, la colonne lombaire forme une courbure en arrière, courte, mais

aiguë, donnant lieu à une concavité en avant; tandis qu'à sa partie inférieure elle forme une courte convexité antérieure.

(1) Ueber einem Fall Acromegalic, par WIMKOWSKI, Berliner klin. Woch., 1877.

— A case of Acromegaly, par RICKMANN GODLEE, Clin. Soc. London, 1888.

Il y a aussi deux courbures latérales : l'une, à la région dorsale, à convexité gauche; l'autre, à la région lombaire, à convexité droite.

Toutes ces déviations forment une colonne vertébrale toute tordue.

Sur le squelette du garde prussien de FRÉDÉRIC II, du Muséum de Berlin, ZITTERLAND nous apprend qu'il existe une courbure anormale de la colonne et que les corps vertébraux se sont moulés en rapport avec elle : les uns, plus hauts à gauche, les autres, plus hauts à droite. C'était également le cas pour l'épine de MAGRATH.

Chez MAGRATH, il y avait un raccourcissement de la colonne cervicale et un allongement marqué de la colonne dorsale. Chez BYRNE, il y a la même longueur excessive de la colonne dorsale, mais la colonne lombaire est raccourcie.

THORAX. — LANGER pense que, chez les individus de grande taille, le thorax est relativement étroit. Ce n'est pas le cas pour MAGRATH. La cage thoracique est grandement augmentée et présente à sa partie la plus large une circonférence qui n'est pas inférieure à 1m,323. Cette grande taille de la cage thoracique était également un trait remarquable sur le squelette acromégalique d'Édimbourg. Les caractères les plus remarquables des côtes sont l'accentuation de leurs courbures et la grande profondeur et largeur des gouttières sous-costales. Ce dernier caractère est aussi très marqué sur le squelette d'Édimbourg.

BASSIN. — Le bassin est de grande taille et sa largeur est particulièrement remarquable. Les os sont grossièrement moulés et les insertions musculaires sont très visibles. En plusieurs endroits, il y a des altérations très marquées d'origine arthritique; et sur la crête iliaque on note d'épaisses irrégularités en rapport avec la périostite.

Le caractère le plus remarquable du bassin de MAGRATH, c'est son extraordinaire largeur, qui est due pour une bonne part à l'augmentation de la largeur du sacrum. LANGER insistait déjà sur l'augmentation de la largeur des hanches chez les géants. Il remarque que, chez les géants vivants, ce caractère est très frappant et qu'il est produit non seulement par la conformation du bassin, mais aussi par un accroissement de la longueur des os fémoraux.

Membres supérieurs. — Altérations arthritiques très marquées au coude au point qu'on peut se demander si MAGRATH était capable d'étendre l'avant-bras sous un angle de 125°.

La clavicule est longue et massive. Elle présente une curieuse production ostéophytique sur sa face inférieure, à quelque distance du bord externe de l'insertion du rhomboïde, et sans doute en rapport avec l'insertion du muscle sous-clavier.

Humérus. — Des deux côtés, l'épiphyse supérieure n'est que partiellement soudée à la diaphyse.

Radius. — Des deux côtés, les épiphyses inférieures sont incomplètement soudées aux diaphyses.

Cubitus. — Curieuse courbure en dehors de la diaphyse immédiate-

ment au-dessus de son extrémité inférieure. Ainsi qu'on l'a vu dans les deux notices publiées sur MAGRATH pendant sa vie, on relève la grande épaisseur de la partie inférieure de son avant-bras; cette courbure inférieure du cubitus en est sans doute la cause, car l'élargissement du poignet ne peut certainement pas avoir été produit par les extrémités inférieures du radius et du cubitus, lesquelles ne sont pas d'une largeur disproportionnée.

Chez MAGRATH, la longueur de l'avant-bras et la longueur avantbras et bras par rapport à la taille sont supérieures aux moyennes établies par TOPINARD.

Le radius, par rapport à l'humérus, est très long.

Main. — Sous le rapport de l'acromégalie elles présenteraient un intérêt particulier. Malheureusement plusieurs os manquent ou ont été grossièrement remplacés.

La longueur totale de la main par rapport à la taille paraît bien proportionnée, tandis que, de son vivant, MAGRATH avait, dit-on, une main « aussi grosse qu'une épaule de mouton ». Mais nous savons que l'augmentation des mains dans l'acromégalie porte surtout sur les parties molles et que cette hypertrophie n'est guère visible sur les os,

FIG. 64. — Les deux fémurs du géant irlandais Cornelius Ma- grath. (CUNNINGHAM.) — Double genu valgum par allongement du condyle interne.

comme on peut le constater sur le squelette d'Édimbourg.

Membres inférieurs. — Les fémurs ne sont nullement symétriques, et non seulement par leur longueur, mais aussi par leur configuration. Le gauche a 21 millimètres de plus que le droit et est beaucoup plus anormal. Les anomalies sont particulièrement remarquables. Ainsi le col fémoral gauche est extrêmement mince, plus long que sur le fémur droit et s'unit à la diaphyse sous un angle plus ouvert (130° à droite; 140° à gauche). La tête fémorale à gauche est plus développée en arrière et regarde plus directement en haut.

Les extrémités inférieures présentent très accentuées les modifications en rapport avec le genu valgum. La déformation est beaucoup plus grande à gauche qu'à droite. Il n'y a aucune évidence que cet état soit dû à une obliquité originaire des lignes épiphysaires, car les deux condyles descendent suivant les lignes

parallèles à l'axe de la diaphyse. Il est plus que possible que l'extrême largeur du bassin soit en quelque mesure responsable de la déformation.

LANGER dit que l'évidence du genu valgum manque rarement chez les géants. « Un haut degré de genu valgum s'observe sur le géant de Saint-Pétersbourg et sur le squelette de Berlin n° 3040. » Tibia et péroné. — .A leurs extrémités supérieures, ces deux os sont unis simplement par du tissu fibreux, sans surfaces articulaires.

Comparée à la taille et à la longueur du fémur, la longueur du tibia, chez MAGRATH et chez BYRNE, est supérieure à la normale.

Pied. — Beaucoup de petits os manquent. Mesurée du talon à l'extrémité du gros orteil, la longueur totale est de 300 millimètres, longueur qui, comme celle du pied de BYRNE (317 millimètres), est notablement au-dessous de la moyenne. Mais, pour le pied, comme pour la main, l'hypertrophie porte principalement sur les parties molles: Et nous avons les longueurs excessives de leurs pieds pendant la vie : pour MAGRATH, son dernier soulier mesurait 15 pouces; pour BYRNE, on a conservé ses souliers avec son squelette : la semelle mesure 15 pouces 1/8. Par rapport à la taille, la proportion des pieds est manifestement au-dessus de la normale.

J'ai exprimé l'opinion que MAGRATH pendant sa vie était atteint d'acromégalie et que son squelette montrait d'une façon très marquée les modifications qui sont dues à l'action de cette maladie. Bien que j'aie indiqué, aux différents passages de ce mémoire, sur quels caractères j'appuyais cette hypothèse, il peut être utile de rappeler brièvement les plus importants d'entre eux. Ce sont les suivants : 1° La taille disproportionnée de la face par rapport au crâne. Cette augmen- tation porte non seulement sur les maxillaires, mais aussi sur la portion mandibulaire de la face, et il en résulte que nous avons une profondeur excessive des orbites, des fosses nasales et des sinus maxillaires. Le développement extraordinaire du maxillaire inférieur est particulièrement suggestif.

2° Le grand développement des apophyses mastoïdes et de tous les sinus aériens du crâne.

3° L'hypertrophie du corps pituitaire et l'augmentation de la fosse pitui- taire qui l'accompagne.

4° L'évidence que nous avons des dimensions excessives des pieds et des mains pendant la vie, quoique les os ne montrent pas trace de cette hypertrophie.

Mais la détermination de cet état est rendue particulièrement difficile par ce fait que ces modifications se montrent chez un individu d'une taille aussi grande que MAGRATH. D'après VIRCHOW, il n'y aurait aucun rapport entre la croissance gigantesque partielle, qui se voit dans les cas d'acromégalie, et la croissance gigantesque généralisée. Pourtant, si nous étudions les caractères des squelettes d'individus de haute stature, tels qu'ils sont donnés par LANGER, nous trouvons de nombreuses analogies. Cet auteur nous dit : 1° Que la région mandibulaire de la face est proportionnellement grande sur les crânes de tous les géants; et que, chez beaucoup, le

maxillaire inférieur est « monstrueux ». En outre, le maxillaire inférieur l'emporte souvent pour l'hypertrophie sur les maxillaires supérieurs, de manière à produire une projection du menton et à porter les dents inférieures en avant des supérieures. Il donne l'image d'un tel crâne; 2° Qu'en règle générale l'hypertrophie sur les crânes de géants ne porte que sur la portion faciale. Par suite, le crâne reste petit, tandis que la face augmente. Il considère, cependant, que cette hypertrophie de la face est limitée à sa partie inférieure et ne porte pas sur les cavités orbitaires, ni sur la partie supérieure des fosses nasales; 5° Que dans les cas typiques de croissance gigantesque généralisée on trouve une augmentation du corps pituitaire, par laquelle la fosse se trouve élargie, et aussi une hypertrophie des parties molles de la face (lèvres et ailes du nez). Il a remarqué l'agrandissement de la fosse pituitaire principalement dans les cas où le maxillaire inférieur était de taille énorme.

Ces observations de LANGER forment un sérieux appoint dans la question en litige et je pense qu'elles autorisent quelques relations entre l'acromégalie et la croissance généralisée. D'ailleurs la disproportion entre la face et le crâne peut être produite de deux façons. Elle peut être produite par une croissance excessive des os de la face, le crâne gardant ses dimensions normales; c'est la véritable disproportion acromégalique. Mais elle peut aussi être produite par ce fait que le crâne ne suit pas la croissance générale de toutes les autres parties du corps; dans ce cas la croissance de la face est indépendante et en harmonie avec la croissance générale de l'individu; c'est de cette façon que se produit la disproportion chez les géants. Les résultats sont les mêmes, bien que la manière dont ils ont été obtenus soit différente.

Mais, même en expliquant ainsi la forme identique de crâne se produisant dans les deux cas, comment pouvons-nous expliquer le fait que les acromégaliques comme les géants aient la même tendance à dilater leur fosse pituitaire et à hypertrophier leur mandibule. LANGER n'est pas le seul auteur qui ait attiré l'attention sur l'hypertrophie du maxillaire inférieur des géants. TOPINARD rapporte également ce fait.

Il ne faut pas conclure de là que je veuille faire de tous les géants des acromégaliques. Ni WINKELMEIER, ni MURPHY ne présentent la plus légère trace de cette affection; ni l'un ni l'autre ne présentent une face disproportionnée, ni des mains ou des pieds augmentés de volume.

Chez MURPHY, toutes ces parties sont réellement petites.

Pour MAGRATH, cependant, je crois qu'il ne peut y avoir aucun doute.

Bien qu'il soit le moins grand de tous ces géants, nous avons vu que les dimensions de sa face l'emportent sur tous les autres.

Le squelette de BYRNE offre de plus grandes difficultés; il ne présente pas une augmentation excessive de la face par rapport au crâne; sa

tête est même plus petite que la moyenne, eu égard à sa taille. Mais, d'autre part, nous avons une grosse hypertrophie de la mandibule, une fosse pituitaire élargie et l'évidence manifeste que nous apportent ses souliers de la grande taille de ses pieds, pendant sa vie.

Le crâne et plus particulièrement la face des géants ont depuis longtemps déjà attiré et retenu l'attention du public et des médecins.

Dans le Dictionnaire de d'Orbigny(1), publié en 1868, on trouve les lignes suivantes : « Dans le balancement des éléments de l'organisme, le développement des formes est au détriment de celui du cerveau. Les Grecs l'avaient si bien compris qu'ils avaient donné à leur Apollon une taille moyenne et un front large, élevé, où rayonnait l'intelligence, et à Hercule une tête de crétin. » Sans vouloir préjuger de la mesure exacte de l'intelligence ni de la taille d'Hercule, il est incontestable que les traits apolloniens ne semblent guère avoir été rencontrés chez les géants : Lombroso trouve à son géant une « face rappelant dans sa monstruosité celle du gorille et du lion » (voir p. 296); Woods Hutchinson, voyant une seule fois le géant Caleb, remarque chez lui une « expression de tête de cheval » caractéristique (Obs. XIV). Parfois il y a une grosse malformation : ainsi le géant Wilkins (Obs. XV), observé successivement par Dana en 1893 et par Lamberg en 1896, présentait ce que le premier auteur appelle une hémiacromégalie de la tête, c'est-àdire un développement très remarquable d'une moitié de la face, portant sur l'os frontal et les maxillaires supérieur et inférieur du côté gauche, s'accompagnant d'un rétrécissement de la cavité nasale du même côté. Les photographies de ce sujet révèlent à première vue, encore qu'incomplètement, cet aspect curieusement tordu et asymétrique de la face. En dehors de l'impression plus ou moins horrible ou repous- sante que peut produire la face des géants, si l'on cherche à préciser par des mensurations anthropologiques les modifîcations survenues à son niveau, on voit que chez la plupart elles ne diffèrent en rien des malformations acromégaliques et qu'elles sont surtout apparentes et accusées chez les géants acromégaliques.

(1) Dictionnaire Universel de Ch. d'ORBIGNY, 1868, t. VI, p. 503,

Il nous suffira de rappeler la description qu'ont donnée Brissaud et Henry Meige de la face du géant Jean-Pierre Mazas et que nous leur avons empruntée (voir page 222). Dans son masque hideux, on retrouve l'aspect caractéristique, mais poussé jusqu'à l'exagération, du facies acromégalique. Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'inégal développement du crâne, de dimensions à peu près normales, et de la face énormément agrandie, surtout dans le sens vertical.

La face prend ainsi un aspect démesurément allongé et ovalaire, tenant surtout à l'agrandissement de deux diamètres en particulier : le diamètre bimalaire et la hauteur générale de la face. Le front, d'ordinaire bas et étroit, surplombe les yeux enfouis dans d'énormes saillies orbitaires, formées par le développement exagéré des sinus frontaux; ce développement exagéré, qui se retrouve sur tous les sinus de la face et aussi sur les os malaires, produit, au niveau de ces derniers, l'agrandissement du diamètre bimalaire qui était si évident à la dernière période de la vie de notre tambour-major (Obs. VIII).

Le nez est toujours volumineux; l'augmentation des os propres, qui entrent dans sa constitution, était très apparente sur le crâne de la géante Aama (Obs. III). Mais les par- ties molles et les cartilages qui le composent sont aussi très hypertrophiés et l'on peut retrouver chez les géants toutes les variétés de gros nez : arrondis, retroussés, busqués en nez de polichinelle, etc.

La langue atteint souvent un volume extraordinaire, très nettement disproportionné même avec la taille gigantesque du sujet auquel elle appartient. Les lèvres, surtout la lèvré inférieure, sont grosses; cette dernière, proéminente et pendante, aggrave encore le prognathisme du maxillaire inférieur, dont l'hypertrophie localisée et disproportionnée est assurément, sinon le meilleur signe, du moins l'un des plus caractéristiques et des plus faciles à reconnaître de l'acromégalie.

Le menton en galoche, gros, massif, avec à la fois augmentation de la hauteur du maxillaire et projection en avant de son bord inférieur, est noté chez bon nombre de géants. Langer y avait déjà insisté en 1871, et, tout récemment, Papillault montrait qu'à mesure que la taille s'élève la hauteur de la symphyse mentonnière augmente ainsi que la longueur de la

branche horizontale (diamètre gonio-mentonnier), d'où résulté un prognathisme plus ou moins marqué.

En somme, l'on peut dire que les trois grands signes caractéristiques de l'acromégalie à la face : hypertrophie localisée et prognthisme du maxillaire inférieur; — saillie exagérée des pom- mettes; — augmentation des os propres du nez et des sinus frontaux, se retrouvent à un degré plus ou moins accentué chez les géants acromégaliques.

Après la face, les pieds et les mains offrent chez les mêmes sujets les déformations propres à la maladie de P. Marie. Sans doute, personne ne songe à s'étonner que les géants aient de grandes mains et de grands pieds; mais il y a lieu de remarquer que le développement des extrémités de leurs membres est lui-même disproportionné par rapport à l'hypercroissance généralisée qu'ils présentent.

L'histoire des géants est à cet égard remplie d'anecdotes que nous avons déjà mentionnées (voir page 28). C'est l'empereur romain Maximin Ier qui prenait pour bague le bracelet de sa femme, c'est le géant Nicolas, dont il est question dans les Chroniques de Hollande (1557) de Hadrianus Berlandus, et qui était si grand que son soulier avait 5 pieds ; c'est le géant Antoine Payne, haut de 2m,22, qui vivait en Cornouailles à la même époque et dont la longueur des pieds est restée proverbiale. C'est un homme de 9 pieds, vu par Plater, en 1613, et dont la main avait une longueur de 1 pied 6 pouces ; c'est Patrick Cotter, le successeur du géant irlandais Charles Byrne, qui mesurait à sa mort, en 1806, 8 pieds 4 pouces, dont le pouce était à peu près de la grosseur du poignet d'un homme ordinaire et dont le soulier n'avait pas, moins de 17 pouces de long(1).

Plus récemment nous voyons que les pieds du géant espagnol Joachim Eleiceagui, haut de 2m,50, qui se montra à Paris en 1845, avaient une longueur de 42 centimètres (2).

Enfin Jean-Pierre Mazas (Obs. IX, page 216), parmi les derniers exploits que sa maladie lui permettait encore d'accomplir, pouvait couvrir une pièce de cinq francs avec son pouce. Et

(1) Voir GOULD AND PYLE, Anomalies and Curiosities of Medicine. Londres et New-York, 1898.

(2) Voir E. GARNIER, Les Nains et les Géants. Paris, 1884.

le géant Caleb, retirant une de ses bagues, avait coutume de faire passer au travers d'elle une pièce d'un demi-dollar.

C'est à Woods Hutchinson que nous devons l'histoire de ce géant Caleb; il l'a publiée dans le New-York Médical Journal (21 juillet 1900). La description qu'il fait de la face est tout à fait remarquable.

OBSERVATION XIV. (Woods Hutchinson.) Le géant Caleb.

Il y a encore un cas que je puis difficilement m'empêcher de mentionner ici, bien que je doive avouer qu'en tant qu'observation médicale il est de la plus faible valeur. C'est le cas d'un géant qui voyageait avec une troupe de nains, les Liliputiens, et connu sous le nom du « géant CALEB », que je vis par hasard voici deux ans. On le disait haut de 8 pieds 3 pouces, et il paraissait bien les avoir. Son seul aspect sur l'estrade me fit penser tout de suite à l'acromégalie et lorsque, à ma grande satisfaction, il vint à la fin du premier acte se promener parmi l'assistance, afin qu'on pût vérifier qu'il était un véritable géant, sans échasses, je vis que sa face, ses mains et ses pieds étaient bien ceux qu'on rencontre dans cette affection.

La première impression que me fit sa face fut assez singulière : bien que grosse et massive et avec cette expression de tête de cheval caractéristique de la maladie, elle ne me parut pas à première vue avoir la partie inférieure beaucoup plus développée que la partie supérieure ou crânienne. Mais l'inspection ultérieure me fit découvrir que cette symétrie apparente était produite par une augmentation énorme du front saillant, proéminent et surplombant, sous lequel les yeux petits étincelaient d'une manière repoussante. Je ne doute pas que cet aspect ne soit dû à l'énorme augmentation des sinus frontaux qui est caractéristique de l'affection, attendu que les parties moyenne et postérieure du crâne n'étaient en aucune façon proportionnées au développement excessif de la portion frontale. La mâchoire inférieure était énorme et massive; son articulation épaisse et invisible.

Les mains étaient énormes et offraient l'aspect en battoir caractéristique; pour la taille de ses doigts, elle était mise en évidence d'une manière assez singulière : il retirait une de ses bagues et priait quelqu'un de faire passer au travers une pièce d'un demi-dollar. Ses pieds étaient également de taille énorme; sa démarche était penchée et branlante. Par malheur pour moi, je pensais le retrouver le lendemain matin pour prendre des mensurations exactes et le photographier; mais j'appris en allant à son hôtel que la troupe avait pris le train de

minuit et depuis ce temps je ne pus rien apprendre sur lui. Ainsi que je l'ai déjà dit, je présente ce cas comme une simple observation faite à l'œil nu, et comme aussi pouvant être intéressante, sans qu'on puisse toutefois la considérer comme une addition effective à la littérature scientifique concernant le sujet.

Le géant du Minnesota présentait, en même temps qu'une croissance générale gigantesque, une hypertrophie particulière d'une portion du segment céphalique. Dana, qui npus en donne la description proposa de considérer cet exemple comme un cas de somatomégalie avec hémiacromégalie de la tête, dénomination qui lui avait été suggérée par son collègue le Dr Frank P. Foster.

OBSERVATION XV. (Dana, 1893; — Lamberg, 1896; — Villers, 1898; Peter Bassoe, 1903.) Le géant du, Minnesota, Wilkins.

Voici d'abord l'observation publiée par Dana (1) en 1893 : Lewis Wilkins, âgé de 19 ans, de métier fantasque, naquit dans le Minnesota. Son père était natif de New-York; sa mère, née dans le Canada, était d'origine anglaise. Ses parents étaient bien portants, de

taille normale (lm,61 pour le père, lm,70 pour la mère). Il a six frères et sœurs, tous de taille normale. C'est le second enfant. Il a toujours été grand pour son âge, mais sans que rien le rendît remarquable. Toutefois il grandissait constamment et atteignit à l'âge de 17 ans une hauteur de plus de 7 pieds (2m,10). Il a maintenant 20 ans et a gagné 1 pouce 1/2 (4em) dans la dernière année. Sa taille actuelle est de 7 pieds 4 pouces (2m,25); son poids de 325 livres ; ses proportions générales sont bonnes pour la plupart; mais ses pieds et ses mains sont particulièrement énormes et le côté gauche de la face montre une remarquable

FIG. 65. — Le géant Wilkins.

(DANA, 1893.)

hypertrophie osseuse, portant sur l'os frontal et les maxillaires supérieur et inférieur. L'hypertrophie répond exactement à la distribution du nerf trijumeau ; elle donne au visage un aspect curieusement tordu et asymétrique que la photographie ne montre que d'une manière impar-

(1) Acromégalie et gigantisme avec hypertrophie faciale unilatérale. — The Journal of neruous and mental Diseases, 1893.

faite. La première impression est qu'il a une hémiatrophie du côté droit de la face; mais un examen plus approfondi révèle un énorme épaississement du bord alvéolaire supérieur gauche. L'os surplombe les dents comme s'il avait un grum boil. La voûte palatine est également très augmentée du côté gauche. La mâchoire inférieure est moins atteinte ; mais elle est plus large et plus longue du côté gauche. Les dents sont blanches et ne sont pas hypertrophiées. Il en est de même des cavités orbitaires, mais le sourcil gauche et même tout l'os frontal fait une saillie suffisante pour donner au crâne un aspect difforme très curieux.

Je ne pus en obtenir un contour exact, mais il est figuré ici d'une manière approximative. L'épaississement s'étend en arrière jusqu'à la suture coronale et s'arrête là. En résumé, la tête est volumineuse, mesurant 65cm,5, dans sa circonférence maxima. L'hypertrophie osseuse rend l'arc naso-bregmatique très grand, soit 18,5, tandis que l'arc biauriculaire, mesuré par le bregma, est relativement plus petit, ne portant pas sur la zone hypertrophiée. Les mesures sont :

Circonférence maxima de la tête.. 65 centimètres 25 3/4 pouces.

Arc naso-occipital 43 — 17 — Arcbregmatique. 18 — 7 1/8 — ArcLiauriculaire. 57 — 14 1/2 —

De l'angle maxillaire droit à la symphyse 15 (5 1/8); à gauche, 18 (7 1/8), soit une différence de 8 pouces.

La circonférence du thorax, sur la ligne mammaire, était de 47 pouces 1/2, et l'expansion de 3 pouces; ce qui montre qu'il a un thorax d'une taille qui; proportionnellement n'est pas excessive, et de beaucoup plus petit que celui du géant Indien, lequel, pour une taille de 6 pieds 7 pouces, avait une poitrine mesurant 50 pouces.

Les mains étaient énormes, mesurant 26em ou 10 pouces 1/4 de l'extrémité du médius à l'apophyse du radius ; la circonférence de la main ouverte, passant par le milieu de la paume, 27 cm.

Les pieds sont relativement encore plus gros. Il porte un soulier long d'un pied 1/2; la longueur totale de chaque pied est de 14 pouces, 35cm,5, et la circonférence du cou-de-pied est de 11 pouces 1/2 (29,2).

Il n'y a aucune autre asymétrie que celle de la face, déjà décrite. Pourtant, l'épaule gauche est un peu plus haute; il a réellement le dos rond et il existe une légère incurvation latérale de la colonne dorso-lombaire.

Il ne présente pas d'éruptions cutanées, pas de pigmentation, ni de décoloration. II a les cheveux épais et rudes ; mais il est imberbe. Son système musculaire n'est que modérément développé. Sa poignée de main est faible. Il n'aime pas monter les escaliers; il n'a pas grande vigueur. Sa coordination est bonne ; c'est un bon tireur. Ses muscles du genou sont lents et faibles.

La vision est bonne aux deux yeux et il n'a pas de rétrécissement du champ visuel. Les pupilles réagissent normalement.

Les yeux sont petits, la fente palpébrale mesure 3 centimètres.

L'intelligence est bonne. Il dort et mange bien. Il a un appétit prodigieux et un jour il aurait mangé 27 assiettes de crème glacée en un seul repas, gagnant ainsi un pari qu'il avait fait de manger plus que deux hommes; aucune suite fâcheuse n'en serait résultée. Il a parfois de légers maux de tête.

La respiration et le pouls sont normaux, de même que les fonctions du cœur.

Je ne pourrais dire si la glande thyroïde était modifiée dans son volume ; en tout cas elle existait.

C'est Dana qui, le premier, a étudié, en 1893, dans l'observation ci-dessus, le géant Wilkins, alors âgé de 19 ans. Mais, au cours de ses pérégrinations dans les deux continents, ce même géant a été l'objet de plusieurs examens médicaux.

Le 24 avril 1896, Lamberg le présentait à la Société des Méde- cins de Vienne ('). Il était alors âgé de 22 ans. L'auteur le considère comme un cas d'acromégalie. Il est né de parents normaux et bien portants ; dès sa naissance, il pesait 5 kilogrammes et, jusqu'à l'âge de 4 ans, sa croissance a été normale. De 4 à 16 ans, il a grandi rapidement, pour cesser de croître à partir de 18 ans (2). Sa taille actuelle est de 2m,45,c'est-à-dire 20 centimètres de plus que le plus grand squelette du musée de Vienne.

Il présente quelques anomalies du squelette : une scoliose vertébrale, une asymétrie du bassin et de la face. L'intelligence est celle de son âge et les fonctions sexuelles sont normales.

Sternberg, lors de cette présentation, fait remarquer que cet homme peut être regardé comme un des géants les plus grands.

On n'en connaît que trois autres qui atteignaient une taille plus élevée : 249, 254 et 259 centimètres (Patrick O'Byrne, le sque lette de Saint-Pétersbourg et Cornelius Magrath). Quant aux anomalies osseuses, Sternberg les regarde comme dues à l'hémiatrophie faciale et non à l'acromégalie, d'autant plus qu'il n'existe pas d'anomalies concomitantes des parties molles (macroglossie). Le gigantisme n'est pas un état pathologique, mais les maladies sont fréquentes chez les géants. D'après les

(1) Wien. klin. Wochenschr., t. XLVI, n° 19, 1896, p. 359.

(2) On peut remarquer ici une contradiction : à 19 ans, DANA donne à Wilkins une taille de 2m,23; à 22 ans, LAMBERG lui attribue une taille de 2m,45. Il n'est donc pas exact de dire qu'il a cessé de grandir à 18 ans. (Note des A.)

recherches de Sternberg, 42 pour 100 des géants peuvent être regardés comme des malades. Le géant qui vient d'être présenté a une grande analogie avec celui que Buhl a présenté à Munich ('). Il mesurait 255 centimètres et il avait de même des exostoses et des hyperostoses aux maxillaires supérieurs et inférieurs. Il succomba à des phénomènes de compression cérébrale. Quand on considère ici l'étroitesse des fosses nasales, on peut se demander si un processus du même genre, à marche lente, ne se produit pas chez cet individu.

Schlesinger, également présent à cette séance de la Société des Médecins de Vienne, élimine aussi l'idée d'acromégalie; non seulement les altérations des parties molles font défaut, mais encore les troubles oculaires.

En 1898, E. Villers reprend devant la Société d'Anthropologie de Bruxelles (Bull. de 1898, XVII, 174) l'histoire de ce même géant qu'il avait eu l'occasion d'observer au « Pôle Nord » à Bruxelles. Il conclut qu'il s'agit d'un géant scaphocéphale (scaphocéphalie annulaire), ayant eu dans sa jeunesse des troubles de la nutrition osseuse rattachable au rachitisme et qui ont abouti au gigantisme. Son insuffisance intellectuelle est notoire : il fait de la bicyclette, s'occupe de photographie, mais surtout se laisse voir : « il vit de sa grandeur » et n'a pas d'autre métier. « Au point de vue génital, c'est un continent, sinon un abstinent. »

Enfin, au Congrès de l'American Association of pathologists and bacteriologisls (2), tenu à Washington du 12 au 14 mai 1905, Peter Bassoe, assistant du professeur Ludwig Hektoen, de Chicago, terminait la si curieuse histoire médicale du géant Wilkins en rapportant les résultats de son examen nécroscopique.

Depuis trois mois WILKINS souffrait d'une violente douleur à la région temporo-pariétale du côté gauche : cette douleur apparaissait

(1) Voir l'obs. de BUHL, p. 412.

(2) Un cas de Gigantisme avec Leontiasis ossea, The Journ. of neru. and men- tal Disease, sept. 1903.

chaque matin au lever et disparaissait progressivement vers 10 ou 11 heures. Depuis un mois cette céphalée était continue et l'obligeait à recourir d'une manière constante aux opiacés. Depuis un mois, il avait perdu du côté gauche la vision, qui était faible déjà depuis plusieurs années. Enfin, une semaine avant son entrée, il avait aussi perdu la vue du côté droit, brusquement, disait-il : un jour il s'était couché en voyant, et, le lendemain matin, il ne distinguait plus la lumière. A la même époque il avait eu aussi quelques vomissements, sans relation directe avec l'alimentation. Sa parole était un peu embarrassée, sa voix épaisse et dure. Il avait des sonneries dans les oreilles et était sourd du côté gauche.

Il entra le 28 juin 1902 au Presbyterian Hospital, dans le service du professeur BEVAN : il était abruti et presque en état de stupeur, en proie d'autre part à une diarrhée assez intense.

Examen physique : La tumeur du crâne est de consistance ferme, sauf en une région un peu plus grande qu'un dollar d'argent au front et au-dessus du conduit auditif externe, où l'on constate un ramollissement avec pseudo-fluctuation. L'œil gauche est fermé : les pupilles ne réagissent ni à la lumière, ni à l'accommodation. Il existe une zone d'anesthésie s'étendant depuis la branche gauche du maxillaire inférieur jusqu'à la ligne médiane. Ni sucre, ni albumine dans les urines. Pas de modifications à l'examen du sang. L'ophlalmoscope montre un étranglement bilatéral de la papille.

La diarrhée s'aggrava; les selles étaient un peu sanguinolentes, avec douleur et ténesme. WILKINS s'affaiblit graduellement et mourut le 10 juillet 1902. Il était âgé de 29 ans.

AUTOPSIE (pratiquée immédiatement après la mort par le professeur LUDWIG HEKTOEN, assisté des Drs LOEB et BASSOE).

Impossibilité de prendre des mesures et de compléter celles prises du vivant par les autres auteurs à cause de l'opposition d'un parent présent.

DIAGNOSTIC ANATOMIOUE. — Iléo-colite nécrotique et ulcérative; — cirrhose du foie; — gastrique chronique catarrhale; — épithéliose de l'œsophage; — broncho-pneumonie hémorragique du lobe inférieur droit; — hypertrophie du corps thyroïde ; — sarcome dans la région de l'hypophyse, avec propagation de la tumeur aux tissus sous-cutanés; — hyperostose diffuse du frontal, du pariétal, du temporal et du maxillaire supérieur gauches ; — calcification de la plèvre gauche et de L'arachnoïde spinale ; — compression du cerveau; — gigantisme généralisé.

La thyroïde pèse 112 grammes; elle est uniformément augmentée de volume et luisante à la coupe comme si les follicules étaient dilatés et présentaient une quantité anormale de substance colloïde. Dans le lobe gauche, on trouve deux petits nodules circonscrits, un peu rougeâtres.

Pas de vestiges du thymus dans les masses graisseuses correspondantes.

Longueur de l'intestin grêle du début du jéjunum jusqu'à la valvule iléo-cœcale : 20 mètres. — Le gros intestin est très volumineux; sa longueur est d'environ 4 mètres.

Le foie pèse 4 kilos; sa surface est granuleuse et nodulaire, surtout près du bord droit; on voit de larges îlots de tissu hépatique limités par des bandes fibreuses. La face inférieure du foie montre des lobes anormaux, surtout à droite.

Le pancréas pèse 275 grammes. — Les surrénales, 42gr,5. — Les reins, 525 grammes (ensemble). — La vessie est distendue par l'urine et très volumineuse.

La prostate n'est pas aussi grande, proportionnellement, que les autres organes. Il en est de même des vésicules séminales et des testicules, ceux-ci pesant 85 grammes.

Il existe un petit noyau ramolli, gros comme le poing, sous la peau en avant de l'oreille gauche, et un autre, de consistance un peu plus ferme, occupant les deux tiers environ du côté gauche du front. La section de cette tumeur montre un tissu homogène. La région frontale du crâne est très épaisse, surtout du côté gauche. La calotte crânienne pèse 1450 grammes; sa circonférence est de 68 centimètres, avec une longueur de 25 centimètres.

De la suture interfrontale, oblitérée à la partie inférieure, à la suture coronale droite, la distance inférieure mesurée horizontalement est de 5cm,7. Du même point à la suture coronale gauche, cette même distance est de 8cm,5. Sur la ligne médiane l'os frontal est épais de 8cm,5, et un peu ramolli, surtout à gauche. L'asymétrie est notable : la suture interpariétale est déplacée vers la droite. Les sillons pour les vaisseaux sont relativement étroits. En regard de la suture coronale l'os est déformé par suite de la présence d'une série de dépressions d'un diamètre variable de 0,5 à 5 millimètres. Le reste de la calotte crânienne est lisse, d'une épaisseur de 2 à 8 millimètres. Extérieurement la suture interpariétale est saillante dans sa moitié postérieure; il en est de même pour la suture pariéto-occipitale.

La base du crâne est tout à fait déformée. A gauche, l'étage antérieur est oblitéré par l'os frontal épaissi et la partie moyenne de cet étage est également presque remplie par le même os. La selle turcique est large, son plancher en partie érodé. Dans cette région on trouve une énorme masse néoplasique, formée dans le pharynx, les cavités orbitaires, les sinus éthmoïdaux, et ayant détruit le plafond des fosses nasales; le plafond de l'orbite a été beaucoup plus envahi à gauche qu'à droite. Après avoir enlevé le cerveau, sur la ligne médiane de la surface de la tumeur exposée à la base du crâne, se projette un pédicule, plus foncé que la masse néoplasique. C'est l'infundibulum. Il mesure 3 millimètres de diamètre et s'insère sur une élévation arrondie de 15 sur 6 millimètres et de la même coloration que la tige. Quant à la tumeur, sa surface est blanche, lobulée, les lobules larges de 2 à 4 millimètres étant séparés par des fissures étroites, mais profondes. A la coupe la

portion superficielle de la tumeur est blanche et nettement lobulaire; un exsudat fluide et gélatineux sourd de la surface de section. Dans la profondeur, la tumeur est plus homogène et l'exsudat visqueux est plus abondant. Plus profondément encore, des travées rouge foncé la traversent. La portion de la tumeur enlevée avec l'hypophyse pèse 150 grammes, mais une quantité certainement beaucoup plus grande fut ramassée en morceaux ou laissée en arrière.

Le cerveau pèse 1450 grammes. La distance du pôle frontal au pôle occipital est de 18 centimètres; diamètre transverse : 14cm,5. Il existe une déformation marquée de l'hémisphère gauche en rapport avec l'oblitération de la fosse antérieure du crâne. Le lobe frontal a été comprimé en haut et à droite; il se termine par une bande étroite le long de la scissure médiane. La partie inférieure de cette bande est à 8 millimètres au-dessus du pôle du lobe frontal droit, sa largeur est de 15 millimètres à la base, de 8 millimètres à la partie inférieure. Sur la gauche, au delà, la substance cérébrale a été comprimée en sorte que la face inférieure du lobe frontal est à 3cm,5 plus haut qu'à droite. Le lobe temporo-sphénoïdal est également plus petit et comprimé à gauche; sa face inférieure mesure 1cm,5 d'avant en arrière, tandis qu'à droite elle mesure 3cm, 7. D'une manière générale les circonvolutions cérébrales sont larges et aplaties, les sillons peu profonds. Le nerf optique est plus étroit du côté gauche ; les autres nerfs crâniens semblent symétriques.

La longueur de la moelle et du bulbe, depuis la protubérance jusqu'au filum terminale, est de 60 centimètres. Au-dessous de la région thoracique moyenne, on trouve, sur le côté de la dure-mère, beaucoup de plaques épaisses et en partie calcifiées, rugueuses et granuleuses à leur face interne, polies au niveau de leur attache à la dure-mère. La plus large de ces plaques mesure 3 sur 1cm,2. A l'une d'elles, une racine nerveuse est adhérente.

EXAMEN HISTOLOGIQUE. — A. La tumeur molle. — Toutes les parties en ont été examinées et la structure a été trouvée partout essentiellement la même. Elle est faite de cellules ordinairement fusiformes avec de gros noyaux ovales ou arrondis. Il y a de nombreuses figures karyokinétiques. Le protoplasma cellulaire se colore faiblement. Il n'y a aucun rapport avec la structure glandulaire ou quelque autre structure épithéliale, car les cellules n'ont pas d'arrangement définitif. La texture est lâche, en raison de l'abondance d'une substance intercellulaire finement granuleuse et colorée légèrement par l'hématoxyline. Assurément elle représente en partie le produit de coagulation de l'abondante matière visqueuse observée microscopiquement. Dans les parties plus profondes de la tumeur, les modifications dégénératives s'accentuent : il y a de vastes zones nécrotiques et aussi hémorragiques. L'aspect lobulé de la surface s'explique par la présence de bandes fibreuses perpendiculaires; on en retrouve de semblables dans la profondeur; par places, des cellules, quelquefois en karyokinèse, reposent sur des

travées. En certains endroits, plus spécialement dans le voisinage de l'hypophyse, on trouve des épines osseuses, dont quelques-unes sont riches en corpuscules osseux et, sans doute, de formation récente. Çà et là, on voit des cellules géantes. La tumeur peut être désignée un sarcome ostéoplastique avec œdème et dégénérescence mucoïde.

B. — L'hypophyse et ses relations avec la tumeur. — Après une section préalable à travers l'infundibulum, des coupes sagittales sériées ont été

FIG. 66. — Base du crâne du géant Wilkins, montrant tout l'étage antérieur rempli par le sarcome ostéoplastique.

faites sur chacune de ces deux moitiés. Une membrane fibreuse, la duremère, sépare l'hypophyse de la tumeur; la limite nette est très visible à l'œil nu par suite de la différence de coloration.

A gauche, la tumeur et l'hypophyse sont, sur un point, directement en contact, mais la séparation est nette et il n'y a pas de formes cellulaires de transition. Il y a quelque hypertrophie de l'hypophyse, la plus grande longueur sur les coupes étant de 20 millimètres; en ce point elle mesure 8 millimètres de haut en bas. La structure histologique est essentiellement normale : on y trouve les cellules habituelles, grandes, nettement éosinophiles, disposées en colonnes allon-

gées ou en pelotons d'environ la taille d'un glomérule rénal; on y trouve également des cellules plus petites, avec un cytoplasme légèrement coloré en bleu par l'hématoxyline, des noyaux arrondis et une disposition plus ou moins glandulaire. Dans la portion extrême droite du lobe antérieur, c'est ce seul type de cellules qu'on observe et la disposition glandulaire est moins apparente. Il y a un petit nombre d'espaces contenant une substance colloïde et bordés par un épithélium. Les vaisseaux engorgés sont nombreux. On trouve aussi de nombreuses hémorragies, quelques foyers consistant en petits paquets, arrondis et fortement colorés, des cellules mononucléaires, un corps amyloïde, et, par endroits, les cellules épithéliales éosinophiles sont

vacuolées. Par places, les travées et la tunique adventice des petits vaisseaux ont un aspect hyalin. A la frontière de ces zones on trouve généralement des dépôts pigmentaires, indiquant qu'elles marquent sans doute le siège d'anciennes hémorragies.

Le lobe postérieur est petit et constitué par une substance finement granuleuse, légèrement colorée par l'hématoxyline et contenant un petit nombre de noyaux allongés et étroits, fortement colorés, avec de petits vaisseaux nombreux et engorgés.

Sur le crâne, la texture de la tumeur, par endroits, est lâche, rappelant la dégénération mucoïde ou l'œdème. On trouve toutes les transitions entre le tissu de la tumeur osseuse et celui de la tumeur molle.

La substance cérébrale est normale. Il en est de même pour la moelle : les plaques calcifiées des méninges spinales renferment de l'os véritable.

Les deux nerfs optiques sont notablement dégénérés, surtout à gauche.

L'examen histologique de la thyroïde (goitre colloïde simple), des poumons, de la rate, de l'intestin, du foie, du pancréas (normal), des surrénales (id.), des reins, ne fait que confirmer les constatations macroscopiques et le diagnostic anatomique mentionnné ci-dessus (page 259).

Les testicules montrent des modifications notables des tubes séminifères : immédiatement en dedans de la membrane basale les cellules testiculaires sustentaculaires et spermatogéniques ont subi une dégénérescence hyaline. Dans quelques tubes, la dégénérescence hyaline est avancée au centre, tandis que, dans d'autres, la zone hyaline sépare les cellules normales de la membrane basale. Quelques tubes semblent normaux. Il y a une légère augmentation du tissu fibreux et quelques zones d'infiltration des cellules rondes.

Examen bactériologique (E. H. RUEDIGER). — Rien n'a poussé avec le sang du cœur; les ulcérations intestinales ont fourni deux organismes : l'un, coli-bacille typique; l'autre, bacille non identifié, mais possédant quelques-uns des caractères du bacille de Shiga et du coli-bacille ordinaire.

Examen chimique (Dr H.-G. WELLS) de la glande thyroïde. — Dans chaque gramme de substance glandulaire, la quantité d'iodine est normale; mais, étant donnée l'énorme augmentation du volume total de la glande, la quantité totale est six fois plus considérable que normalement.

Tout aussi probant est le cas du jeune géant Mc Indoo, dont nous devons encore la relation à Woods Hutchinson.

OBSERVATION XVI. (Woods Hutchinson.) Le géant Me Indoo (1).

James Me Indoo est un garçon de 18 ans, le second de huit enfants, tous normaux et bien portants, comme les parents. A sa naissance, il pesait 9 livres, et sa taille, comme son développement, n'attirèrent pas spécialement l'attention jusqu'à l'âge de 13 ans; à cette époque, il commença à grandir très rapidement et il a atteint actuellement la hauteur de 7 pieds 1 pouce et le poids de 508 livres.

Son intelligence est à peu près celle d'un garçon de 10 ans; bien que sa force musculaire soit grande, ses mouvements sont lents et mal coordonnés. Son appétit est énorme et il dort de 15 à 20 heures d'une seule traite. Sa poitrine est fort grande, mesurant 49 pouces 1/2 en pleine inspiration, avec une expansion de 10 pouces 1/2. Son développement sexuel est en retard.

Les caractères acromégaliques sont : 1° la taille disproportionnée des mains et des pieds des deux côtés, ce qui est bien visible sur sa photographie. Ses pieds ont 16 pouces de long, c'est-à-dire 2 pouces au-dessus de la normale, le sixième de la taille. Sa main a une ouverture de 14 pouces, soit 80 pour 100 au-dessus de la normale, tandis que la taille est seulement de 25 pour 100 au-dessus de la normale; 2° l'épaisseur, en forme de coussin, de ses pieds, bien que les mains soient comparativement bien formées ; 3° les grandes dimensions de la portion faciale de sa tête par rapport à la portion crânienne. Il peut porter un chapeau n° 9 et la circonférence de son crâne n'est que de 26 pouces, ou 3 pouces au-dessus de la moyenne, et cette augmentation sans doute est due pour beaucoup aux sinus frontaux augmentés; 4° les dimensions énormes de l'orbite comparées avec celles de l'ouverture palpébrale, ce qui est dû sans doute à l'augmentation des sinus malaires et frontaux.

Ce géant est mort un an après avoir été observé par Woods Hutchinson, et son autopsie a été pratiquée par le Dr Cooley, de Madelia (Minnesota). Nous remercions bien sincèrement le Dr Woods Hutchinson qui a bien voulu nous faire parvenir le protocole encore inédit de cette autopsie : James S. Me Indoo : 19 ans.

Poids : 525 livres.

WOODS HUTCHINSON, New-York med. Journ., 21 juillet 1900

Hauteur dans la station debout : 7 pieds 3 pouces.

Longueur sur la table d'autopsie : 5 pieds 11 pouces 3/4.

Face augmentée dans tous les sens. Maxillaire inférieur en retrait, long et presque étroit, pour ainsi dire sans angle. Arcade sourcilière très proéminente avec front saillant. Cheveux bruns et épais.

Mensurations du crâne :

Circonférence par le vertex et le menton. 73 centimètres.

— biauriculan'e. 40 — — de la racine du nez à l'occiput 37 — — occipito-bregmatique 65,5 —

Pas d'asymétrie apparente de la tête.

Les mains et les pieds sont augmentés dans tous les sens.

Longueur du bras gauche. 38 1/2 pouces.

— — droit. 38 —

Le poignet n'est pas élargi (circonférence : 27 centimètres).

Longueur de l'index. 13,5 centimètres.

— du médius 16 — — du pouce. 9 — Hauteur du buste 44 pouces.

Longueur du pied. 32,5 centimètres.

Circonférence de la cheville 25,4 — — du cou-de-pied. 41 — — aumiUeudujpied. 33 — — au niveau des articulations. 44 — — métatarso-phalangiennes 52,5 —

Le cuir chevelu est épais et fibreux, contenant peu de graisse. Sur sa face interne il est lisse et sans adhérences. Le péricrâne est également lisse. Les muscles temporaux ne sont ni volumineux, ni bien développés. Les fosses temporales sont très profondes.

Les sinus frontaux sont énormément développés dans tous les sens. Les os du crâne sont minces et fragiles. A l'extérieur, ils ne présentent ni saillies, ni dépressions. Les sutures ont disparu. La face interne est très irrégulière. Les gouttières pour les sinus et les vaisseaux sont profondes. La table externe a une épaisseur de 1mm,5 en avant et de 1 millimètre en arrière. La table interne est épaisse de 1 millimètre en avant et en arrière. Sur la ligne médiane, l'os occipital présente une gouttière profonde, qui remplace le pressoir d'Hérophile. La dure-mère est légèrement épaissie. Les vaisseaux sont gorgés de sang.

Base. — Les sinus sont remplis de caillots foncés. L'étage antérieur est petit et peu .profond; l'étage moyen est petit latéralement, mais profond. Les os sont très irréguliers. L'étage postérieur est profond et large. Le trou occipital mesure 10 centimètres sur 12, et est excavé en arrière.

Le plancher de l'étage moyen est occupé par une tumeur. La dure-mère est épaissie et adhérente. L'os est excavé des deux côtés, mais plus profondément à gauche. Les grandes et les petites ailes du sphénoïde, le corps et

FIG. G7. — Face inférieure du cerveau (tumeur de l'hypophyse) du géant Mc ndoo. (WOODS HUTCHINSON.)

la lame criblée de l'ethmoïde ont en partie disparu à gauche et un peu à droite également.

Cerveau. — Les lobes frontaux sont pauvrement développés, par absence de circonvolutions et augmentation du tissu conjonctif. La tumeur, représentée par le corps pituitaire hypertrophié, enve loppe les bandelettes optiques. Le ner optique à gauche est entièrement détruit.

Les nerfs III, V et VI du côté gauche sont tous compris dans la tumeur; il en est un peu de même à droite.

Le corps pituitaire qui forme celte tu-

meur mesure 5cm,4 et 4 centimètres. Il existe aussi une tumeur kystique dans la scissure de Sylvius, près de l'insula de Reil.

Poids du cerveau : 60 oz.

Poumons normaux, sans adhérences pleurales.

Le corps thyroïde n'est pas développé.

Le thymus est absent.

Cœur relativement petit; poids estimé : '9 oz. Ventricule droit dilaté. Ventricule gauche contracté. Pas de graisse à la surface du cœur, pas d'adhérences péricardiques.

Foie normal. Vésicule biliaire vide.

Rate hypertrophiée ; poids : 12 oz.

Estomac agrandi, d'une capacité estimée à 2 gais. Agrandissement proportionné. La grande courbure mesure 29 pouces 1/2 et la petite, 11 pouces.

Les capsules surrénales sont

FIG. 68. — Base du crâne du géant Me lndoo.

(Dilatation de la selle turcique.) (WOODS HUTCHINSON.)

kystiques et si endommagées qu'on ne peut les extraire.

Reins lobulés, hypertrophiés. Capsule non adhérente. Écorce et substance interpyramidale très augmentées. Les deux reins sont très congestionnés et hémorragiques. Poids du rein gauche : 16 oz. Poids du rein droit : 14 1/2.

Organes génitaux petits, mal développés. Testicules de la taille d'une fève (lima bean).

Il n'y avait pas de prognathisme du maxillaire inférieur, ni d'exophtalmie. A ma connaissance, on ne reconnut jamais d'émianopsie ; mais l'œil gauche était aveugle et il y avait quelque trouble de l'œil droit.

Il était diabétique.

Les extrémités étaient volumineuses, donnant l'impression de l'acromé- galie.

Ces faits, qu'on pourrait aisément multiplier, démontrent surabondamment que dans cette forme du gigantisme que nous étudions, comme dans l'acromégalie, l'pertrophie apparaît, suivant l'expression classique de Pierre Marie, de préférence sur les os des extrémités et sur les extrémités des os. Et toutes ces dimensions de mains, de pieds ou de souliers de géants historiques que nous avons rapportées, mettent en lumière leur longueur disproportionnée, même par rapport à la stature, car l'hyperbole habituelle aux gazetiers des phénomènes a dû porter également sur les deux chiffres.

En tout cas, cette même disproportion est constatée dans les plus récentes observations, avec toute la rigueur scientifique.

« La main de Lady Aama (Obs. III), au lieu d'être d'accord avec les canons artistiques, 1/10 de la hauteur totale (2m ,02), c'està-dire égale à 20 centimètres, était longue de 285 millimètres, soit près de 1/7 de la taille; elle avait, en outre, la forme spéciale en battoir, avec des doigts carrés du bout et de largeur uniforme sur toute leur longueur. Les pieds, au lieu d'être les 5/19 de la taille, soit 0m,3, mesuraient 0m,3. »

Mains camardes, en battoir (P. Marie) ou en bêche (spade-like des auteurs anglais), mains capitonnées (Péchadre), aux plis accentués et profonds; doigts énormes, aussi gros à leurs bases qu'à leurs extrémités, doigts en saucisson (P. Marie), carrés du bout, aux ongles striés longitudinalement; pieds camards, plus élargis et épaissis qu'allongés, et présentant les mêmes déformations que les mains, tel est le signalement propre aux segments distaux des membres chez les acromégaliques. On vient de voir que ce signalement convenait également bien aux géants que nous étudions en ce moment.

Mais, ici, une distinction est nécessaire : elle fut indiquée par

Pierre Marie dans cette même communication où il se maintenait énergiquement dualiste contre les auteurs qui voulaient identifier le gigantisme et l'acromégalie : « Les acromégaliques à début précoce sont, d'une façon générale, un peu plus élancés, un peu moins « cubiques » que les acromégaliques à début tardif, et même, quand la hauteur de leur taille ne présente rien d'extraordinaire, on peut, par la seule inspection des mains chez ces malades, fixer avec une certaine vraisemblance l'époque du début de l'acromégalie. Il y a lieu, à côté du type massif cubique, en battoir, sur lequel j'ai plus particulièrement insisté, de décrire un autre type de déformation de la main chez les acromégaliques, ce dernier consistant toujours en une augmentation de volume, mais cette fois, avec un certain développement en longueur à peu près proportionnel au développement en largeur, de telle sorte qu'ici la main, étant plus longue et moins grosse, n'est réellement pas aussi monstrueuse que dans le type massif où le développement se fait presque exclu- sivement en largeur. Dans le premier type, par suite d'une moindre épaisseur des parties molles, les doigts semblent beaucoup plus noueux, les espaces interrosseux plus excavés, au point que, dans certains de ces cas, on pourrait penser à un certain degré d'amyotrophie des muscles propres de la main (1). »

Si donc ce type de déformation « en long » des mains peut se rencontrer chez des acromégaliques de taille ordinaire (la malade présentée par P. Marie ne mesurait que 1m,65), à plus forte raison le trouvons-nous chez nos géants, de préférence au type « en large », beaucoup plus rare chez les acromégaliques de taille élevée.

La cause prochaine de ces deux types de mains acromégaliques paraît bien résider dans la date plus ou moins retardée de l'ossification des cartilages épiphysaires, l'hyperostéogenèse enchondrale l'emportant, dans le type en long, sur l'hyperostéogenèse périostique, habituelle dans les cas classiques, à début tardif. Ainsi, nous trouvons, dans cette étude des mains acromégaliques, la confirmation des idées que nous exposons sur les rapports de l'acromégalie et du gigantisme, et nous

(1) Soc. méd. des Hôp., 1er mai 1896.

pourrions dire que les mains allongées, élancées, non cubiques, sont celles des sujets aux cartilages épiphysaires non ossifiés, le type massif ou en large pouvant d'ailleurs venir se greffer sur le type en long, après l'ossification, plus ou moins retardée, des épiphyses.

Chez les géants acromégaliques, les déformations qui portent sur le tronc sont tout aussi caractéristiques que celles de la face et des extrémités. A cet égard, le trait le plus frappant, le plus fréquemment observé et de tout temps, c'est qu'un assez grand nombre de géants ont vu leur taille diminuer, s'affaisser, pour ainsi dire; et il est indéniable que les géants bossus sont beaucoup trop nombreux pour qu'on ne puisse voir là qu'une simple coïncidence.

Parmi ceux dont l'histoire a gardé le souvenir, le plus ancien est celui de l'empereur romain Antonin le Pieux (1) que nous avons mentionné (voir page 8), et qui, voyant sa taille se voûter, avait eu l'idée de se garnir la poitrine d'une sorte de corset en tablettes de tilleul. « Cette tardive voussure, survenant chez un individu de très grande taille, écrit Henry Meige (2), qui rapporte ce fait d'après Garnier, ne rappelle-t-elle pas les déformations analogues qu'on observe dans l'acromégalie?

Malheureusement l'histoire est muette sur les apparences des extrémités d'Antonin le Pieux. » En revanche, les renseignements que nous possédons sur d'autres géants bossus, récemment observés, sont plus complets et offrent aussi des garanties scientifiques plus sérieuses.

Ainsi le géant Peter Rhyner (Obs. XVII), par suite d'une cyphose progressive, vit, vers l'âge de 56 ans, sa taille se réduire à 1m,58, en même temps que ses extrémités (face, mains et pieds) augmentaient de volume comme dans l'acromégalie.

A ce titre, comme à plusieurs autres, son observation mérite d'être reproduite.

(1) Cité par GARNIER, loc. cil. Note de la page 279.

(2) Arch. gén. de Méd., octobre 1902.

OBSERVATION XVII. (Fritsche ET Klebs.) Le géant Peter Rhyner (1).

PETER RHYNER, 44 ans, célibataire. Aucune affection analogue n'aurait été observée dans la famille. Lui-même était né avec toutes les apparences d'une santé normale, pas de rachitisme, et d'ailleurs aucune maladie. Dans les premières années de l'âge adulte, il comptait à Elm parmi les gens de taille moyenne (les habitants de ce pays sont réputés pour leur taille haute et leur belle stature). Le malade ne sait pas au juste combien il mesurait, mais il se souvient que, quand il était militaire, il avait un peu plus de 6 pieds. Il était alors parfaitement droit. Le poids du corps était de 75 kilogrammes, il aurait même un moment atteint 83 kilogrammes.

La maladie actuelle commença il y a huit ans, c'est-à-dire à l'âge de 36 ans, par des douleurs et de la faiblesse dans les mains. Les douleurs ne se localisèrent pas aux seules articulations, mais siégèrent vraisemblablement sur tous les points. Elles sont décrites par le malade comme des torsions, des tiraillements. En même temps, il y avait un léger gonflement des mains avec rougeur de celles-ci ; d'après la description du malade, il ne s'agissait pas là d'un processus aigu inflammatoire, non plus que d'un véritable œdème, car la pression ne formait pas le godet.

Peu à peu les douleurs remontèrent dans les bras et se montrèrent tantôt plus, tantôt moins sur tout le corps. Les douleurs de tête furent particulièrement pénibles, elles étaient fréquentes ; depuis les six dernières années, elles étaient restées localisées derrière les oreilles ; depuis les trois dernières années, elles s'étaient étendues, avec moins d'intensité, à toute la tête. Le visage a toujours été un peu pâle et l'est resté. C'est seulement dans les deux dernières années que les jambes devinrent douloureuses, particulièrement les genoux en été, mais jamais les pieds n'ont été notablement douloureux. Dans le temps le malade prétend avoir eu des fourmillements dans la main et une diminution de la sensibilité, mais tout cela a disparu, ainsi qu'une tendance très marquée à suer des mains.

En même temps que ces sensations douloureuses suivent l'augmentation du volume des mains, des pieds, des oreilles, des lèvres, et même de toute la tête, du cou et des genoux, c'est l'épaississement des doigts qui attire tout d'abord l'attention, en dernier lieu celui des genoux ; d'ailleurs, l'augmentation de volume parait être survenue partout en

(1) FRITSCHE et KLEBS, Ein Beitrage zur Pathologie des Reisenwuchses [Wnische und patliologisch anatomische Untersuchungen. Leipzig, 1884. — Nous reproduisons cette observation telle qu'elle a été publiée par PIERRE MARIE, Nouv.

Icon. de la Salpêlrière, 1889.

même temps. La circonférence du thorax s'accrut aussi d'une manière très notable, mais, d'après la conviction du malade, les bras et les jambes n'auraient éprouvé aucune modification en longueur.

C'est également à cette époque que se produisit une incurvation de la colonne vertébrale, une cyphose lentement progressive.

Depuis environ deux ans, l'augmentation de volume des différentes parties du corps et de la cyphose s'est arrêtée, et, en effet, pendant toute l'année où M. FRITSCHE a pu l'observer, il n'a constaté aucune modification.

A peu près en même temps que les autres symptômes survint une faiblesse qui, en quelques années, s'accrut au point de lui rendre très pénible une marche de quelques minutes; depuis quatre ou cinq ans, dyspnée au moindre effort ; depuis six ou sept ans fréquentes palpitations.

Le malade n'a jamais été un fort mangeur. Constipation depuis de nombreuses années. On n'a pas remarqué que la quantité d'urine fût anormale.

Depuis plusieurs années, perte de toute excitation génitale ; n'a plus de pollutions.

Le malade prétend avoir remarqué une diminution de la mémoire.

Les yeux seraient devenus plus faibles, mais l'ouïe et les autres sens sont bien conservés.

Au premier coup d'œil, augmentation de la tête, des mains, des pieds, faisant un contraste frappant avec le peu de longueur du corps ; celle-ci trouve son application dans l'existence de la cyphose très prononcée qui a amené un raccourcissement du corps: la tête, vue par le devant, est trop grosse, comparativement au crâne, par suite de la forte cyphose entre les épaules. La face et surtout sa partie inférieure, notamment le nez, les lèvres, le menton, surprennent par leur proéminence; les dimensions du pavillon de l'oreille semblent aussi expressives (Fig. 69).

Le pénis est grand, mais non d'une façon extraordinaire, le scrotum et les testieules sont entièrement atrophiés.

Les jambes et les bras sont d'une maigreur qui contraste avec le volume des pieds et des mains. Les genoux sont notablement épais en comparaison avec les cuisses et les mollets.

Voici quelques-unes des mensurations données par FRITSCHE et KLEBS.

Longueur du corps dans la position debout. 158 centimètres.

— — sur la table de l'amphithéâtre. 169 — Poids du corps. 79,5 kilogrammes.

Distance du menton à l'occipuL. 29 centimètres.

Hauteur de la face (du menton à la glabelle) 16,5 — Longueur du pavillon de l'oreille gauche. 8,5 — — — droite 9 — Largeur — gauche. 4,5 — — — droite 4 — Dos du nez 6 — Longueur du nez 5,5 —

Largeur de la bouche. 6,5 centimètres.

Épaisseur de la lèvre inférieure 2 — Distance du menton à l'articulation temporo-maxillaire droite 15,6 Distance du menton à l'articulation temporo-maxillaire gauche. 15,2 — Distance du menton à l'angle du maxillaire inférieur. 11 — Distance d'un angle du maxillaire inférieur à celui du côté opposé 12 — Distance du menton au bord des incisives inférieures 6,25 — Longueur de la langue 6 — Circonférence du cou au-dessous du larynx 45 — Diamètre antéro-postérieur du cou 15 — — transversal 10,25 — Circonférence du thorax à la hauteur du mamelon. 111 — — — de l'appendice xiphoïde .50 — Diamètre vertical au niveau de la 12° vertèbre cervicale à l'appendice xiphoïde 56,5 — Longueur totale du bras droit 81,5 — — — gauche 81 — Circonférence de la main 51 — Longueur de la main (2e au 5e doigt) 11 — — ʼn (1er au 5e doigt). 15 — Circonférence du pouce. 10 — — du médius 10 — Distance de l'épine iliaque antéro-supérieure à la plante du pied. 103 — Longueur du pied droit 29 — — — gauche 28 — — du gros orteil droit 9 — — — gauche 8 — Longueur du pied au niveau du renflement du gros orteil droit 11,5 — Longueur du pied au niveau du renflement du gros orteil gauche. 11,5 — Circonférence du genou droit. 41,5 — — — gauche 41 — — du gros orteil 12 —

MM. FRITSCHE et KLEBS font remarquer que, tenant compte de la perte de la taille due à la cyphose, on arriverait à évaluer la hauteur de cet homme avant sa maladie à environ 1m,75.

On voit d'après ces mensurations que les os de la face sont augmentés de volume, le front est très bas en comparaison avec les autres parties de la face. La largeur de la région bimalaire est augmentée sans que les os malaires paraissent proéminer d'une façon notable. Le maxillaire inférieur est plutôt augmenté dans la direction antéro-postérieure que dans la direction transversale. Quoique le palais semble haut et étroit, la distance entre les canines supérieures est cependant plus grande que chez un individu normal.

Les oreilles, le nez, les lèvres et la langue montrent une augmentation très notable de volume.

La circonférence du cou a atteint un chiffre élevé, c'est surtout le diamètre antéro-postérieur qui est augmenté.

Au tronc, en outre du raccourcissement dû à la cyphose, il faut relever l'augmentation très notable de la profondeur du thorax (diamètre antéro-postérieur), tandis que le diamètre transversal est plutôt petit. Le sternum a une longueur assez considérable. Les omoplates et les clavicules, au contraire, ne sont pas augmentées.

La largeur du bassin est certainement accrue, même en tenant compte de l'épaississement des téguments.

Aux membres supérieurs les bras ne présentent pas d'accroissement dans la longueur; les os de l'avant-bras sont un peu plus longs que ceux d'un sujet type, mais c'est seulement la main qui montre une réelle différence. En comparant les différents segments du membre supérieur avec ceux d'un sujet normal, on constate que «les bras de Rhyner sont moins gros, que ses avant-bras ont le même volume et enfin que ses doigts sont hors de toute comparaison ».

Le malade semble atteint d'une anémie très marquée. Les téguments sont pâles, un peu secs et assez pigmentés. Pas de taches pigmentaires, de varices ni d'œdème. Pas d'infiltration éléphantiasique de la peau, pas de verrues. Au mollet gauche, eczéma chronique sans importance.

Sur le dos, quelques éléments de molluscum fibrosum. A l'abdomen qui est court et un peu rentré, la peau assez riche en graisse est coupée de plis profonds transversaux dont l'un cache le nombril. Aux paumes des mains et aux plantes des pieds, la peau est résistante et massive et se laisse soulever en gros plis mous. Elle paraît hypertrophiée dans toute son épaisseur et le tissu conjonctif sous-cutané l'est également, peut-être plus encore. Cette hypertrophie se remarque aussi aux coudes et aux genoux. La peau y semble comme trop large, elle est extraordinairement mobile et se laisse saisir en gros bourrelets mous bien plus largement que d'habitude. L'accroissement anormal de la peau est surtout visible à la région occipitale. Au niveau de la protubérance occipitale externe, se trouve une exostose horizontale en forme de peigne d'environ 3 centimètres de long et de 1 centimètre de haut dans la région moyenne (vraisemblablement congénitale). Au-dessus d'elle, jusqu'à peu près à la hauteur du sommet de la tête, on trouve dans le cuir chevelu quatre à cinq bourrelets longitudinaux ayant environ l'épaisseur d'un doigt et une longueur de près de 12 centimètres.

Au-dessous de ces bourrelets, on sent des éminences osseuses, aplaties, allant des os pariétaux à l'écaillé de l'occipital.

Les cheveux sont abondants et épais; ils croissaient avec une rapidité notable; les poils du corps sont peu développés; la barbe et les poils du pubis sont peu abondants.

Les ongles sont à la vérité élargis, mais, en comparaison avec les doigts du malade. ils paraissent plutôt petits. Les phalangettes sont d'ailleurs comparativement moins développées que les autres segments des doigts; les ongles poussent rapidement.

La musculature est partout flasque et maigre, notamment celle des extrémités. Seule, celle de la nuque est massive et ferme. La force musculaire est très abaissée; l'atrophie des muscles est surtout marquée aux bras, aux mollets, et notamment aux éminences thénar et au dos

FIG. 69. — Le géant Peter Rhyner (face).

(FRITSCHE et KLEBS.)

de la main, où, par suite de la disparition des interosseux, de profonds sillons se voient entre les métacarpiens.

Parmi les artères accessibles à la palpation, les fémorales et brachiales montrent une certaine rigidité, mais les radiales et les temporales sont souples.

Le pouls est pour la grandeur du corps, et même d'une façon absolue, petit et faible ; le nombre des pulsations est peu fréquent (48 à la minute).

Les ganglions inguinaux sont un peu gros ; à part cela il n'existe nulle part de tuméfaction ganglionnaire.

Les dents sont écartées l'une de l'autre (moins en avant qu'en arrière); et cela paraît-il beaucoup plus qu'auparavant: elles sont de grosseur normale.

Quand les mâchoires sont fermées, les dents de l'inférieure dépassent celles de la supérieure.

Le larynx et l'os hyoïde ne semblent pas augmentés de volume.

Aux genoux, les extrémités articulaires sont épaissies, indépendamment de l'hypertrophie de la peau. Aucun exsudat dans les jointures, mais, dans les deux genoux, crépitations lors des mouvements comme dans l'arthrite déformante. Dans l'articulation scapulo-humérale il existe également des frottements secs.

Au niveau du rachis cyphotique, les trois à quatre premières vertèbres

dorsales (apophyses épineuses) sont à peu près de la même hauteur, c'est-à-dire se dirigent horizontalement en arrière; au-dessous, des apophyses épineuses se disposent de telle façon que, au niveau de la neuvième ou de la dixième, le point le plus proéminent en arrière est

atteint, pour de là descendre presque verticalement, seulement avec une très légère lordose, jusqu'au sacrum. La mobi lité du rachis, à part celle du cou qui est tout à fait libre, ne peut être démontrée que dans la région lombaire et y est fort limitée.

L'incurvation est une cyphose presque pure, il n'existe qu'un léger vestige de déviation vers la droite. Correspondant à la cyphose, le sternum est, dans sa partie inférieure, notablement déjeté en avant, de sorte que sa direction est très oblique en avant. C'est seulement à la partie inférieure qu'il est vertical sur une très petite étendue, pour se continuer alors avec l'appendice xiphoïde fortement plié en dedans.

Les côtes sont, comme dans la cyphose en général, dirigées à pic vers le bas. Le bord inférieur des côtes touche presque le bord de l'os coxal. Les extrémités où s'attachent les cartilages sont en partie très aplaties et forment un chapelet très prononcé.

Rien de spécial à la gorge et au larynx. Des deux côtés, légère augmentation des lobes du

FIG. 70. — Le géant Peter Rhyner (profil).

(FRITSCHE et KLEBS.)

corps thyroïde. Matité cardiaque : bord supérieur de la deuxième et quatrième côte, bord gauche du sternum jusqu'à un travers de doigt en dehors du mamelon. Large impulsion de la pointe dans la région du mamelon jusqu'à deux travers de doigt en dehors de celui-ci. Souffle systolique net à la pointe, faible à la base. Diastole pure. Action du cœur faible, régulière. La matité de la rate n'a pas été augmentée.

Matité hépatique : bord supérieur à la quatrième et sixième côte. Le

malade tousse et crache un peu, sécrétion catarrhale modérée. L'urine ne présente rien de particulier, pas d'albumine, pas de sucre, constipation.

L'intelligence est intacte. Le malade jouit même d'une excellente humeur. On ne s'aperçoit pas, dans la conversation, de la diminution de

FIG. 71. — Crâne acromégalique. (FRITSCHE et KLEBS.)

la mémoire. Les yeux sont hypermétropes, mais d'une acuité visuelle normale. Les globes oculaires paraissent augmentés de volume. Léger arc sénile. La sensibilité cutanée normale à la piqûre et au toucher semble abaissée à l'exploration électrique. Ouïe, odorat, goût parfaitement conservés. A part la faiblesse générale, la motilité est partout conservée, mais l'excitabilité électrique (examinée avec les appareils vulgaires) est abaissée pour les courants faradique et galvanique.

Malgré l'hypertrophie de la langue la prononciation est bonne, la parole peut-être un peu lente.

Le 17 septembre, le malade éprouva du malaise et eut une syncope; perte d'appétit, pouls petit; le 18, mêmes symptômes, pouls petit, très lent; trois nouvelles syncopes dont la dernière se termina par la mort.

De même, le tronc de Jean-Pierre Mazas offrait, nous l'avons vu, des déformations tout particulièrement caractéristiques (voir page 220).

Un géant acromégalique, tout à fait comparable aux précédents par la déformation du rachis, est le Chinois, décrit dernièrement par le médecin-major Matignon, attaché à la Légation de France à Pékin.

OBSERVATION XVIII. (Matignon.) Acromégalo-gigantisme chez un Chinois (1).

A la séance du 15 mai 1896, de la Société médicale des Hôpitaux, M. BRISSAUD, parlant des rapports du gigantisme pour les cas où, au développement exagéré de toutes les parties du corps venait s'ajouter un excès du processus normal de la « besogne histogénétique » de la couche périostique d'ossification, portant sur toutes les têtes osseuses, les sutures des os longs, les tables externes des os larges.

L'observation suivante de l'un de nos malades chinois répond, croyons-nous, au type acromégalo-gigantique du distingué neurologue.

Un homme de 25 ans, mineur de son métier, vient le 5 juillet 1896 à l'hôpital français de Hong-Kong de Pékin, se plaignant d'un état de faiblesse très marqué.

Il a eu, pendant son enfance, une santé assez délicate. A 19 ans, il a eu des accès de fièvre probablement paludéenne et, à ce moment, il a remarqué que sa colonne vertébrale s'incurvait.

L'aspect de cet homme est des plus typiques, au point de vue de l'acromégalo-gigantisme. La tête est volumineuse, le facies est celui d'une brute, les extrémités sont énormes et frappent d'autant plus par leurs dimensions, que, chez les Chinois, elles sont particulièrement fines. Malgré une scoliose considérable, la taille de notre patient est de 1m,85, c'est-à-dire près de 20 centimètres supérieure à la taille moyenne des Chinois du nord, qui ne dépasse guère 1m,62 à 1m,64.

Prenons en détail chacun des organes.

(1) J.-J. MATIGNON, Médecine moderne, 6 novembre 1897.

Tète. — Le front est très bas; les cheveux sont durs comme des crins.

Il n'y a pas de tubérosités anormales sur le crâne. Les apophyses mastoïdes sont énormes.

Diamètres du crâne : antéro-postérieur, 20 centimètres : bitemporal,

FIG. 72 ('). — Acromégalo-gigantisme chez un Chinois. (MATIGNON.)

16 centimètres. Les arcades sourcilières sont très accusées; les pommettes peu saillantes. Les yeux sont normaux.

Le nez est gros, épaté.

La lèvre supérieure est peu augmentée, mais l'inférieure forme un volumineux bourrelet pendant.

Le maxillaire inférieur, très développé, est la cause d'un progna-

(1) Extraite de la Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1897.

thisme considérable : les dents inférieures sont très écartées les unes des autres. Les dents supérieures sont en attitude normale.

La langue épaisse et large se meut lourdement dans la bouche. La voûte palatine est normale. Les amygdales ne sont pas hypertrophiées.

Les oreilles sont grandes et écartées.

Le cou n'est pas très volumineux. Il est infléchi en avant et enfoncé entre les épaules.

Le corps thyroïde est atrophié.

Thorax. — La colonne vertébrale présente une incurvation énorme.

FIG. 73 ('). — Acromégalo-giganlisme chez un Chinois. (MATIGNON.)

Le périmètre thoracique pris au niveau du point culminant de la scoliose donne 1m,18.

Le thorax est aplati d'avant en arrière. Le sternum ne fait point saillie. Les clavicules sont longues, pas très grosses. Diamètre bi-acromial, 48 centimètres.

Les seins font une saillie assez considérable. A 6 centimètres audessous de ces derniers, se voit un profond sillon circulaire qui semble séparer le thorax de l'abdomen.

Le bassin est élargi comme chez une femme. Diamètres : bi-iliaque, 37 centimètres; bi-trochantérien, 45 centimètres. Le ventre est plat.

La verge est petite, les testicules microscopiques; à peine des « hari- cocèles ».

(1) Extraite de la Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1897.

Le membre supérieur est très long et grêle. Le deltoïde est légèrement atrophié. Les muscles du bras sont peu développés. Le coude est gros et plus volumineux que l'épaule. L'avant-bras, développé surtout dans sa partie inférieure, est plus gros que le bras, tant à droite qu'à gauche.

Les mains sont remarquablement grandes, 25 centimètres, alors que celles des Chinois n'ont guère que 17 centimètres en moyenne. Le déve- loppement est régulier. La paume, très large, n'est pas très épaisse.

Les éminences thénar et hypothénar sont un peu atrophiées et la main est plate. Les lignes d'opposition y sont très profondément creusées.

Les doigts sont longs, gros, réguliers. Le tissu mou est peu développé. Les doigts ne sont pas capitonnés. La tète de la première phalange, à chaque doigt, est surtout développée.

Les ongles sont normaux, sans striations.

La couleur des mains et des doigts est la même que celle de la peau.

Le membre inférieur paraît très long, à cause du raccourcissement du tronc du fait de l'incurvation vertébrale. La cuisse et la jambe sont volumineuses. La jambe, au premier aspect, semble cedémateuse, mais ne l'est pas. Elle est ferme au toucher.

Le pied est long et gros, augmenté dans tous ses diamètres. Sa longueur est de 33 centimètres, et dépasse de 10 centimètres la longueur moyenne du pied chinois qui est de 25 centimètres. Le pied est plat, les orteils, surtout les gros, sont un peu en massue.

Phénomènes subjectifs. — L'intelligence obtuse frise l'imbécillité. Le malade y voit bien, mais est un peu sourd.

Il se plaint d'une fatigue profonde et continue. Il n'a pas la moindre force. Il est incapable de monter seul sur une chaise. Il reste toute la journée assis par terre, les genoux relevés, la tête penchée en avant, les bras reposant sur les cuisses.

Le malade a la tête lourde, plutôt qu'une céphalalgie véritable.

Le sens génésique est totalement aboli, il n'a jamais d'érection.

Il urine et transpire beaucoup, a fort peu d'appétit.

Il craint plus la chaleur que le froid.

La sensibilité est très légèrement diminuée.

Ce malade est resté pendant une dizaine de jours à l'hôpital seulement.

Cet homme est un géant. Sa taille, sa largeur d'épaules, le développement considérable, mais régulier, de ses membres inférieurs, de ses mains, de ses pieds, tiennent du gigantisme, surtout quand on les compare à ceux de ses congénères célestes.

Mais l'incurvation vertébrale, le prognathisme inférieur, le développement exagéré des extrémités inférieures de l'humérus et de celles du radius, des apophyses mastoïdes, appartiennent à l'acromégalie.

Comme aspect extérieur mon malade avait des analogies avec JEANPIERRE de Montastruc, étudié plusieurs fois à l'hôpital Saint-André de Bordeaux pendant mon internat. Mais, tandis que JEAN-PIERRE était

fort (je l'ai rencontré souvent parmi les champions des baraques de lutteurs), mon acromégaliquc avait une asthénie musculaire pro- fonde.

Il eût été intéressant de savoir jusqu'à quel âge cet homme a grandi.

Le phénomène acromégalique qui a le premier attiré son attention, l'incurvation vertébrale, s'est produit vers 19 ans. Il n'y a pas, croyonsnous, de rapports à établir entre les accidents acromégaliques.

Au bout de six ans, les phénomènes acromégaliques restent limités à la colonne vertébrale, au maxillaire inférieur, aux apophyses mastoïdes, aux extrémités des os du membre supérieur. Il faudrait, chose impossible, pouvoir retrouver et examiner le patient dans quelques années, pour savoir si les phénomènes de suractivité histogénique tardive de la couche périostique d'ossification n'auront pas atteint d'autres parties.

Il est un fait singulier à signaler chez noire homme. A côté d'un excès de développement de certaines parties du corps, nous voyons des phénomènes d'arrêt et même de rétrocession dans le développement de certaines autres. Le corps thyroïde, le testicule sont à l'état rudimentaire. La verge n'a pas atteint ses dimensions normales. Certains muscles, le deltoïde, ceux du bras, des éminences thénar et hypothénar, sont partiellement atteints d'atrophie.

Cet homme peut être placé dans le type acromégalo-gigantesque de M. BRISSAUD. Le gigantisme, momentanément, l'emporte sur l'acromégalie. Peut-être, dans quelques années, la proposition sera-t-elle inversée, les phénomènes acromégaliques ayant le rôle prépondérant.

L'acromégalie seule ou combinée au gigantisme est, croyons-nous, rare chez le Chinois. Depuis près de trois ans que je suis à Pékin, j'ai vu passer, soit aux consultations, soit dans les salles des hôpitaux et dispensaires français, près de 12 000 malades. Le cas ci-dessus relaté est le seul que j'aie eu l'occasion d'observer. J'ai cependant, il y a peu de temps, rencontré dans la rue une femme tartare dont la figure et les mains répondaient au type acromégalique, mais sa taille était absolument normale.

Dans le groupe des géants bossus doit également prendre place le chef de gare de l'Étal d'Iowa, sur lequel Woods Hutchinson (1) publia la note suivante, si intéressante malgré sa brièveté. On est amené, après l'avoir lue, à rapprocher la déformation rachidienne qu'il présentait de celle qui existait chez Jean-Pierre Mazas : chez l'un le « télescopage » était apparu de bonne heure, tandis que chez l'autre il avait été plus tardif.

(') New-York med. Journ, 21 juillet 1900.

OBSERVATION XIX. (Woods Hutchinson.) Le chef de gare géant (1).

Il y a deux ans, j'étais dans un train, me rendant, avec un groupe de médecins amis, à l'Assemblée de la Société médicale de l'État d'Iowa.

Nous fûmes rejoints à l'une des petites stations par un praticien de l'endroit qui, sachant que je m'intéressais au sujet, se hâta de m'informer que l'employé de la station voisine était, ou, plus exactement, avait été un géant, et présentait des symptômes si curieux qu'il me conseillait de le regarder pendant l'arrêt du train, en vue de faire plus tard l'étude de son cas. Je me plaçai à la plate-forme d'avant du wagon, et, comme le train ralentissait en gare, je cherchais des yeux l'individu en question, mais, à mon grand désappointement, il n'était pas visible, employé dans son bureau ou quelque part ailleurs. Pourtant, comme le train s'ébranlait et nous emportait, en face l'extrémité du bureau des billets, nous découvrîmes le pauvre homme s'efforçant évidemment d'échapper à la curiosité des voyageurs derrière le bâtiment. En nous voyant le regarder, il marqua, par sa physionomie et ses gestes, son ressentiment pour notre curiosité peut-être inconsidérée. Le train se mit en marche très lentement, et, quoique la durée de l'observation ait été très courte, l'impression qu'il nous fit fut des plus frappantes.

C'était un homme jeune, d'une taille visiblement au-dessus de la moyenne (étant donnée son attitude, je pourrais dire 6 pieds 7 pouces), avec un aspect extraordinairement allongé, un prognathisme très net et d'un teint jaune sale ou terreux. Il était extrêmement abaissé, sa taille primitive ayant été évidemment bien supérieure. Ses yeux étaient petits et enfoncés; ses sourcils proéminents; ses bras étaient longs et inutilisables, pendant le long de son corps de la plus simiesque façon.

Ses mains étaient grosses et déformées et ses pieds parfaitement énormes. En fait, l'impression générale était positivement répulsive et le pauvre homme offrait une très grande ressemblance avec les grands singes anthropoïdes, ressemblance que ses gestes et ses grimaces menaçantes ne pouvaient diminuer. Nous apprîmes par la suite que cet homme était devenu un phénomène local à un tel degré que presque chaque train passant à sa station portait un ou plusieurs curieux observateurs et qu'il fut ainsi conduit à cette méthode puérile mais excusable de se mettre à l'abri d'une aussi désagréable curiosité. Nous fûmes informés qu'on lui avait persuadé de venir se faire examiner par les membres de notre Société, dans l'espoir qu'on trouverait quelque méthode pour le soulager; mais ce fut en vain. Peu après mon retour, j'écrivis à un de mes confrères, praticien de la ville la plus voisine, lui demandant d'être assez aimable pour l'examiner, lui demander son histoire

(1) New-York Med. Journ., 21 juillet 1900.

et, si possible, obtenir une photographie et quelques mesures, me proposant au besoin d'aller moi-même faire une étude soigneuse de ce cas. Mon ami alla très obligeamment faire visite à l'agent de la station, mais essuya immédiatement un refus catégorique de communi quer aucun renseignement, de se prêter à aucune mensuration ou de laisser prendre une photographie. Le pauvre homme était si sensible aux-remarques curieuses et aux regards inquisiteurs auxquels il était si constamment soumis que la simple mention de ses défauts ou la seule prière de les étudier produisait chez lui une invincible irritation.

Tout ce que mon ami, le Dr BELL, à l'obligeance duquel je suis très redevable, put savoir, ce fut son nom (dont, en considération de ses sentiments, je ne donne que les initiales), son àge et quelques détails de son histoire.

M. K. H. avait 52 ans et était né dans le Missouri. Dès son enfance il commença à donner des signes de grande taille et de vigueur et, dès l'âge de 13 ans, il fut une célébrité locale pour son remarquable développement musculaire. A 18 ans, presque 14 ans auparavant, il pensa qu'il s'était épuisé en luttant contre un attelage de chevaux, ce qui constituait une de ses prouesses. Peu de temps après commença l'incurva- tion de sa colonne vertébrale; bien qu'elle ne fût pas suffisante pour empêcher son exhibition comme géant à la Foire Universelle de 1893, ses progrès depuis ce temps furent si rapides et il perdit une si grande partie de sa hauteur qu'il dut renoncer tout à fait aux exhibitions et accepta la position qui lui fut offerte par la Compagnie du chemin de fer. Sa vigueur commença à décliner beaucoup plus tôt, en sorte que 3 ou 4 ans avant son incurvation il ne fut plus capable de se montrer pour ses exercices de force. Sa hauteur avait été primitivement de 7 pieds 4 pouces (2m,23), mais sa taille actuelle ne dépassait certainement pas 6 pieds 5 pouces ou 6 pieds 6 pouces (1m,98), quoique son affaissement fût si grand qu'on pouvait aisément penser qu'il avait atteint autrefois la hauteur rapportée. Pour ses mains et ses pieds, leur augmentation était si frappante qu'il n'y avait pas besoin d'aucune mensuration pour confirmer ce fait qu'ils étaient immensément hypertrophiés. Sa main, par exemple, était si grande qu'il pouvait prendre une assiette ordinaire par sa surface plate dans sa main droite, ce qui suppose une envergure du pouce au médius d'au moins 15 pouces. C'était là une de ses prouesses. Les mains avaient en outre l'aspect en battoir caractéristique et les doigts étaient épais et en forme de saucisses. Quant aux pieds, ils étaient la cause principale de ses souffrances, comme le but facile des plaisanteries du voisinage. L'une des plus admirées parmi celles-ci fut la déclaration d'un humoriste local que jamais il n'avait de souliers neufs, chacun devant être apporté de Chicago dans un wagon spécial.

Sa santé générale semblait bonne, sauf qu'il n'était pas capable d'un effort aussi soutenu qu'un homme de proportions et de développement moyens. Son état mental paraissait aux environs de la moyenne et on le

disait apte à tous les devoirs de sa situation. Toutefois il semblait mettre un peu d'irritabilité et d'enfantillage dans son ressentiment contre la curiosité publique.

Une autre tentative fut faite plus tard pour avoir des mesures et une photographie, mais fut encore repoussée. Je garde cependant l'espoir d'être plus heureux dans l'avenir, et, au cas où son affaiblissement rapide le conduirait à la mort, d'obtenir des mesures et une photographie après le décès.

L'impression faite par l'aspect de M. K. H. fut si frappante que je n'hésite pas à déclarer que, pour moi, il pouvait être considéré comme un cas typique d'acromégalie, commençant de bonne heure et déterminant rapidement toutes les manifestations habituelles de cet état morbide que nous appelons le gigantisme et se caractérisant, dans la suite, par la forme universellement acceptée aujourd'hui.

Quand l'affection a atteint un degré aussi marqué, le géant acromégalique, avec son crâne petit, ses rebords orbit aires saillants, sa face monstrueuse et souvent grimaçante, ses membres démesurément allongés, ses mains et ses pieds énormes, son dos infléchi et son thorax élargi latéralement, rappelle absolument l'aspect d'un singe anthropoïde. Il semble que l'état morbide ait occasionné un retour vers l'étal ancestral.

Le tableau symptomatique du gigantisme acromégalique ne comporte pas seulement les grosses déformations, qui sont l'apanage de la Maladie de Pierre-Marie; on retrouve encore la plupart des signes subjectifs de l'acromégalie, tels que la céphalée, les troubles visuels, l'inappétence sexuelle, l'asthénie, etc.

On ne s'attendrait guère à retrouver chez les géants l'un des symptômes subjectifs habituels de l'acromégalie, l'asthénie.

« Les acromégaliques, dit Souza-Leite, se plaignent parfois de faiblesse générale, de lassitude, d'inaptitude au travail, parfois d'une envie presque invincible de se coucher, même au commencement de l'affection (1). » Comment concilier cette dépression physique avec les exploits attribués de tout temps aux géants?

Nous avons rapporté quelques-uns de ces exploits légendaires et nous avons fait remarquer aussi que, chez tous les

(1) SOUZA-LEITE, De l'acromégalie (Maladie de P. Marie). Thèse de Paris, 1890, p. 64.

peuples, on admettait volontiers que la souplesse intelligente d'un homme petit ou de taille moyenne triomphait habituellement, dans les combats singuliers, de la violence lourde et brutale du géant; la victoire de David sur Goliath est vraie partout. Cependant la vigueur paraît avoir existé réellement chez certains géants : il ne s'agit pas seulement des prouesses, sans doute un peu hyperboliques, de l'empereur romain Maximin, arrêtant un char lancé avec une seule main, fracassant d'un coup de poing la mâchoire d'un cheval, etc.

(voir page 28) ; — ni du soldat géant de Charlemagne, Aventinus, qui renversait des rangs entiers de l'armée ennemie comme une faux ferait des tiges de blé, et perçait à la fois de sa lance plusieurs combattants qu'il rapportait ainsi sur son épaule(1); — pas plus que du géant anglais Antoine Payne portant sur son dos un âne avec sa charge de bois (voir page 28).

Tous ces exploits sont trop visiblement exagérés pour qu'il en soit tenu un compte rigoureux. Mais, parmi les géants modernes ou contemporains, parmi ceux mêmes dont nous avons rapporté l'observation, beaucoup ont été célèbres par leur vigueur, certains même étaient de remarquables lutteurs, tels Jean-Pierre Mazas (obs. IX, page 216), le géant portugais de Brissaud et Henry Meige (obs. XI, page 233), le géant égyptien de Sirena (obs. XLVII, page 585), le malheureux chef de gare de Woods Hutchinson (obs. XIX, page 280), pour n'en citer que quelques-uns (2). Mais il suffit de se reporter à chacune de leurs observations pour constater combien fut éphémère la gloire de ces géants lutteurs : Abdul-Hool, qu'observa Sirena et qui faisait de la gymnastique avec des poids de 100 kilos, mourut à 20 ans. C'est à l'asile des ouvriers invalides que Brissaud et Meige virent Joaquin Leviz da Silva, lequel autrefois, aux courses de taureaux, était réputé parmi les plus robustes pour terrasser l'animal en le prenant par les cornes.

En ses derniers jours d'exhibition, Jean-Pierre Mazas, le géant laboureur de Montastruc, qui, jadis, au passant lui

(1) Annal. Boior. lib., 4. Cité par Louis BLANC, Les Anomalies chez l'homme et les Mammifères,, p. 71.

(2) Nous-mêmes avons observé un géant lutteur, A., haut de 2m,16, et dont malheureusement nous n'avons pu prendre qu'une observation très incomplète (page 568).

demandant son chemin, l'indiquait en étendant le bras, allongé de sa charrue, n'était même plus capable, en sa baraque foraine, de se tenir debout. Enfin, le chef de gare de Woods Hutchinson qui, avant la production de sa cyphose vertébrale, c'est-à-dire de son « télescopage », s'amusait à lutter contre un attelage de chevaux, à l'instar de l'empereur romain Maximin, était dans un tel état, quand Hutchinson l'observa, qu'il ne songeait qu'à se mettre à l'abri de la curiosité publique.

C'est un fait d'ailleurs bien connu que, pour la lutte, le poids a une influence beaucoup plus directe que la taille. C'est ainsi que les lutteurs et boxeurs se classent en plusieurs catégories : poids lourds, poids moyens, poids légers, poids de plumes.

Le premier lutteur de plume sera battu, par exemple, par un lutteur de poids léger de troisième ordre, quelles que soient leurs tailles respectives.

Au contraire, la taille des lutteurs ne paraît avoir qu'une influence très secondaire, et en tant qu'augmentation correspondante du poids. Le lutteur géant A. (obs. XXXIX, page 568) se classa dans un rang assez médiocre dans le championnat auquel il prit part, bien que sa taille de 2m,16 semblât devoir lui assurer de beaucoup la suprématie sur ses concurrents.

Pour bien apprécier la vigueur réelle d'un sujet, en dehors du rôle si prépondérant de l'entraînement et de la bonne utilisation de la force, il convient de remarquer, comme dit Manouvrier, que « les biceps les plus énormes appartiennent aux bras les plus courts », c'est-à-dire que le type de l'euryplastie est le plus favorable pour la lutte (1).

(1) Des deux célèbres boxeurs qui disputèrent, en 1897, le championnat du monde, celui qui porta 19 coups battit celui qui pourtant lui avait porté 48 coups, ceux du premier étant beaucoup plus vigoureux. « Une grande taille n'est nullement l'accompagnement obligé d'une force au-dessus de celle de la moyenne des autres hommes. » (GUYOT-DAUBÈS. Les hommes phénomènes.) Les exemples de « nains hercules » sont relativement nombreux.

Quant aux tours de force, ils ne réclament ni une taille, ni un poids supérieurs à la moyenne : les expériences et les études de physiologie expérimentale entreprises par DÉSAGULlEfiS, élève de NEWTON, au début du XVIIe siècle, ont montré que, dans tous leurs exercices, les acrobates et les « hercules » em- ployaient plus ou moins consciemment des procédés qui transformaient en « tours de force » des exercices ne réclamant en réalité qu'une vigueur très moyenne. DÉSAGULIERS lui-même a pu exécuter facilement, avec une taille et une force moyennes, la plupart de ces exercices — Enfin, dès 1865, BOUDIN, dans un mémoire intitulé « De l'accroissement de la taille et des conditions

Quant aux géants qui ne s'exhibèrent pas pour leur vigueur, nous avons bien des preuves de leur faiblesse. Nous avons rapporté les lamentables promenades nocturnes, appuyé sur les épaules de deux compagnons, du fameux géant Charles Byrne (voir page 30); plusieurs des géants exhibés sont dans le triste état de la géante lady Aama (obs. III, page 114) dont la faiblesse musculaire était si grande qu'on était obligé de la soutenir, étant debout, avec des tiges fixées sur la scène où elle se montrait; si notre géant Charles fut employé dans la baraque du célèbre Marseille, ce n'était que pour la « lutte à blanc », c'est-à-dire simulée (page 57); Dana note que la poignée de main du géant du Minnesota, Wilkins, (obs. XV, page 254) était faible.

Tous ces exemples justifient pleinement l'expression employée par le chroniqueur de « The Lancet » (24 décembre 1898, p. 1747), qui, rappelant la biographie du géant de Cunéo (Piémont) et relevant « la lenteur éléphantine des mouvements qui le rendit impropre au service militaire », ajoute qu' « il n'est bon qu'à se montrer en public ».

En poursuivant l'analyse, il serait facile de retrouver chez les géants tous les autres symptômes subjectifs constants ou inconstants de l'acromégalie.

Pour bien montrer la fragilité des limites, d'ailleurs très arbitraires, qu'on a voulu établir entre les deux groupes de grands difformes, les géants et les acromégaliques, on peut rapprocher des faits que nous avons recueillis et réunis les observations de quelques acromégaliques de grande taille. Une comparaison, facile à établir, sera la justification du groupement que nous avons proposé.

d'aptitude militaire en France» (Bull. Soc. d'Anthrop.), concluait que l'aptitude militaire était indépendante de la taille, que la fixation d'un minimum de taille pour l'admission au service était d'une utilité contestable et qu'il y aurait avantage à abandonner aux conseils de revision le droit de décider sur ce point, lorsque l'homme présente d'ailleurs toutes les autres conditions d'aptitude. »

OBSERVATION XX. (Pierre Marie.) (1) C., acromégalique cle haute taille (1m,90).

M. C. 45 ans. Sa mère a 82 ans, se porte admirablement, n'a pas encore perdu une dent. Père mort à 58 ans (ramollissement cérébral?).

Tous ses oncles et tantes étaient robustes; personne n'a jamais présenté rien d'analogue à l'affection dont il est atteint. Les membres de sa famille sont en général de taille un peu au-dessus de la moyenne, mais sans être vraiment des gens d'une grandeur extraordinaire.

N'a eu qu'un frère mort en bas âge. Lui-même a toujours été d'une bonne santé pendant son enfance, mais n'a jamais eu un teint très coloré. A l'âge de 23 ans, syphilis nettement établie, peu d'accidents ultérieurs, sauf du côté de la gorge. Jusqu'à l'âge de 16 ans, le malade était d'une taille tout à fait ordinaire, plutôt un peu petite, lorsque, vers cette époque, tout d'un coup, il se mit à grandir; de 17 à 18 ans, sa taille s'accrut d'une façon considérable et depuis lors, jusqu'à près de 40 ans, il est convaincu qu'il n'a cessé de grandir, très peu, il est vrai, mais d'une façon sensible cependant. A l'âge de 19 ou 19 ans et demi, en sortant du collège, il ne mesurait pas moins de 5 pieds 8 pouces; de 17 à 18 ans il avait grandi de 11 pouces, de 18 à 19 ans de 4 à 5 pouces.

Depuis l'âge de 19 ans et demi jusqu'à l'âge de 40 ans, il a encore gagné 3 pouces : depuis cette époque, en effet, il mesure 5 pieds 11 pouces (1m,90).

Le malade était d'une bonne santé et d'une force musculaire assez remarquable; étant soldat il avait fait la guerre carliste, marchant beaucoup, résistant très bien à la fatigue.

C'est vers l'âge de 32 ou 33 ans qu'il remarqua (sans pouvoir attribuer à cela aucune raison) que ses mains, qu'il avait toujours eu à la vérité un peu fortes et charnues, augmentaient très notablement de volume et cela d'une façon progressive.

Il semble que cet accroissement n'est pas encore complètement terminé, car dans ces derniers temps le malade croit avoir remarqué qu'il avait un peu plus de difficulté à mettre ses gants.

L'hypertrophie des pieds se serait montrée à peu près en même temps que celle des mains.

Main droite. — Circonférence au niveau de la tête des métacarpiens, 253 millimètres.

Circonférence maxima de la main au niveau de l'articulation méta- carpo-phalangienne du pouce, les doigts étaient dans la position de la « main d'accoucheur », 275 millimètres.

Longueur de la main depuis l'interligne articulaire du poignet, jusqu'à l'extrémité du médius, 22 centimètres.

(1) Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1888.

Circonférence de la phalangette du pouce, 85 millimètres.

Circonférence du médius au niveau de l'articulation entre la phalange et la phalangine, 85 millimètres.

Épaisseur maxima de la main au niveau de l'éminence thénar (avec le compas d'épaisseur), 47 millimètres.

Longueur du médius prise à partir du pli palmaire, 95 millimètres.

Longueur de l'annulaire, 91 millimètres.

Longueur de l'auriculaire, 80 millimètres.

Longueur de l'index, 85 millimètres.

Longueur de la paume de la main, depuis l'interligne articulaire du poignet jusqu'au pli palmaire de la base du médius, 150 millimètres.

Largeur de la paume de la main à la partie moyenne, 110 millimètres.

Le pouce peut être considérablement écarté des autres doigts, la ligne droite menée entre l'extrémité de l'auriculaire et l'extrémité du pouce ainsi écarté par le malade est de 292 millimètres.

Circonférence du poignet au-dessous des extrémités osseuses de l'avant-bras, 20 centimètres.

La main gauche présente une hypertrophie tout à fait analogue, mais ses dimensions et celles des doigts sont très légèrement inférieures à celles de la main droite, du moins quant à la largeur et à l'épaisseur; la longueur semble être exactement la même, c'est surtout l'épaisseur qui est moindre; les masses thénar et hypothénar sont moins développées et un peu plus flasques qu'à la main droite.

La forme des mains est en somme régulière bien qu'étant élargie.

Les parties molles ont subi une hypertrophie considérable qui s'observe surtout nettement à la face palmaire des doigts, notamment au niveau de la dernière phalange, et à l'éminence hypothénar; on peut saisir en cet endroit les parties molles (assez flasques surtout à la main gauche), les isoler du cinquième métacarpien et juger ainsi de leur très réelle augmentation de volume.

Sur le dos des mains et la face postérieure des avant-bras, plexus veineux assez riche; la largeur des veines à ce niveau semble certainement plus grande que celle des veines d'une main saine (assez turgescente cependant) prise comme terme de comparaison; il est vrai que des différences dans l'épaisseur des téguments à ce niveau peuvent être cause de cette divergence.

Les ongles ne sont pas comparativement très larges, il est même douteux qu'ils soient hypertrophiés, s'ils semblent très légèrement plus larges que ceux d'une main normale, c'est plutôt par suite d'un certain degré d'aplatissement; à leur extrémité libre sur les côtés, ils ont tous, mais plus ou moins, une tendance à se recourber en dehors et en haut et prennent ainsi la forme de certaines tuiles.

Leur largeur n'étant pas augmentée, on conçoit aisément qu'ils sont débordés par les parties molles et se trouvent comme enchâssés à l'extrémité du doigt.

Ils présentent tous une striation longitudinale très nette- Leur Ion-

gueur n'est pas augmentée mais semble être restée tout à fait ordinaire, aussi, vu l'hypertrophie des parties voisines, les ongles semblent-ils un peu courts.

A la paume de la main, les bourrelets situés au niveau de la tête des métacarpiens sont considérablement augmentés de volume.

L'annulaire et l'auriculaire de la main droite présentent très nettement le phénomène du « doigt à ressort », ce que le malade attribue à une sorte de traumatisme éprouvé en soulevant un fardeau trop lourd.

A l'auriculaire de la main gauche se trouve une bague qui ne peut en être que très difficilement retirée et ne peut entrer à l'auriculaire de la main droite; il y a quatre ou cinq ans cette bague était très à l'aise à l'auriculaire de la main gauche. Son diamètre intérieur mesure 20 millimètres.

Aux membres supérieurs pas plus du reste qu'aux membres inférieurs, on ne trouve d'atrophie musculaire, mais les chairs sont en général assez flasques, la force médiocre, eu égard à la stature du malade.

Quant au tronc, ce qui frappe immédiatement les regards, c'est une projection tout à fait singulière de l'extrémité inférieure du thorax en avant. C'est en somme la bosse antérieure de polichinelle; l'analogie est d'autant plus frappante qu'il existe en même temps un certain degré de gibbosité postérieure, si cette dernière était plus prononcée, la ressemblance avec le célèbre pantin serait complète.

La partie antérieure du thorax présente un plan obliquement incliné (dans la position debout) de haut en bas, d'arrière en avant de façon à faire avec une verticale correspondant au rachis un angle d'environ 45°; il en résulte une projection considérable des fausses côtes en avant, à la partie supérieure; au-dessous des clavicules, il existe plutôt un aplatissement assez net; on note aussi sur la région pectorale droite, un lipome siégeant à la hauteur du bord inférieur et extérieur de l'aisselle ou un peu au-dessus.

A partir de l'appendice xiphoïde projeté en avant, le profil du ventre devient vertical dans une étendue d'un travers de doigt, puis il se recourbe en bas et en arrière pour arriver à l'ombilic; à partir de celui-ci, le profil redevient à peu près normal; mais, en somme, tout le thorax dans sa partie inférieure, se trouve comme porté en avant, ce qui s'exagère et devient tout à fait étrange quand on fait faire au malade un effort inspiratoire énergique. Les parties latérales en sont aplaties, de sorte qu'il se termine comme en pointe au niveau de l'appendice xiphoïde.

Depuis les dernières cervicales jusqu'au niveau de l'angle inférieur de l'omoplate, il existe une gibbosité très marquée, puis une ensellure correspondant en partie (mais non proportionnelle) à la projection si considérable des fausses côtes en avant signalée plus haut. Peut-être existe-t-il une très légère courbure latérale du rachis à concavité vers la droite, mais cette courbure est si peu marquée qu'on ne saurait en affirmer catégoriquement l'existence. L'épaule gauche est un peu plus

haute que la droite. A la palpation, les clavicules ne semblent pas présenter de dimensions exagérées pour un homme de cette stature; elles sont peut-être un peu plus obliques que chez la majorité des individus. La forme et les dimensions des omoplates sont trop difficiles à déterminer pour qu'on puisse rien dire de précis à leur égard.

Les côtes ont considérablement augmenté de volume, elles sont notam- ment beaucoup plus larges que normalement.

L'appendice xiphoïde est énorme.

La circonférence du thorax suivant une ligne horizontale passant par l'extrémité libre de l'appendice xiphoïde est de 111 centimètres. La distance de la fourchette sternale à la pointe libre de l'appendice xiphoïde est de 25 centimètres.

Le type de la respiration est surtout diaphragmatique et costo-inférieur. Le malade marche bien, chasse sans difficulté des journées entières, mais cependant, s'il monte un escalier, au second étage, il commence à être essoufflé, et s'il avait à monter un peu plus haut, il serait obligé de s'arrêter et de se reposer.

Le bassin ne semble pas en lui-même avoir des dimensions exagérées, mais les crêtes osseuses en sont certainement augmentées de volume.

Les cuisses, les fesses, ne présentent rien de particulier; les masses musculaires en sont un peu flasques, la peau en est sèche, rugueuse ; quelques vergetures horizontalement disposées au niveau de la ceinture.

Les testicules sont assez gros ; la verge, très notablement plus longue et plus grosse que chez la plupart des individus. Les poils du pubis sont abondants. Le réflexe crémastérien ne peut être provoqué (n'a été d'ailleurs cherché qu'une fois, les testicules étant alors fortement rétractés). Le malade accuse une certaine diminution dans l'appétit génital.

Aux membres inférieurs : Rotule : diamètre vertical, 6 centimètres; diamètre transversal 6 centimètres. Les condyles du fémur ne font pas de saillie normale.

Le plateau du tibia est cependant très développé.

La tête du péroné et les deux malléoles paraissent élargies.

La forme générale de la cuisse, de la jambe, du mollet, est parfaitement normale (circonférence du mollet, 585 millimètres) ; le malade est d'ailleurs un grand marcheur et passe, maintenant encore, des journées à chasser.

Longueur du tibia en ligne droite, 442 millimètres.

Les pieds sont volumineux; leur hypertrophie présente les mêmes caractères généraux que celle des mains ; leur longueur maxima est de 50 centimètres.

Circonférence au niveau du cou-de-pied, 28 centimètres.

Circonférence passant immédiatement au-dessous de la pointe des deux malléoles, 29 centimètres.

Circonférence du gros orteil, 12 centimètres.

Circonférence du petit orteil, 75 millimètres.

Le second orteil, surtout au pied gauche, est un des plus hypertrophiés.

Ici encore, on constate comme aux mains une hypertrophie considérable des parties molles et, dans certains points où elles se trouvent comprimées, leur rebroussement.

Ongles striés en long et en travers, n'ayant pas augmenté de dimensions, sauf peut-être celui du gros orteil qui a des proportions assez considérables : longueur, 23 millimètres; largeur, 27 millimètres.

Depuis quatre ou cinq ans, il se chausse chez le même bottier, et depuis cette époque, celui-ci lui fait des souliers sur les mêmes mesures et avec les mêmes formes. Or ces souliers lui vont toujours bien et ne sont pas devenus trop étroits; il semble donc que l'hypertrophie des pieds soit restée stationnaire depuis ce laps de temps.

Sur toute l'étendue du corps, la peau du malade a une teinte jaune brun mélangé d'une légère nuance olivâtre ; cette coloration est encore plus nette à la face. La peau est d'ailleurs flasque et comme trop large pour le corps, plutôt un peu épaissie, présentant l'aspect ansérin dans certains points (surtout face postérieure des bras et ceinture), sèche et cependant un peu grasse; le crayon marque difficilement. Sur le cou, les épaules, le dos, plusieurs petites tumeurs de molluscum pendulum.

Aux jambes, on trouve quelques varices, mais leur développement est bien loin d'être considérable.

Il existe aussi des hémorroïdes qui se sont montrées vers l'âge de 25 ou 26 ans, puis ont augmenté ; assez souvent elles ont donné lieu à des hémorragies de quantité modérée.

Le malade a toujours eu bon appétit et mange bien, un peu plus que la majorité des gens, mais non excessivement, affirme-t-il, si on a égard à sa taille. Ses digestions sont toujours bonnes, sauf quand il se couche trop tôt. Jamais de fringales en dehors des repas. Il boit une assez grande quantité de liquide (eau) aux repas, mais jamais dans l'intervalle de ceux-ci, à moins qu'il n'aille à la chasse et sue beaucoup.

Il évalue la quantité bue en vingt-quatre heures à 2 litres 1/2 environ.

Il pisse 5 à 6 fois par jour assez abondamment (environ 400 grammes chaque fois; cela n'a pu être contrôlé). L'urine est claire, de couleur ordinaire, ne contient ni sucre ni albumine.

Face. — Dans son enfance et jusqu'à l'âge de 22 à 24 ans, le malade avait la face ronde et assez joufflue, le nez petit; à ce moment, elle commença à se modifier, mais ce n'est que depuis l'âge de 30 ans qu'elle a été vraiment déformée, et depuis, cette déformation n'a fait et ne fait qu'augmenter.

La forme générale de la face est très allongée ; longueur (au compas d'épaisseur) de la racine des cheveux sur le front au bas du menton, 22 centimètres; de la racine des cheveux à la partie supérieure des os

propres du nez, 66 millimètres; des os propres du nez au bout du nez, 76 millimètres; de la base de la cloison du nez à la partie inférieure de la symphyse du menton, 90 millimètres.

Distance entre la face externe des deux pommettes, 145 millimètres.

Le front est oblique, les arcades sourcilières font une saillie considérable en avant, tandis qu'en arrière d'elles, latéralement, existe une dépression qui fait un peu ressembler la région frontale de ce malade à celle d'une vache. Les sourcils sont bien fournis. Les paupières, d'une pigmentation plus brune que le reste du corps, ne sont pas épaissies; leur longueur, à compter de la partie inférieure de l'arcade sourcilière, est de 25 millimètres.

Les yeux sont légèrement saillants, de volume normal, la conjonctive un peu vascularisée, la pupille petite (il existe réellement un certain degré de myosis) ; cils d'aspect ordinaire.

Le nez est très allongé, sa largeur maxima est de 4 centimètres (distance entre la face externe des deux ailes du nez).

La cloison est un peu déjetée à droite. La forme du nez est régulière, son extrémité plutôt pointue que camarde.

Les pommettes font une assez forte saillie.

La bouche n'a pas des dimensions exagérées, mais la lèvre inférieure est très saillante et forme un gros bourrelet, dont la hauteur est de 17 millimètres.

Les dents sont bonnes, leurs dimensions tout à fait normales, plutôt petites que grandes; les dents de la mâchoire inférieure, qui autrefois étaient en arrière de celles de la mâchoire supérieure, sont maintenant en avant de celle-ci, d'au moins 2 millimètres.

Il y a douze ou quatorze ans que le malade a remarqué un change.ment dans la position de ses dents, et voici comment : étant très amateur de pêche, il a l'habitude de confectionner lui-même ses lignes; il coupait, étant plus jeune, avec ses dents, le crin dont celles-ci se .composent, mais depuis douze ou quatorze ans, il s'est aperçu que la position de ses dents était telle qu'il ne pouvait plus couper le crin avec elles.

La langue est très augmentée de volume; largeur maxima, 65 millimètres. La longueur est aussi notablement augmentée ; sa face supérieure présente un assez grand nombre de sillons, mais c'est là tout au plus l'exagération de l'état normal.

Le maxillaire supérieur ne présente rien de bien net ; il est probablement un peu plus développé que normalement ; mais cette différence, si elle existe, est difficile à constater.

Le maxillaire inférieur est plus grand, plus large et plus haut que normalement; son angle est certainement beaucoup plus ouvert.

Sa hauteur, du bord libre des gencives à la partie inférieure de la symphyse du menton, est de 5 centimètres; l'angle gauche du maxillaire fait une plus forte saillie que le droit. Distance (au compas d'épais-

seur) de l'articulation temporo-maxillaire à la partie inférieure de la symphyse du menton, 142 millimètres.

Les oreilles sont un peu grandes (75 millimètres), assez saillantes, mais sans présenter un aspect réellement anormal.

Le crâne ne présente (à part la région frontale) aucune déformation marquée ; cependant les sutures sont très faciles à suivre avec le doigt, la protubérance occipitale externe et les lignes qui en partent font une saillie considérable, ainsi que la région mastoïdienne.

Les cheveux sont abondants, un peu grisonnants, leur grosseur semble normale.

Au cou, le larynx fait une saillie assez notable, mais non excessive eu égard à la stature ; ses dimensions dans le sens antéro-postérieur semblent cependant augmentées.

L'os hyoïde paraît être aussi d'un volume supérieur à la normale.

Le corps thyroïde ne peut être qu'à peine senti par la palpation et semble diminué de volume (on sait que cette recherche n'est pas aisée, même chez l'homme sain) ; ce que l'on peut affirmer, c'est que cet organe est ici non pas plus gros, mais vraisemblablement plus petit que normalement.

La recherche du thymus ou d'une zone de matité au niveau du sternum, suivant les indications de M. le professeur Erb, n'a donné aucun résultat.

La voix du malade, qui, dans l'enfance, était assez aiguë et pouvait monter à des notes élevées et qui d'ailleurs, au moment de la 'puberté, était devenue plus grave, est actuellement forte, très grave et parfois un peu voilée. Il fume beaucoup, surtout la cigarette. En faisant solfier le malade devant un piano on constate que les seules notes qu'il puisse émettre sont comprises entre mi et ut, il ne peut donner de notes plus élevées.

Au point de vue des organes des sens, voici ce que l'on peut noter : La vue, dit le malade, est à peu près intacte et notamment quand il est à la chasse, il n'a pas à s'en plaindre. En effet, l'examen pratiqué par M. Parinaud montre que l'acuité visuelle est très peu réduite : V = 5/10 pour les deux yeux; pas de troubles pour l'appareil musculaire et les pupilles.

Mais, à l'ophtalmoscope, on constate une néurite double caractérisée par une coloration rouge sombre de la papille avec infiltration de ses contours et des parties voisines de la rétine. Les veines sont dilatées et sinueuses, accusant un état d'étranglement assez accentué.

L'ouïe d'après le malade, serait un peu faible, mais cependant il entend bien quand on lui parle, même à voix basse.

Odorat médiocre, la respiration nasale est d'ailleurs assez pénible.

Goût bon.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE.

OBSERVATION XXI. (Taruffi.) (1) Squelette d'un acromégalique de haute taille.

L. Marchetti, tonnelier de son métier, est mort à l'âge de 47 ans, en 1808, après avoir présenté des symptômes indiscutables de l'acromégalie. En 1879, C. TARUFFI, professeur d'anatomie pathologique à Bologne, décrivit, d'une façon très détaillée, le squelette de Marchetti, conservé à peu près intact dans un musée pathologique de cette ville; seulement, TARUFFI fut d'opinion que le squelette dont il s'agit avait appartenu à un géant. Or, cette théorie a été démontrée fausse par P. MARIE qui, ayant soumis à une analyse critique le long travail du professeur de Bologne; a fait voir, à n'en plus douter, que Marchetti, loin d'avoir été un géant, n'était autre chose qu'un acromégalique.

Le buste en plâtre de ce dernier existe soit à Bologne, soit à Milan.

(1) TARUFFI, Scheletro bolognese con prospectoria e tredici vertebra dorsali. Memo. dell' Accademia delle scienzc de Bologna, 1879, X, 65; — et obs. I. Della macrosomia, Annali universati di medicina, 1879, vol. 247, p. 339. — Nous reproduisons le ré- sumé de cette observation, tel que le donne Souza-Leite, De l'Acromégalie. Thèse de Paris, 1890.

(2) Ce squelette d'acromégalique est celui de l'acteur italien GHIRLENZONI, dont l'observation, publiée par BRIGIDI, a été reproduite par PIERRE MARIE (Nouv. icon. de la Salpêtrière, 1888-1889) et son élève SOUZA-LEITE (Thèse de Paris, 1890). Les déformations de ce squelette sont tout à fait caractéristiques.

FIG. 74. — Squelette d'un acromégalique (BRIGIDI) (2).

Il fut renommé comme un grand mangeur, sa stature était de 1m,80. Il avait la face très allongée dans le sens vertical, modification dans laquelle, dit TARUFFI, la hauteur du crâne n'entrait qu'à un très faible degré. Son maxillaire inférieur était agrandi, notamment d'arrière en avant; ses angles n'existaient plus et étaient remplacés par deux lignes courbes; en un mot, prognathisme du maxillaire.

Les extrémités (mains et pieds) de Marchetti étaient celles d'un acromégalique (voir l'analyse de P. MARIE).

En l'absence de renseignements sur l'état de la face intérieure du

FIG. 75. — Crâne d'un acromégalique de haute taille (profil). (TARUFFI.)

crâne dans la description de Taruffi, dit P. MARIE, je m'adressai à mon distingué confrère et ami le docteur G. MELOTTI (de Bologne), et lui demandai s'il ne pourrait combler cette lacune en examinant lui-même cette partie du squelette.

Voici les résultats de son examen, tels qu'il a bien voulu me les faire connaître en juillet 1889 : « La selle turcique est considérablement agrandie en longueur, largeur et profondeur ; et cela aux dépens du sinus sphénoïdal qui a presque entièrement disparu, ainsi que la gouttière qui reçoit l'entre-croisement des nerfs optiques.

Les mesures suivantes donnent l'idée de cette augmentation des dimensions de la selle turcique.

Distance entre les deux apophyses clinoïdes 58 millimètres.

— — trous optiques 26 — Longueur de l'apophyse clinoïde antérieure droite 16 — — — — — gauche. -13 —

La distance entre les deux apophyses clinoïdes antérieures est presque

FIG. 76. — Crâne d'un acromégalique de haute taille (face). (TARUFFI.) lé tiers de la largeur totale du crâne; tandis que normalement elle n'en est que le cinquième.

Distance entre les deux apophyses clinoïdes postérieures. 29 millimètres.

Distance entre l'apophyse clinoïde antérieure droite et l'apophyse clinoïde postérieure droite 20 — Distance entre les mêmes apophyses à gauche. 17 — à l'union du 1/3 antérieur avec Diamètre transversal de les 2/3 postérieurs 31 — la selle turcique. au niveau du 1/5 moyen 32 -- la selle turcique. au niveau des 2/3 postérieurs. 30 —

Diamëtreantéro-postérienr. 30 millimètres.

P~~ndear. 48 —

Il est donc bien évident que les dimensions de la selle turcique sont pour ce crâne considérablement augmentées.

OBSERVATION XXII. (Lombroso.) (1) Acromégalique de haute taille.

Homme de 57 ans, avait joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de 24 ans; il eut alors une bronchite ou mieux une bronchorragie. Lorsqu'il fut guéri, il vit son corps augmenter tout d'un coup; de sorte qu'en quatre mois, il dut changer trois fois ses vêtements.

Il eut à ce moment quelques petites fièvres intermittentes et fut pris d'une voracité extraordinaire et de quelques douleurs dans les os, les articulations et l'estomac. Les forces baissèrent, il survint de la dyspnée et de la cardialgie.

LOMBROSO vit cet homme pour la première fois seize ans après le début de l'affection; il pesait 120 kilog. 400, sa taille était de 1 m. 80; la peau d'un jaune foncé, la barbe un peu rare, les cheveux; assez abondants, étaient châtains et rudes. Les dimensions de la tête sont à peu près normales, les oreilles normales de volume et d'implantation.

Mais la face se montre disproportionnée, surtout en largeur, et rappelle dans sa monstruosité celle du gorille et du lion ; grande est la distance entre les deux pommettes, mais plus encore la longueur et la largeur de la mâchoire inférieure qui, malgré son énorme développement, vient presque au niveau de la mâchoire supérieure. Les parties molles de la face ne suivent pas dans une égale proportion le développement des os, les yeux ne sont guère plus gros que normalement, le nez est assez peu épaissi, les lèvres au contraire sont très volumineuses, un peu plus l'inférieure que la supérieure; la langue n'est pas beaucoup plus grosse que normalement (plus grand diamètre transverse 65 millimètres); les dents manquent presque toutes, celles qui restent sont d'un aspect normal, Le cou est énorme, le double de la dimension ordinaire (470 millimètres de circonférence) ; énorme aussi le développement des épaules, de l'omoplate, de la clavicule, de toute la circonférence du thorax qui d'un mamelon à l'autre mesure 1330 millimètres. — Le bras et la cuisse ne présentent aucune hypertrophie, mais à partir du milieu de la jambe et du milieu de l'avant-bras, vers en bas le membre devient extraordinairement hypertrophique, plus encore pour les membres supérieurs que pour les inférieurs.

Circonférence du corps 500 millimètres.

Diamètre bi-temporal. 152 —

(1) LOMBROSO, Caso singulare di macrosomia. Annali universali di Medicina, CCXXVII, p. 505, 1872.

Bi-zygomatique. 150 millimètres.

Fronto-mentonnier. 260 — Occrpito-mentonnicr 502 — Longueur des oreiltes. 63 —

— du nez 65 — Circonférence maxima de la poitrine. 1330 — — du cou: 470 — — de la partie moyenne du bras. 330 — — de l'avant-bras 370 — Longueur de l'acromion à l'extrémité du médius.. 840 — Circonférence maxima de la main 350 — — du pouce 120 — de la partie moyenne de la jambe 460 — — du cou-de-pied 330 — Longueur maxima du pied. 300 — Largeur 14S —

En somme, les os malaires, les vertèbres, les côtes, le sternum, les os de l'avant-bras, du pied et de la main ont augmenté de volume, tandis

FIG. 77. — Radiographie du crâne du grand CHARLES, montrant l'inégale épaisseur des parois du crâne, la dilatation des sinus frontaux, le ressaut post-lambdoïdien et l'agrandissement de la selle turcique.

que le fémur, l'humérus, tous les os de la voûte crânienne et en partie ceux du bassin sont restés normaux.

La peau est épaissie dans les régions hypertrophiées de l'avant-bras,

du pied et de la face. Les chairs des membres hypertrophiés paraissent à la palpation d'une consistance plus grande que celle d'un muscle normal, lardacée ou cartilagineuse.

L'intelligence était très lucide, le malade manifestait même une certaine finesse de sentiments.

Bien qu'encore jeune et d'un tempérament très amoureux dans les premières années de son adolescence, ce malade a perdu toute tendance aux plaisirs vénériens et n'a plus de pollutions.

Parmi les lésions propres au gigantisme acromégalique, il en est une dont la grande fréquence, sinon la constance abso-

FIG. 78. — Schéma du crâne dans le gigantisme acromégalique, construit d'après les données radiographiques de BÉCLÈRE, et montrant l'inégale épaisseur des os du crâne, l'élargissement des sinus frontaux, le ressaut post-lambdoïdien, l'agrandissement de la selle turcique.

lue, mérite une mention tout à fait particulière : c'est l'existence d'une hypertrophie de l'hypophyse.

Presque pathognomonique dans le gigantisme acromégalique, elle est facile à constater post mortem, au moment de l'autopsie.

Mais, de même que les Rayons de Rœntgen nous ont permis de

constater, pendant la vie, la persistance des cartilages de conjugaison chez nos géants infantiles, de même nous avons pu, soit à l'aide de l'écran, soit sur des épreuves radiographiques, retrouver, chez l'homme vivant, l'hypertrophie de l'hypophyse.

L'élargissement de la selle turcique, en relation constante avec l'augmentation de volume de l'organe glandulaire qu'elle contient, est rendu, de la sorte, des plus évidents.

En résumant les épreuves qu'il a pu recueillir dans ces derniers temps, en se basant, en particulier, sur celles que lui ont fournies nos géants, Béclère (1) a pu mettre en valeur les différentes et caractéristiques modifications que présente le crâne acromégalique. Nous avons utilisé les données qu'il nous a gracieusement communiquées pour construire le schéma ci-contre du crâne des géants acromégaliques, dans lequel on peut retrouver : a. L'épaississement inégal des parois osseuses du crâne ; b. L'augmentation d'étendue des sinus frontaux; c. L'exagération notable du ressaut post-lambdoïdien ; d. L'élargissement plus ou moins accentué de la selle turcique.

Parmi les observations d'acromégaliques de grande taille que nous avons pu recueillir, il n'en est pas de plus intéressante que celle que nous rapportons ci-dessous et qui concerne une femme que plusieurs de nos collègues (2) ont été amenés à soigner et qui, au cours de ses pérégrinations nosocomiales, est venue faire un séjour assez prolongé dans notre service de l'hôpital Tenon.

OBSERVATION XXIII (3). (P.-E. Launois.) Une femme acromégalique typique.

Dans les premiers jours du mois de juin 1903, se présente, dans notre service de l'hôpital Tenon, une malade, T. Ch., âgée de 34 ans et exerçant la profession de cuisinière; elle se plaint de vertiges,

(1) DÉCLÈRE, La radiographie du crâne et le diagnostic de l'acromégalie. Soc.

méd. des Hôp., 5 déc. 1902 et Presse Médicale, décembre 1903.

(2) En particulier, PIERRE MARIE, qui l'a soignée et l'a présentée à son cours pendant l'hiver 1902-1903.

(3) Rédigée d'après les notes recueillies par H. MAUBAN, interne des hôpitaux.

d'éblouissements, anciens déjà, et d'une lassitude toute particulière qui remonte à quelques semaines seulement. Mais, avant qu'elle ait détaillé ses antécédents pathologiques, l'attention a été attirée sur son facies, dans lequel le nez et le menton proéminent d'une façon

FIG. 79. — Une femme acromcgalique typique (profil).

(Dans le coin de droite, la même à 20 ans, avant le début de l'affection.)

remarquable et par ses mains de dimensions volumineuses. Le diagnostic d'acromégalie s'impose dès la première inspection.

Son père qui était petit, mais dont les mains et le nez étaient très développés, serait mort à 56 ans, à la suite d'une assez longue maladie, sur laquelle on ne peut avoir de renseignements bien précis.

Sa mère a succombé à l'âge de 42 ans, après avoir présenté des phénomènes cérébraux.

Elle a un frère un peu moins âgé qu'elle, dont la santé ne laisse rien à désirer.

FIG. 80. — Une femme acromégalique typique (face).

Quant à ses antécédents personnels, ils sont relativement assez chargés.

Elle a toujours été maigre, grande, et assez mal portante jusqu'à la vingtième année. Réglée pour la première fois à 17 ans, elle l'a été assez irrégulièrement. A l'âge de 24 ans, survint une irrégularité plus

grande dans la menstruation, et celle-ci se supprima complètement et définitivement à 25 ans.

C'est à partir de cette époque que ses mains, ses pieds et sa figure commencèrent à se modifier. Alors que primitivement elle chaussait du n° 57 et portait des gants de femme de taille moyenne, elle fut obligée, à 25 ans, d'augmenter progressivement la pointure de ses chaussures et de se procurer des gants d'homme.

Elle ne tarda pas à présenter des troubles oculaires et perdit progres- sivement et assez rapidement la vision de l'œil droit; les fonctions de l'œil gauche ne tardèrent pas, elles aussi, à être compromises. Un traitement prolongé pendant un an et basé sur l'usage de l'iodure de potassium, des applications de pointes de feu le long du rachis, fut suivi d'une amélioration notable, à ce point que la malade put à nouveau, en 1889, lire, écrire, et même enfiler des aiguilles.

L'amélioration persista pendant près de deux années, mais à ce moment réapparurent des vertiges, des douleurs intra-céphaliques que PIERRE MARIE, qui la vit pour la première fois à cette époque, chercha à combattre par l'absorption de corps pituitaire, de glycéro-phosphate de chaux et par l'hydrothérapie.

En 1900, elle se trouve assez valide pour reprendre ses occupations : elle n'était plus sujette qu'à des éblouissements passagers.

Les douleurs intra-céphaliques devinrent bientôt telles qu'elle se rendit à la Salpêtrière, puis à Tenon, pour y chercher un soulagement.

Ces phénomènes nerveux surviennent à n'importe quel moment de la journée, mais sont principalement fréquents le matin, quand la malade quitte son lit, et dans la journée quand, après être restée assise pendant un certain temps, elle veut se relever et marcher. A ce moment, la vue se trouble, les objets semblent danser, tourner devant elle, puis disparaître. L'étourdissement n'est que de courte durée et ne s'accompagne pas de chute. Au cours de la journée, la malade se plaint d'une grande lassitude; il lui semble qu'elle n'a jamais assez dormi, bien que les nuits soient satisfaisantes. Et cependant elle est incapable de rester immobile, car, dès qu'elle se repose, elle est immédiatement prise de somnolence, de vertiges et de malaises.

Si on l'examine, ce sont tout d'abord les mains et la face qui attirent et retiennent l'attention.

Les mains, surtout la droite, sont comparables à de véritables battoirs.

Les doigts figuraient de vrais boudins, et il semble qu'il y ait hypertrophie de tous les tissus durs ou mous. Les parties molles se plissent pour former des bourrelets sur la région dorsale, à laquelle ils donnent un aspect tout particulier. Les plis de la paume sont, eux aussi, fortement exagérés. Les ongles sont petits, mais très larges, et striés dans le sens de la longueur.

Les dimensions de la main sont telles qu'elle emplit un gant d'une pointure 9. Les quelques mensurations suivantes donneront une idée

exacte des modifications survenues dans chacune des parties constituantes de la main :

Main droite, largeur. 12 1/2 centimètres.

— longueur. 20 — Circonférence de l'index gauche. 71/2 droit 8 1/2 centimètres.

— du médius gauche 8 — 9 — — de l'annulaire gauche..7 5/4 — 9 — — de l'auriculaire gauche. 61/4 — 71/4 — — des poignets 19 centimètres.

Dimensions des ongles de l'index droit :

Largeur 18 longueur 9 millimètres.

Dimensions des ongles du pouce droit : Largeur. 22 — 14 —

Les dimensions du pied ne le cèdent en rien à celles de la main : l'hypertrophie porte en particulier sur le gros orteil qui est remarquable par les proportions qu'il a acquises. La voûte plantaire est légèrement affaissée.

En comparant entre elles la photographie actuelle de la malade et celle

FIG. 81. — Les mains d'une femme acromégalique typique.

qui a été faite à l'âge de 20 ans (fig. 79), on pourra aisément se rendre compte des modifications qu'a subies le visage. La face s'est accrue surtout dans le sens vertical ; elle présente un ovale allongé de haut en bas; le front paraît petit et bas par rapport aux saillies orbitaires qui sont très accentuées. Les os malaires sont eux aussi proéminents. Les yeux sont volumineux; il existe même un léger degré d'exophtalmie, et

le regard, pour cette raison, présente quelque chose de dur, presque de méchant. En raison des troubles oculaires, que nous analyserons plus loin, la malade déplace d'une façon continue la tête à droite ou à gauche, pour regarder son interlocuteur, et ces mouvements contrastent avec ceux des yeux qui semblent figés dans l'orbite.

Le nez est non seulement très gros, mais encore très long; il s'est incurvé à la façon de celui de Polichinelle.

Les lèvres sont lippues et légèrement saillantes.

Quant au menton, il est massif et carré : il dépasse notablement le plan vertical de la lèvre supérieure, mais le prognathisme n'est cependant pas assez marqué pour déterminer le chevauchement des incisives inférieures.

Les pavillons des oreilles sont augmentés de volume.

Quant à la protubérance occipitale externe, elle fait, au-dessous des cheveux, une saillie que le palper peut nettement apprécier.

Les quelques dimensions suivantes donneront une idée des modifications observées du côté de la face :

Circonférence du visage passant par le menton 67 centimètres.

— fronto-occipitate. 56 — Longueur du nez. 5 1/2 ʼn — des oreilles 6 —

La langue est énorme, son hypertrophie porte surtout sur ses deux tiers postérieurs. Elle ne trouble en rien les fonctions (mastication, phonation) et ne présente sur ses bords aucune trace de morsure. Les amygdales, la luette sont très grosses.

Les altérations du rachis sont celles que l'on observe habituellement dans la maladie de PIERRE MARIE : il existe une cyphose cervico-dorsale avec dos rond ; la tête est légèrement penchée en avant.

En examinant les organes des sens, il est facile de reconnaître que l'ouïe est normale et que l'odorat a perdu une partie de son acuité et cette perte remonte à une dizaine d'années environ. Actuellement la malade peut percevoir par la narine gauche les sensations fournies par l'inhalation de l'ammoniaque, de l'éther, du citron, etc., tandis que la narine droite reconnaît à peine l'ammoniaque. Le goût est intact.

Quant aux yeux, ils ont perdu en grande partie leur fonction physiologique, ainsi qu'en témoignent les résultats fournis par l'examen pratiqué par TERRIEN : Du côté de l'œil droit, on constate une abolition du réflexe pupillaire à la lumière, une atrophie optique blanche complète sans trace de névrite. L'acuité visuelle est nulle, le champ visuel est nul aussi et la sensibilité à la lumière à peine conservée.

Du côté de l'œil gauche on constate que la pupille est en voie d'atrophie surtout marquée du côté nasal. Il existe une achromatopsie à peu près complète; le champ visuel est à peu près absent dans toute la

moitié gauche. Le réflexe à la lumière est conservé, il en est de même du réflexe de l'accommodation.

« Au premier abord, écrit TERRIEN, il semble que les troubles observés sont dus à une compression des voies optiques, compression exercée par une tumeur qui pourrait siéger dans l'angle antérieur du chiasma, le débordant à droite et en arrière. Mais si l'on tient compte de l'évolution des troubles visuels l'on apprend que la cécité a débuté tout d'abord à droite et que, primitivement, il existait une hémianopsie bi-temporale. Si la vision centrale est encore parfaitement conservée à gauche, cela tient à l'intégrité du faisceau maculaire gauche.

Il semble rationnel d'admettre une compression de la partie postérieure du chiasma ayant intéressé les deux faisceaux croisés et ayant enfin débordé à droite en entraînant l'atrophie du faisceau direct droit.

Ainsi s'expliquent les troubles visuels observés à l'heure actuelle et aussi l'atrophie optique du côté droit.

« Un autre fait intéressant à noter c'est l'absence de stase papillaire comparable à celle que l'on observe toujours dans les tumeurs cérébrales. Elle fait d'ailleurs fréquemment défaut dans l'acromégalie. On a voulu l'attribuer à une rapide agglutination des gaines du nerf optique par suite de pression exercée par le corps pituitaire hypertrophié interrompant la communication de l'espace inter-vaginal du nerf avec l'espace sous-arachnoïdien du cerveau. Il paraît plus rationnel d'admettre que cette absence est en rapport avec le développement très lent de la tumeur qui permet une sorte d'accommodation progressive.

Quant à la papille gauche, elle offre la réaction hémianopsique analogue à celle que l'on observe communément dans l'acromégalie. »

L'examen de l'appareil respiratoire ne décèle rien d'anormal.

Si l'appareil circulatoire fonctionne régulièrement, les battements du cœur sont fréquents, les artères sont sinueuses. La pression sanguine, étudiée à l'aide du sphygmo-manomètre au niveau de la radiale, oscille entre 26 et 28.

Du côté de l'appareil digestif, on note un appétit assez développé et surtout une polydypsie marquée : la malade boit, en effet, une moyenne de 3 litres de liquide par jour et le thé entre pour une assez grande part dans cette ration de liquide.

La quantité d'urine émise dans les vingt-quatre heures est supérieure à la normale : sa quantité quotidienne a été de 3 litres pendant tout le séjour qu'elle fit dans le service. Sa concentration est à peu près normale, elle a une réaction acide faible et ne contient ni sucre ni albumine.

Parmi les matières minérales dosées, l'acide urique s'est montré en quantité élevée (1gr,71 par 24 heures); il en était de même pour les chlorures (10 à 13 grammes). Quant à l'acide phosphorique, la proportion journalière est à peu près normale (3gr,50). L'examen microscopique a révélé la présence d'oxalate de chaux. La polyurie s'accompagne d'une sudation abondante aussi bien le jour que la nuit et qui augmente

brusquement sous l'influence de causes multiples telles qu'une émotion ou un effort.

Du côté du système nerveux, on ne constate aucun trouble de la motricité, ni de la sensibilité. Le froid et le chaud sont normalement perçus et cependant, vers le mois de Novembre 1905, la malade s'est brûlé les doigts de la main gauche sans trop s'en apercevoir. Les réflexes patellaires sont un peu exagérés. Il existe une céphalée surtout frontale, continue, avec exacerbations plus ou moins rapprochées.

Parmi les symptômes psychiques, il faut signaler tout d'abord la tristesse et l'humeur changeante de la malade qui se laisse aller volontiers au découragement. Elle est très susceptible et soupçonne volontiers son entourage de chercher à lui nuire.

L'examen radioscopique et radiographique du crâne a été fait dans le laboratoire de la Salpêtrière et a été rendu difficile par l'instabilité de la patiente. Cependant, sur les épreuves obtenues, on peut constater un élargissement très grand et une excavation marquée de la selle tur- cique qui apparaît comme une loge susceptible d'englober une mandarine.

Cette donnée, fournie par l'exploration, à l'aide des rayons Rœntgen, permet d'affirmer l'existence d'une tumeur hypophysaire que rendaient, d'ailleurs, très vraisemblable les troubles oculaires constatés. L'absence tout au moins actuelle de diabète mérite d'être constatée.

OBSERVATION XXIV. (P. E. Launois ET Taburet.) Un acromégalique de grande taille.

L'un de nous fut, tout dernièrement, prié par son voisin et ami le docteur TABURET d'examiner un de ses malades, habitant un petit village de Normandie et présentant, au cours d'une tuberculose pulmonaire à évolution rapide, des manifestations dystrophiques assez singulières.

L'aspect du malade, son facies, le développement énorme de sa mâchoire inférieure, de ses extrémités, sa grande taille étaient suffisamment caractéristiques pour imposer le diagnostic de gigantisme acromégalique.

Troisième enfant d'un père et d'une mère, dont la taille dépasse un peu la moyenne de celle des habitants du pays, il a été allaité pendant peu de temps et soumis à l'alimentation mixte. Des troubles gastrointestinaux graves troublèrent l'évolution normale de la croissance : à l'âge d'un an, les membres inférieurs, flasques et grêles, formaient un contraste marqué avec la tête et le ventre anormalement développés.

La marche devint possible à 16 mois; les premières dents étaient apparues à 7 mois, mais la dentition était mauvaise, car la carie les atteignit les unes après les autres.

Élevé au village, X. fut envoyé en pension, dans la ville voisine, à l'âge de 16 ans. A cette époque, il dépassait ses camarades par sa taille et les dimensions de son corps, mais sa vigueur ne lui donnait aucune supériorité sur eux. Il se plaignait, en effet, toujours d'une grande faiblesse, qu'on cherchait à combattre par l'usage de l'huile de foie de morue.

De retour à la maison, X. voyagea pendant deux ans et ne put se soustraire aux excès de boissons inhérents, en Normandie, à la profession de commerçant.

Incorporé en Novembre 1902 dans un régiment d'infanterie, X.

mesurait 1m,81 et pesait 85 kilogrammes. La vie militaire lui fut assez pénible, il se mit à tousser et fut réformé en Mars 1903 : les médecins militaires, appelés à se prononcer sur ses aptitudes physiques, reconnurent les manifestations habituelles de l'acromégalie.

Celles-ci ont été en s'accentuant depuis son retour au village : le crâne apparaît petit par rapport aux dimensions exagérées de la face ; on constate à son niveau une exagération marquée du ressaut postlambdoïdien.

Le nez est volumineux. La bouche, agrandie, renferme une langue dont la base et la moitié postérieure se sont considérablement élargies et contrastent avec la pointe, qui a conservé ses proportions normales.

Ce qui, dans le visage, attire et retient l'attention, ce sont les dimensions tout à fait exagérées de la mandibule qui donnent à la face un aspect ovalaire spécial et, au menton, la forme dite en galoche.

La voix est grave et légèrement rauque : son timbre s'est abaissé, paraît-il, depuis plusieurs années déjà.

Il n'existe pas de modifications de la vue et on ne constate pas l'hémianopsie bitemporale, pathognomonique d'une tumeur de l'hypophyse. L'augmentation de volume de la glande est cependant probable, en raison de la céphalalgie presque continue, de l'état d'hébétude assez fréquent.

La fatigue est facile, l'asthénie assez marquée : ces deux symptômes peuvent être attribués à l'infection bacillaire, dont on constate les signes manifestes dans chacun des deux poumons, surtout celui de droite, mais ils sont certainement exagérés par la dystrophie générale observée chez le sujet.

Les organes génitaux sont normalement développés; la verge est très développée : une pudeur instinctive empêche toute investigation sur leurs fonctions.

L'analyse de l'urine, pratiquée le 13 Août, permet de constater la présence du glycose et de l'albumine, mais en petites quantités; la proportion des phosphates est de 3gr,10 par litre.

Mais de toutes les manifestations de l'acromégalie, celles qui, en dehors de la face et plus particulièrement de la région de la mâchoire inférieure, retiennent le plus l'attention, ce sont les proportions

acquises par les extrémités (mains et pieds). Les avant-bras sont remarquables aussi par leur puissante ossature.

Quant à la prolongation anormale de la croissance, si, à cause des difficultés que présentait un examen complet, pratiqué à la campagne, on n'a pu recourir à l'usage des rayons de Rœntgen et reconnaître la non-ossification des cartilages juxta-épiphysaires, elle peut être affirmée, en se basant sur la constatation suivante : la hauteur de la taille, qui était de 1m,81, au moment du départ pour le régiment (Novembre 1902). est aujourd'hui (Août 1905) de 1m,85. Il existe également des douleurs diffuses dans les membres, plus particulièrement au voisinage des articulations, douleurs analogues à celles dont se plaignent les adolescents au moment des poussées de croissance.

La concordance entre l'élargissement de la selle turcique et l'hypertrophie de l'hypophyse est-elle aussi absolue que nous l'avons admis? Oui, si on se base sur les résultats fournis par l'examen du crâne de nos géants acromégaliques et des acromégaliques atteints de troubles visuels (hémianopsie bitemporale), pathognomiques d'une tumeur hypophysaire. Il est cependant un fait que, grâce à son obligeance, Huchard nous a permis de recueillir dans son service de l'Hôpital Necker, fait dans lequel nous avons constaté qu'une selle turcique largement élargie renfermait une hypophyse de moyen développement et du poids de 80 centigrammes. Le microscope devait nous donner l'explication de cette apparente contradic- tion : la glande primitivement hypertrophiée et ayant entraîné la dilatation de sa loge osseuse, s'était sclérosée, et les parois osseuses distendues n'avaient pu suivre une rétraction adéquate à celle de l'organe.

L'observation clinique et nécropsique a pu être recueillie, grâce au gracieux concours de Ambard, interne du service.

OBSERVATION XXV. (Huchard ET P.-E. Launois.) (1) Gigantisme acromégalique. — Élargissement de la selle turcique.

Hypertrophie primitive et sclérose consécutive de l'hypophyse.

Observation recueillie dans le service de HUCHARD, hôpital Necker (Mars 1905). — Tourmenté depuis quelques semaines par une toux quinteuse et fatigué par une abondante expectoration, Alexandre H.,

(1) Soc. méd. des Hôp., déc. 1903.

garçon grainetier, âgé de 60 ans, demande, le 17 mars 1905, son admission à l'hôpital Necker, et est couché au n° 34 de la salle Trousseau.

L'attention est de suite attirée par la grande taille de cet homme qui, malgré le léger affaissement dû à l'âge et à la maladie, mesure encore 1m, 96.

Les différents membres de sa famille sont bien conformés et de taille moyenne; il n'a pas entendu dire qu'il ait été ni très grand, ni très gros à sa naissance; mais il sait qu'il avait six doigts et chacune des mains (1) et qu'une opération, pratiquée de bonne heure, a fait complètement disparaître cette malformation congénitale.

Dès la douzième année, il a commencé à grandir; sa croissance s'est accélérée entre 16 et 18 ans et, au moment du tirage au sort, en 1860, il mesurait 1m,97.

Il a eu deux enfants, qui sont bien conformés et bien portants. Les fonctions génitales se sont toujours accomplies régulièrement.

La gravité de l'état dans lequel il se trouve, au moment de son admission à l'hôpital, ne permet pas de faire des mensurations très détaillées; on peut cependant relever les suivantes :

Hauteur totale du vertex au sol. 'im,ÜG Distance du grand troclianter à la maHéole externe.. 0m,95 Hauteur du grand trochantcr au-dessus du sol lm ,05

Les extrémités des membres (mains et pieds) sont très volumineuses; elles paraissent avoir subi un égal développement en longueur et en largeur.

Dimensions de la main : longueur totale. 23 centimètres.

Longueur du médius 12,5 — Circonférence du médius (2a phalange) 5,5 — Circonférence du pouce (2e phalange). 6 — Pied : longueur totale du pied. 27 centimètres.

Longueurdugrosortei). 8 1/2 — Circonférence bi-malléolaire. 25 — Circonférence du gros orteil. 91/2 —

Il n'y a pas de cypho-scoliose dorso-cervicale supérieure bien accentuée; mais on remarque une légère saillie en avant de l'angle formé par l'union du manubrium avec le corps du sternum.

La face présente les déformations très caractéristiques de l'acromégalie : les angles du maxillaire inférieur sont très écartés, bien que le prognathisme ne soit pas très apparent. Le nez est gros, mais la langue n'a pas subi d'hypertrophie énorme. En revanche, les os malaires font une saillie très exagérée, même si l'on tient compte de l'amaigrissement du malade. Mais ce qui frappe par-dessus tout, c'est l'énorme saillie des arcades sourcilères qui est telle, qu'en passant la main sur le front, on

(1) Le géant dont il est question au Deuxième Livre des Rois (liv. II, ch. XXI, 20, 21) cité par Henry Meige, avait également six doigts aux mains et aux pieds (voir page 130).

sent un véritable ressaut correspondant à la dilatation des sinus frontaux, rendue ainsi apparente, même à l'examen extérieur.

D'autre part, la protubérance occipitale externe fait une saillie très exagérée sous les téguments du crâne.

On ne note rien de remarquable, en dehors de l'affection qui amena le malade à l'hôpital, si ce n'est la trace d'une ancienne hernie inguinale opérée du côté droit et une certaine tendance aux varices.

Les organes génitaux sont bien développés.

Malgré qu'un examen complet de la vision n'ait pu être pratiqué, il faut noter qu'un examen grossier avait permis de relever un rétrécissement très notable du champ visuel dans toute la zone temporale du côté de l'œil gauche.

Il n'y a ni polyurie, ni glycosurie, ni albuminurie.

Le développement intellectuel est ordinaire.

Les signes fonctionnels (dyspnée, point de côté) et physiques (souffle, râles crépitants) avaient fait penser à l'existence d'une pneumonie droite. Mais l'absence de défervescence au terme classique, les modifications des signes sthétoscopiques (gros râles humides), celles de l'expectoration (crachats purulents, légèrement fétides, rendus par petites vomiques quotidiennes) vinrent affirmer le diagnostic de gangrène pulmonaire.

Malgré un traitement approprié (révulsion, toniques généraux, balsamiques, etc.), la mort se produisit assez rapidement, le 30 Mars, au milieu du tableau classique de l'hecticité.

A l'autopsie, pratiquée le 1er Avril, on put faire les constatations suivantes :

Hauteur totale mesurée sur la table d'autopsie lm,96 Hauteur du grand trochanter au-dessus du sol lm ,03 Circonférence du thorax (ligne mamelonnaire) 0m,92

On note un développement vraiment gigantesque du thorax, surtout en longueur : les dernières côtes touchent la crête iliaque au point qu'il n'existe plus d'échancrure costo-iliaque (1); en revanche, les espaces intercostaux sont très augmentés, par suite de l'écartement des côtes.

Les extrémités internes et externes des deux clavicules sont épaissies considérablement.

Poids du cᔹur. 4;>0 grammes.

— du foie 2ô00 — — du rein droit "270 — — du rein gauche. 200 — — de la rate. 225 —

Ces différents organes ne présentent pas de lésions grossières à l'examen macroscopique.

Des adhérences pleuro-pulmonaires nombreuses et résistantes rendent très difficile l'extirpation du poumon droit qui présente à sa partie (1) Comparer avec la description très analogue du tronc de JEAN-PIERRE MAZAS (Obs. IX, page 216).

moyenne une énorme caverne remplie d'un pus très fétide, semblable à celui des petites vomiques observées avant la mort. Il s'agit là d'un foyer typique de gangrène pulmonaire. Il n'y a en aucun point de granulations tuberculeuses.

Le crâne étant ouvert et après l'extraction du cerveau, deux faits attirent l'attention : 1° Les sinus frontaux ont subi une dilatation extrême : de chaque côté de la cloison médiane, un peu déviée sur la droite, les sinus, ouverts par la section de la calotte crânienne, représentent deux cavités symétriques capables de contenir une noix environ et présentant les dimensions suivantes :

Diamètre transversal lf."> millimètres.

— antéro-postérieur 57 — — vertical 20 —

2° La selle turcique est notablement augmentée dans tous les sens, ainsi que l'attestent les dimensions suivantes :

Diamètre transversal 27 millimètres (1).

— antéro-postérieur 19 —

Mais, après avoir enlevé la tente de l'hypophyse et isolé soigneusement la glande pituitaire, d'ailleurs de consistance assez ferme et facile à séparer des parties molles environnantes, on est très surpris de constater que cet organe est très au large dans une loge osseuse visiblement trop grande pour lui. Pour employer une comparaison plus frappante que celle des chiffres ci-joints, nous dirons que le corps pituitaire apparaissait comme un petit haricot dans une cavité faite pour loger au moins une noix.

En effet, dans la selle turcique dilatée dont nous avons donné les dimensions, n'était logée qu'une petite hypophyse, d'un poids de 0,80 centigrammes, c'est-à-dire à peine supérieur au poids moyen.

Le poids global de l'encéphale est de 1350 grammes, dont 1270 comme poids propre au cerveau.

(1) Normalement les dimensions de la selle turcique sont très variables, le bord antérieur et les bords latéraux étant irréguliers et mal définis : par exemple, la divergence des apophyses clinoïdes antérieures peut varier sans être en relation nécessaire avec des variations parallèles de la cavité qu'elles limitent. Toutefois, les dimensions normales, d'après WOODS HUTCHINSON (New- York med. Journal, 21 juillet 1900), ne varient guère qu'entre les chiffres suivants :

Diamètre transversal : de 12 à 20 millimètres.

— antéro-postérieur: de. 10 à 15 —

Il est vrai que la seule dilatation de la fosse pituitaire est insuffisante à établir le diagnostic certain d'acromégalie. HINSDALE (Acromegaly. Mediciné, 1898) cite un crâne du Musée Dupuytren dont la selle turcique a un diamètre antéro-postérieur de 18 millimètres et qui ne présente aucune malformation acromégalique. Mais ici nous avions l'extrême dilatation des sinus frontaux et tous les stigmates caractéristiques du tronc et des extrémités pour confirmer le diagnostic.

L'examen histologique de l'hypophyse, pratiqué au Laboratoire, nous a permis de faire les constatations suivantes : La pièce, recueillie tard après la mort, ne présente pas de détails cytologiques bien nets.

On peut pourtant constater les faits-suivants : 1° Le lobe glandulaire paraît atrophié; il n'occupe environ qu'un

FIG. 82. — Base du crâne d'un géant acromégalique.

(HUCHARD et P.-E. LAUNOIS.)

tiers du volume total de la glande. L'organe, par ce fait, a subi une sorte de rétraction et sa face supérieure est excavée.

2° La charpente conjonctive de l'organe est extrêmement hypertrophiée, surtout au voisinage du lobe nerveux. Dans cette région, entre les cor- dons cellulaires, on trouve des travées qui atteignent jusqu'à 80 µ.

Dans des points éloignés du lobe nerveux le stroma conjonctif est extrêmement développé : il se forme un véritable réticulum dans les mailles duquel sont logées les cel-

lules glandulaires. Cet aspect fait absolument songer au tissu adénoïde.

D'autant plus qu'en certains points où les cellules altérées sont touchées, le réticulum apparaît comme si la coupe avait été pinceautée.

3° Les éléments nobles de la glande, très altérés, semblent appartenir pour la plupart au type cyanophile. Nombreux sont les points où ces cellules disposées en couronne entourent une goutte de substance amorphe dite colloïde (?) 4° En d'autres endroits où le type cyanophile n'est pas reconnaissable, il est impossible de rattacher les cellules à un type quelconque, d'autant plus qu'alors les éléments glandulaires sont très multipliés; leur protoplasma est très exigu par rapport à leur noyau.

5° Il semble bien qu'en certains points il y ait infiltration embryonnaire de la glande.

TROISIÈME PARTIE

GIGANTISME — INFANTILISME — ACROMÉGALIE

Autour des deux observations capitales que nous avons recueillies et commentées nous avons cherché à grouper les autres faits et à tracer les caractères distinctifs qui séparent les géants infantiles des géants acromégaliques.

Cette répartition de tous les géants en deux groupes (1) ne va pas toutefois sans présenter quelque difficulté. Il est certains faits, celui de Caselli par exemple (acromégalie avec gigantisme, compliquée de sarcome du maxillaire inférieur et de myxome de la fosse iliaque) (page 391) où la complexité des symptômes échappe à toute classification. Il en est d'autres, comme celui rapporté par Bonardi (acromégalie et gigantisme avec troubles trophiques graves du sympathique cervical gauche) (page 560), qui ne sont, actuellement, susceptibles d'aucune explication rigoureusement scientifique.

Mais la raison, pour laquelle une distinction entre le gigantisme infantile et le gigantisme acromégalique ne peut être aussi irréductible qu'on serait tout d'abord tenté de l'admettre, est fournie par l'étude de l'évolution des géants aux cartilages juxta-épiphysaires non ossifiés.

Dès les premiers examens que nous avons pratiqués chez le Grand Charles (géant infantile type), nous avons recherché si on ne constatait pas déjà, chez lui, quelques-uns des traits caractéristiques de la Maladie de Pierre Marie. Lorsque nous

(1) LANGER avait déjà proposé de distinguer deux types de géants : l'un, élancé, haut sur jambes, avec le tronc relativement court; l'autre, plus massif, avec le tronc plus long. Luc. cit.

l'avons présenté à la Société de Neurologie, nous résumions de la façon suivante les constatations qu'il nous avait été permis de faire.

Actuellement, en ne se basant que sur son habitus extérieur, on ne peut dire que le Grand Charles soit un acromégalique : il n'en a ni le facies si typique, ni l'hypertrophie disproportionnée et caractéristique des mains et des pieds, ni la cyphose cervico-dorsale, etc. Sa tête semble petite, surmontant un aussi

FIG. 83. — Radiographie du crâne du Grand Charles, montrant l'inégale épaisseur des parois du crâne, la dilatation des sinus frontaux, le ressaut post-lambdoïdien et l'agran- dissement de la selle turcique.

grand corps; ses pieds et ses mains sont énormes, il est vrai, mais leur développement est assez en rapport avec celui des autres segments des membres ; enfin, si son thorax présente une scoliose à concavité droite, celle-ci, réductible, est en rapport avec l'attitude hanchée rendue obligatoire par la déformation du genou gauche.

Cependant la comparaison des mensurations recueillies en

1899 avec celles plus récentes de 1902 montre qu'il est survenu, au cours de ces trois années, certaines modifications intéressantes dans la charpente osseuse : le thorax s'est déve- loppé d'une manière assez notable (circonférence = 1m,015 en 1899; 1m,040 en 1902); la longueur des mains s'est accrue (de 255 à 245 millimètres) ; enfin la tête présente des modifications très caractéristiques. En effet, si le crâne s'est développé d'une manière assez régulière dans ses différents diamètres transverses et antéro-postérieurs (augmentation de 2 millimètres pour le diamètre transverse maximum, etc.), en revanche, à la face, les dimensions verticales se sont accrues d'une manière tout à fait particulière et facile à apprécier dans le tableau comparatif suivant :

Mai 1899. Nov.1902. Accroissement.

millimètres. mi,llimètres. millimètres Hauteur ophryo-mentonnière. 154 159,5 + 4,5 Hauteur ophryo-alvéolaire 102 102 -)-0

Comme la hauteur totale (ophryo-mentonnière) a augmenté et que la portion ophryo-alvéolaire n'a pas varié, il en résulte nécessairement que l'augmentation de 4mm,5, survenue en trois ans, porte d'une manière exclusive sur la portion située au-dessous du point alvéolaire, c'est-à-dire sur le maxillaire inférieur.

On note donc déjà une tendance assez marquée à l'hyper- trophie localisée du maxillaire inférieur, hypertrophie qui constitue l'un des premiers et principaux signes de la Maladie de P. Marie ; et il semble qu'en ces trois dernières années le Grand Charles se soit, pour ainsi dire, acromégalisé (1).

Sur le conseil que nous donna Pierre Marie de faire radiographier le crâne du géant Charles, nous avons prié Béclère, dont la compétence en pareille matière est bien connue, de pratiquer cette recherche. Les épreuves radiographiques qu'il obtint furent des plus démonstratives, elles permirent, en effet, de constater : l'agrandissement très notable de la selle turcique, le développement exagéré des sinus frontaux, l'inégale

(1) LANGER avait déjà noté que, chez les géants, « l'excédent des hauteurs sur les largeurs ne se manifeste pas seulement aux pièces longues squelettiques, mais aussi sur toute la figure». — Wachsthum des menschlichen Skelettes mit Bezug auf den Ricsen. Denkschriflen der kais. Acaclemic der Wissen- schaften in Wiell, Math.-naturw. Classe, Bd.XXXI, 1872, S. 1, p. 91; et Anatomie der Formen des menschlichen Körpers, p. 81.

épaisseur des parois du crâne et enfin une exagération du ressaut post-lambdoïdien.

En se basant sur ces constatations, qui sont caractéristiques du crâne acromégalique, il ne suffit donc plus de dire que le géant Charles est en train de s'acromégaliser : il faut convenir qu'il est véritablement un acromégalique et que s'il ne présente pas encore toutes les déformations caractéristiques apparentes de la Maladie de Pierre Marie, son squelette est déjà modifié et son hypophyse déjà hypertrophiée.

Ces données précises nous montrent que la distinction entre les deux variétés de géant infantile et de géant acromégalique, vraie dans l'espace, n'est pas irréductible dans le temps, c'est-à-dire que le type infantile, demeuré pur pendant un certain nombre d'années, tend à évoluer vers le type acromégalique, pour se confondre complètement plus tard avec lui.

Cette fusion de deux types morphologiquement différents en un type unique s'opère à une époque que nous n'avons pu nettement déterminer : se dessinant progressivement à mesure que les cartilages juxta-épiphysaires s'ossifient et diminuent d'épaisseur, elle devient complète, quand les épiphyses sont complètement ou presque complètement soudées aux diaphyses. Pendant la vie, on voit apparaître et évoluer avec une progression croissante les déformations acromégaliques et, à l'autopsie, on constate les altérations caractéristiques, en particulier la tumeur hypophysaire avec élargissement consécutif de la selle turcique.

L'étude, que nous avons pu faire, grâce à l'extrême obligeance de Dufrane (de Mons) du squelette du célèbre géant Constantin, nous a fourni l'explication des relations qui existent entre le gigantisme et l'acromégalie et a apporté la confirmation irréfutable de l'exactitude de nos recherches.

OBSERVATION XXVI. (Dufrane, P.-E. Launois ET Pierre Roy)(1).

Le géant Constantin.

Si nous manquons de renseignements rigoureusement scientifiques sur les antécédents héréditaires ou personnels du géant COSTAN-

(1) A. DUFRANE (de Mons), P.-E. LAUNOIS et P. ROY, Les relations du gigantisme et de l'acromégalie expliquées par l'autopsie du géant CONSTANTIN.

Bulletins et Mémoires de la Soc. méd. des Hôp. de Paris, séance du 8 mai 1903.

TIN, nous avons pu savoir qu'il était né, en 1872, dans le Wurtemberg, que ses parents ainsi qu'un frère étaient de taille ordinaire. Seul dans la famille, un oncle, supérieur du couvent de Sursee, aurait eu la taille de 2m,03. Mais nous savons quel cas il faut tenir de renseignements de ce genre et ce qu'il faut penser du gigantisme familial ou héréditaire.

D'après la notice biographique que distribuait CONSTANTIN ('), à l'âge de 14 ans il mesurait 1m,94

FIG. 84. — Le géant Constantin.

et à partir de cette époque sa taille se serait mise à croître de 15 centimètres par an. Elle aurait atteint

FlG. 85. — Le géant Conslantin.

2m,59 en 1898; mais il faut toujours se méfier des mensurations fournies par les hommes phénomènes.

Son pied mesurait 44 et sa main 3 centimètres. Son poids était de 168 kilogrammes.

Sur la photographie qu'a bien voulu nous com-

muniquer HENRY MEIGE, il est facile de constater deux caractères qui nous paraissent dominants : c'est, d'une part, la déformation de la face (saillie accentuée des os malaires, prognathisme énorme du maxillaire inférieur); c'est, d'autre part, l'allongement exagéré des membres inférieurs que la taille de l'habit dont il est revêtu rend plus apparent encore.

Ces déformations si caractéristiques n'avaient pas échappé à l'attention du Dr WOIMANT, pendant le séjour qu'avait fait CONSTANTIN à Soissons. Il nous a fourni quelques détails intéressants sur la mentalité

(1) Le géant CONSTANTIN s'exhibait à Paris au cours de l'année 1899.

de l'homme phénomène, mentalité qui était celle d'un grand enfant et sur son genre d'alimentation : le géant vivait surtout de pâtisseries et de sucreries.

Vers la fin de l'année 1901, pendant un séjour qu'il faisait en Belgiqur,

FIG. 80. — Base du crâne du géant Constantin.

(Dilatation de la selle turcique.)

le géant CONSTANTIN se présenta à l'Hôpital de Mons pour y recevoir les soins que nécessitait une gangrène symétrique des deux pieds.

A. DUFRANE pratiqua l'amputation de la jambe droite et les résultats furent aussi satisfaisants que possible.

L'état du moignon était tel le 26 Février 1902 qu'il eût permis l'adap-

tation de l'énorme jambe de bois qui avait été fabriquée; mais le membre inférieur gauche, dont les lésions s'étaient étendues, s'affaissait, pour ainsi dire, sous le poids du corps.

Après des hésitations assez compréhensibles, le malheureux, qui dépérissait de jour en jour, consentit à une seconde amputation. Le 7 mars 1902, le genou gauche fut désarticulé par le procédé de CHALOT.

Les suites opératoires furent satisfaisantes pendant les premiers jours; mais le malade, fort indocile, dérangea son pansement et infecta sa plaie. Une partie du lambeau se sphacéla et la fièvre apparut.

Le 26 mars, des douleurs éclatèrent un peu partout; elles atteignirent leur maximum au niveau des articulations; la respiration s'embarrassa, la toux s'accompagna d'une abondante expectoration muco-purulente.

En proie à une véritable septicémie, l'opéré succomba le 30 mars.

L'autopsie fit découvrir les lésions habituelles de l'infection purulente : les diverses articulations, plus particulièrement celles du poignet et de l'épaule gauches, étaient remplies de pus. Les bases des poumons étaient gorgées de sang et laissaient sourdre du muco-pus en abondance. Les deux sommets étaient farcis de tubercules, dont quelquesuns en voie de ramollissement.

On constata aussi un gigantisme viscéral marqué (cœur et foie en particulier) et par contre une atrophie notable des testicules, qui n'étaient représentés que par deux petites masses du volume d'un haricot.

Mais de toutes les modifications observées la plus intéressante fut, sans contredit, l'énorme développement de la glande pituitaire, dont les dimensions dépassaient celles d'une noix. La selle turcique, qui la logeait, était tellement large et profonde, qu'après avoir enlevé les hémi- sphères cérébraux et le cervelet, on eût pu croire à l'existence de deux canaux rachidiens juxtaposés.

Si nous ne pouvons apporter aujourd'hui les résultats fournis par l'examen des coupes microscopiques de la tumeur hypophysaire, examen qui a été confié au professeur LEMAIRE, de Louvain, du moins il est facile, par l'examen de la base du crâne, d'apprécier les dimensions considérables qu'elle avait acquises. La selle turcique, qui la logeait, présente les dimensions suivantes :

Diamètre antéro-postérieur 30 millimètres.

Diamètre transversal (y compris les deux cavités accessoires symétriques) 36 — Profondeur. 30 —

1° Le crâne de CONSTANTIN, en raison même de l'énormité de ses déformations, peut être pris comme type du crâne acromégalique.

Il en est de même de la face où la saillie des os malaires ne le cède en rien au prognathisme de la mandibide. Ce prognathisme est si accentué qu'un intervalle de trois doigts sépare d'avant en arrière les deux arcades dentaires l'une de l'autre.

2° Chez CONSTANTIN, comme chez les autres géants infantiles, l'inap-

pétence sexuelle, qui nous a été signalée par A. DUFRANE, était en rapport avec l'atrophie congénitale des testicules.

3° L'allongement disproportionné des membres inférieurs, déjà visible sur les photographies, est pleinement confirmé par la mensuration de son fémur monstrueux, long de 76 centimètres.

4° Quant à la persistance anormale des cartilages de conjugaison au

FIG. 87. — Le crâne du géant Constantin (profil).

(Prognathisme du maxillaire inférieur.)

delà du terme habituel de leur ossification qui constitue le trait particulier et caractéristique du gigantisme infantile, elle est, chez le géant CONSTANTIN, beaucoup plus apparente encore que chez le géant CHARLES, qui, le premier, servit de base à nos recherches. En effet, chez ce dernier, la radiographie seule nous avait permis de démontrer la persistance, à l'âge de trente ans, des cartilages interdiaphyso-épiphysaires,

notamment sur le fémur, le tibia, le radius, les métacarpiens et les divers segments phalangiens des doigts, os dont l'ossification se ter-

FIG. 88. — Le crâne du géant Constantin (face).

(Augmentation du diamètre vertical de la face.)

mine normalement à un âge variant entre dix-huit et vingt-quatre ans.

Mais sur les pièces osseuses (fémur, humérus), que nous avons emprun

tées au squelette de CONSTANTIN, il est facile d'observer directement,

FIG. 89. — Le fémur du géant Constantin, comparé avec le fémur d'un adulte normal.

(L'épiphyse inférieure vient à peine de se souder à la diaphyse chez le géant.)

soit la soudure récente, soit aussi la non-soudure des diverses parties

constituantes des os. On aperçoit, en effet, sur le fémur les lignes de démarcation bien nettes qui correspondent à la jonction toute récente des deux extrémités supérieure et inférieure au corps de l'os.

Sur l'humérus, la séparation de la tête est encore complète, elle s'est

FIG. 90. — L'humérus du géant Constantin. (Non-soudure de l'épiphyse supérieure.)

faite au cours des différentes manœuvres nécessitées par la préparation du squelette. Si on considère que le géant CONSTANTIN avait plus de vingt-neuf ans quand il est mort et que la tête humérale se soude au corps de l'os normalement de vingt et un à vingt-cinq ans, chez l'homme, on reconnaîtra que cette absence totale de soudure constitue un retard vraiment remarquable de l'ossification.

De ces différentes constatations, il résulte que Constantin est tout à la fois un géant acromégalique par le crâne (dilatation de la selle turcique, prognathisme du maxillaire inférieur, etc.), et un géant infantile par le squelette des membres (allongement du train postérieur, persistance des cartilages de conjugaison) et par l'atrophie génitale.

Chez lui se trouvent réunis tous les éléments susceptibles de confirmer l'opinion formulée il y a longtemps par Brissaud et Henry Meige, opinion que nous avons cherché à étayer sur des faits et que l'on peut, en l'élargissant, formuler de la manière suivante : Le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescence (Brissaud et Meige), le gigantisme est l'acromégalie des sujets aux cartilages épiphysaires non ossifiés, quel que soit leur âge (Launois et Roy).

Pendant un certain temps, Constantin ne fut qu'un géant, un « géant pur », comme disent certains auteurs, un « géant infan- tile », comme nous le disons aujourd'hui. A l'époque de sa mort, il avait déformé son crâne et commencé à déformer sa face, mais ses os longs continuaient encore à s'accroître en longueur; il restait géant infantile par les membres alors qu'il était déjà géant acromégalique par le crâne. Il n'est pas douteux qu'une survie de quelques années, en favorisant la clôture de son ossification enchondrale retardée, ne lui eût permis de compléter le tableau classique des déformations acromégaliques. Son évolution dystrophiée aurait été en tous points semblable à celle du géant Simon Botis, chez lequel, pendant les deux dernières années de sa vie, de trente-cinq à trente-sept ans, précisément au moment où la taille cessait de croître, on vit apparaître successivement toutes les déformations acromégaliques. (Voir page 122.) L'étude biologique et anatomique du géant Constantin nous semble apporter la solution définitive du curieux problème, naguère encore discuté, des relations qui existent entre le gigantisme et l'acromégalie. Les arguments que faisaient valoir unicistes et dualistes avaient été formulés, pour la dernière fois, d'une façon précise, en 1896, à la Société médicale des Hôpitaux de Paris (séances du 1er et du 14 mai), par Brissaud et Pierre Marie.

Les dualistes admettaient que l'acromégalie est une affection caractérisée par l'hypercroissance localisée du squelette, tandis

que le gigantisme n'est que l'exagération généralisée du processus ostéogénique normal.

Au contraire, les unicistes, avec Brissaud et Henry Meige, estimaient que le gigantisme et l'acromégalie sont une seule et même dystrophie se manifestant à deux âges, ou, mieux, à deux périodes différentes de la croissance.

Les faits que nous avons rassemblés, les commentaires dont nous les avons accompagnés nous paraissent avoir apporté une confirmation éclatante à l'opinion professée par Brissaud et Henry Meige, Woods Hutchinson et tous les unicistes.

D'ailleurs, dans une des dernières leçons qu'il a professées à la Faculté, Pierre Marie (1) reconnaissait « que plus on observe, plus on rencontre de géants acromégaliques ».

L'observation du géant Charles et surtout celle du géant Constantin confirment pleinement cette assertion et on peut ajouter que, non seulement le nombre des géants acromégaliques s'élève à mesure qu'on les étudie mieux, mais aussi qu'il ne serait guère possible d'apporter aujourd'hui une observation complète de géant, basée sur des documents recueillis soit pendant la vie, soit après la mort, qui ne mentionnât un plus ou moins grand nombre de déformations acromégaliques; en sorte qu'on est autorisé à conclure que, si tous les géants ne sont pas des acromégaliques, tous ceux du moins qui ne le sont pas déjà sont aptes à le devenir.

Les tares physiques, que nous venons d'analyser, s'accompagnent de tares psychiques, qui viennent confirmer la déchéance des géants. L'étude de leur état mental mérite de retenir l'attention.

Faibles de corps aussi bien que d'esprit, dit Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (2) en parlant des géants. Nous ne saurions que confirmer cette assertion et, sans vouloir affirmer le constant parallélisme des tares physiques et des tares mentales, il est

(1) PIERRE MARIE, Leçons inédites sur les maladies du système nerveux professées à la Faculté de médecine de Paris, 1903 (d'après les notes recueillies par l'un de nous).

(2) Loc. cit., t. I, p. 182.

certain que tous ces géants dont nous avons décrit le corps dysharmonieux et contrefait ne sauraient posséder un bel esprit et bien équilibré.

De tout temps l'inintelligence des géants a été célébrée dans tous les pays par la victoire sur eux des petits au corps souple et à l'esprit subtil : les ruses de David triomphent aisément de la lourdeur de Goliath; on a comparé, sans avantage pour le plus grand, l'intelligence qu'expriment les deux figures prêtées par les Grecs au colossal Hercule et à l'harmonieux Apollon ; les géants réunis à la cour de Vienne restent impuissants et désarmés devant les moqueries de leurs compagnons, les nains; etc., etc. (1).

Nos observations et celles que nous avons reproduites n'infirment guère le sentiment antique et universel sur la faible intelligence des géants. On trouve parmi eux, a-t-on dit, plus de tambours-majors que d'académiciens. Cette boutade reste vraie en ce qui concerne nos observations et, si nous avons observé et décrit un ancien tambour-major haut de 2m,12, (Obs. VIII, page 159), en revanche aucun autre géant n'est venu compenser cette vérification par l'éclat de son esprit. De profession, ils n'en ont pas; leur hauteur les a dispensés d'apprendre un métier; leur stature les fait vivre, simples phénomènes forains ou peu redoutables lutteurs. Les observateurs ne parlent guère de facultés mentales et réservent tous leurs soins pour l'étude de leurs anomalies physiques.

Pourtant, en réunissant quelques-uns des traits mentionnés, on peut voir que la mentalité de la plupart des géants est identique et caractérisée surtout par une débilité des trois grands modes de l'activité psychique. Cette lenteur des réactions qui en fait des êtres mous, efféminés, sans énergie ni volonté, se retrouve dans les divers processus intellectuels proprement dits : sensations émoussées, perceptions imprécises, mémoire languissante, pauvreté d'imagination; l'état de leurs facultés d'acquisition et de conservation ne leur permet guère d'arriver à un haut degré de culture intellectuelle, leurs goûts les portant bien plus vers les tours de force aisés que vers les études ardues. Mais c'est surtout dans les facultés d'élaboration

(1) Voir chap. II 52.

(raisonnement, jugement, etc.) que se traduit leur débilité intellectuelle : notre géant Charles, au milieu de sa grande détresse physique et morale, a gardé une partie de la verve qui lui permettait autrefois de composer les boniments destinés à racoler les curieux; aujourd'hui, pour exploiter la charité, ses mots ne sont jamais bien compliqués (1).

Chez le grand Charles, comme chez beaucoup d'autres géants, les troubles psychiques se manifestaient dans le domaine de la sensibilité bien plus encore que dans celui de l'activité et de l'intelligence proprement dite : fanfarons, au point de se targuer d'une vigueur invraisemblable ou de s'attribuer d'impossibles exploits génésiques, les géants sont menteurs par métier, pour ainsi dire; ils mentiront sur la mesure exacte de leur taille, sur celle de leurs parents, sur leur âge, sur leur histoire, sur tout en un mot, et l'on conçoit la difficulté qu'il y a en certains cas à prendre d'eux une observation authentique. Indolents, susceptibles, peu aimables, irascibles, insociables, ils ne se prêtent guère aux exigences de la vie en commun : Charles, hospitalisé à Bicêtre, n'avait pu y demeurer; K., notre ancien tambour-major, s'était rendu insupportable par ses exigences dans notre salle de l'hôpital Tenon. Chez beaucoup, on trouve cette mobilité de l'humeur, cette émotivité (Charles pleurait pour un rien ; le seul fait d'attirer son attention sur son infirmité provoquait les larmes) (2), ces fanfaronnades et jusqu'à ces mensonges qui rappellent l'état mental que E. Dupré a désigné sous le nom de puérilisme (3).

Le géant lutteur A., qui ne voulut pas consentir à nous laisser prendre son observation, montrait avec orgueil ses biceps, ses bijoux, vantait sa force, sa santé, son esprit, affirmait qu'il parlait couramment toutes les langues et se targuait de fabuleux engagements pour les Amériques. (Obs. XXXIX, p. 368.) Sans vouloir insister sur tous ces faits et sans rappeler

(1) A plusieurs reprises des tentatives ont été faites pour produire de tous les géants au théâtre; mais le plus souvent ils se sont montrés incapables de remplir aucun autre rôle que celui de figurant muet.

(2) Peut-être aussi faut-il réserver une part à la dépression mélancolique des infantiles en rapport avec l'impossibilité de satisfaire leur instinct génésique.

(BÉRILLON, Soc. de palhol. comparée, 9 déc. 1902.) (3) « Leur intelligence ne dépasse pas le stade de l'enfance », dit WOODS HUTCHINSON. New-York med. Journal, 21 juillet 1900.

encore les cas cités ailleurs d'alcoolisme, fréquents chez les géants de la foire, ou d'aliénation mentale « prophétomanie » du géant Daniel, portier de Cromwell, interné à Bedlam, il semble bien que le développement intellectuel de la majorité des géants reste au-dessous de la moyenne.

On pourrait se demander si cette obnubilation intellectuelle n'est pas en rapport, dans certains cas, avec la tumeur pituitaire, dont un grand nombre de géants ont été trouvés porteurs, et ne doit pas être rapprochée de la faiblesse de mémoire et de la céphalée si fréquemment notées au cours de l'acromégalie.

Cette explication, valable sans doute seulement pour un certain nombre de cas, nous paraît cependant assez vraisemblable pour rendre compte des troubles profonds de l'humeur qui se montrèrent pendant les derniers jours de la vie de l'ex-tambourmajor K. Une tumeur cérébrale aussi volumineuse que celle qui fut trouvée à son autopsie ne va pas sans déterminer quelques phénomènes de compression intra-crânienne. Mais cette cause paraît assez exceptionnelle, et, chez le plus grand nombre, en particulier chez les géants infantiles, la débilité mentale est d'origine congénitale et ne fait que traduire l'arrêt de développement intellectuel parallèle à l'arrêt de développement physique. Le puérilisme mental de certains géants ne représente ainsi, suivant la définition classique, que la persistance, chez des sujets ayant atteint ou dépassé l'âge de la puberté, de caractères psychiques appartenant à l'enfance.

LIVRE TROISIÈME

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET PATHOGÉNIE

Les trois dystrophies, l'infantilisme, le gigantisme et l'acromé- galie, que nous venons d'étudier isolées ou associées, s'accompagnent de troubles manifestes dans la morphologie du squelette. Elles allongent certains os, épaississent leurs segments terminaux, élargissent les cavités dont quelques-uns sont creusés. Elles doivent aussi modifier plus ou moins profondément leur constitution anatomique, mais les documents que nous avons eus à notre disposition ne nous ont pas permis de poursuivre, à l'aide du microscope, les altérations survenues dans le processus histogénique formateur, ni dans la texture des os. Pour apprécier l'étendue et l'importance de ces altérations, il importe de rappeler le mode suivant lequel, à l'état normal, les os croissent en longueur et en épaisseur. La comparaison entre les résultats de l'évolution normale et de l'évolution pathologique ne sera pas dépourvue d'intérêt.

L'allongement normal des os se fait, pendant la croissance, aux dépens de deux lames demeurées cartilagineuses et situées, à chacune de leurs extrémités, entre les épiphyses et la diaphyse (cartilages de conjugaison, cartilages juxta-épiphysaires).

Dans la partie moyenne de chaque lame on trouve du tissu cartilagineux et on le voit disparaître progressivement sur les deux faces, à mesure que l'os se substitue à lui.

Les modifications, dont il est le siège, ont été minutieusement analysées par les histologistes. En allant du centre de la lame cartilagineuse vers l'os diaphysaire, on trouve en effet du tissu cartilagineux hyalin typique, dont les cellules, encapsulées, sont disséminées sans ordre dans la substance fondamentale. On

voit ensuite les éléments cellulaires, subissant une multiplication active, former des groupes de cellules filles, incluses dans des capsules mères, allongées, disposées parallèlement les unes à côté des autres et perpendiculairement au plan du cartilage de conjugaison. Broca avait donné à cette couche le nom de couche chondroïde; comme il ne s'agit pas d'une formation semblable à du cartilage mais bien de cartilage vrai, dans lequel les éléments sont disposés d'une façon particulière, on l'appelle plus justement, avec Ranvier, cartilage sérié.

En se rapprochant davantage de la diaphyse, on voit immédiatement succéder à la zone précédente une couche dans laquelle les piles cellulaires sont de moins en moins régulières.

Les plus avancées dans leurs transformations se désagrègent et se groupent en amas irréguliers, après avoir résorbé leurs capsules propres. Elles se présentent sous l'aspect de masses sphériques ou ovoïdes de protoplasma avec un noyau et sont redevenues cellules embryonnaires. Les cavités qui les contiennent sont limitées par des bords festonnés, irréguliers et les travées sinueuses, qui les séparent les unes des autres, se sont infiltrées de sels calcaires, dont on surprend, par places, le dépôt sous la forme de granulations fines ou de grains anguleux. Le tissu, qui a un aspect blanc mat tout à fait particulier, est appelé cartilage calcifié.

Ainsi modifié dans sa constitution histo-chimique, le tissu cartilagineux est attaqué par des macrophages, les ostéoclastes; ils éventrent les travées, ouvrent les capsules et préparent le chemin aux vaisseaux embryonnaires, amenant avec eux des cellules conjonctives, les ostéoblastes, qui vont prendre la place occupée par les cellules cartilagineuses. On donne à cette couche le nom de zone ostéoïde ou ossiforme.

Les lamelles osseuses avec leurs cellules caractéristiques ne tardent pas à apparaître : en effet, à la partie inférieure de la zone ossiforme, on voit les cellules se disposer régulièrement à la surface des travées cartilagineuses calcifiées et y produire graduellement, par élaboration de leur protoplasma, des stratifications successives de tissu osseux. Les travées de cartilage calcifié, servant de support, méritent à juste titre l'appellation de travées directrices de l'ossification qu'on leur a donnée et la zone, qui les renferme, celle de zone d'ossification. Ainsi se

forme du tissu osseux, primitivement spongieux, qui se continue avec celui du corps et des extrémités de l'os.

Sans insister plus longuement sur le sort réservé aux cellules cartilagineuses revenues à l'état embryonnaire, nous admettrons, avec les classiques, que, par aucun de ses éléments, le tissu cartilagineux ne se transforme en tissu osseux. S'il présente une multiplication active de ses cellules, c'est qu'il doit croître en même temps que l'os s'édifie, car toute portion d'os, une fois formée, ne croît plus; elle est soumise à de multiples remaniements intérieurs, mais le volume de sa masse totale ne subit pas de variations. « L'os en formation, dit Mathias Duval (1), est comme une ville qu'on démolit et qu'on rebâtit continuellement, mais dont la superficie ne s'étend pas. » Le processus, que nous venons d'analyser, est un véritable processus néoplasique, dans lequel un tissu nouveau se substitue à l'ancien, sans lui emprunter ses éléments constitutifs, en les utilisant simplement comme moyen de soutien au cours de son édification.

Le mode d'ossification, dont nous venons de résumer les étapes, est un mode actif et continu. Il se poursuit en effet lentement pendant l'enfance et, au moment de l'adolescence, il s'exagère, souvent d'une façon brusque, déterminant une croissance plus ou moins rapide. Celle-ci s'arrête d'une façon définitive, chez l'homme, vers l'âge de vingt-quatre à vingt-cinq ans, ainsi qu'il a été précédemment indiqué (page 48). Si on examine alors la région qui correspondait à la bande cartilagineuse juxta-épiphysaire, on n'en retrouve plus de traces : le cartilage a fait place à l'os et la fusion de l'épiphyse à la diaphyse est complète. Cette fusion, si facilement observable sur le squelette, après la mort, l'est également aujourd'hui, grâce à la radiographie, pendant la vie. A l'âge de 25 ans, chez l'homme, tous les cartilages de conjugaison ont disparu.

Quand l'ossification en longueur est close, la taille a acquis des dimensions qu'elle ne pourra plus dépasser; elle tendra au contraire à diminuer progressivement, à mesure que l'individu avancera vers la sénescence.

Mais, en même temps que les os s'allongent, ils s'épaississent :

(') MATHIAS DUVAL, Cours d'Histologie à la Faculté (inédit).

l'épaississement des os est en rapport avec les fonctions du périoste.

Cette membrane n'épuise pas en effet son activité formatrice pendant les premières années de la vie ; elle la conserve pendant toute la durée de la croissance du squelette. Lorsque le développement du squelette est complet, la couche ostéogène devient stérile; toutefois, ainsi que l'ont démontré les expériences si savamment conduites par Ollier ('), on peut rendre au périoste adulte les propriétés formatrices du périoste jeune. Il suffit, pour cela, de le soumettre à une irritation lente et aseptique : en le piquant, en le décollant, en le dilacérant même, mais sans le faire suppurer, on provoque une périostite plastique. La membrane se vascularise, s'épaissit : sa couche ostéogène redevient active et donne naissance à des lamelles osseuses qui se superposent à celles déjà existantes.

Tels sont les deux processus qui, concourant à l'allongement et à l'épaississement des os, aboutissent à la constitution définitive du squelette. Normalement leur évolution s'arrête, chez l'homme, entre la vingt-quatrième et la vingt-cinquième année. Mais, sous des influences diverses, la croissance en longueur peut se poursuivre bien au delà du terme habituel; de même, des os, déjà complètement formés, peuvent s'épaissir plus particulièrement au niveau de leurs extrémités.

La prolongation de la croissance en longueur est bien due, comme l'avait supposé Brissaud, à la persistance anormale du processus ossificateur dans les cartilages de conjugaison et il s'agit bien d'une hypercroissance par continuité d'un processus normal au delà de ses limites habituelles. De même l'épaississement des os, et plus particulièrement des extrémités des os, est bien dû, comme l'avait démontré Pierre Marie, à la réviviscence de l'activité ossificatrice du périoste.

Quant à la cause qui entretient ou qui réveille, dans certains organismes, le processus formateur de la substance osseuse, elle est demeurée pendant longtemps méconnue. Les travaux entrepris dans ces dernières années, sans avoir complètement élucidé les conditions qui régissent le développement du squelette, ont cependant permis d'entrevoir, sinon de nette-

(1) OLLIER, Traité des résections et des opérations conservatrices que l'on peut pratiquer sur le système osseux. — La régénération des os et les résections sous-périostées. Encyclopédie Léauté.

ment déterminer, le rôle qui appartient aux glandes à sécrétion interne (1).

RÔLE DES GLANDES A SÉCRÉTION INTERNE

Les constatations faites soit chez les individus privés congénitalement de leurs testicules, de leurs ovaires, soit chez les eunuques, soit chez les animaux castrés, ont mis en lumière les relations qui existent entre le gigantisme ct les glandes génitales.

1° GLANDES GÉNITALES. — Il est de notion courante que la croissance du squelette est surtout active au moment de la puberté, c'est-à-dire à la période de la vie où se développe l'appareil de la reproduction. On sait aussi qu'elle s'arrête quand ce même appareil a atteint son summum de développement.

Si les glandes génitales sont atrophiées dès la naissance, ou enlevées avant la puberté, la croissance du squelette se poursuit comme chez un enfant et de la même façon, c'est-à-dire par persistance de l'ossification dans les cartilages juxta-épiphysaires. De plus, comme chez l'enfant ou, mieux encore, comme chez le pubère, elle est surtout active au niveau des extrémités des os longs de l'arrière-train. Non seulement les os s'allongent, mais ils sont encore profondément modifiés dans leur constitution anatomique. « A la coupe, écrit Poncet (2), dont le dire a été confirmé par son élève Pirsche (3), la substance compacte semble un peu augmentée de volume et le canal médullaire est agrandi. Les os sont plus droits qu'à l'état normal, les inflexions et les courbures y sont absentes ou peu accusées. Ces modifications sont surtout marquées au niveau des os qui forment le squelette des membres postérieurs. » Quelle explication pouvons-nous donner de ces faits, aujourd'hui qu'instruits par Brown-Séquard nous savons que les glandes génitales possèdent une véritable sécrétion interne,

(1) ROBERT CARUETTE, Les dystrophies du cartilage de conjugaison dans leurs rapports avec la croissance générale du squelette. Thèse de Paris, 1904.

(2) PONCET, Influence de la castration sur le développement du squelette.

Congrès de l'Assoc. franc., etc. Session du Havre, 26 août 1877, et Soc. de Méd.

de Lyon, 23 mars 1896.

(3) PIRSCHE, Thèse de Lyon, 1902.

indispensable au bon fonctionnement de l'organisme? Nous ne pouvons répondre que par des hypothèses et rappeler, avec Delbet (1), les observations de Truzzi sur l'influence favorable de la castration dans la cure de l'ostéomalacie, la pratique de Fochier (2) et de nombre de chirurgiens. Curatullo et Torcelli (3), Gomès (4) ont montré que la castration, comme la ménopause, modifie la composition normale de l'urine, diminue sensiblement la quantité d'acide phosphorique éliminé et la teneur en sels. Ainsi se trouve en partie expliqué le rôle que peut jouer l'ablation des glandes génitales sur la décalcification morbide du squelette constatée dans l'ostéomalacie et peut-être aussi le rôle de l'atrophie et de l'ablation des mêmes glandes dans les modifications du chimisme urinaire observé chez les géants infantiles (page 67).

De même, dans l'acromégalie, affection dans laquelle les troubles génitaux sont fréquents et précoces, on a constaté des modifications dans la composition de l'urine. Si certains observateurs, Schiff (5), Ruttle et Duchesneau (6), admettent une élimination plus abondante qu'à l'état normal de phosphore, d'autres, tels que von Moraczewski (7), Tanszk et B. Vas (8), Parhon (9), constatent au contraire sa rétention dans l'organisme. Cette rétention ne doit pas être sans relations avec les modifications observées dans l'ossature, et on comprend que Freud et Verstraeten (10) admettent que l'acromégalie, comme pour nous certains cas de gigantisme, soit due à un défaut de fonctionnement des glandes génitales. Il n'est pas, dès lors, irrationnel de supposer que la castration ou des troubles importants dans le fonctionnement des glandes génitales retentissent

(1) DELBET, Traité de Pathologie générale de Bouchard, t. V, p. 318.

(2) FOCHIER, Académie de Médecine. Séance du 14 avril 1903.

(3) CURATULLO et TORCELLI, L'influence de l'exlirpation des ovaires sur l'échange des matières. Therapeutische Wochenschrift, 1895, p. 451 à 454.

(4) GOMÈS, De l'opothérapie ovarienne. Thèse de Paris, 1898.

(5) SCHIFF, Wiener klin. Woch., 1897, n° 12, p. 279.

(6) RUTTLE et DUCHESNEAU, cité par Parhon, p. 10.

(7) W. D. von MORACZEWSKI, Stoffwechesel bei Agromegalie unter der Behandlung mit Sauerstoff, Phosphor, etc. Zeitschrift für klin. Med., 1901, Bd. XLIII, Heft 3 und 4.

(8) J. TANSZK et B. VAS, Beiträge zum Stoffwechsel bei Akromegalie. Peters.

Mediz. Chirurg. Presse, 1899, n° 9.

(9) C. PARHON, Contributiuni la Studiul schimburilor nutritive in Acromegalie.

Bucuresti, 1903.

(10) FREUD et VERSTRAETEN, cité par Parhon, p. 57.

sur la constitution du squelette, en supprimant la source d'un produit qui normalement active l'oxydation des substances organiques phosphorées. Cette supposition est d'ailleurs d'accord avec la constatation bien établie du pouvoir oxydant du suc testiculaire et de la spermine. En tout cas, ce trouble, causé par la castration dans l'oxydation des matériaux phosphorés aux dépens desquels sont formés les os, suffit à expliquer l'influence de la suppression des glandes génitales, tout au moins sur le développement d'un squelette encore jeune, encore incomplet dans son évolution. « Il est hors de doute.

écrit Guinard (1), que c'est à une stimulation des échanges et des oxydations qu'il faut ramener l'influence tonifiante des glandes génitales et de leur sécrétion interne. Mais, à ce point de vue, ces glandes peuvent trouver des suppléances, soit dans les autres glandes et les autres éléments, soit dans la stimulation générale et la suractivité fonctionnelle qui proviennent du mouvement et du travail musculaire. » Le problème de la suppléance les unes par les autres des glandes à sécrétion interne, tout nouvellement posé, n'a pas encore reçu sa solution. Cependant les données recueillies sont fort importantes et déjà pleines de promesses. C'est ainsi que l'on a cherché à établir la part qui revient au thymus, à la glande thyroïde, à l'hypophyse dans les troubles de l'ossification.

2° THYMUS. — La persistance du thymus ou sa réviviscence a été constatée plusieurs fois à l'autopsie des acromégaliques.

Cette constatation a amené Klebs à regarder l'affection comme due à un fonctionnement exagéré de cet organe, susceptible de jeter dans la circulation des germes vasculaires, allant se fixer au niveau des extrémités des os. Une semblable hypothèse ne mérite même pas de retenir l'attention ; il n'en est pas de même pour celle qui a été formulée par Massalongo et qu'on peut résumer de la façon suivante : l'hypertrophie constante du corps pituitaire et celle fréquente du thymus, organes ayant une importante fonction pendant la vie fœtale, ont conduit cet auteur à admettre, dans l'acromégalie, la persistance des fonc-

(1) GUINARD, art. CASTRATION du Dictionnaire de Physiologie de Ch. Richet, t. II, p. 193.

tions de certaines glandes fœtales. Tant que l'organisme est en voie de développement, les proportions sont conservées et les déformations ne sont qu'apparentes. A peine ce développement, cette croissance, de par l'évolution ordinaire de l'organisme, viennent-ils à s'arrêter, au voisinage de la vingtième année, qu'on voit apparaître les premières manifestations de l'acromégalie et, s'il en est ainsi, c'est que les glandes fœtales continuent à fonctionner et, contrairement à leur habitude, ne rentrent pas en régression.

Certains faits anatomo-pathologiques, en particulier celui rapporté tout dernièrement par de Silvestri (1), tendent à établir une connexion entre l'apparition des déformations acromégaliques et la persistance du thymus.

3° THYROÏDE. — En ce qui concerne les relations de la thy-

roïde avec les troubles de l'ossification (2), les documents sont tout à la fois plus nombreux et plus importants.

En 1894, Gley (3) a montré à la Société de Biologie une chèvre à laquelle il avait pratiqué l'ablation de la thyroïde à l'âge

FIG. 91.

de 6 mois et qui, à la suite de cette opération, avait présenté, entre autres phénomènes, une petitesse très marquée de la taille.

L'année suivante, Trachewski (4) démontre l'action de la glande thyroïde

de la mère sur le développement du squelette du fœtus.

Hofmeister (5) (1895) observa sur des lapins, auxquels il avait enlevé la thyroïde, que le raccourcissement consi-

(1) ENRICO DE SILVESTRI, Sarcoma del mediastino ed acromegalia. Riforma medica, anno XIX. Num. 51, 1903.

(2) C. DENIS, De l'influence de la glande thyroïde sur le développement du sque- lette. Thèse de Lyon, 1896. — BOULLENGER, De l'action de la glande thyroïde sur la croissance. Thèse de Paris, 1896.

(3) GLEY, Comptes rendus de la Société de Biologie, mai 1874.

(4) TRACHEWSKI, cité par DANIS, p. 20.

(5) HOFMEISTER, Beitrag für Klin. Chir., 1894. Semaine médicale, 1894.

dérable des os en longueur ne consiste pas dans une ossification prématurée du cartilage de conjugaison, mais au contraire, dans la diminution de la prolifération cellulaire du cartilage de conjugaison, qui est le siège de modifications multiples.

Eiselsberg (1) fait une étude expérimentale très complète du développement du squelette chez les animaux thyroïdectomisés et montre l'arrêt de la croissance sur trois agneaux et trois chevreaux. Sur ces derniers animaux, il note les mensurations suivantes :

Animal témoin. Bouc opéré. Chèvre opérée.

Longueur de la tête. 20,7 10,8 16,2 — du radius. 15,7 10 9— du métacarpe.. 16 11;5 il — du fémur. 17 11 ȩ 10 — du tibia. 19 13 12,5

Ces données de l'expérimentation sont pleinement confirmées

par celles de la chirurgie d'une part, et par celles de la médication opothérapique d'autre part. De nombreux faits, ceux en particulier recueillis par Bourneville (2), ont montré que l'idiotie myxœdémateuse congénitale, qui s'accompagne de marasme, coïncide toujours avec l'absence ou l'altération de la glande thyroïde; dans toutes les autopsies, cette alliance des dystrophies osseuses et thyroïdiennes a toujours été relevée.

FIG. 92.

Les observations de myxœdème post-opératoire ne tardèrent pas à apporter un faisceau de preuves indiquant plus nette-

(1) EISELSBERG, Archiv. für Chir., von Langenbeck, t. XLIX.

(2) BOURNEVILLE, Comptes rendus de Bicêtre de 1880 à 1890 et Bulletin de la Soc. Méd. des Hôpitaux, 1896.

ment encore les relations qui unissent la glande thyroïde à l'évolution du squelette.

Enfin, le rôle du corps thyroïde dans la pathogénie de certaines variétés d'infantilisme a été clairement démontré du jour où l'examen radiographique a permis d'analyser l'état des cartilages de conjugaison pendant la vie.

La thérapeutique est venue, à son tour, donner une confirmation éclatante des rapports qui existent entre la thyroïde et les arrêts de croissance. L'ingestion de fragments de glande fraîche ou de préparations thyroïdiennes fut suivie, dans de nombreux cas, d'une augmentation plus ou moins marquée de la taille des sujets. On peut citer comme exemples les mensurations qui ont été recueillies chez des individus présentant les tares habituelles de l'infantilisme myxœdémateux et soumis au traitement thyroïdien.

Observations de :

Combe (1), sujet de.. 2 ans, grandit de 11 centimètres en 6 mois.

Combe 4 — 20 — 13 — Hertoghe (=) 14 — 18 — 189 jours.

Hertoghe 6 — 9 — 105 — Bourneville (S). 4 — 7 — 5 mois.

Bourneville. 11 — 9 — 10 — Jaunin (~ 16 1/2 — 28 — 2 ans.

Dans tous ces cas, la reprise ou l'augmentation de la croissance sont nettement dues à la médication thyroïdienne, car les mesures relevées pendant la cure sont supérieures à celles de la moyenne normale.

L'absence de corps thyroïde dans tous les cas de myxœdème infantile est une donnée trop classique aujourd'hui pour qu'il soit utile d'insister longuement et d'apporter de nouvelles preuves. Les observations les plus démonstratives ont été publiées par Bourneville et, parmi les faits qu'il a recueillis, il en est deux qui, concernant des enfants atteints de myxœdème post-opératoire avec dystrophie du squelette, ont la valeur d'expériences bien conduites :

(1) COMBE, Revue médicale de la Suisse romande, 1895.

(2) HERTOGHE, Bulletin de l'Académie royale de Médecine de Belgique, 1795, t. IX.

(3) BOURNEVILLE, LOCO citato.

(4) JAUNIN, Revue médicale de la Suisse romande, 20 janvier 1896.

Le premier, emprunté à Lancereaux (1), concerne un enfant âgé de 15 ans qui, opéré quatre ans auparavant, c'est-à-dire antérieurement à la puberté, a conservé la taille qu'il avait au moment de l'opération.

L'autre, rapporté par Brüns et Grundler (2), démontre un arrêt définitif de la croissance à la suite de l'ablation de la thyroïde pratiquée à l'âge de 10 ans. Au cours de l'autopsie faite après la mort, qui était survenue à l'âge de 28 ans, on pouvait sur l'humérus distinguer la longueur des épiphyses. Il en était de même pour l'extrémité supérieure du fémur. Quant à l'épiphyse du grand trochanter, elle était demeurée en grande partie cartilagineuse.

On a cherché dans les modifications du chimisme urinaire l'explication du mode d'action de la thyroïde sur la composition minérale du squelette. Des analyses de Moraczewski, il résulte que l'ingestion un peu prolongée de la glande augmente la rétention de la chaux dans l'organisme et favorise l'élimination du phosphore, de l'azote, du chlore. Les observations des chirurgiens, celles de Quénu, Reclus, Poirier, Ferria, ont montré l'action favorable des préparations thyroïdiennes dans le traitement des fractures sans tendance à la consolidation.

Quant à l'état de la thyroïde dans l'acromégalie et le gigantisme, il a déjà retenu l'attention de quelques observateurs. L'hyper- trophie était manifeste dans certains cas, dans celui du géant Simon Botis (page 122), dans celui de notre tambour-major K.

(voy. p. 157). La glande, chez lui, pesait 250 grammes, c'est dire qu'elle avait atteint un poids dix fois supérieur au poids normal.

En 1898, Hinsdale, sur 57 cas non douteux d'acromégalie suivis d'autopsie, a relevé 36 cas où la thyroïde avait été examinée. Ces 36 cas se décomposaient de la manière suivante : 13 fois la thyroïde était hypertrophiée (Bailey, Godlee, Haskovec, Péchadre, Osborne, Verstraeten, Wolf, Carpentor, Furnivall, Smith, Henrot, Arnold.)

(1) LANCEREAUX, Les glandes vasculaires sanguines. Leur rôle pendant la croissance. Semaine médicale, 1892.

(2) BRÜNS et GHÜNDLER. Cité par BOURNEVILLE, in Comptes rendus des Enfants de Bicêtre, 1886, p. 52.

11 fois la thyroïde était atrophiée (Erb, Fratnich, Minkowski, Haskovec, Marie, Curschmann, Singurini et Caporiacco, Tikhomiroff, Linsmayer, Somers, Bonardi).

12 fois la thyroïde était normale (Freund, Hadden, Ballance, Comini, d'Esterre, Wadsworth, Goldsmith, Rolleston, Roxburg et Collins, Strzeminksi, Strœbe) S'il est facile de constater, tout au moins à l'autopsie, l'augmentation de volume de la glande thyroïde et de décrire les modifications histologiques dont elle est le siège, il est beaucoup plus difficile d'interpréter la signification pathologique des lésions observées. Elle soulève, elle aussi, le difficile problème de la suppléance de la thyroïde par l'hypophyse. Avant de l'aborder, il nous paraît utile de rappeler les observations de Rogowitch (1), Gley (2), Boyce et Beadles (3), etc., qui ont montré les relations physiologiques qui unissent la glande pituitaire à la glande thyroïde, relations qui se traduisent, en cas de lésion de l'une de ces glandes, par l'hypertrophie de sa congénère. De même, dans certains cas de myxœdème, de crétinisme sporadique, rapportés par Boyce et Beadles, on note la coexistence d'une atrophie thyroïdienne avec une hypertrophie pituitaire.

4° HYPOPHYSE. — Les altérations macroscopiques de l'hypophyse chez les acromégaliques n'avaient pas échappé à Pierre Marie (4). Dans un mémoire qu'il a publié en 1891, avec la collaboration de Marinesco, il avait signalé la fréquence de l'augmentation du volume de l'organe. « L'hypertrophie constante de la glande pituitaire, ainsi qu'il résulte de l'observation de nouveaux cas cliniques, paraît être un fait acquis dans l'histoire pathologique de l'acromégalie, et cependant

(') ROGOWITCH, Effets de l'ablation du corps thyroïde. Arch.. de Physiol., 15 nov. 1888.

(2) GLEY, Sur les fonctions du corps thyroïde. Soc. de Biol., 1891; et Arch. de Physiol. norm. et pathol., 1892.

(3) ROBERT BOYCE et CECII. E. BEADLES, Hypertrophie de l'hypophyse dans le myxœdème, avec remarques sur l'hypertrophie de l'hypophyse associée aux modifications du corps thyroïde. Journ. of pathology and bacteriology, 1893, t. I, p. 223.

(4) PIERRE MARIE et MARINESCO, Sur l'anatomie pathologique de l'acromégalie. Archives de médecine expérimentale et d'anatomie pathologique, 1891, p. 539.

personne n'ose fixer son attention sur cet organe pour le motif qu'on ne connaît rien du rôle qui lui est dévolu. Cependant, dans ces derniers temps, plusieurs auteurs ont tâché de prouver que l'hypophyse n'est pas un organe indifférent, qu'elle paraît avoir des fonctions à remplir dans la vie extra-utérine, contrairement à l'opinion de W. Bath. » A l'époque où ces lignes ont été écrites, l'hypophyse était encore cet organe énigmatique dont parle Van Gehuchten. Les recherches modernes, celles de Comte (1), celles de l'un de nous (2), ont montré que l'hypophyse présente, comme d'autres organes (thyroïde, capsules surrénales) pendant la gestation, des modifications cytologiques qui sont en rapport avec une véritable hyperactivité sécrétoire. On tend aujourd'hui à faire rentrer l'hypophyse dans le groupe des glandes à sécrétion interne(3) et les physiologistes ont cherché à déterminer, par l'expérimentation, le. rôle qu'elle joue dans le fonctionnement de l'organisme, bien qu'elle soit, chez les animaux comme chez l'homme, en raison de sa situation intra-céphalique, d'un accès difficile. Les effets consécutifs à son ablation, à son excitation, à l'ingestion ou à l'injection de ses parties constituantes, ont été analysés dans ces derniers temps de différents côtés.

L'ablation de l'hypophyse, opération pleine de difficultés, fut tentée d'abord par Horsley (4), par Dastre (5). Gley (6), d'une part, Marinesco (7), d'autre part, montrèrent sa possibilité et indiquèrent sa technique. Celle-ci fut précisée ensuite par Vassale et Sacchi (8), utilisée par Pineles (9), Friedmann et Maas, de

(1) L. COMTE, Contribution à l'étude de l'hypophyse humaine et de ses relations avec le corps thyroïde. Thèse de Lausanne. Iéna, 1898.

(2) P. E. LAUNOIS et P. MULON, L'apophyse humaine à la fin de la gestation.

Ve Session du Congrès des Anatomistes. Liège, avril 1905.

(3) P. E. LAUNOIS, L'hypophyse humaine.

(4) HORSLEY, On the functions of thyroid. British med. Journal, 1885.

(5) DASTRE, Comptes rendus de la Société de Biologie, 1892.

(6) GLEY, Note sur les fonctions de la glande thyroïde chez le lapin et chez le chien. Comptes rendus de la Société de Biologie, 12 décembre 1891, p. 843.— Recherches sur les fonctions de la glande thyroïde. Archives de Physiologie normale et pathologique, janvier 1892, t. IV. (7) MARINESCO, De la destruction de la glande pituitaire chez le chat. Comptes rendus de la Société de Biologie, 17 juin 1892.

(8) VASSALE et SACCHI, Sulla distruzione della glandola pituitaria. Revista sper. di Fren, 1892, p. 525.

(9) PINELES, Jahrbüch. der Wiener K. Krankenaustalten, 1895, t. IV, 2e partie.

Cyon (1), perfectionnée enfin par Caselli (2). Les animaux qui servirent à ces différents expérimentateurs furent la grenouille, le lapin, le chat, le chien.

Au cours de leurs expériences, qui portèrent sur 40 animaux, chiens ou chats, Vassale et Sacchi constatèrent les modifications suivantes : abattement psychique prononcé; changement de caractère et apathie; troubles moteurs; mouvements fibrillaires; secousses musculaires; rigidité du train postérieur; incurvation du dos; démarche chancelante, ébrieuse; accès de convulsions toni-cloniques d'intensité variable ; légers accès de dyspnée ; anorexie habituelle, avec parfois des alternatives de voracité; vomissements inconstants; polydipsie; urines abondantes, non albumineuses, à densité très basse, à réaction alcaline; température subnormale; amaigrissement rapide et progressif ; mort. Ces phénomènes sont à peu près les mêmes dans les destructions totales et partielles. Dans le premier cas, la survie serait de 1 à 57 jours; dans le second, elle peut être indéterminée. D'après les résultats qu'ils ont obtenus, Vassale et Sacchi rangent l'hypophyse dans le groupe des glandes dont la destruction donne lieu à l'augmentation dans l'organisme de substances toxiques spéciales.

Malgré le nombre élevé de ses expériences (42), Caselli ne fait état que de dix d'entre elles; dans 5, la destruction ne fut que partielle, dans 7 elle fut complète, et, dans les dernières, 5 fois les animaux moururent rapidement, soit 18 heures, soit 4 jours après l'opération. Chez les trois animaux qui subirent une extirpation partielle, il nota : un fort abattement psychique, un changement de caractère, de l'apathie, un notable ralentissement de la respiration, d'abord de l'anorexie puis de la voracité ; de la polyurie avec urine à densité faible ; de la glycosurie (1/2 à 2 pour 100); un abaissement passager de la température ; du dépérissement qui rétrocède peu à peu, sans que toutefois l'animal revienne à son poids normal. A la suite de l'extirpation totale, les phénomènes précédents sont beaucoup plus marqués, et on note en particulier : une cachexie

(1) CYON, Verrichtungen der Hypophyse. Bonn, 1898 et divers.

(2) ARNOLDO CASELLI, Studi anatomici e sperimentali sulla fisiopathologia della glandola pituitaria (hypophysis cerebri). Dall' Instituto psichiatrico di Reggio, 1900.

qui fait lentement des progrès, de la rigidité musculaire, de l'incurvation du dos, des phénomènes parétiques et paralytiques. L'urine renfermait exceptionnellement de l'albumine et presque toujours des traces de glycose. La durée de la survie fut de 13 à 21 jours.

Discutant la valeur de ces symptômes et cherchant à en élucider la pathogénie, Caselli croit devoir attribuer un rôle certain dans la production des phénomènes moteurs aux lésions médullaires qu'il a observées à l'autopsie, lésions qui rappellent celles qui ont été décrites par Vassale et Donaggio (1) chez les animaux auxquels on a enlevé les parathyroïdes, et par Mosetti(2), chez ceux qui ont été thyroïdectomisés. Pour Caselli, ces lésions nerveuses, comme la cachexie, sont attribuables à l'intoxication de l'organisme.

On observe, en résumé, un syndrome diabétique, peut-être dû à une lésion nerveuse de voisinage, greffé sur un syndrome rappelant celui qui est consécutif à la thyroïdectomie : dépression psychique, cachexie, abaissement de la température, coma qui précède la mort.

Le même expérimentateur, opérant sur des animaux jeunes en voie de développement, n'a pu utiliser qu'un chien sur les trente-sept qui lui ont servi. Ce jeune animal, qui subit une destruction partielle de l'hypophyse, pesait avant l'opération 1860 grammes; deux mois après, son poids s'est élevé à 3010 grammes. Pendant le même temps, un témoin, provenant de la même portée, placé dans les mêmes conditions, passait de 1250 à 3915 grammes. De plus, l'animal opéré, qui était assez vivace, était devenu apathique, à démarche lente, à tête basse, à oreilles tombantes. Il semble que, d'après cette expérience, malheureusement unique, l'hypophysectomie partielle peut produire un syndrome qui se rapproche de l'infantilisme et est caractérisé par un arrêt de développement, des troubles psychiques, etc.

Tout dernièrement, Pirrone (3) a imaginé un nouveau procédé

(1) VASSALE et DONAGGIO, Les altérations de la moelle épinière chez les chiens opérés d'extirpation des glandes parathyréoïdiennes. Arch. ital. de Biol., 1897.

(2) MOSETTI, Revista sperimentale di Freniatrica, 1895, vol. XXI, fasc. 4.

(3) PIRRONE, Contribution expérimentale à l'étude des fonctions de l'hypophyse. Riforma medica, 7 et 8, 1903.

opératoire lui permettant d'atteindre l'hypophyse par la voie crânienne latérale et d'étudier, chez le chien, les effets de l'hypophysectomie totale, de l'excitation électrique et de l'ablation partielle de la glande. Il exécuta trois séries d'expériences et, pour s'assurer que certains des phénomènes observés n'étaient pas dus à l'acte opératoire, il se contenta dans une quatrième série d'exécuter l'opération, sans toucher à l'hypophyse. Ses recherches lui ont permis de formuler les conclusions suivantes : Tous les phénomènes consécutifs à l'hypophysectomie ne doivent pas être attribués à la suppression de la fonction de la glande pituitaire.

Les troubles de la motilité, l'abattement, la dépression psychique, l'amaigrissement rapide, la cachexie et la mort sont liés à l'ablation de l'hypophyse.

Les phénomènes cardio-vasculaires, les troubles respiratoires et thermiques semblent dus au traumatisme opératoire.

L'ablation totale ne modifie pas la composition chimique des urines.

Quoique le mécanisme de la fonction de l'hypophyse soit encore inconnu, cette glande est cependant d'une importance capitale par l'économie. La lésion partielle est compatible avec la vie, l'ablation totale est toujours suivie de la mort à une échéance plus ou moins longue, mais toujours brève.

Chez l'homme, l'ingestion de glande pituitaire de mouton a été mise en pratique dans la cure opothérapique de l'acromégalie par Pierre Marie et Marinesco, par Mendel, etc. Schiff, analysant les urines émises pendant une cure de ce genre, aurait noté une augmentation dans l'élimination quotidienne de l'acide phosphorique, élimination qui pourrait être due à la décomposition d'un tissu riche en phosphore, comme l'est le tissu osseux. D'après les résultats obtenus par ce physiologiste, l'ingestion d'hypophyse semblerait exercer une action dénutritive, activant peut-être les échanges et dès lors les éliminations. Son rôle se rapprocherait, sous ce rapport, de celui de la thyroïde, mais les expérences rapportées sont trop peu nombreuses, trop peu précises pour justifier des conclusions fermes.

Dans la pratique des injections sous-cutanées de produits hypo-

physaires, on a utilisé soit la glande en nature, broyée dans de l'eau salée, soit des extraits aqueux ou glycérinés, soumis ou non à l'ébullition, filtrés ou non. Celles qui ont été faites avec l'extrait aqueux glycériné d'hypophyse de bœuf par Caselli, chez des animaux jeunes, n'ont pas donné de résultats dignes d'être rapportés.

Quelle qu'ait été la méthode employée, l'expérimentation n'a pu déterminer d'une façon précise les fonctions de l'hypophyse.

Si Caselli a noté dans certains cas des modifications dystrophiques analogues à celles qu'on observe dans l'infantilisme, il n'a jamais constaté l'hypertrophie notable des os et n'a pu dès lors démontrer le rôle trophique de l'hypophyse sur le développement et la nutrition du squelette. On peut, il est vrai, objecter que la survie des animaux opérés a été trop courte pour permettre aux dystrophies osseuses d'apparaître et d'évoluer.

En utilisant les données fournies par l'anatomie pathologique, ne peut-on arriver à la solution du problème physiologique que l'expérimentation, n'a pu donner? En d'autres termes est-il possible d'appliquer à l'étude des fonctions de l'hypophyse la méthode qui a donné de si féconds résultats dans l'interprétation du rôle de la thyroïde?

Parmi les faits cliniques les plus démonstratifs, il convient tout d'abord de rapporter celui qui a permis à Sternberg de décrire une forme d'acromégalie à évolution rapide en rapport avec un sarcome de l'hypophyse.

De même R. Boyce et C. Beadles (1) ont trouvé chez une femme présentant les déformations les plus caractéristiques de l'acromégalie une tumeur kystique purulente, du volume d'un œuf de poule, occupant la cavité considérablement agrandie de la selle turcique et ayant repoussé en avant le chiasma des nerfs optiques.

Chez un acromégalique du service de Widal (observation inédite), l'hypophyse qui ne se faisait remarquer par aucune modification extérieure ni dans sa forme, ni dans son volume, présentait deux formations kystiques. L'examen histologique que

(1) R. BOYCE et C. BEADLES, Contribution à l'étude de la pathologie de l'hypophyse. Journal of Palhology and Bacleriology, t. I, 1893, p. 360.

nous en avons fait, examen qui sera ultérieurement publié, nous permit de reconnaître que la paroi de chacun de ces kystes était tapissée par un épithélium cilié, en tous points comparable à celui que l'un de nous a rencontré dans l'hypophyse normale et considéré comme un vestige de l'état embryonnaire (').

De ces faits nous rapprocherons encore celui qui, recueilli dans le service de Huchard, nous a permis d'observer une hypophyse du volume d'une cerise occupant une cavité assez grande pour loger une noix. La glande primitivement hypertrophiée avait élargi la selle turcique ; elle s'était rétractée consécutivement par le fait d'une sclérose facilement constatable au microscope (voir page 309).

Dans ces derniers cas la glande pituitaire ne présentait pas d'altérations grossières, visibles à l'œil nu; seul le microscope permettait de préciser les lésions dont elle était le siège. Il doit en être souvent ainsi et, avant de nier toute relation entre les altérations de l'hypophyse et les dystrophies du squelette (2), faut-il se fonder plus sur les modifications histologiques que sur les altérations macroscopiques.

Celles-ci n'en ont pas moins une grande importance, en raison même de leur constance dans les deux dystrophies, le gigantisme et l'acromégalie, que nous avons étudiées. En se repor-

(1) P.-E. LAUNOIS. Comptes rendus de la Soc. de biol., 1903.

(2) JULIUS ARNOLD (Weitere Beitrâge zur Akromegaliefrage. In Virchow's Archiv pathologische Anatomie und Physiologie, Bd 135, p. 11894) fait des réserves sur les relations que l'on admet entre les altérations de l'hypophyse et celles du squelette. Il rappelle que, dans certains cas d'acromégalie, on a constaté les lésions osseuses, alors que la glande pituitaire n'était pas altérée, que, dans d'autres où elle était hypertrophiée, on n'a pas observé de modifications des os. Subdivisant l'évolution de la dystrophie en plusieurs périodes, il considère l'hypertrophie hypophysaire comme une des localisations de la Maladie de PIERRE MARIE.

Par contre, G. MODENA (L'Acromegalia, Rassegna critica. In Revisla sperimentali di Frenialria, Vol. XVIX, Fasc. III et IV, 1905) a réuni 70 autopsies d'acromégaliques. Dans cinq d'entre eux seulement l'hypophyse n'était pas hypertrophiée et, dans un, elle paraissait normale quant à son volume et à sa structure. Ce dernier est rapporté par LABADIE-LAGRAYE et DEGUY (Archives générales de médecine, 1899). TIKOMIROFF a trouvé, dans le rein, des altérations cellulaires bien nettes; BONARDI a noté deux fois une sclérose de la totalité du parenchyme glandulaire. FINZI, enfin, a constaté à la place de l'hypophyse la présence d'une pulpe blanchâtre.

Les chiffres rassemblés par MODENA confirment pleinement la statistique que nous avons précédemment publiée (voir p. 185) et permettent d'apprécier les liens qui, tout au moins, à l'état pathologique, unissent le squelette à l'hypophyse.

tant à la description anatomo-pathologique que nous avons donnée précédemment (voir page 185), description qui est basée sur de nombreux examens anatomiques et histologiques, on constatera une variabilité très grande dans la constitution cytologique des tumeurs hypophysaires. Cette variabilité, qui s'explique, en partie par l'insuffisance de notre connaissance actuelle des éléments normaux de la glande, en partie aussi par le défaut de concordance des interprétations, montre cependant avec évidence qu'il ne s'agit pas d'une hypertrophie fonctionnelle, mais d'une modification profonde survenue dans la structure normale du parenchyme, entraînant à sa suite un trouble grave dans sa fonction physiologique.

On a, dans ces dernières années, cherché à déterminer par l'étude des modifications chimiques de l'urine, comme on l'avait fait pour la thyroïde, les troubles provoqués dans l'organisme, par l'hypertrophie de l'hypophyse, en particulier chez les acromégaliques. Si, comme nous l'avons indiqué, Schiff a admis que l'opothérapie hypophysaire augmente l'élimination de l'acide phosphorique, d'autres observateurs, Tanszk et Vas, Moraczweski, Parhon ont, au contraire, noté sa rétention et celle des sels de chaux dans la Maladie de PIERRE MARIE. Moraczweski administrant, pendant trois jours, neuf tablettes d'hypophyse par jour a trouvé que la quantité diacide phosphorique retenue quotidiennement passe de 1,128 à 1,357 et que la chaux s'élève de Ogr,752 à 1gr,111. Par contre, l'azote monte de 0gr,65 à 3gr,255 et les chlorures de 3gr,070 à 3gr,121. Ces données sur les troubles survenus dans les échanges nutritifs, au cours de l'acromégalie, rendent vraisemblable l'opinion de ceux qui supposent que cette affection serait due à une exagération fontionnelle de l'hypophyse (Parhon) (1).

(1) G. MODENA (loc. cit.) recherche les rapports de causalité qui existent entre l'acromégalie et les lésions de l'hypophyse. Il se demande tout d'abord si les manifestations acromégaliques dépendent d'une abolition de la fonction de l'hypophyse, comme l'a supposé PIERRE MARIE ou de son hyperfonctionnement, comme le disent TAMBURINI et MASSALONGO.

Si l'abolition hypophysaire était la cause des phénomènes acromégaliques, ceux-ci devraient être d'autant plus accentués que la destruction de la glande est plus complète. Or on trouve de nombreux cas de tumeurs malignes, de processus destructifs de la pituitaire, sans qu'il y ait eu, pendant la vie, apparition du syndrome de PIERRE MARIE. Par exemple, LOTH, ARNOLD, WACHSEL- BAUM, MOHR, AUDRY RAYMOND, HOFFMANN, BATH, ROSCIOLI ont trouvé des tumeurs atypiques; WEIGERT, BARBACCI, SOKOLOFF ont décrit des gommes;

Pour Rogowitch, par contre, l'hypophyse, comme la thyroïde, serait destinée à neutraliser certaines substances dont la rétention aurait une action toxique sur le système nerveux central et entraînerait des troubles trophiques divers intéressant surtout les tissus de soutien, le tissu conjonctif, le tissu cartilagineux, le tissu osseux. « Le système nerveux n'est-il pas, comme le dit Brissaud, le régulateur de tous les phénomènes trophiques? Nous en avons mille preuves. C'est lui qui est investi du pouvoir suprême dans la fédération des éléments anatomiques, c'est lui qui distribue la tâche à tous les appareils, à tous les viscères, à toutes les cellules; c'est lui qui commande le rôle et la destinée de chaque organe, qui arrête les empiétements des uns et secoue l'apathie des autres, en un mot, qui met un frein à l'individualisme cellulaire, d'où résulterait infailliblement l'anarchie. » Comme on sait aujourd'hui que la trophicité du tissu conjonctif est régie par la thyroïde, il n'est pas irrationnel d'admettre, en se basant surtout sur les constatations anatomo-pathologiques, que l'hypophyse, glande à sécrétion interne, tient sous sa dépendance la trophicité des tissus de soutien plus différenciés que le tissu conjonctif, comme le sont le cartilage et l'os. Mais si, en pareil cas, la fonction de l'hypophyse semble prépondérante, son action ne demeure pas isolée; il y a le plus souvent une synergie fonctionnelle des diverses glandes à sécrétion interne, synergie se traduisant par une véritable suppléance. On peut même les voir toutes simultanément plus ou moins modifiées, ainsi qu'en témoignent cer-

BECH, WAGNER, des lésions tuberculeuses; SOEMMEKING des cysticerques.

Dans tous ces cas, où il y avait destruction plus ou moins complète de l'organe et abolition de sa fonction, on n'a pas noté d'hypertrophie des os, ni des tissus connexes.

Ces faits plaidraient plutôt en faveur de la théorie de TAMBURINI, qui admet l'hyperfonction hypophysaire comme cause des manifestations acromégaliques; mais on peut aussi faire à cette théorie des objections. La première et la plus importante est basée sur la nature histologique de la tumeur hypophysaire qui n'est pas le plus souvent constituée par l'hyperplasie des cellules fonctionnelles. TAMBURINI considère cependant que l'adénome est la variété histologique la plus fréquente. De même BENDA conclut, après une enquête sérieuse, que la diversité est plutôt dans la dénomination que dans la constitution des tumeurs hypophysaires, qui sont souvent bâties sur le même type.

Quoi qu'il en soit, il existe une relation étroite entre les manifestations acromégaliques et la tumeur hypophysaire. Leur coexistence doit être considérée comme la règle.

taines constatations nécropsiques et le fait suivant que nous empruntons à la pathologie comparée.

Cunningham (1) observa pendant plusieurs semaines, en 1895, un chien mâtiné, du poids de 15kg,25, âgé d'un peu plus d'un an, qui se faisait remarquer par son indolence et sa paresse. Il présentait des modifications somatiques comparables à celles qu'on observe chez les acromégaliques. Les membres antérieurs, remarquablement agrandis, se terminaient par des pattes élargies et épaisses, dont les phalanges très développées supportaient des ongles trop petits. L'allongement n'est pas aussi marqué au niveau de l'arrière-train. Les parties osseuses, de même que les parties molles, participent également à l'hypertrophie. La face est large; les incisives inférieures surplombent les incisives supérieures d'une façon très nette. Le rebord de l'orbite, les os du nez, les os malaires se font remarquer plus particulièrement par leur épaisseur. La fente palpébrale étroite laisse apercevoir deux yeux qui semblent trop petits pour une tête aussi volumineuse que l'est la sienne. L'animal mourut de broncho-pneumonie; à son autopsie, on constata, entre autres lésions, du côté du squelette, une hypertrophie avec éburnation des extrémités inférieures du cubitus et du radius, des métacarpiens, des phalanges, un épaississement très marqué des os du crâne. Les différents os, très compacts à la périphérie, sont très vasculaires au centre; ils sont recouverts par un périoste très épais et différent de ceux que l'on observe habituellement chez les jeunes chiens rachitiques. Les recherches faites sur les glandes à sécrétion interne donnèrent les résultats suivants : la thyroïde atrophiée est le siège d'une sclérose interstitielle ; le lobe droit ne pèse que 0gr,5), le gauche 1er, 1. Les corps parathyroïdes ne semblent pas exister. Le thymus persiste et est hypertrophié; il pèse 10gr,80; l'examen histologique démontre qu'il est en plein développement. L'hypophyse, très vascularisée, est œdématiée; elle rappelle par ses caractères macroscopiques celle d'un chien qui aurait survécu pendant plusieurs semaines à la suite de la thyroïdectomie.

Des données biologiques que nous avons rassemblées on peut, dès

(1) R.-H. CUNNIGHAM, Journal of comparative Medicine and Veterinary Arch., July, 1897.

maintenant, déduire quelques conclusions générales sur le rôle des glandes à sécrétion interne (thyroïde, thymus, hypophyse, glandes génitales). Le produit de leur élaboration, encore inconnu dans sa composition, est, comme celui des glandes à sécrétion externe, indispensable au juste équilibre organique. Elles ont, entre autres fonclions, celle de diriger, par l'intermédiaire du système nerveux, la trophicité de certains tissus, plus particulièrement des tissus d'origine mésodermique (tissu conjonctif, tissu cartilagineux, tissu osseux). Les altérations diverses dont elles peuvent être le siège, retentissent en effet tout particulièrement sur les éléments de soutien et s'accompagnent de modifications caractéristiques, atteignant leur apogée dans le myxoedème, le gigantisme et l'acromégalie. Il est facile aussi dans ces différentes dystrophies de constater soit leur synergie, soit leur suppléance fonctionnelles et de comprendre l'importance et la complexité du rôle qui leur est dévolu dans la nutrition et le fonctionnement de l'organisme.

LIVRE QUATRIÈME

OBSERVATIONS ET DOCUMENTS

SUR LE

GIGANTISME

GROUPE 1

GÉANTS VIVANTS (1)

OBSERVATION I(2). (P. E. Launois et Pierre Roy.) — LE GRAND CHARLES.

(Société de Neurol., 6 novembre 1902 et Nouv. Icon. de la Salpêtrière, n° 6, novembre-décembre 1902, p. 540.) Gigantisme et infantilisme. — Le « Grand Charles », 30 ans, 2m,04. Lutteur, puis phénomène forain (le seul géant parisien), actuellement réduit à la misère. « Né très grand, n'a jamais cessé de grandir. Genu valgum apparu à 27 ans et ayant augmenté depuis cette date. Les membres inférieurs sont notablement plus allongés que ne le comporterait sa taille. » Mains très grandes, mais par hypertrophie générale et assez régulière. Asymétrie faciale, saillie de la pommette gauche. — « Le développement de l'appareil génital est tout à fait incomplet » : deux testicules rudimentaires, anaphrodisie absolue: figure imberbe, pas de poils au pubis ni aux aisselles; infantilisme urinaire par le volume de l'urine et l'élimination exagérée des chlorures, du phosphate et d'urée.

— Persistance à 50 ans des cartilages de conjugaison aux os du genou, de l'avant-bras, de la main, révélée par la radiographie. — Tendance à « s"acromégaliser », manifestée par l'hypertrophie localisée du maxillaire inférieur, dont la hauteur a augmenté notablement pendant les trois dernières années, alors que, par ailleurs, la hauteur de la face restait invariable. — Augmentation très évidente de la selle turcique, révélée par la radiographie et s'accompagnant des autres altérations caractéristiques du crâne acromégalique : épaisseur inégale des parois crâniennes, développement exagéré des sinus frontaux, ressaut post-lambdoïdien.

OBSERVATION II (3). (P.-E. Launois et Pierre Roy.) — ANORCHIDE HYPERMACROSKÈLE DE 27 ANS. (Soc. de Biologie, 1er janvier 1903.) Allongement des membres inférieurs (1m,05 pour une taille de 1m,86) et

(1) Ou observés seulement pendant leur vie.

(2) Voir p. 58.

(3) Voir p. 81.

persistance des cartilages de conjugaison, constatée par la radiographie, chez un anorchide de 27 ans.

OBSERVATION VI (1). (Virchow.) — LE GÉANT WINKELMEYER. (Zeitschrift für Ethnologie, 1885, p. 469.) Le géant Winckelmeyer, 20 ans, né dans la Haute-Autriche (fréquence relative des géants autrichiens). Poussée de croissance à la puberté, 2m,59. Bien proportionné d'après Virchow ; mais d'autres observateurs notèrent chez lui l'allongement disproportionné des membres inférieurs, très apparent d'ailleurs sur toutes les photographies.

OBSERVATION VII (2). (Woods Hutchinson.) — LA GÉANTE DU MISSOURI, MISS ELLA EWING. (New-York medical Journal, 14 juillet 1900.) Miss Ella Ewing, géante du Missouri, exhibée dans une foire; 2m,25 environ, 25 ans, croissance encore inachevée (avait gagné un pouce pendant les dernières années). Allongement « effrayant » des membres inférieurs, ainsi que des membres supérieurs; « développement disproportionné, même par rapport à la taille, de la grande envergure, rappelant celui des singes anthropoïdes ». Hypertrophie des mains, des pieds, de la mâchoire inférieure, du nez et des os malaires.

OBSERVATION IX(5). (Brissaud et Henry Meige.) — JEAN-PIERRE MAZAS, LE GÉANT DE MONTASTRUC. (Journ. de méd. et de chir. pratiques, 25 janvier 1895.)

Gigantisme et acromégalie. — Jean-Pierre Mazas, géant de Montastruc, 47 ans, vigoureux et colossal (2m ,20), jusqu'à 57 ans. Son corps à cette époque commence à se courber, le segment inférieur « se télescopant » dans le supérieur (taille actuelle : 1m,86). Allure d'anthropoïde, grande envergure demeurée gigantesque. Double bosse acromégalique. Hypertrophie des extrémités des membres, du maxillaire inférieur, de la langue.

OBSERVATION XI (4). (Brissaud et Henry Meige.) — LE GÉANT PORTUGAIS DA SILVA. (Nouv. Jeon. de la Salpêtrière, 1897.) Un cas d'acromégalo-gigantisme. — Géant portugais, 52 ans. Jadis exhibé comme « hercule » ou comme « géant », cyphose réduisant sa taille à 1m,78. Stigmates acromégaliques manifestes : hypertrophie du maxillaire inférieur, de la langue, du nez; mains en battoir; varices des membres inférieurs.

(1) Voir p. 147.

(2) Voir p. 151.

(3) Voir p. 216.

(4) Voir p. 255.

OBSERVATION XII (1). (Byrom Bramwell.) — UNE GÉANTE ACROMÉGALIQUE.

(Edinburgh med. Journal, janvier 1894, p. 21.) Gigantisme et acromégalie. — Femme, 28 ans, 6 pieds 2 pouces et demi (1m,88). Poussée de croissance de 16 à 20 ans, âge auquel elle atteignit sa taille définitive. Céphalée, douleurs névralgiques. Croissance excessive des cheveux et de diverses parties du corps. Hémianopsie unilatérale. Cyphose cervico-dorsale supérieure. Hypertrophie des extrémités : mains, pieds, maxillaire inférieur. Pas d'arrêt de la menstruation.

ni d'infantilisme. — Traitement thyroïdien resté sans résultat; amélioration par traitement pituitaire (diminution de la céphalée, des sueurs, de l'asthénie, du rétrécissement du champ visuel).

OBSERVATION XIV (2). (Woods Hutchinson.) — LE GÉANT CALEB. (NewYork med. Journ., 14 juillet 1900.) Le géant Caleb, exhibé avec une troupe de nains, « les Lilliputiens », annoncé comme ayant 8 pieds 5 pouces (2m50). Hypertrophie caractéristique de la face, des mains et des pieds. Face grosse et massive avec expression de tête de cheval; front proéminent et surplombant les yeux, par expansion énorme des sinus frontaux. Mains en battoir; une pièce d'un demi-dollar passerait au travers d'une de ses bagues.

OBSERVATION XVIII(3). (Matignon.) — ACROMÉGALO-GIGANTISME CHEZ UN CHINOIS. (Méd. mod., 6 novembre 1897.)

Un cas d'acromégalo-gigantisme. — Chinois, 25 ans, mineur, 1m,83, malgré une énorme incurvation de la colonne vertébrale, survenue à l'âge de 19 ans, à la suite de fièvres probablement paludéennes. Hypertrophie caractéristique des pieds et des mains, du maxillaire inférieur et de la langue. Verge petite, testicules microscopiques (haricocèles) : n'a jamais eu d'érection.

OBSERVATION XIX (4). (Woods Hutchinson.) — LE CHEF DE GARE GÉANT.

(New-York med. Journ., 14 juillet 1900.) Géant K.-H. chef de gare, 52 ans, né dans le Missouri. Développement musculaire considérable pendant plusieurs années. Vers 18 ans, incurvation progressive de la colonne vertébrale : hauteur primitive de 2m,23, réduite à 1m,98. Hypertrophie disproportionnée des mains et des pieds.

Aspect d'anthropoïde.

(1) Voir p. 556..

(2) Voir p. 253.

(3) Voir p. 275.

(4) Voir p. 280.

OBSERVATION XX (1) (Pierre-Marie). — C., ACROMÉGALIQUE DE HAUTE TAILLE.

(Nouv. Icon. de La Salpêtrière, 1888, t. I, obs. I, p. 174.) Acromégalie. — C., 45 ans. Poussée de croissance de 17 à 18 ans; n'a pas cessé de grandir, dit-il, jusqu'à près de 40 ans, 1m,90. Hypertrophie des extrémités ayant débuté vers 53 ans. Double bosse, antérieure et postérieure, etc.

OBSERVATION XXII (2). (Lombroso.) — ACROMÉGALIOUE DE HAUTE TAILLE.

(Annali universali di Mediciua, t. CCXXVII, p. 505, 1872.) Un cas singulier de gigantisme. — Homme 37 ans, 1m,80; « face rappelant dans sa monstruosité celle du gorille et du lion ». Hypertrophie des os malaires, du maxillaire inférieur, des pieds et des mains. Inappétence sexuelle.

OBSERVATION XXIII(3). (P.-E. Launois.) — UNE FEMME ACROMÉGALIQUE TYPIQUE. (Inédite.) Troubles oculaires et déformations du squelette caractéristiques.

Dilatation de la selle turcique à l'examen radiographique du crâne.

OBSERVATION XXIV(4). (P .-E. Launois et Taburet.) — UN ACROMÉGALIQUE GÉANT. (Inédite.) Déformations caractéristiques du squelette. Glycosurie.

OBSERVATION XXVII (5). (Henry Meige.) — ACROMÉGALIOUE GÉANT. (Arch.

gén. de Méd., octobre 1902.) Bert., 59 ans, infirmier, entré le 4 mai 1898 dans le service de M. Gilbert, hôpital Broussais.

Antécédents héréditaires. — Père âgé de 63 ans, atteint de bronchite chronique et d'emphysème. Mère morte à 52 ans, d'un néoplasme.

Deux frères et une sœur plus jeunes, bien portants. Un grand-oncle (frère du grand-père maternel), très grand, mesurait au moins 2 mètres et était d'une force peu commune.

Dans la famille, on compte plusieurs aliénés.

Antécédents personnels. — Dans la première enfance, le malade eut une fièvre typhoïde (?), à la suite de laquelle il grandit très vite. A 11 ans et demi, au moment de sa première communion, il mesurait 1m,70 au moins.

(1) Voir p. 286.

(2) Voir p. 296.

(3) Voir p. 300.

(4) Voir p. 507.

(5) Observation recueillie par M. Lemaître, externe du service.

Vers la même époque, il souffrit de « douleurs de croissance » dans les os et les articulations; en même temps, il continuait à grandir beaucoup.

A 16 ans, violente attaque de douleurs rhumatoïdes pendant un mois (genoux, poignets, chevilles).

A 20 ans, 2e attaque, plus vive, mais de même durée.

A 26 ans, 5e attaque qui dura 2 mois.

A 30 ans, 4e attaque pendant 6 semaines.

A 31 ans, 5e attaque qui se prolongea 5 mois.

A 35 ans, 6e et dernière attaque de douleurs qui durèrent 4 mois, localisées surtout au voisinage des articulations.

Vers la même époque, des phénomènes pulmonaires et cardiaques nécessitèrent la pose de ventouses scarifiées sur la base gauche du thorax, et d'un vésicatoire à la région précordiale (?).

Le malade guérit et reprit son travail qu'il n'a cessé que dernièrement, il y a huit jours, ayant éprouvé après un excès de fatigue une courbature générale, des frissons, des maux de tête et de la fièvre.

Entré à l'hôpital le 4 mai 1898, on constate une toux légère, sans crachats; auscultation et percussion normales, sauf une légère submatité à la base gauche avec quelques frottements. Foie normal. Premier bruit du cœur sourd et prolongé. Pouls : 75. Langue saburrale. Constipation, inappétence.

Pas de paralysie, d'anesthésie, de tremblement, mais une faiblesse générale, une atonie musculaire très grande.

Pas de sucre ni d'albumine dans les urines.

Le 7 mai. — La fièvre, qui était montée à 38°,5, 59°, est tombée à 57°,8.

Mais le malade se plaint toujours d'une grande faiblesse.

Le 15 mai. — Bien qu'il n'y ait plus aucun phénomène fébrile, le malade a des sueurs très abondantes.

Examen du malade. — B. mesure 196 centimètres. Selon ses dires, sa taille aurait diminué d'un centimètre depuis quelques années. Il est mince, élancé, peu musclé, se tient mal, les épaules portées en avant, la tète baissée et inclinée à droite.

Le thorax n'est pas saillant. Il n'y a pas de disproportion notable entre le tronc et les membres inférieurs.

Au crâne, pas de productions osseuses anormales.

Le visage ne présente pas les déformations caractéristiques de l'acromégalie; cependant les arcades sourcilières font une saillie sensible; le maxillaire inférieur déborde notablement le supérieur; mais il faut remarquer que sur ce dernier les dents sont presque toutes tombées.

Le nez est un peu gros, la langue de dimensions normales, mais présente des sillons profonds. Oreilles frangées.

Le cartilage thyroïde fait une saillie très prononcée ; la voix est basse, sourde, sans être très grave.

Les mains sont longues, mais non pas « en battoir»; toutefois, l'index et le médium gauches sont épaissis à leurs extrémités.

Les pieds semblent proportionnellement beaucoup plus agrandis et massifs. Le cou-de-pied est très gros.

Organes génitaux et poils normaux; mais le sujet déclare qu'il n'a aucun appétit sexuel.

Ce sujet, dont la taille atteint presque 2 mètres, nous semble bien pouvoir être rangé parmi les géants.

Il faut retenir surtout la fréquence des crises douloureuses rhumatoïdes qui ont débuté avec la période de croissance inusitée, et aussi l'asthénie générale et les sueurs abondantes, enfin la coexistence d'un

FIG. 93. — Le géant Chinois Chwang-in-sing.

(TARUFFI.)

individu de très grande taille dans la famille, et de plusieurs aliénés, ainsi que la frigidité sexuelle.

Nous verrons ces faits signalés plusieurs fois dans le gigantisme et aussi dans l'acromégalie.

OBSERVATION XXVIII. (Taruffi.) — LE GÉANT CHINOIS CHWANG-IN- SING. (Bulletino delle scienze mediche della soc. di Bologna, 1880, VI, 110.) 33 ans, fils unique, né dans le nord de la Chine (province de Shantung), dont la population est d'une taille médiocre, 2m.79 d'après les journaux autrichiens ; d'après TARUFFI, et bien que le géant n'ait pas voulu se laisser mesurer, il ne mesurait guère plus de 2m .35. Voix profonde et rauque, « rappelant le mugissement d'une vache après la perte de son veau ». Facies brutal, tête relativement étroite et petite, hypertrophie du maxillaire inférieur, scoliose manifeste à convexité droite.

OBSERVATION XXIX. (Bonardi.) — ACROMÉGALIE ET GIGANTISME AVEC TROUBLES GRAVES DU SYM- PATHIQUE CERVICAL A GAUCHE.

(Contributi clinici ed anatomo-patologici alla conoscenza dell' acromegalia. — Il Morgagni., pog, 1899.) Cecchini Pietro, âgé de 29 ans, de Borgo Mozzano, agriculteur. Ses

parents sont vivants et bien portants, de taille élevée et robustes.

surtout la mère ; une sœur également est très grande et très forte de poitrine. Mais aucun membre de la famille ne présente une augmentation de volume des extrémités.

Le malade s'est marié à 21 ans et a eu trois fils, tous vivants et bien portants. A part un exanthème mal défini dans la première enfance, il n'a jamais été malade, ses parents affirment qu'à 14 ou 15 ans il était déjà si grand, si robuste et si vigoureux qu'il semblait un homme fait.

Mais il n'y avait alors aucun symptôme de la maladie actuelle.

A l'âge de 22 ans, il commença à souffrir de maux de tête, qui, d'abord légers et de courte durée, allèrent toujours en augmentant, pour devenir à la fin, surtout vers le soir, de véritables crises de céphalée, persistant quelquefois pendant des jours entiers. Quelques mois après le début de la céphalée, se montra l'augmentation des pieds, des mains, de la mâchoire inférieure et de la langue. En même temps que ces signes, il éprouvait un sentiment de faiblesse générale, et plus spécialement d'amyosthénie, s'épuisant pour la plus petite fatigue.

L'arnyosthénie était surtout localisée aux jambes et aux muscles de la gouttière vertébrale, de sorte qu'en se promenant il devait au bout de quelques minutes s'asseoir et exécuter des mouvements répétés d'extension de la colonne vertébrale sur le bassin pour s'opposer à la tendance du tronc à se courber en avant.

Depuis environ un an les troubles de la vue sont apparus. Le malade dit que les globes oculaires sont devenus plus gros et plus saillants, avec prédominance de l'exophtalmie à gauche. Avec les troubles visuels existe une tuméfaction de la partie externe de la paupière supérieure.

Pendant les périodes les plus intenses de la céphalalgie les troubles de la vue augmentent et s'accompagnent aussi de nausées et de vomissements. Les vertiges ont toujours fait défaut. Il sue facilement et abondamment; les sueurs augmentent avec la fatigue et la céphalée ; elles sont plus abondantes dans la moitié gauche du corps et surtout de la tête et du cou que dans tout le reste de l'organisme. Ces sueurs abondantes se sont montrées avec l'amyosthénie et, dès le début, ont été localisées presque exclusivement à gauche.

Le malade affirme, sans jamais se démentir, que les sueurs sont annoncées par une sensation de chaleur, avec rougeur intense et presque livide de la tête et du cou, tous symptômes qui ont toujours été prédominants à gauche. Il dit encore être devenu depuis quelque temps impressionnable et être préoccupé du fait de sa faiblesse générale, qui va toujours augmentant, tandis que le poids et le volume de son corps augmentent parallèlement. Il dit avoir gagné 12 kilogrammes pendant les trois dernières années, et le fait a été confirmé par ses parents.

Le malade fut reçu à l'hôpital le 7 novembre 1897 et y demeura jusqu'au 26 novembre.

Etat actuel (8 novembre). — Homme de taille gigantesque, d'un poids de 95 kilos, d'une taille de 1m.94. Decubitus indifférent ; pas de

fièvre ; pouls petit, régulier, rythmique, d'une fréquence de 64 pulsations à la minute ; respiration régulière. La station debout et la démarche s'exécutent d'une manière normale. L'équilibre est parfaitement maintenu avec les yeux fermés.

Tête. — Au point de vue subjectif, douleurs de tête violentes, avec accès de véritable céphalalgie, s'accompagnant de nausées et parfois de vomissements.

Les douleurs prédominent aux orbites et à la racine du nez ; l'orbite gauche est plus douloureux que le droit. Pendant l'accès douloureux, le

FIG. 94. — Acromégalie et gigantisme. (BONARDI.)

visage devient rouge pourpre, avec une prédominance frappante du phénomène à gauche et propagation à la moitié gauche du cou. Simultanément, des sueurs profuses, avec formation de véritables gouttes, prédominent également à gauche.

Le malade accuse une sensation de chaleur également plus manifeste à gauche. Pendant l'accès douloureux, le pouls devient plus fréquent, plus compressible et plus expansif (de 64 battements à la minute il arrive à 80-90).

Le malade, malgré son visage aux traits massifs, asymétriques et peu mobiles, est très intelligent, avec une mémoire excellente, une perception exacte, une idéation prompte et un jugement très bon pour un paysan qui n'a

fait seulement que la seconde élémentaire. Dans son ensemble la tête est très grosse ; à la face, la mâchoire inférieure prédomine ; le nez aussi est très gros et charnu, la fente buccale large et les lèvres d'épaisseur notable, spécialement l'inférieure. Les globes oculaires sont plus gros que normalement et le gauche fait une saillie sensible hors de l'orbite (exophtalmie). La langue est très grosse, large et difficilement mobile. Bon appétit, digestion régulière. Quant aux différentes formes de la sensibilité générale de la face, tandis que la sensibilité au tact et à la douleur sont normales, il y a une hypoesthésie électrique nette sur la moitié gauche; et sur la même région la sensibilité thermique montre tantôt de l'hyperesthésie, mais plus souvent de la paresthésie variable (brûlure, piqûre très fine, etc). Du côté des

sens spéciaux on relève : hypoosmie à gauche et hypoagueusie, spécialement pour l'amer et l'acide, au tiers antérieur gauche de la langue.

Rien du côté de l'audition.

Aux yeux, très nette hémianopsie temporale bilatérale, prédominant à gauche.

Mon collègue, le Dr Del Carlo, oculiste de l'hôpital, m'a remis la note suivante sur l'examen des yeux de ce malade.

Œil gauche. — Milieux optiques transparents. Notable diminution de l'acuité visuelle, réduite à 5/20 (Echelle Albini). Sens chromatique très incertain, surtout pour le rouge et le vert.

Champ visuel rétréci concentriquemeut, mais réduit au 1/3 en dehors, en haut et en bas. La moitié externe de la papille est atrophiée, l'interne congestionnée. Les veines sont dilatées, les artères minces et pâles.

Œil droit. — Acuité et champ visuels normaux, sens chromatique incertain. Papille pâle en sa moitié externe, normale dans l'autre; vaisseaux rétiniens normaux.

Tuméfaction de la paupière supérieure gauche vers l'angle interne, par grossissement de la glande lacrymale.

La barbe et les moustaches sont formées de poils rares, blonds, courts et minces.

Mesures de la tête.

Centimètres.

Diamètre antéro-postérieur (de la glabelle à la protubérance occipitale) 20 Diamètre mento-occipital. 2~> — transversal bimasto'jdien. 14 — — bileniporal 15,5 — — biauriculaire 14 — — bifrontal. 12 Circonférence maxima du crâne 59 Longueur de la racine des cheveux au menton. 20,5 — — du nez au menton. 14,5 — de la partie inférieure du vomer au menton 8,5 Diamètre bizygomatique. 15,5 Hauteur du nez. 6,8 Largeur du nez à la base. 4,5 Contour de la mâchoire inférieure d'un angle à l'autre. 25 Largeur de la fente buccale. 8 Épaisseur delalëvre supérieure. 0,6 — inférieure. 1 Largeur de la langue 6 Longueur de la langue 0,7

Cou. — Gros et court, avec des veines légèrement turgescentes, saillie non exagérée du cartilage thyroïde. La glande thyroïde n'est pas hypertrophiée. La phonation n'a pas le caractère âpre, guttural et grasseyant, décrit dans les autres cas. Circonférence maxima du cou : 42.

Thorax. — Ample, légèrement déformé par une cyphose dorsale bien manifeste, mais à grande courbure. La circonférence maxima correspond au niveau des mamelons et mesure 108 centimètres. La peau du

thorax est plutôt lisse et imberbe. Les mamelons sont gros comme un grain turc, brunâtres et entourés d'une aréole brune. Les côtes sont médiocrement larges et les espaces intercostaux plutôt rétrécis.

Aucune saillie sur le manubrium du sternum. L'examen de l'appareil respiratoire a été négatif.

La pointe du cœur bat dans le 5e espace et au niveau du mamelon gauche. La percussion dénote une légère hypertrophie du cœur, avec 12 centimètres de diamètre oblique et 9 centimètres de diamètre transversal. Les battements sont plutôt faibles et lointains en raison de l'épaisseur notable de la paroi thoracique. Pas de souffle, mobilité normale du cœur dans le décubitus latéral.

Durant les accès decéphalalgie, il y a d'ordinaire quelques palpitations.

Abdomen. — Rien d'anormal tant au point de vue subjectif qu'au point de vue objectif. Les viscères abdominaux ont leurs limites physiologiques. Un léger degré de dilatation de l'estomac pendant la digestion est le seul fait digne d'être noté.

Les organes génitaux sont également de volume régulier.

Membres supérieurs. — Ils sont robustes, bien développés, bien proportionnés avec la taille gigantesque du malade. Le volume extraordinaire des mains, leur grosseur et leur largeur vraiment énormes pour une longueur presque normale, ne frappent pas beaucoup dans ce cas, à cause du gigantisme du sujet et des bras et avant-bras extraordinairement musclés.

L'énergie musculaire est pourtant affaiblie, en rapport avec l'amyosthénie générale, déjà mentionnée. Doigts ayant l'aspect classique en boudin, avec des ongles plats, larges, plutôt petits, striés longitudinalement; têtes articulaires notablement augmentées, perceptibles malgré le développement des parties molles.

Voici quelques mesures :

A droite. A gauche.

Centimètres. Centimètres.

Circonférencemaximaduhras. 26 25 — du coude 28,5 28 Circonférence maxima de l'avant-bras, à 10 centimètres de l'otccrâne. 30 29,5 Circonférence minima de l'avant-bras. 22 21,5 — au niveau du pouls. 21 20 Longueur de la main, de l'interligne radio-carpien à l'extrémité du médius. 20 19 Longueur du médius, depuis le sillon interdigital.. 10 9,7 — de l'annulaire, depuis le sillon interdigital. 9 8,5 Périmètre maximum de la main, y compris le pouce. 50 29,5 — delaphalangettedupouce. 8,5 8 — — de l'index 7,4 7 — — du médius. 7,9 7,5

Membres inférieurs. — Quant au volume des pieds, considéré en luimême, comme par rapport au volume des jambes et des cuisses, on peut répéter à son sujet ce qui a été dit des mains par rapport aux bras et aux avant-bras.

Mais la difformité des pieds est relativement plus grande que celle des mains, et, malgré le gigantisme, les pieds sont proportionnellement plus gros que ne le comporterait la taille du malade.

L'hallux est particulièrement monstrueux. Le pied dans son ensemble est nettement aplati. Les ongles, courts et larges, sont striés longitudinalement.

L'augmentation des têtes articulaires est plus petite aux membres inférieurs qu'aux supérieurs. La peau est garnie de poils épars, non rudes, quoique très gros aux pieds, surtout à gauche ; elle y est aussi plus chaude qu'en aucun autre point du corps et couverte de sueur.

Quoique les masses musculaires soient aux membres inférieurs très développées, beaucoup plus relativement que dans les autres régions du corps, en sorte que la jambe et la cuisse du malade rappellent de loin l'aspect de la paralysie pseudo-hypertrophique ou de la maladie de Thomsen, l'amyosthénie est si accusée que le malade, en raison de son excessive aptitude à la fatigue, non seulement a dû renoncer à toute occupation inhérente à son métier d'agriculteur, mais même a dû cesser de marcher à pied, si la course est un peu longue ou s'il y a une montée.

Voici quelques mesures :

A droite. A gauche.

Centimètres. Centimètres.

Longueur du pied, du calcanéum à l'extrémité de l'hallux 29 28,5 Circonférence maxima du cou-de-pied 34 53 Circonférence maxima du pied au niveau de la base des doigts. 31 30 Longueur de l'haHux. 8 8 Largeur de l'haUux. 5,5 5,5

La sensibilité générale est normale sur le tronc et sur les membres ; un certain degré d'hypoesthésie électrique à gauche ne constitue pas un fait aussi constant et certain qu'à la face et au cou. Sens musculaire normal.

Les réflexes cutanés et tendineux sont bien conservés et égaux des deux côtés du corps.

L'excitabilité électrique farado-galvanique présente un peu d'affaiblissement, surtout l'excitabilité musculaire directe. Le fait est surtout évident aux membres inférieurs.

La miction et la défécation se font normalement.

Le sens génésique a subi chez le malade une atteinte notable. Indifférence pour les plaisirs vénériens; érection incomplète et fugace.

Examen de l'urine. — Quantité par jour : 2000 centimètres cubes ; poids spécifique : 1014, réaction acide; coloration pâle; urée des 24 heures : 26 grammes. Ni albumine, ni sucre, ni peptone. Légère augmentation des phosphates terreux et alcalins. Pour le reste, la détermination quantitative fait défaut, le malade n'ayant été traité que peu de jours à l'hôpital.

Le traitement consistait en galvanisation bitemporale, faradisation

du sympathique cervical, particulièrement du ganglion supérieur gauche, usage des préparations de thyroïde.

L'hyperidrose de la moitié gauche de la face et du cou, avec sensation de chaleur et rougeur livide de la peau, me paraît la confirmation clinique de l'expérience physiologique de Claude Bernard sur le sympathique cervical. Bien que, je le répète, le malade ait voulu, pour des motifs intéressés, retourner chez lui, au bout de 16 jours, l'amélioration obtenue quant à la céphalalgie et aux troubles circulatoires, sensitifs et trophiques du sympathique cervical fut très notable. Il prit à l'intérieur 70 tabloïdes de thyroïdine Merk. Le poids tomba, en 16 jours, de 93 à 90 kilogrammes. On nota une amélioration certaine de l'amyosthénie.

OBSERVATION XXX. (Alibert.) (Tr. des maladies de la peau. 1822, t. II, p. 317.) Géant scrofuleux, 52 ans, 2m,05. Poussée de croissance à la puberté.

Figure oblongue, langue volumineuse, voix rauque. Soif intense.

Polyurie extraordinaire : « Il n'éprouvait aucun attrait pour le sexe féminin. » OBSERVATION XXXI. (Quételet.) (Anthropométrie.1871, p. 500).

Géant napolitain, exhibé à Bruxelles; 2m,15; 18 ans et demi. Assez régulièrement conformé; embonpoint en rapport avec sa taille. Accroissement proportionné des pieds, des mains, des jambes. Développement musculaire très prononcé.

OBSERVATION XXXII. (Klein.) UN CAS DE GIGANTISME. (Soc. méd. des Hôp.

de Nantes. 20 juillet 1899 et Gazette méd. de Nantes. 4 novembre 1899.) Caporal, 21 ans, engagé volontaire depuis 3 ans, d'une taille de 2m,02 d'après son livret militaire, ramenée à 1m ,98 à la toise. Se trouve actuellement en congé de convalescence, pour fièvre typhoïde. Parents : 1 frère et 2 sœurs de taille ordinaire. La croissance s'est faite régulièrement et sans à-coup. L'intelligence est moyenne; bonne instruction primaire.

Taille rectifiée. lm,98 Poids. 85 kilogrammes.

Crâne : diamètre antéro-postérieur 18cm,5 — diamètre Lransversal. 15 centimètres.

Indice céphalique 15 —

Périmètre thoracique (au-dessus des saillies du grand pectoral) 95 — Circonférence de la cuisse gauche (partie moyenne). 49 — — du mollet gauche (partie moyenne).. 56c,n.5 — du bras droit (partie moyenne). 20 centimètres.

Muscles assez développés, sans exagération; vue normale.

Légers stigmates d'acromégalie; face disproportionnée par rapport au crâne; hauteur du maxillaire inférieur (incisives comprises) 33 milli-

mètres (44 millimètres chez un sujet normal de 1m,83) ; voûte palatine un peu ogivale ;

Longueur du bras : de l'acromion à l'olécrane) 50 cenlimètres.

Longueur du bras : de l'olécrane à l'apophyse styloïde du cubitus. 50 — Longueur de la main (1/9 de la taille) 3~ ʼn Longueur du membre inférieur (du grand trochanter au sol) 108 — Longueur du pied (1/6 de la taille au lieu de '1/7) 33 —

Verge pas très développée. Varicocèle assez prononcé; quelques varices aux deux mollets. Appétits génésiques peu marqués.

OBSERVATION XXXIII. (W. Lackey.) (Philadelphie, med. journ. 22 juillet 1899.) Acromégalie, avec observation d'un cas présentant quelques caractères inhabituels; taille du malade 8 pieds, 6 pouces.

OBSERVATION XXXIV. (Pleasants.) (Maryland med. journ. Baltimore, 1900, XLIII, p. 578.) Un cas d'acromégalie chez un nègre associé avec un léger degré de gigantisme.

OBSERVATION XXXV. (Hinsdale). (1) — LE GÉANT COOPER. (Acromegaly.

Medicine, Détroit. 1898, p. 55.) L'auteur a examiné un géant actuellement vivant, du nom de HENRY ALEXANDRE COOPER, né dans le comté d'York, en Angleterre, le 12 mars 1860. Il est haut de 7 pieds 5 pouces avec ses souliers et la circonférence de sa tête est de 25 pouces. Il n'y a ni prognathisme ni exophtalmie, ni hémianopsie. Il eut autrefois des maux de tète assez graves et pendant un temps souffrit des yeux et eut quelques troubles de la vue au moment de la période de sa plus grande croissance. Les sourcils sont un peu proéminents, le nez large ; le menton, toutefois, n'est certainement pas proéminent en considérant les dimensions de la face. Celle-ci est de forme ovale. Les mains et les pieds ne sont pas disproportionnés avec la taille du squelette. L'abdomen n'est pas proéminent et il n'y a ni soif, ni faim excessives. Le sujet semble avoir maigri. Il ne fut pas possible d'avoir son poids exact. Ce géant n'est donc pas un cas d'acromé-

(1) Nous reproduisons intégralement. Inobservation du géant COOPER d'après HINSDALE. Mais il serait superflu d'indiquer les critiques nombreuses qu'on pourrait adresser à la conclusion de l'auteur que ce géant n'est pas un acromcgalique : l'observation est beaucoup trop sommaire pour emporter la conviction; et il resterait d'ailleurs à démontrer que Cooper, même non acromcgalique au moment de l'observation, n'était pas apte à le devenir (Note des A.).

galie. Il serait établi que l'intelligence de cet homme est parfaitement lucide, ses manières plaisantes et sa voix agréable.

OBSERVATION XXXVI. (Nobl.) — (GIGANTISME CHEZ UN SYPHILITIQUE HÉRÉDITAIRE. Club médical viennois. 1er mai 1895. Wien. med. Presse.

1895, nos 19-21.) Homme 26 ans, syphilis héréditaire certaine (lésions nasales et palatines caractéristiques, lésions des cornées et de l'appareil auditif, infantilisme, avortements fréquents de la mère, mort en bas àge de 9 frères ou sœurs sur 12). Diaphyse des os longs remarquable par sa longueur.

Développement considérable de tout le squelette, des épiph., poignet, coude, phalanges terminales des doigts, mais pas comme dans l'ostéoarthropathie hypertrophique de Marie.

Albuminurie : 6 grammes et demi par litre, depuis longtemps.

Améliorée par Kl, et salsepareille, sans doute de nature syphilitique.

OBSERVATION XXXVII. (Fuchs.) (1) — HÉRÉDO-SYPHILIS ET GIGANTISME.

(Wien. Klin. Wochenschr. 10 septembre 1895.) Homme, 26 ans, 1m,88. Poids 88 kilos. Absolument imberbe. Provenait d'une famille notoirement syphilitique et présentait lui-même les stigmates de cette affection, tels que : exostoses multiples, perte de la cloison nasale, ozène, opacités cornéennes résultant de la kératite interstitielle, surdité, lésions dentaires, etc. Néphrite, peut-être hérédo-syphilitique, ayant bénéficié du traitement spécifique (dispa- rition des cylindres, quantité d'albumine tombée de 4 pour 100 à 0,5 pour 100). Les membres sont inégalement développés (ceux du côté droit sont plus forts).

OBSERVATION XXXVIII. (Mossé.) — UN CAS D'ACROMÉGALIE ASSOCIÉE AU GIGANTISME. (Soc. de Biologie, 15 octobre 1895.) Femme, 59 ans; 1m,83. Mains et pieds énormes. Cyphose cervico-dorsale. Augmentation du maxillaire inférieur. Varices des membres inférieurs. — Aucun des signes fonctionnels ou généraux de l'acromégalie n'accompagne les déformations squelettiques caractéristiques de cette maladie. — Traitement thyroïdien resté sans résultat.

OBSERVATION XXXIX. (P.-E. Launois et Pierre Roy.) — Le GÉANT LUTTEUR ANT. (observation inédite et incomplète).

22 ans, né à Sarajewo. Taille : 2m ,16. Poussée de croissance à la suite d'une fièvre typhoïde, à l'âge de 11 ans. Menton haut et saillant en avant.

Augmentation du diamètre bimalaire, voix extrêmement grave. La

radiographie du squelette de la main et de Pavant-bras a montré que

FIG. 95. — Le géant lutteur Ant., 22 ans; 2m,16.

les cartilages de conjugaison étaient normalement ossifiés (fig. 95 et 90).

OBSERVATION XL. — LE GÉANT HUGO (inédite).

HUGO, 25 ans, 2m,30, né à Saint-Martin-de-Vésubie (Alpes-Maritimes).

L'intérêt de cette observation, très incomplète et réduite aux notices fournies par le géant, lors de ses exhibitions parisiennes (au « VieuxParis » de l'Exposition universelle de 1900; — à l'Hippodrome, 1904), réside dans ce fait que les photographies (fig. 97 et 98) suffisent à faire soupçonner fortement chez le géant HUGO l'acromégalie par l'aspect de sa face, les dimensions de ses extrémités et l'ébauche du genu valgym.

— Voici, à titre simplement documentaire, les renseignements fournis par Hugo dans ses notices, reproduites par plusieurs journaux médi-

FIG. 93. — Radiographie de la main du géanL lutteur Ant. — L'ossification des cartilages s'est faite d'une manière et à une époque régulières.

eaux: 2m,50; 201 kilos. Dans sa bague passe librement une pièce de 10 centimes. Il couvre facilement une pièce de 5 francs avec son pouce.

Avec sa main il atteint une hauteur de 5 mètres. Grande envergure : 2n,47. Pointure des souliers: 59. Tour de taille et de poitrine: 1m,96.

Son lit a 5 mètres de long sur 1m,50 de large. Hugo est bien propor-

tionné, les traits réguliers, le visage éclairé d'yeux bruns très expressifs, les oreilles sont plutôt petites. Carrure des épaules : 70 centi-

FIG. 97. — Le géant Hugo, 25 ans, 2m,30.

mètres. Longueur du pied: 41 centimètres. La main ouverte développe 33 centimètres. Le géant HUGO a toujours eu des proportions extraordinaires, il pesait, en venant au monde, 15 livres; à l'âge de 6 ans il

mesurait déjà 1m,25; à 10 ans, 1m,70; à 15 ans, 2 mètres; à 20 ans, 2m,25. et aujourd'hui (1902), mesurant 2m,29, il s'est encore aperçu qu'il

FIG. 98. — Le géant Hugo.

avait grandi de 2 centimètres l'année dernière. — Parents, frères et sœurs de taille moyenne.

OBSERVATION XLI. (Lancet, 24 décembre 1898, p. 1748.) Le géant de Cunéo (Piémont), 22 ans, 2m,25. Circonférence du thorax: 1m,60. Longueur du pied : 45 centimètres, « lenteur éléphantine des mouvements, le rendant impropre au service militaire. N'est bon qu'à se montrer en public ».

OBSERVATION XLII (communiquée par P. Marie). — LA PLUS GRANDE FEMME DU MONDE. (Arch. orient, de méd.)

WASSILIKI CALLIAUDJI, jeune fille de 22 ans, originaire d'un petit village de la province de Corinthe (Grèce), a une taille de 2m ,50. « Ses yeux sont aussi gros que des œufs! Sa tête a un volume double de celle des femmes ordinaires, les mains et les pieds à l'avenant. » OBSERVATION XLIII (The Manchester Weekly Times, 25 avril 1902, extrait envoyé par Dr LOVE, de Glascow (communiqué par P. Marie).

VICTOR FEATHERSTONE, 19 ans, mort subitement. SERGEANT BROWN a mesuré son corps qu'il a trouvé long de 7 pieds 2 pouces; il aurait été plus long sans une légère courbure de la colonne vertébrale. Chaque pied mesurait 5 pouces de long et les mains étaient aussi de taille extraordinaire. Le DrSCHMITZ, qui soignait le malade depuis 2 ans, déclare qu'il était atteint d'une maladie très rare appelée l'acromégalie, caractérisée par un affaiblissement avec augmentation des os. La mort est due à la faiblesse cardiaque.

OBSERVATION XLIV. (D'après Lissauer et v. Luschan.) — LE GÉANT MACHNOW (Zeitaschrift für Ethnologie, 1905, Heft 2) (1).

MACHNOW est le dernier géant qui se soit exhibé en Allemagne et en Hollande. Bien que les documents recueillis sur lui soient incomplets, on peut cependant, en se basant sur les détails fournis par LISSAUER et V. LUSCHAN, résumer de la façon suivante son observation.

Il est né à Witebsk, en Russie, et appartient à une famille dont tous

(1) Nous remercions sincèrement le Dr LORAND auquel nous sommes redevables de la plupart des documents concernant le géant MACHNOW.

les membres sont de taille ordinaire; lui-même, jusqu'à l'âge de 4 ans, ne dépassait pas celle de ses camarades. A partir de cet âge, sans qu'on ait pu en reconnaître la cause, il se mit à grandir subitement et

FIG. 99(1). — Le gérant Machnow avec, à ses côtés, le professeur LUSCIIAN, le squelette d'un Boschiman de peLiLe taille et celui d'un Patagon de haute stature.

rapidement. Il dormait beaucoup, souvent pendant 24 heures consécu- tives, et n'avait qu'un appétit très modéré. A l'âge de 15 ans, il mesurait 1m,57. Actuellement, il a atteint l'âge de 22 ans et mesure 2m,38.

En raison même de cette taille exagérée, il se classe parmi les plus grands géants connus. Il dépasse, en effet, le géant HENOCH de Sal-

(1) Extraite du Journal des Voyages, 1903, p. 416.

bourg, qui prétendait mesurer, à l'âge de 24 ans, 2m,50, mais qui, d'après la rectification faite par v. LUSCHAN, n'atteignait en réalité que 2m ,15. Il est plus grand aussi que le géant WINKELMEYER (voir Obs. VI, p. 147), qui, à l'âge de 20 ans, était grand de 2m,17. Toutefois il n'aurait pas atteint les proportions du géant finlandais CAJANUS qui, d'après TOPINARD (Anthropologie), aurait atteint 2m,83.

Les mensurations faites sur MACHNOW par v. LUSCHAN sont incomplètes, parce que le géant n'a pas consenti à se déshabiller; elles n'en sont pas moins intéressantes à rapporter. V. LUSCHAN, comme Lis- SAUER, estime que la taille de MACHNOW correspond assez exactement à 2m,38. « En donnant ce chiffre, dit-il, je n'oublie pas que cet homme, examiné après quelques journées de repos au lit (il avait été obligé de garder l'immobilité à cause d'une brûlure au pied), au moment du lever, devait mesurer 3, 4 et même 5 centimètres de plus qu'à la fin d'une journée de fatigue; je n'oublie pas non plus qu'il se redressait autant qu'il le pouvait faire et cependant je considère mon appréciation comme répondant à la mesure exacte. » Quant aux autres mensurations elles ont donné les résultats suivants :

Longueur la plus grande de la tête. 220 millimètres.

Largeur — '173 — Longueur de la base, environ. 155 — Hauteur de l'oreille, environ 160 — Largeur la plus petite du front. 128 — Hauteur de la face (de la racine des cheveux au menlon). 222 — Hauteur de la face (de la racine du nez au menton). 154 — Hauteur de la face (de la racine du nez à la fente de la bouche). 99 — Hauteur du nez (de la racine à la pointe). 70 — Largeur du nez. 50 — Largeur des arcades zygomatiques. -lô7 — Distance des angles des mâchoires. 12'5 — — des angles internes des ycuv. 40 — — — externes des ~eux. 118 — Largeur de la bouche. 65 — Hauteur des lèvres 27 — Longueur de l'oreille. 74 — Largeur de l'oreille. 44 — Hauteur du corps assib. 1150 — — totale du corps debout 2380 — — du sternum à terre 2000 — — des épaules à terre. 1980 — — des hanches à terre 1450 -ʼn — de la symphyse à terre, environ 1260 — — dubordinférieurdelarotuic. G00 — Longueur du bras pendant 1046 — — de l'avant-bras 640 — — de la main 251 — Largeur de la main 1 no Longueur du médius (en dedans). 107 ʼn — (en dehors). 157 — Circonférence de la tète 620 —

Circonférence de la poitrine 1200 millimètres.

Circonférence la plus petite de la partie inférieure ` 9 0 de la cuisse. 290 — Circonférence la plus grande de la cuisse 410 — Longueur du pied. 5iU — Largeur du pied 149 —

Dans un second tableau annexé à sa communication, v. LUSCHAN a rapporté ces mensurations à une hauteur corporelle moyenne de 1000 centimètres et les a rapprochées d'autres, empruntées à l'ouvrage de CARL LANGER (La croissance dit squelette humain, surtout en ce qui concerne les géants. Wiener Akadem. Denkschriften, 1871, XXXI) et à ses propres mémoires (Ethnologie des possessions allemandes dans les pays exotiques. Berlin, 1897). Ce tableau comprend les mensurations faites sur 94 individus de tailles différentes : il commence 1° par FAYKJE BANKS, petite femme rachitique de l'Afrique du Sud et se termine par MACHNOW. Il comprend de plus : 2° HAMBO BELL, homme dont la taille est petite en comparaison de celle de ses compatriotes du Kamerun; 5° TITTI, homme de petite taille de Togo; 4° un squelette normal mesurant 1620 millimètres; 5° FERDINAND DEMOUDSCHA, Herero, d'une grandeur et d'une vigueur extraordinaires; 6° un individu représentant le type d'un grand homme; 7° MSCHUNGO, Massai très svelte et très mince; 8° le Grenadier, de C. LANGER; 9° le géant de Saint-Pétersbourg, d'après C. LANGER; 10° le géant d'înnsbruck, d'après C. LANGER; 11° le géant MACHNOW.

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]lauleur totale 1500 152> 1550 1620 1855 1857 181i0 2087 21U5 222") 2380

Réduction pour une hauteur corporelle de 1C00 cm. :

Longueur de la lête 15s 120 121 (115) 106 — 109 91 92 88 92 La<'geu)'de)atête. 98 88 90 97 81 — 77 70 73 70 73 Hauteur de la tète (oreille). 92 85 83 (74) 71 — 70 — — — 67 Hauteur A de la ligure. 122 111 115 (130) 110 (115) 104 (115) (MU; (102) 94 Hauteur B de la ligure. 70 61i 73 (69) 67 — 62 — — — G5 Taille assise 448 540 512 (5H) 477 - 489 — — — 478 Klaflerweite 1060 1050 1010 (1073) 1060 (1117) 1050 1040 1165 — 9 « Longueur des bi\is 469 457 450 441 458 467 457 423 487 — 439 Bras. 169 172 150 173 182 194 177 168 189 179170 Avant-bras HI6 172 163 157 165 156 16!} 154 180 169 165 Main 111 113 112 111 111 117 112 101 118 — 105 Hauteur de la cuisse, plu* hauteur du pied 2ofi 255 245 271 274 233 284 270 289 233 290 Longueur du pied 129 147 114 (144) 110 — 151i — — — 155

Dans ce tableau comparatif des tailles, les chiffres placés entre parenthèses n'ont pu être comparés à d'autres, soit parce qu'ils n'ont pas été recueillis, soit parce que les mensurations ont été faites sur des squelettes.

Quoi qu'il en soit, la lecture de ce tableau est très instructive : elle met en évidence la disproportion qui existe entre la croissance du crâne, du cerveau et celle des autres parties du corps. Elle met de plus en valeur, chez MACHNOW, la petitesse du visage, l'allongement par contre plus marqué des membres inférieurs et le contraste qui existe entre les dimensions de ceux-ci et celles des membres supérieurs et du torse.

En raison même des dimensions de ses pieds, qui ont une longueur de 57 centimètres, une largeur de 15 centimètres, de celles de ses mains, de celles de son corps, il est clair que MACHNOW est obligé de faire confectionner sur mesures ses vêtements comme ses chaussures et ses gants. Par contre, la circonférence de sa tète n'étant que de 62 centimètres, il est certain de trouver un chapeau à sa convenance « surtout s'il s'adresse à un chapelier ayant l'habitude de coiffer des clients occupant une haute situation ».

On sait jusqu'à présent peu de choses sur la santé, la vigueur de MACHNOW. Cependant, quand LISSAUER l'examina, il constata un certain état de faiblesse et d'anémie, en même temps que de la faiblesse du cœur et du pouls. Les démêlés, qu'il eut avec son barnum et que viennent de conter les journaux allemands, nous ont appris qu'il est tout à la fois gros mangeur et gros buveur. On ignore s'il est diabétique.

Il est à souhaiter qu'une étude minutieuse soit faite de MACHNOW et vienne permettre d'ajouter son observation à celle des géants infantiles et acromégaliques, comme on peut, dès aujourd'hui, le supposer en se basant sur les données que nous venons de résumer.

GROUPE II

GÉANTS AUTOPSIÉS

OBSERVATION III (1). (Woods Hutchinson.) — UN CAS D'ACROMÉGALIE CHEZ UNE GÉANTE, LADY AAMA. (American journ. of med. sciences, août 1895, p. 190.) Un cas d'acromégalie chez une géante. — Lady Aama, née dans le Jura, morte en Amérique, à 17 ans; 2m,02. Affaiblissement permanent et progressif des forces, aboutissant à la mort par syncope. Déficiénce intellectuelle. — AUTOPSIE : Retard d'ossification des cartilages épiphysaires. Allongement disproportionné des membres inférieurs.

Atrophie des glandes mammaires. Glande pituitaire très augmentée de volume. Hypertrophie du clitoris (pseudo-hermaphrodisme). Atrophie da vagin, de l'utérus des trompes, des ovaires. Déformations acromégaliques du squelette. Développement excessif et forme spéciale des mains, des doigts, des pieds, de la mâchoire, des os du nez et des sinus frontaux.

OBSERVATION IV (2). (Buday ET Jancso.) — UN CAS DE GIGANTISME PATHOLOGIQUE, SIMON BOTIS. (Deutsches Archiv für Klin. Med., 1898, p. 585.) Un cas de gigantisme pathologique. — Simon Botis, porcher, commença à grandir d'une manière anormale à 20 ans, à la suite d'excès génésiques, ayant abouti en 2 ans à l'impuissance. Continua à grandir jusqu'à 35 ans (2m ,02). Déformation caractéristique de l'acromégalie : face, membres, thorax. Genu valgum droit. Facies imberbe. Intelligence conservée. Carie tuberculeuse du tibia droit.

Diabète. Tuberculose pulmonaire. Mort à 37 ans dans le marasme. —

AUTOPSIE : tumeur de l'hypophyse, plus grosse qu'un œuf de poule. (An- giosarcome.) Gigantisme viscéral. Tuberculose pulmonaire, néphrite parenchymateuse; atrophie testiculaire : canaux séminifères petits et sclérosés. Déformations acromégaliques du squelette.

(1) Voir p. 114.

(2) Voir p. 122.

OBSERVATION VIII (1). (Achard ET Lœper. — P.-E. Launois ET Pierre Roy, 1903.) — LE GÉANT K., TAMBOUR-MAJOR. (Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1900 et 1905.) Géant acromégalique et diabétique. — K., ancien tambour-major, mort à 56 ans, le 29 mai 1902. Hauteur 2m,12. Poussée de croissance à 18 ans.

Hérédité paternelle du gigantisme. Diabète sucré à 34 ans. Malformations acromégaliques des extrémités et surtout de la face (saillie très exagérée des pommettes). Douleurs névralgiques multiples. Mort brusque avec convulsions épileptiformes. — AUTOPSIE : développement disproportionné du thorax par rapport à l'abdomen. Gigantisme viscéral (foie, rate, reins, pancréas, etc.). Tuberculose pulmonaire. Énorme hypertro- phie du corps thyroïde (250 grammes). Épaississement considérable des os du crâne, élargissement des sinus frontaux. Pas d'augmentation de poids du cerveau. Énorme épithélioma du corps pituitaire, ayant dilaté notablement la selle turcique (diamètre transversal : 40 millimètres) et se prolongeant en haut par un pédicule qui passe entre les deux nerfs optiques, sans les comprimer, s'enfonce dans la scissure interhémisphérique et pénètre dans l'intérieur du lobe frontal, où il remplit entièrement la cavité très agrandie du ventricule latéral.

OBSERVATION X (2). (Dana, 1895; Woods Hutchinson, 1900.) — SANTOS MAMAÏ, LE GÉANT PÉRUVIEN. (Journ. of nervous and mental Diseases, novembre 1895, p. 725; — New-York med. journ., 28 juillet 1900, p. 154.) Gigantisme et acromégalie. — Le géant péruvien Santos Mamaï, 50 ans, 2 mètres. Mandibule très développée et thorax énorme; légère cyphose; hypertrophie des extrémités. Légère débilité mentale ; force musculaire très faible. — AUTOPSIE : Gigantisme viscéral. Hypertrophie de la glande pituitaire.

Examen histologique de la glande pituitaire par Woons HUTCHINSON, New-York médical journal, 28 juillet 1900, page 154.

« Furieux effort d'hypertrophie glandulaire excessive, effort relativement heureux dans la portion corticale de la glande, moins heureux dans la zone intermédiaire, échouant en un désordre chaotique de cellules néoformées et aboutissant à un simple exsudat hémorragique au centre de la glande, et qu'on retrouve à un degré plus faible dans la formation de la pituitaire normale. » OBSERVATION XV(3). (Dana, 1893; — Lamberg, 1896; — Villers, 1898; — Peter Bassoe, 1903.) — LE GÉANT DU MINNESOTA, WILKINS.

I. DANA (Journ. of nervous and mental Diseases, novembre 1895, p. 754.) — Somatomégalie avec hémiacromégalie de la tête. Géant professionnel,

(1) Voir p. 159.

(2) Voir p. 227.

(3) Voir p. 254.

Lewis Wilkins, 19 ans, né dans le Minnesota; 2m,23. Assez bien proportionné, mais pieds et mains énormes; développement remarquable d'une moitié de la face, portant sur l'os frontal et les maxillaires supérieur et inférieur, hypertrophie correspondant exactement à la distribution du trijumeau.

II. LAMBERG. (Soc. des médecins, de Vienne, 24 avril 1896. Wien. klin.

Wochenschr., t. XLVI, n° 19, 1896, p. 559.) — 22 ans, 2m,45. Voussure énorme de la moitié gauche du front et de la face accompagnée d'un rétrécissement de la fosse nasale à gauche; asymétrie du bassin.

III. E. VILLERS, Bull. Soc. d'Anthropologie de Bruxelles, 1898, XVII, 174.

Géant scaphocéphale. Rachitisme. Continence génitale.

IV. PETER BASSOE (The Journ. of nervous and mental diseases, sept. et oct. 1903). — Un cas de gigantisme avec Leontiasis ossea. — Cécité double, mort par iléo-colite nécrotique et ulcérative. Sarcome dans la région de l'hypophyse, avec propagation de la tumeur aux tissus souscutanés. Hypertrophie du corps thyroïde. Gigantisme généralisé.

OBSERVATION XVI(1). (Woods Hutchinson.) — LE GÉANT MC INDOO. (NewYork med. journ., 14 juillet 1900.) James Me lndoo, 18 ans, 2m,04, 508 livres. Intelligence retardataire.

Grande vigueur musculaire, mais mouvements lents et mal coordonnés. Appétit énorme. Retard du développement sexuel. Augmentation de la partie faciale du crâne, des mains et des pieds. Développement excessif des sinus malaires et frontaux.

OBSERVATION XVII (2). (Fritsche ET Klebs.) — LE GÉANT PETER RHYNER.

(Ein Beitrag zur Pathologie des Riesenwuchses. Klin. und Pathol.

anat. Untersuchungen, Leipzig, 1884.) 44 ans. Début de l'acromégalie à 56 ans : céphalée, névralgies, hypertrophies localisées, cyphose lentement progressive, 1m,60. Impuissance, atrophie testiculaire. Mort par syncope. — AUTOPSIE : gigantisme viscé ral. Déformations acromégaliques du squelette. Tumeur de l'hypophyse.

OBSERVATION XXIII(3). (Huchard ET P.-E. Launois.) — (Bull. de la Soc.

méd. des Hôp., 1903.) Homme, 60 ans. Gigantisme (1m,96) et acromégalie (mains et pieds énormes, développement anormal du thorax, saillie exagérée des os malaires et des arcades sourcilières, ressaut post-lambdoïdien). Mort par gangrène pulmonaire. — AUTOPSIE : Élargissement de la selle turcique, sans doute par hypertrophie primitive de l'hypophyse, ayant fait place, par la suite, à une atrophie scléreuse (examen microscopique), si

(1) Voir p. 263.

(2) Voir p. 269.

(3) Voir p. 309.

bien qu'à l'autopsie le corps pituitaire apparaissait comme une petite cerise dans une cavité faite pour loger au moins une noix.

OBSERVATION XXVI (1). (Dufrane, P.-E. Launois ET Pierre Roy.) — LE GÉANT CONSTANTIN. (Bull. de la Soc. méd. des Hôp., mai 1903.) OBSERVATION XLV. (Bourneville et Félix Regnault.) — ACROMÉGALIQUE DU TYPE GÉANT. (Bull. Soc. anat. de Paris, 51 juillet 1896.) 1m,88. Aveugle dès les premiers mois de sa vie (conjonctivite purulente). Chétif et de petite taille jusqu'à 20 ans, grandit et grossit démesurément de 20 à 25 ans. Entré à Bicêtre le 27 juillet 1879 (accès d'épilepsie); mort le 5 mars 1881, par syncope consécutive à une hémorragie abondante. — AUTOPSIE : Tumeur du corps pituitaire. Gigantisme viscéral : encéphale, 1550 grammes; poumons, chacun 1250 grammes; cœur, 750 grammes; rate, 870 grammes; foie, 4500 grammes; reins, chacun 450 grammes; testicules : gauche, 50 grammes; droit, 40 grammes. Signes acromégaliques : augmentation de la face par rapport au crâne; dilatation de la selle turcique (diamètre antéro-postérieur : 28 millimètres); hypertrophie du maxillaire inférieur.

OBSERVATION XLVI. (Henrot.) — HYPERTROPHIE GÉNÉRALE PROGRESSIVE. (Notes de clinique médicale, Reims, 1877, p. 56.) (2) Adénie cervicale ; diabète léger; hypertrophie des mains, des pieds, de la mâ- choire inférieure et de la langue; exophtalmie ; affaiblissement de la vue; hypertrophie du corps pituitaire, de la glande pinéale, du grand sympa- thique, du foie, de la rate et des reins ; atrophie du cœur et des artères.

Le nommé D. Alphonse, âgé de 36 ans, entre à l'Hôtel-Dieu le 29 janvier 1877; il est placé au n° 29 de la salle Saint-Rémi.

Les antécédents ne révèlent rien de spécial du côté de ses ascendants, il n'a jamais eu la syphilis; il est marié, père de deux enfants bien portants.

En l'interrogeant avec soin, il nous apprend qu'il porte depuis l'âge de 6 ans un engorgement des glandes sous-maxillaires qui a toujours été en augmentant; il n'a jamais eu d'abcès du cou, il ne porte pas de cicatrices strumeuses; l'accroissement glandulaire s'est fait lentement d'une façon continue, sans jamais déterminer de douleurs.

Depuis l'âge de 13 ans, il remarque une augmentation progressive des pieds et des mains.

A 20 ans, le conseil de revision l'accepte, on le place dans un régiment de dragons, il y reste pendant six ans et demi.

Depuis cinq ans il travaille dans les caves (3) ; il interrompt son tra-

(1) Voir P. 317.

(2) Par la suite, cette observation a été reproduite par P. MARIE, puis par SOUZA-LEITE, comme cas typique d'acromégalie. (Note des A.) (3) Détail complémentaire retrouvé dans les notes de notre interne d'alors,

vail à la fin de l'année 1876, pour entrer à l'Hôtel-Dieu, il passe plusieurs semaines dans la salle Saint-Thomas; en dehors de l'aspect extérieur, on ne constate aucun autre symptôme qu'un très grand appétit, et une soif très difficile à satisfaire; je n'ai pu savoir si à ce moment les urines avaient été analysées.

ÉTAT DU MALADE LE 29 JANVIER 1877. — Ce malade présente un facies tellement repoussant qu'il attire le regard de toutes les personnes qui passent dans la salle :

la partie inférieure de la face présente un développement insolite; elle se confond sans ligne de démarcation avec la partie supérieure de la poitrine.

Les lèvres sont boursouflées; l'inférieure forme un véritable bourrelet de la grosseur du doigt; elle est renversée en bas, et laisse la bouche entr'ouverte : la langueayantau moins le double de son volume normal emplit toute la cavité buccale et vient faire saillie au dehors; elle présente la coloration et le degré de consistance ordinaires; ce

FIG. 100. — Le géant de HENROT.

(Dessin de P.-E. LAUNOIS, interne du service.

n'est pas de l'œdémaciation de la pointe, mais bien de l'hypertrophie portant sur la totalité de l'organe.

L'arcade dentaire supérieure est normale, elle porte toutes ses dents; l'arcade dentaire inférieure appartient à une circonférence beaucoup plus grande que la supérieure; on dirait la mâchoire d'un géant appliquée contre le maxillaire supérieur d'un adulte; on peut, lorsque la mâchoire inférieure est aussi rapprochée que possible de la supérieure, passer le bout de l'indicateur entre les arcades dentaires.

M. LAUNOIS, actuellement interne des hôpitaux de Paris : A cette époque, le malade est pris de douleurs rhumatismales très aiguës dans les membres supérieurs, les membres inférieurs et les reins. Pendant 5 ans, son travail dut être souvent interrompu, il était devenu très irrégulier depuis 4 ans.

Les dents du maxillaire inférieur présentent une hypertrophie dans tous les diamètres : elles sont plus longues et plus larges que les supérieures; quand on fait rentrer la langue et que l'on rapproche pour un instant les mâchoires, il est facile de constater que les incisives inférieures, légèrement encroûtées de tartre, sont d'un quart ou d'un cinquième plus larges que les incisives supérieures correspondantes.

Les globes oculaires font une saillie considérable : le regard manque de vivacité, il semble à demi éteint; les paupières, sans être œdéma- tiées, présentent un gonflement spécial : la supérieure recouvre la moitié de la cornée; on dirait qu'elle est trop longue. Les pupilles sont égales, modérément dilatées, peu impressionnables à la lumière; dans certains moments, il y a peut-être un peu de loucherie, ce n'est pas constant, ni assez accentué, pour qu'on puisse indiquer l'œil dévié.

Le nez est extrêmement développé.

L'élargissement de la face est considérable; d'une région parotidienne à l'autre, on constate au moins 6 ou 7 centimètres de plus que dans l'état normal. Tout le pourtour du maxillaire inférieur aussi bien au niveau des branches montantes que des branches horizontales contient d'immenses paquets ganglionnaires, confondus en une seule masse semblant faire corps avec l'os lui-même; ces masses, uniformément arrondies, ont une consistance telle que, dans beaucoup de points, il est impossible de dire si c'est la surface de l'os ou la surface de la tumeur qu'on a sous la main ; ces tumeurs qui ont développé les régions parotidiennes et sous-maxillaires d'une façon uniforme, se continuent sans ligne de démarcation avec la partie supérieure de la poitrine. Le corps thyroïde hypertrophié se confond dans la masse commune.

Le front est normal; il ne présente, ainsi que le crâne, aucune déformation; à première vue, il semble atrophié à cause du développement énorme de la face, mais un examen plus attentif permet de reconnaître que la face seule est hypertrophiée.

Le teint est d'un blanc mat.

Le facies présente à la fois le type du scrofuleux, du leucocythémique et de l'idiot; comme expression, c'est un mélange d'avachissement et de basse sensualité.

La poitrine et les épaules sont larges.

La partie inférieure du thorax est renversée en dehors comme cela se présente chez les personnes qui ont beaucoup maigri après avoir eu un abdomen très volumineux.

Le ventre est souple, il est encore chargé de graisse, la verge et les bourses sont normales.

Les membres supérieurs et inférieurs ont leur volume ordinaire; ils semblent plutôt amaigris si on les compare à l'ensemble de l'individu; la peau est saine, blanche, fine, anémique, sans œdème.

Comme contraste, les mains et les pieds sont phénoménaux; la forme de ces extrémités n'est pas sensiblement modifiée; il y a de l'hypertrophie totale; la longueur, la largeur, l'épaisseur des doigts et de la

main ont subi un accroissement proportionnel; les ongles présentent une large surface plane.

Le système veineux superficiel ne présente rien de spécial, il n'est nulle part variqueux. Les lymphatiques ne sont enflammés d'aucun côté; les ganglions de l'aisselle, de l'aîne, du creux poplité sont normaux.

Il n'y a pas de paralysie; le malade peut remuer bras et jambes, cependant les mouvements sont lents; il faut un certain effort pour soulever les mains et surtout les pieds : y a-t-il de l'affaiblissement musculaire, ou est-ce le poids des extrémités qui rend les mouvements pénibles? il est vraisemblable que ces deux causes agissent dans le même sens, toujours est-il qu'il garde dans son lit une immobilité à peu près complète; on dirait un homme de cire.

La sensibilité cutanée semble un peu obtuse, il n'y a nulle part d'anesthésie.

Le malade n'a pas de fièvre, le pouls est petit, régulier; la température du corps est normale, les fonctions digestives se font bien; il n'a ni constipation, ni diarrhée; il a peu d'appétit depuis une quinzaine de jours, la soif est toujours très vive.

La miction est facile, les urines ne sont pas albumineuses; elles contiennent une petite quantité de sucre.

La respiration se fait librement, rien de particulier au cœur.

L'intelligence est lourde; il entend sans que l'on soit obligé d'élever notablement la voix, il répond avec assez de précision aux questions qu'on lui adresse; il se plaint constamment d'une céphalalgie profonde sans irradiation périphérique. La vision est très incomplète; dans certains cas il éprouve des difficultés à saisir les objets qu'on lui présente, surtout quand ils ont un petit volume.

En un mot, ce malade est étendu dans son lit comme une masse inerte; il ne cause pas avec ses voisins, et ne semble prêter qu'une attention très distraite à tout ce qui se passe autour de lui, il faut le questionner, l'exciter pour obtenir une réponse.

L'examen microscopique du sang nous permet de constater que nous n'avons pas affaire à une leucocythémie; il y a seulement 2 ou 5 globules blancs sous le champ du microscope, les globules rouges sont pâles, non déformés.

Le 23, cinq jours après son entrée, un grand affaiblissement et des vomissements verdâtres se produisent; le malade devient gâteux. Le 26, les vomissements verdâtres continuent, le pouls devient très petit, le râle trachéal s'entend à distance, le malade connaît encore; il meurt le 27 au matin par suite de l'accroissement de la gêne de la respiration.

AUTOPSIE. — Une main et un pied sont conservés.

Peau. Partout elle est saine; elle n'est nulle part adhérente aux tissus sous-jacents; celle qui recouvre les parties hypertrophiées ne présente rien de spécial.

Les veines, les vaisseaux et les ganglions lymphatiques, excepté ceux du cou, sont sains.

Poumons. — Sains, bien développés, un peu de congestion aux bases.

Cœur. — Le cœur est très petit, il a subi un degré d'atrophie considérable, il ne présente guère que les 2/3 du volume de mon poing, et celui-ci ne représente pas la moitié du poing de notre sujet.

Pas de sérosité dans le péricarde, quelques plaques laiteuses sur le péricarde, particulièrement le long de l'aorte et de l'artère pulmonaire.

Les parois du ventricule droit sont très amincies, celles du ventricule gauche sont peu épaisses ; le muscle n'a pas subi de dégénérescence.

Il y a un caillot fibrineux dans le cœur droit.

Le foie est volumineux, mou, flasque; il ne présente rien de spécial à la coupe.

La rate a au moins le triple de son volume normal; la consistance est normale, on trouve dans son épaisseur une petite tumeur du volume d'une noisette, d'une dureté pierreuse.

Le pancréas, l'estomac et les intestins sont sains.

Les reins sont volumineux, sains.

Le corps thyroïde est très développé; il a 4 ou 5 fois son volume normal.

La langue est hypertrophiée, les papilles gustatives sont très saillantes; elles sont manifestement hypertrophiées.

Les glandes sous-maxillaires sont perdues dans d'immenses masses ganglionnaires qui ont renversé le bord libre du maxillaire inférieur, à ce point que la face antérieure de cet os est devenue presque horizontale; l'os a un aspect tout particulier; ses déformations symétriques pour- raient faire croire qu'il provient plutôt d'un singe géant que d'un homme.

Les glandes parotides sont saines; il ne nous a pas été possible de retrouver les glandes sous-maxillaires.

Les tumeurs sous-maxillaires et péri-parotidiennes sont constituées par des amas ganglionnaires appliqués les uns contre les autres; elles sont formées par un tissu homogène, dur, très cohérent et n'ayant aucune tendance à subir la dégénérescence graisseuse, caséeuse ou tuberculeuse.

La plupart des nerfs, le pneumogastrique, le glosso-pharyngien, le plexus brachial ont subi une notable augmentation de volume.

Deux organes méritent de fixer notre attention d'une façon toute particulière : le cerveau et le nerf grand sympathique.

Encéphale. — Les parois du crâne ne sont ni épaissies, ni déformées; la base est normale dans toute son étendue, excepté au niveau de la selle turcique; là, nous trouvons des modifications considérables; la lame quadrilatère du sphénoïde et les apophyses clinoïdes postérieures sont très élargies; elles présentent beaucoup moins d'épaisseur que dans l'état ordinaire; elles sont complètement déjetées en arrière de façon à agrandir la fosse pituitaire; celle-ci en effet, au lieu de pouvoir contenir une noisette, a pris des dimensions telles, qu'elle peut loger un petit œuf de poule.

La paroi antérieure de la fosse, au lieu de présenter une saillie, est

fortement excavée. Quoique amincie, la lame quadrilatère est encore assez solide pour résister au scalpel.

En enlevant le cerveau, M. LAUNOIS, mon interne, éprouve une certaine difficulté à détacher le corps pituitaire; malgré les précautions qu'il prend, l'adhérence est telle qu'il coupe la partie la plus saillante de l'hypophyse; il s'écoule quelques gouttes d'un liquide noirâtre, légèrement visqueux (1).

Le cerveau, examiné par sa face supérieure, ne présente rien de particulier; l'hémisphère gauche est peut-être un peu plus volumineux que le droit, mais la différence n'est pas assez sensible pour qu'on puisse rien affirmer à cet égard.

A la base, on constate sur la ligne médiane, au lieu et place du corps pituitaire, une tumeur ovoïde du volume d'un petit œuf de poule;

FIG. 101. — Face inférieure du cerveau (géant de HENROT).

FIG. 102. — Coupe médiane du cerveau (géant de HENROT).

le diamètre longitudinal mesure 30 millimètres, le diamètre transversal le plus grand mesure 42 millimètres; elle est limitée par les organes suivants : en avant le chiasma des nerfs optiques qui est complètement aplati, et forme une large bandelette rubanée, ayant plus d'un centimètre et demi de largeur; son épaisseur est réduite à un ou deux millimètres; elle forme une vaste concavité en rapport de configuration avec la tumeur. Sur les côtés, les lobes sphénoïdaux du cerveau se sont excavés; en arrière, elle repose sur les pédoncules cérébraux.

Quoique régulière dans son ensemble, elle présente en avant et à gauche une petite saillie arrondie qui semble surajoutée. C'est dans ce point que la section a laissé une partie de la tumeur adhérente à la selle turcique.

(1) Comparer avec les détails de l'autopsie, rendue également difficile, dans notre observation du géant tambour-major (page 172). — (Note des A.)

La consistance est demi-molle; à la coupe on constate une partie antérieure, et une postérieure ne présentant pas le même aspect.

En la soulevant avec précaution, on voit ses connexions intimes avec la base du cerveau; elle se continue directement par l'infundibulum jusqu'au tuber cinereum qu'on tiraille lorsqu'on exerce sur elle une égère traction. L'unfundibulum est résistant, il est beaucoup plus développé que dans l'état normal. La glande pinéale a au moins le double de son volume ordinaire.

Le cerveau, le cervelet, l'isthme de l'encéphale, la moelle ne présentent extérieurement rien d'anormal, ils sont placés dans de l'alcool pour être ultérieurement examinés.

Nerf grand sympathique. — Le sujet étant réclamé, il ne nous a pas été possible de pousser l'examen aussi loin que nous l'aurions désiré; après avoir enlevé le maxillaire inférieur et les paquets ganglionnaires, nous avons disséqué et examiné sur place le grand sympathique, puis nous l'avons, non sans peine, détaché en coupant toutes ses communications avec la moelle; nous l'avons étendu sur une planche et nous en avons fait un dessin de grandeur naturelle, les dimensions de chaque organe, leur rapport ont été scrupuleusement respectés.

Ce qui frappe tout d'abord, c'est une hypertrophie considérable de tous les ganglions et de tous Jes nerfs qui constituent le sympathique.

Nous allons successivement décrire les portions cervicale, dorsale et abdominale.

Portion cervicale. — Le ganglion cervical supérieur gauche est très volumineux ; il a conservé sa forme et mesure 45 millimètres de longueur sur 15 millimètres de largeur.

Le filet carotidien a 5 ou 4 fois le volume normal; nous regrettons bien vivement de ne pouvoir le suivre jusque dans le sinus caverneux, mais la destruction qu'il aurait fallu faire n'aurait plus permis le rétablissement du cadavre. En avant nous trouvons trois grosses anastomoses avec le pneumogastrique; en arrière trois gros filets vont se jeter dans l'anse formée par la première et la deuxième paires cervicales; de l'extrémité inférieure partent plusieurs rameaux; le plus volumineux aboutit au ganglion moyen qui est placé très bas immédiatement audessus du ganglion cervical inférieur; ce dernier, étalé transversalement, mesure 15 millimètres de largeur sur 40 millimètres de longueur.

Portion dorsale. — Le grand sympathique, dans toute cette région, forme un cordon présentant au niveau des ganglions de légers renflements; il mesure 5 millimètres de largeur dans certains points, 6 millimètres dans d'autres. En avant, on suit parfaitement les branches qui se rendent à l'aorte.

Vers la partie inférieure, il se partage en deux branches qui ont ellesmêmes la même importance que le tronc, 6 millimètres : le grand splanchnique et la continuation du sympathique. Ces cordons sont plus volumineux que le pneumo-gastrique dans la région cervicale, ne mesurant que 4 millimètres. Au lieu de trouver une succession de ganglions réu-

nis par des filets nerveux plus ou moins importants, nous ne trouvons qu'un gros tronc nerveux, irrégulièrement bosselé.

Portion abdominale. — Le grand nerf splanchnique gauche, après avoir traversé les piliers du diaphragme, vient se jeter à l'angle supérieur gauche du ganglion semi-lunaire ; il se continue à plein canal à sa sortie du ganglion avec une branche volumineuse du pneumogastrique droit.

Le ganglion semi-lunaire et le plexus solaire mesurent 45 millimètres de largeur sur 30 millimètres de hauteur; ils ne donnent aucune branche par leur bord supérieur concave, mais par leur bord inférieur convexe, ils fournissent de nombreux rameaux qui suivent les artères mésentérique supérieure, coronaire stomachique, splénique, etc.

Le grand sympathique du côté droit, quoique n'ayant pas été disséqué avec le même soin, est aussi hypertrophié que celui de gauche dans toutes les parties que nous examinons.

OBSERVATION XLVII. (Sirena.) — OBSERVATION ANATOMO-PATHOLOGIQUE DU CADAVRE D'UN GÉANT. Contribution à la macrosomie et à la syphilis héréditaire tardive. (Riforrna meclica, 1804, vol. II, p. 83.) ABOUL-HOOL naquit à Assuan, dans la Haute-Égypte, de parents de taille normale. Quatre frères et deux sœurs sont également de taille ordinaire.

ABOUL-HOOL était ennemi de la fatigue et ne dormait pas moins de huit heures. Il était très glouton et mangeait en moyenne 14 kilos de vivres par jour, buvait 2 litres de lait, 5 à 6 litres d'eau; loin d'être attiré par la femme, il la fuyait au contraire. A l'Exposition de Paris, en 1889, ce fut le plus grand des géants exhibés : il mesurait 2m,40 et avait une force musculaire considérable, soulevant du sol un poids de 200 kilos, exécutant des exercices de gymnastique avec des massues ou des boulets de 100 kilos; son aspect était horrible, olivâtre, chauve avec très peu de poils; il avait la tête monstrueuse, les yeux petits et vifs, la face difforme, le nez camus, et proportionnellement petit, la bouche oblongue, les dents d'un très petit enfant, le menton large et aplati. Le thorax était ample, les épaules carrées et le corps bien conformé, quoiqu'un peu courbé en avant.

Après avoir souffert quelque temps, il mourut célibataire à l'âge de 20 ans, de néphrite parenchymateuse, à Palerme, le 27 avril 1892, et son impresario remit le cadavre à l'Institut d'anatomie pathologique de l'Université de Palerme.

A l'autopsie, le cadavre pesait 218 kilos. La tête, détachée au niveau de l'articulation occipito-atloïdienne, pesait 8kil,o00. Le corps était long de 2m,40.

Stature , 2400 millimètres.

Longueur du cou 537mm,57 — du tronc. 681mm,81 — de la tête 250mm,82

Longueur des membres thoraciques (de la tête de l'humérus à l'extrémité du [médius) 1000 millimètres.

Longueur du bras 443 — — de l'avant-bras. 537 — — de la main 220 — De l'extrémité inférieure du grand trochanter au bord externe du picd. 1150 — Longueur de la cuisse. 559mm,81 — de la jambe. 498n,m,67 Hauteur du pied 9lmm,52 Longueur de la plante du pied (du calcanéum à l'cxtrémiLédcl'hallux). 550 millimètres.

Largeur du bord interne de l'articulation métatarsophalangienne de l'hallux au bord externe de l'articulationdu5''orteil. 150 — Circonférence du thorax 1220 — Distancebiacromiale. 490 —

Diamètres de la tête.

Occipito-mentonnier 275 — Bipariétal. 250 ʼn Bitemporal. 190 — Mento-frontaloufacia). 250 — Fronto-occipital 280 — Sous-occipito-frontal. 170 — Circonférence 790 —

On notait en outre sur ce cadavre : le développement considérable du tissu adipeux sous-cutané et très faible des organes génitaux; une musculature flasque et pâle; un éléphantiasis des Arabes s'étendant du tiers inférieur de la jambe jusqu'aux orteils, plus marqué à la jambe et au pied droits; un cerveau déformé, petit, avec des lobes frontaux réduits, presque disparus; un cœur énorme (poids: 890 grammes), avec un liquide séreux dans le péricarde et l'abdomen (la cavité abdominale contenait environ 20 litres de liquide); des poumons présentant une congestion par stase œdémateuse; une rate énormément augmentée (875 grammes) avec trois gros infarctus hémorragiques de date différente ; des reins très augmentés (le droit pesait 470 grammes et le gauche 400) offrant les caractères de la néphrite parenchymateuse; un foie énorme ayant

tous les caractères du foie muscade (4050 grammes).

Sur le squelette, en dehors d'un développement énorme de tous les os qui le composaient, on nota : une cyphose angulaire légère au niveau des 5e, 6e et 7e vertèbres dorsales avec lordose de la portion sus-jacente et scoliose de la portion lombaire ; synostose de la 5e avec la 6e vertèbre dorsale, ainsi que de la 6e avec la 7e; graves lésions d'ostéo-périostite poreuse diffuse, en particulier au frontal, au temporal droit, à l'occipital, au sphénoïde, aux maxillaires (supérieur et inférieur) aux os du nez, aux 5e, 4e, 5e 8e, 9e côtes droites, aux 1re, 4e, 7e côtes gauches, à l'os iliaque, au fémur droit; ostéomes spongieux et exostoses à la tête des 3e, 4e et 5e côtes droites et de la 4e côte gauche; renversement des dents, microdontisme; agrandissement des troncs et canaux des os du crâne et de

la face, spécialement des canaux nasaux et du conduit auditif externe gauche; rétrécissement du trou occipital; agrandissement très notable des apophyses mastoïdes, surtout à droite, ainsi que des épiphyses ou saillies des insertions musculaires; synostose de la suture temporopariétale droite.

Dans ce cas, on ne peut dire avec toute certitude quand a commencé l'accroissement, puisque l'imprésario ne le savait pas. Mais on peut dire qu'il débuta peu après ou quelques années après la naissance, en raison des altérations des os du crâne, de l'aspect du frontal et du sphénoïde et de la réduction du cerveau par suite du défaut de capacité du crâne; les lobes antérieurs étaient à peu près entièrement disparus, n'ayant pu se développer dans le sens antéro-postérieur à cause de la néoformation osseuse originaire de la surface interne du frontal et de l'ethmoïde, néoformation paraissant s'être développée pari passa avec le développement du cerveau; celui-ci s'était donc accommodé de la capacité réduite du crâne, et l'on peut dire accommodé parce que ABOUL-HOOL, ainsi que le confirmèrent l'imprésario et le Dr FILETI, qui l'assista dans sa dernière maladie, ne ressentit jamais aucun trouble des facultés intellectuelles; moi-même, lorsque parmi les nombreux curieux j'allai le visiter en public, je pus m'assurer qu'il parlait correctement, voyait, sentait et mangeait de même, qu'il avait une sensibilité normale au tact et à la douleur et qu'il montrait une intelligence discrète. Conduit à Paris un an avant sa mort, il apprit en peu de temps la langue et s'exprimait correctement en français; il savait également un peu d'italien.

D'autre part la forme dolichocéphalique très accusée du crâne, le diamètre longitudinal du frontal, la projection en arrière des deux pariétaux, viennent confirmer mon opinion que le cerveau, ne pouvant se développer en avant, où il trouvait la forte résistance de la néoplasie osseuse du sphénoïde et du frontal, ni non plus transversalement en raison de la synostose des sutures temporo-pariétales, se développa en arrière; et ainsi, la pression endocrânienne s'exerçant de préférence dans le sens antéro-postérieur, se produisit la forme dolichocéphalique très accentuée du crâne. Au contraire, si la néoplasie susdite avait débuté à l'âge adulte, il n'aurait pas eu le même accommodement, et, par le seul fait de la compression, le crâne ne pouvant grandir, le patient serait mort, ou, en tout cas, n'aurait pas conservé l'intégrité de ses organes des sens et de ses facultés intellectuelles.

En ce qui concerne la nature de cette altération, nous n'hésitons pas à déclarer que c'est une tâche difficile que de l'établir. Un fait qui nous paraît de la plus grande évidence est que des altérations osseuses généralisées, comme celles qui s'observent chez ce sujet, ne peuvent s'expliquer que par une véritable infection. Or, l'infection qui explique le mieux ces altérations, soit pour leur siège, soit pour leur étendue, est la syphilis. Mais cette hypothèse que nous trouvons fondée, à ne regarder que le squelette, et en particulier le crâne, ne s'appuie sur aucune autre observation. D'après son imprésario, notre sujet n'eut jamais d'acci-

dents syphilitiques primaires ou secondaires; à l'autopsie on ne trouva non plus ni plaques, ni cicatrices pigmentaires aux organes génitaux, à la région périnéale, à la commissure des lèvres, à l'isthme du gosier; ni engorgement des ganglions lymphatiques électifs, ni gommes, ni cicatrices de gommes au foie ou dans aucun autre organe. D'autre part, dans la syphilis héréditaire, d'après FOURNIER, il y a plutôt arrêt de développement et infantilisme, que développement considérable du squelette et de tout le corps en général, comme nous l'observons ici.

Mais l'hypothèse de la nature syphilitique garde pour elle le siège, la forme (exostoses ou ostéo-périostite poreuse) des altérations osseuses, la possibilité de trouver des lésions osseuses syphilitiques accompagnées de lésions semblables des parties molles, l'anémie profonde du malade, la marche lente avec laquelle se sont produites ces altérations, et, par-dessus tout, l'existence de la triade d'HUTCHINSON, presque au complet : renversement des dents, microdontisme, lésion d'un des organes de l'audition, à droite le rocher est le double de la normale; il est manifestement altéré; le conduit auditif externe est presque complètement oblitéré. Il manque la kératite parenchymateuse ou ses traces.

La syphilis étant la seule infection qui puisse donner l'explication de ces diverses lésions, il me paraît très vraisemblable de les attribuer à la syphilis héréditaire, bien que nous manquions de tout renseignement sur les ascendants, frères, sœurs, etc., d'ABOUL-HOOL.

OBSERVATION XLVIII. (Dallemagne.) — LE GÉANT GOLIATH. (Arch. de méd.

expérim. 1895, obs. I, p. 589).

Clinique. — Dol., Jone, âgé de 47 ans, présentait depuis plus de 15 ans le facies acromégalique. Il portait, parsemant presque tout le corps, des petites tumeurs d'allure xanthomateuse. Il était diabétique ; il existait en outre un notable abaissement de la vue avec atrophie papillaire. Toutefois le malade, qui, outre les manifestations acromégaliques, était énorme, circulait dans les salles sans trop se plaindre.

Sa haute stature lui avait valu de notre maître M. le professeur ROMMELAERE, à la bienveillance duquel nous devons de publier cette note, le surnom de Goliath. Il mourut assez brusquement, dans un accès de coma diabétique. En dehors des troubles dus au diabète et des altérations de la vue, GOLIATH n'accusait aucune souffrance. Les renseignements cliniques ne dénotent point qu'il se fût jamais plaint de céphalalgie.

Autopsie. — Sur la table d'autopsie, la taille mesure 1m,78; le tronc 0m,93 ; le crâne 0m/21 et 0m,165. A l'ouverture de la cavité thoracique on ne constate pas d'épanchement pleural ; à gauche, les plèvres sont libres ; à droite, il existe des adhérences nombreuses et assez fortes reliant les deux feuillets de la plèvre.

Le poumon droit est un peu affaissé. Outre les brides pleurales signalées ci-dessus, on constate dans le parenchyme un foyer hémorragique enkysté et des traces de pneumonie hypostatique à la base.

Le poumon gauche présente des lésions de pneumonie au stade d'hépatisation rouge; en certains points ces noyaux hépatisés tendent vers le gris.

Le cœur, volumineux, pèse 885 grammes, il mesure 15,18,7 centimè- tres, le ventricule gauche, notablement hypertrophié, présente, vers sa partie moyenne, une épaisseur de 5 centimètres. La mitrale, un peu épaissie, est légèrement adhérente à ses bords libres, ce qui constitue un faible rétrécissement. La valvule aortique et l'aorte sont intactes. 11 existe un peu d'hypertrophie du cœur droit, mais elle est moins considérable que celle de gauche. Le myocarde brunâtre parait plus consistant que normalement.

Le foie est énorme : il mesure 39,35; 11 centimètres et pèse 5,900 grammes. La capsule est lisse et ne présente que quelques ficelures linéaires superficielles sans rétraction. Le parenchyme est brun, de coloration uniforme assez gorgé de sang ; la consistance est à peu près normale ; l'examen macroscopique laisse soupçonner cependant une sclérose très légère avec un peu d'infiltration graisseuse.

La rate mesure 23,15, 6 centimètres et pèse 920 grammes. Elle est d'une consistance assez ferme; la capsule est lisse, transparente et sans exsudât : la pulpe est brunâtre, parfois même pigmentée de noir ; elle est très résistante et accuse un certain degré d'hypertrophie de la trame.

Le pancréas pèse 220 grammes. Il est injecté, sans toutefois présenter d'induration ni de néoplasie. Au niveau de la tête, on constate la présence d'un ganglion assez développé.

Les reins sont très volumineux ; ils pèsent : le droit 550 grammes, le gauche 620 grammes ; ils mesurent respectivement 18-8 et demi, 4 et demi; et 19-9,4 et demi centimètres.

Le cerveau pèse 1,400 grammes. Dans le cerveau on constate, enclavée dans la selle turcique, la présence d'une tumeur du vobime d'un œuf de pigeon. Cette tumeur présente à sa surface plusieurs petits noyaux secondaires logés dans des dépressions creusées aux dépens des parties encéphaliques voisines. Cette tumeur, ainsi que ses noyaux secondaires, a exercé une compression particulièrement visible au chiasma ainsi que sur les nerfs optiques. Cette compression commence à peu près à un centimètre environ de la partie antérieure du chiasma. A ce point les nerfs optiques sont atrophiés assez uniformément; ils sont réduits d'un tiers environ, et leur section est nettement pyramidale. A partir de ce point les traces de la compression apparaissent un peu différemment sur chacun des nerfs. Le nerf gauche continue à s'atrophier et à porter l'empreinte des noyaux secondaires de la tumeur ; mais le nerf droit surtout se déforme plus considérablement : au lieu d'une réduction atrophique, c'est une réelle lamination qu'il subit, de telle façon que le nerf est relié à ce qui subsiste du chiasma par une bande de tissu nerveux très amincie, de 7 millimètres de long et de 3 millimètres de large. Cette lamination est due à la compression très visible d'un gros lobule complémentaire situé à droite, au sommet

de la tumeur principale ; ce qui subsiste du chiasma n'est plus représenté que par une sorte de moignon. Ce moignon du chiasma est reporté vers la droite et semble séparé du point d'union des deux nerfs optiques par un sillon linéaire dans le fond duquel est logé un vaisseau.

La tumeur enclavée dans la selle turcique a créé là une petite cavité de 6 millimètres de profondeur environ tapissée par une sorte d'aponévrose épaissie et très résistante; cette tumeur est blanchâtre, assez friable et présente l'allure sarcomateuse.

Le cerveau paraît plutôt pelit ; les circonvolutions semblent peu développées ou atrophiées; les sillons sont très nombreux, mais ils sont peu profonds et même sur certains points ne marquent que superficiellement la partie cérébrale.

Examen du squelette. — Des circonstances spéciales nous ont permis de conserver le squelette de D. Nous y avons relevé entre autres les particularités suivantes.

Le crâne nous a donné les mensurations que voici :

Projection antérieure 8,8 Projectionpostérieure. 10,9 Indice céphalique. 75,5 Indice frontal. 78,8 Indice stéphanique 87,6

Les os du crâne sont remarquablement épaissis. Aucune des grandes sutures n'est ossifiée; elles sont peu compliquées, et, aux environs de l'obélion, elles affectent même une allure rectiligne. L'orifice et le canal auriculaire sont très enfoncés, à direction oblique en haut ; le fond très rétréci est à peine visible. Les apophyses styloïdes mesurent 5 centimètres. Les sinus frontaux sont énormes et remontent dans le frontal jusqu'au delà de la demi-hauteur de cet os. Le pariétal mesure au niveau de la bosse 6 à 9 millimètres. La distance entre le sommet de l'apophyse occipitale intérieure est de 3cm,2. L'intérieur du crâne présente comme particularité remarquable l'élargissement de la selle turcique : le diamètre antéro-postérieur mesure de 1m,9 ; le transversal 2cm,5; la profondeur est de 1cm,5 : la lame postérieure est refoulée en arrière, amincie, même perforée. La gouttière optique notablement déformée présente, au lieu de sa régularité habituelle, une convexité vers la gauche et un aplatissement à droite. L'apophyse crista-galli et les deux rebords externes des gouttières olfactives sont développés au point de ne laisser persister qu'une simple fente. Du reste on a l'impression d'un développement osseux très intense, de nature à gêner, à comprimer les origines des nerfs sensoriels.

La face présente, comme le crâne, des modifications et un développement considérable de certaines de ses parties. Ce développement porte tout particulièrement sur la projection antérieure. Cette projection dépasse la nasion de 5 centimètres et présente du prognathisme maxillaire. La face mesure de l'ophrion au point mentonnier 16 centi-

mètres. Reposant sur un plan horizontal, elle dépasse la nasion de 9 centimètres. La mâchoire inférieure, énorme, se porte fortement en avant. Le crâne reposant sur le plan alvéolo-condylien, la limite antérieure du menton dépasse le bord alvéolaire de 16 millimètres. La plus grande largeur aux deux angles mesure 11cm,2. La hauteur sur la ligne médiane est de 4 centimètres; elle mesure sur les côtés 4cm ,3; la hauteur verticale prise au sommet de l'apophyse coronoïde donne 8cm,3.

Les mains et les pieds sont lourds, massifs, uniformément augmentés de volume. La main dans sa plus grande longueur (de l'interligne articulaire au sommet du médius) mesure 20 centimètres. Le pied mesure 24 centimètres. Les crêtes des os sont rugueuses, moussues; le cinquième métatarsien présente notamment ces crêtes et ces rugosités d'une manière remarquable.

Les autres os, sans offrir de caractères analogues à ceux indiqués précédemment, paraissent avoir subi un développement plus accusé que normalement, et leurs extrémités participent de l'allure spéciale relevée aux pieds et aux mains.

Analyse histologique. — La peau, dont nous avons relaté les altérations dues au xanthome diabétique, présente à l'examen microscopique le détail de cette lésion. Les petites nodosités sont constituées d'une manière identique par des réactions prolifératives siégeant dans la partie superficielle du derme; ces réactions finissent par engendrer un noyau de nécrose et une sorte d'exsudation sous-épidermique, qui se termine fréquemment par une petite ulcération.

Les poumons ne présentent que les caractères de pneumonie remarqués lors de l'autopsie; ils sont le siège d'une hypostase considérable.

Le cœur ne présente aucune altération bien marquée; il n'y a guère à indiquer qu'un léger effacement des striations de la fibre musculaire, mais pas de sclérose en dégénérescence graisseuse; toutefois la fibre musculaire est véritablement hypertrophiée en la plupart des points; son volume paraît souvent doublé.

Le foie est légèrement infiltré de graisse à la périphérie des lobules; cette périphérie est un peu sclérosée; les contours des lobules sont accusés par de petites bandes de tissu conjonctif les circonscrivant incomplètement; les espaces portes ne sont guère épaissis; toutefois les vaisseaux sont frappés d'artério-sclérose d'une manière assez généralisée et assez notable. La rate ne présente qu'un peu d'hypertrophie de sa trame; les corpuscules sont un peu plus développés que normalement.

Les reins sont très altérés tant à droite qu'à gauche, et cette altération est généralisée à la totalité de chacun des deux organes. Les lésions portent à la fois sur les vaisseaux et sur les épithéliums des canalicules contournés. Les épithéliums sécréteurs sont gonflés, troublés; la délimitation cellulaire est souvent impossible et, dans bien des cas, par suite de cette tuméfaction trouble, légèrement vitreuse, la lumière du canal a disparu.

Les vaisseaux sont épaissis, enchâssés dans des plaques de sclérose jaune; ces plaques semblent occasionnées par la nécrose des territoires voisins due à l'oblitération des petites branches artérielles émanées des vaisseaux frappés de périartérite; le processus relève à la fois de la périartérite et de l'endartérite. Il existe en même temps et particulièrement dans la substance corticale une stase sanguine très prononcée allant même parfois jusqu'à la formation de petites hémorragies microscopiques.

Le pancréas est envahi par d'épais et nombreux tractus conjonctifs; les veines glandulaires sont comme étouffées dans des gangues de tissu fibreux qui les séparent presque complètement les unes des autres ; les conduits excréteurs sont peu altérés, mais les vaisseaux présentent de l'artério-sclérose.

Les capsules surrénales, sauf leur développement, ne présentent qu'un peu de sclérose avec des plaques de périartérite. La glande thyroïde est frappée, et à un haut degré, de dégénérescence kystique colloïde ; les kystes sont petits, assez uniformes, et leur dimen- sion, à l'œil, ne dépasse guère les dimensions d'une tète d'épingle. La plupart ne sont plus formés que par une mince membrane fibroïde enserrant une substance amorphe présentant les réactions de la substance colloïde. Mais en dehors de ces endroits complètement transformés on peut suivre toutes les transitions qui mènent de la prolifération cellulaire primordiale à la régression colloïde définitive. Il n'existe presque plus de cavité glandulaire intacte; les moins atteintes attestent néanmoins déjà de la prolifération endothéliale; les vaisseaux ne présentent guère d'altération.

La glande pituitaire est, comme l'indique l'autopsie, notablement augmentée de volume; nous l'avons analysée en différents points, et partout les caractères ont été analogues : la glande semble transformée en une masse sarcomateuse pourvue d'une forte capsule fibreuse. Elle est formée en grande partie de capillaires circonscrivant des mailles dans l'intérieur desquelles on ne constate que de petites cellules sphériques à protaplasma peu abondant, mais à noyaux très avides des matières colorantes.

Les recherches concernant le système nerveux ont porté sur les nerfs optiques, le moelle et le bulbe.

Les nerfs optiques sont nettement atrophiés et présentent des lésions de sclérose consécutives à la compression; le tissu nerveux est remplacé presque complètement en certains points par du tissu fibreux. La moelle n'a point présenté de lésion systématique; les cordons, tout comme les cornes, n'offrent aucune altération décelable sous le microscope; nous avons employé la méthode de Pal et la coloration consécutive par le carmin aluné. Les vaisseaux sont normaux. La seule modification notable à indiquer dans la moelle consiste dans la prolifération du canal épendymaire; l'épithélium de ce canal n'a plus en aucun point son aspect cylindrique normal; la lumière du canal est presque partout obstruée

par des amas de petites cellules à noyaux apparents et se colorant très fortement par le carmin; la prolifération a même envahi la substance gélatineuse de Rolando, dans l'intérieur de laquelle on retrouve de petits amas cellulaires qui semblent comme émigrés des masses prolifératives qui encombrent le canal central.

Le bulbe nous a fourni des altérations qui, quoique d'apparence différente, pourraient bien procéder d'une même origine. Le canal est intact dans ses parties inférieures, ou en tout cas la prolifération épendymaire y est très peu marquée ; elle cesse au niveau du plancher ventriculaire; mais à ce niveau nous trouvons dans l'intérieur de la substance nerveuse des productions gliomateuses spéciales; elles sont formées de noyaux non visibles extérieurement, c'est-à-dire ne déterminent aucune modification interne. Ces noyaux, au nombre de deux, sont situés à droite, superposés et proches du rebord du sillon du plancher ventriculaire; sur la coupe vue à l'œil nu par transparence ce sont de petites masses arrondies ayant à peine un millimètre de diamètre. Elles sont uniformément formées d'une enveloppe de tissu d'allure conjonctive très mince, de tissu lamelleux. Cette gangue enserre une matière amorphe, granuleuse, dans laquelle sont disposées, comme enroulées parfois en tourbillons, de petites cellules à noyaux développés et se colorant fortement par le carmin. Ces cellules ressemblent à celles qui remplissent le canal central. On a l'impression de masses cellulaires d'origine épendymaire émigrées et enkystées dans la substance nerveuse. Quant à cette substance nerveuse, elle ne paraît guère avoir souffert de la présence de ces petites masses gliomateuses ; tout au plus peut-on supposer qu'elles ont dû exercer une certaine compression, mais dont les traces ne sont guère appréciables.

OBSERVATION XLIX. (Caselli.) — ACROMÉGALIE AVEC GIGANTISME COMPLIQUÉE DE SARCOME DU MAXILLAIRE INFÉRIEUR ET DE MYXOME DE LA FOSSE ILIAQUE (1). (Stucli anatomici e sperimentali sulla fisiopatologia della glandola piluilaria. Reggio-Emilia, 1900, p. 189.) Ivo L., né en 1806. Père alcoolique et perverti. Deux frères et une sœur normaux, ayant des enfants normaux, et de taille moyenne. Un frère plus petit et de taille si faible qu'il s'en fallut de peu qu'il ne fût exempté du service militaire.

A 5 ans scrofule (cicatrice de l'incision à angle droit de la mandibule), à 4 ans scarlatine, puis rachitisme avec déviation en X des membres inférieurs. D'ailleurs développement physique et mental très régulier jusqu'à l'âge de 17 ans.

A 17 ans le malade qui fréquentait l'école et ne se distinguait en rien de ses camarades, était haut de 1m,75, mais pas encore monstrueux

(1) Les premières périodes de la maladie ont été décrites par TANZI, Due casi di acromegalia. Archivio italiano di clinica medica, 1891. L. Ivo fit également l'objet d'une leçon clinique de MORSELLI.

(fig. 22). Un jour il eut un évanouissement et comme une sensation d'aura de l'échiné jusqu'au front, avec larmoiement, mais sans perte de connaissance ni de l'équilibre.

Il était tailleur. De sa patrie, Boccaleone de Ferrare, il émigra à Marseille, puis à Lyon, où il rencontra le Dr ROBIN, fut engagé à se rendre à Paris, pour se faire redresser les jambes. Il accepta, subit l'cpération et guérit. Puis il vint à Gênes, où peu à peu ses jambes se remirent à fléchir, non plus en X, mais en O. La tête du fémur gauche était située très en dehors et en haut, la diaphyse extraordinairement oblique, d'où résultait une déformation notable de tout le bassin. A la fin de cette même année 1884 le malade fut pris d'un second évanouis- sement avec perte des matières fécales.

En même temps son corps s'accrut, en particulier, à la tête, à la face, aux mains et aux pieds, et devint rapidement démesuré. En 7 ans il s'accrut en hauteur de 18 centimètres, s'élevant de 1m,75 à 1m,93, quoique l'obliquité des jambes et une scoliose notable, qui allait toujours augmentant, aient diminué la taille apparente. Le malade ne trouvait ni chapeaux, ni souliers s'adaptant à sa taille; il les commandait grands à dessein et devait les renouveler. Il ne portait ni gants, ni bague, mais il voyait ses mains croître à vue d'oeil. La paume ouverte mesurait 50 centimètres.

Durant ce processus d'hypertrophie, la vue de l'œil gauche se troubla et s'altéra gravement (diplopie) jusqu'à se perdre tout à fait. Une céphalée intense à gauche ne cessa plus de le tourmenter. La cuisse gauche était douloureuse et le grand trochanter faisait saillie sous la peau comme la garde d'un poignard. Au tibia gauche on sentait des grosseurs et des aspérités indolentes, qui changeaient de place tous les mois. La jambe était très gonflée et de la peau sortait une matière jaunâtre, liquide et sans odeur. Mais ces phénomènes furent de courte durée. Il s'y ajouta bientôt des battements de cœur.

En même temps la voix devenait extraordinairement grave, le champ visuel se rétrécissait aussi à l'œil droit, et la langue, bien que de volume normal, était mal contenue dans la cavité buccale, encombrée par une tumeur intérieure de la mandibule. On dut extraire toutes les dents de la mâchoire droite, où siégeait la tumeur, tant en haut qu'en bas.

En 1892, le malade n'avait jamais eu de rapports sexuels et ne se rappelait pas avoir eu ni éjaculation, ni érection, ni sensation érotique d'aucune espèce. Du reste il était très intelligent, conscient de sa difformité et capable de fournir des renseignements exacts sur son compte. Il se trouvait à l'Hôpital de Gênes plus par charité que pour subir l'opération de la tumeur osseuse. En effet, le malade était dans l'impossibilité de travailler ou de trouver un emploi. Sa difformité était telle qu'il ne pouvait sortir de la maison sans attirer une foule curieuse qui lui montrait sans retenue son étonnement mêlé d'horreur.

Aspect infantile, qui contrastait avec l'âge (25 ans), avec la taille

gigantesque et la voix très grave. Peau livide, pâle, jaunâtre, tout à fait glabre, élastique, ni ridée, ni tendue. Muscles peu développés.

Muqueuses pâles.

Corps gigantesque, mais faible et difforme. Bassin irrégulier, jambes énormément arquées et asymétriques, scoliose de la colonne vertébrale, hypothricose générale : absence de toute trace de barbe, absence de poils aux aisselles.

Poids du corps 93 kilogrammes.

Grande envergure lm,98 Taille apparente lm,93

Tête difforme, très grande, très asymétrique, c'est-à-dire aplatie à la région pariétale droite, saillante sur toute la moitié gauche. Front monstrueusement saillant à la glabelle, enfoncé vers la région temporale. Occipital régulier. Apophyses mastoïdes très proéminentes. Un peu en avant du bregma un enfoncement profond de 15 millimètres de forme arrondie, plus étendu à droite qu'à gauche, d'un diamètre de 55 millimètres. Paupières flasques, longues, plissées, tombantes avec un bord externe sur le bulbe oculaire, avec le tarse normal.

Nez cornu, mou, fluctuant en bas et sans résistance cartilagineuse; ayant en haut un squelette très dur et extraordinairement élargi. Il est situé sur un plan vertical postérieur de 2 ou 3 centimètres à celui du front. De la racine du nez partent de chaque côté, obliques en bas et en dehors, deux crêtes symétriques formant sur les joues deux plateaux osseux qui altèrent la figure des maxillaires, hypertrophiés comme les os propres du nez. Oreilles régulières, petites. Lèvres grosses, mais bien dessinées. Langue plutôt petite que grande.

Tumeur osseuse endo-orale de la mandibule droite, du volume d'une pomme, couverte d'une muqueuse normale. La langue était repoussée à gauche, mais n'était pas encore projetée hors de la bouche. Prononciation difficile spécialement pour l's. Cette tumeur est douloureuse à la pression même légère et ne permet pas au malade de toucher à sa joue correspondante. La mastication s'accomplit assez bien. L'extraction des dents ne donna pas lieu à une hémorragie extraordinaire, ni à des douleurs, ni à une augmentation rapide de la tumeur, ni à quelque autre indice de malignité du néoplasme.

Circonférence de la tête G92 millimètres.

Courbcbi-auriculaire. 465 — — antéro-postéricure. 405 — Demi-courbe antérieure. 210 — — postérieure 195 — Diamètre anLéro-postérieur. 240 — — bipariétal. 185 — Hauteur de la face 146 — Diamètre biz3-gomatique 140 —

Cou faible, sans goitre, sans dépression au-dessus du sternum, de

forme régulière, mesurant 57 centimètres de circonférence. Larynx augmenté. Voix extraordinairement grave et gutturale.

Thorax sans lordose antérieure, petit, cylindrique. Scoliose dorsale à convexité droite. Moitié inférieure droite très saillante.

Circonférence thoracique au niveau des mamelons, 965 millimètres.

Bassin déformé. Le trochanter du fémur gauche, déplacé en bas, se voit et se sent sous la peau. Les viscères abdominaux ne semblent pas hypertrophiés à la percussion. Ventre tendu, proéminent.

Ceinture, 825 millimètres.

Humérus, radius, cubitus normaux, de longueur proportionnée. Bras et avant-bras très grêles.

Circonférence du bras. 225 millimètres.

— de l'avant-bras. 168 —

Fémurs à courbure de convexité externe, le droit luxé. Tibias recourbés, avec exostoses.

Circonférence du mollet, 516 millimètres.

Mains énormes, bien faites, mais aux doigts énormes, assez allongés, bien séparés et mobiles comme à l'ordinaire. Ongles en rapport avec les doigts, ni petits, ni amincis. L'empreinte palmaire de la main remplit la page d'un volume in-4°.

Longueur de la main, de l'articulation à l'extrémité du médius. 285 millimètres.

Longueur du médius 115 — Circonférence de la main droite. 250 — — du pouce gauche. 80 — Ongle de l'annulaire gauche : longueur. 22 — — — largeur. 21 —

Pieds très grands, plus gros que longs, spécialement au cou-de-pied, avec gros orteils.

Circonférence du pied à la région métatarsienne.. 270 millimètres.

Circonférence de l'hallux. 110 — Longueur du pied. 265 --

Testicules de volume normal, verge non hypertrophiée.

Vue pour ainsi dire perdue à gauche, où la pleine lumière solaire est distinguée à peine des ténèbres. L'examen ophtalmoscopique donne : Atrophie grise complète du nerf optique gauche. Atrophie grise commençante du nerf optique droit, légère concavité de la papille, sans anomalie des vaisseaux papillaires. Le champ visuel droit est limité à la moitié interne, tandis que l'externe est à peu près entièrement abolie (professeur LECONDI).

Audition, olfaction, goût conservés, et même très bien développés également des deux côtés.

Réflexes de la pupille à la lumière, à l'accommodation, à la douleur normaux.

Réflexes rotuliens abolis.

Voix très grave, gutturale, légèrement nasillarde, avec prononciation défectueuse des s.

Langue normale.

Boulimie, palpitations, cephalée gauche. Ni polyurie, ni albuminurie, ni peptonurie, ni glycosurie.

Mémoire, intelligence et facultés affectives intactes. Impuissance, absence du sens érotique.

Tel était l'état du malade à la fin de 1891. Depuis cette époque, il fut recueilli dans un Institut de bienfaisance, où j'ai pu suivre le progrès de la maladie.

Le malade à cette époque était toujours très intelligent, de caractère doux et bon; en raison de la gravité de sa maladie, il passait tristement ses jours sans occupation d'aucune sorte. Son aspect avait perdu le caractère infantile qui le distinguait antérieurement. Mais toute la tête était énormément augmentée de volume et la face particulièrement déformée au niveau de la mâchoire inférieure. Le crâne, asymétrique, était plus développé à droite qu'à gauche. Le front était aussi plus saillant; le nez, camus et énorme. La tumeur saillante hors de la bouche ouverte donnait au sujet un aspect des plus monstrueux.

La taille apparente était diminuée (1m,90). Ce fait était dû à l'augmentation très notable de la déformation des genoux en varus. Le poids était de 95 kilogrammes (2 kilogrammes d'augmentation depuis 1892).

Grande envergure : 2m,02.

La tumeur endo-orale a atteint le volume d'une pomme; recouverte en dehors d'une muqueuse normale, elle présente en dedans, à l'intérieur de la cavité buccale, une solution de continuité d'une largeur de 5 centimètres et demi. Cette solution de continuité a des bords irréguliers, recouverts de granulations. La tumeur se projette hors de la bouche, que le sujet tient ouverte à demi, sans que les lèvres soient recouvertes complètement; elle est douloureuse à la pression. La langue est devenue volumineuse. La prononciation est assez difficile et c'est à peine si l'on entend la voix profonde. Les aliments durs ne peuvent être mastiqués et le malade préfère ingérer des aliments liquides, versés dans la bouche au moyen d'une pipette.

Les principales mesures crânio-frontales sont les suivantes :

Circonférence de la tête. 728 millimètres.

Courbe biauriculaire 473 — — antéro-postérieure. 422 — Demi-courbe antérieure. 221 — — postérieure 201 — Diamètre antéro-postérieur. 262 — — bipariétal. 197 — Hauteur de la face 153 — Diamètre bizygomatique 148 —

Le bassin est déformé. A la palpation les organes abdominaux sem-

blent normaux. Dans la fosse iliaque droite, on sent un corps un peu plus volumineux qu'une pomme, indolent, fixe, mou, qu'on diagnostique tumeur en voie de développement.

Les mains sont énormes, les doigts mobiles, les ongles développés.

Mesures de la main.

Longueur de la main 522 millimètres.

— du mécHus. 152 — Circonférence de la main droite. — ` ~G 1 — du pouce gauche 91 — Ongle de l'annulaire gauche : longueur. 24 — — — largeur. 15 —

Les pieds sont proportionnellement encore plus augmentés de volume. Circonférence du pied à la région métatarsienne : 278 millimètres. Circonférence de l'hallux : 110 millimètres. Longueur du pied : 273 millimètres.

Les testicules et la verge sont atrophiés. Impuissance. Vue perdue complètement à gauche : à droite hémianopsie temporale. Audition assez compromise à droite. Voix grave, gutturale, profonde. Langue hypertrophique. Boulimie. Palpitations. Abolition des réflexes rotuliens. Polyurie et glycosurie : glucose, dosé parla méthode de Fehling: 29 grammes par litre.

A l'époque où il me fut donné de pratiquer cet examen, Lug. passa d'un Institut de bienfaisance dans un autre, son état général continuant à s'aggraver. Complètement aveugle, incapable de se mouvoir, il alla déclinant progressivement. L'incurvation de la colonne vertébrale s'accentuant toujours, la taille diminua jusqu'à 1m,82. La tète n'augmenta plus de volume, mais la tumeur du maxillaire alla en grossissant jusqu'à atteindre le volume d'une tête de petit enfant. L'ulcération mentionnée ci-dessus, qui s'était élargie et creusée, saignait aisément et en abondance.

Les membres s'étaient incurvés encore davantage. En raison de la grosseur de la tête et de l'état des membres inférieurs, la marche était à peu près impossible.

La mort survint avec des phénomènes d'adynamie le 16 juillet 1896.

EXAMEN NÉCROSCOPIQUE. — (Autopsie pratiquée 50 heures après la mort).

— Aspect extérieur : cadavre de développement squelettique anormal, avec des masses musculaires et un pannicule adipeux médiocres.

Ni œdèmes, ni signes de putréfaction : taches brunes, livides, à l'épaule, au bras et à la jambe gauches. Courbure manifeste des fémurs, avec déviation de la jambe. Pénis peu développé; testicules atrophiés pour ainsi dire.

Mensurations :

Longueur du cadavre. -lm,82 Circonférence de la tête au niveau de la glabelle.. 728 millimètres.

Diamètre biacromial. 43 centimètres.

Circonférence du thorax au niveau de l'appendice xiphoïdc. 88 — Diamètre biiliaque 53 — Distance intercondylienne interne 25 — Largeur du pied au niveau de l'extrémité antérieure des métatarsiens 12 — Longueur de la main. 52 — Largeur au niveau de l'extrémité antérieure des métacarpiens 11 — Longueur du médius 132 millimètres.

Diamètre vertical de l'ouverture buccale 11 centimètres.

— transversal. 12 —

Tête. — On est frappé par l'énorme développement du crâne, lequel est en outre notablement déformé : les arcades sus-orbitaires sont assez proéminentes le pariétal gauche est saillant en dehors et le droit aplati; par suite, le bregma reste un peu sur la gauche de la ligne médiane. Les os du nez sont aplatis et déviés, en sorte que les narines regardent en avant plutôt qu'en bas, les cartilages du nez ayant en même temps disparu presque complètement.

Les conjonctives bulbaires sont sèches et bien conservées : œdème sous-conjonctival à droite.

L'ouverture buccale est notablement déviée : la lèvre supérieure est retournée en haut et en dehors, l'inférieure en dedans et en bas; de la cavité buccale est projetée une masse énorme exulcérée, rouge brun, globuleuse, pédonculée et de consistance fibreuse presque uniforme. En écartant les lèvres, on observe un déplacement dans le sens vertical en bas des deux petites molaires, de la canine et des deux incisives gauches ; à la première incisive gauche correspond le commencement du pédoncule de la tumeur saillante hors de la bouche, tandis qu'à la partie inférieure de ce pédoncule se trouvent disséminées et mobiles cinq autres dents.

La langue est intacte, repoussée à gauche. Tout le bord externe du pédoncule de la tumeur fait corps avec une énorme masse, de consistance éburnée, siégeant sur une partie de la branche montante du maxillaire inférieur, sur toute la portion horizontale et la portion correspondant à la symphyse mentonnière. En pratiquant une coupe dans l'épaisseur de la tumeur, on note que la superficie est homogène, fibreuse, pauvre en vaisseaux, blanchâtre, et qu'on obtient en raclant avec un couteau un suc dense et blanchâtre.

Crâne. — Épaisseur énorme des os du crâne; la distinction des deux tables et du diploé a disparu, laissant une surface de section homogène, poreuse, spongieuse. L'épaisseur est de 4 centimètres au niveau de l'occipilal, de 2 à 5 sur le temporal, et atteint son maximum sur le frontal, dont l'apophyse orbitaire est constituée par une grosse masse poreuse, large de 6 à 7 centimètres, au milieu de laquelle se creuse une excavation de 4 centimètres de longueur sur 1 centimètre de largeur, où s'enfonce l'apophyse crista-galli de l'ethmoïde.

L'examen de la voûte crâniénne par sa face interne permet de relever le grand développement des gouttières ramifiées de l'artère méningée.

Dans la fosse occipitale droite, une protubérance osseuse arrondie mesure 2 centimètres de diamètre à la base et, siégeant à peu près au centre de la fosse, élève son niveau d'un centimètre environ.

Face. — L'examen du maxillaire inférieur montre que la branche horizontale et une partie de la branche montante à droite sont énormément augmentées et donnent implantation à la tumeur susdite; la branche ascendante gauche à sa partie inférieure est augmentée de volume d'une manière régulièrement fusiforme. Les condyles sont aplatis, la branche montante est plus petite à gauche qu'à droite.

Cerveau— Absence de l'artère vertébrale gauche; augmentation de volume de la vertébrale droite. Au niveau du sillon bulbo-protubérantiel la basilaire se continue par la vertébrale droite qui se poursuit sur la ligne médiane du pont de Varole, pour se diviser en deux cérébrales postérieures.

Espace interpédonculaire. — Tout cet espace est occupé par une masse qui représente indubitablement le corps pituitaire; fortement augmenté de volume, ce corps ne présente plus sa forme caractéristique, ni sa position, parce que, en raison de son volume, il est dévié pour une bonne partie sur le côté gauche. Il s'étend beaucoup en avant, au point d'entrer en rapport avec le chiasma des nerfs optiques, et en arrière il atteint presque l'angle de convergence des deux pédoncules cérébraux; il présente en outre en avant une petite lame de connexion avec le chiasma, vestige du tuber cinereum et présente encore sur le côté droit un sillon qui le divise en deux portions : l'une, plus grande, presque médiane ; l'autre, petite, à gauche, qui se moule sur le pédoncule cérébral correspondant et qui répond à la face latérale du corps du sphénoïde et au sinus caverneux.

Cette lobulation spéciale de gauche est traversée d'avant en arrière par l'artère communicante postérieure et comprime la bandelette optique correspondante. Il ne reste pas trace de la tige pituitaire; le tuber cinereum est réduit à une mince lame qui pénètre dans le 3e ventricule.

Nerfs optiques. — Mous, particulièrement le gauche; atrophie du chiasma; les bandelettes optiques, d'aspect jaunâtre, ramollies, sont à peine reconnaissables sur leur trajet.

Bulbes olfactifs. — On n'en trouve trace ni dans le crâne, ni dans le cerveau ; seul un teste très atrophié de la bandelette olfactive persiste à l'extrémité postérieure de la scissure olfactive; après un trajet de 7 à 8 millimètres, cette bandelette olfactive se perd dans l'espace perforé de gauche.

Circonvolutions. — Pas de modifications notables dans la conformation, le trajet, le volume, à l'exception des lobes frontaux qui présentent un léger aplatissement de haut en bas et sont un peu acuminés.

Cou. — La thyroïde semble normale. Pas de traces de thymus.

Cavité thoracique. — Pas de changement dans la disposition et les rapports des viscères. Les poumons ont une surface lisse, régulière; un peu d'œdème des bases. Muqueuse bronchique lisse et nette; ganglions du hile parfaitement normaux. Cœur normal.

Cavité abdominale. — Les viscères se trouvent en position normale.

Pas d'altérations du foie, des reins, de la rate, non plus que de l'estomac et de l'intestin, de la vessie, des uretères.

Membres. — L'examen des membres a permis de reconnaître, derrière le grand trochanter gauche, la présence d'une tumeur d'aspect et de consistance fibreux, de forme sphéroldale, d'un diamètre d'environ 8 centimètres. Près de celle-ci, une autre tumeur d'aspect semblable et de 2 centimètres environ de diamètre. La section de cette tumeur montre l'existence à la périphérie d'une couche plus épaisse, fibreuse, presque capsulaire, qui renferme vers l'intérieur une masse uniforme, gélatineuse et rosée.

L'examen histologique des différentes pièces m'a donné les résultats suivants : Cerveau et moelle. — Rien de notable.

Hypophyse. — Formée d'un stroma conjonctit réticulaire et d'éléments qui rappellent les cellules normales de la pituitaire. Elles sont de forme polygonale, ou subrondes, avec un protoplasma pourvu de grosses granulations. En quelques points elles sont disposées d'une manière un peu désordonnée; en d'autres, elles se groupent pour former de véritables acini, entre lesquels est accumulée de la substance colloïde. A la périphérie, où la glande est ramollie, elle est constituée par un grand nombre d'éléments prenant mal les couleurs habituelles, peu adhérentes entre elles, de forme presque toujours arrondie, avec des bords un peu découpés. En raison de ces caractères la tumeur de l'hypophyse doit donc être considérée comme un adénome de cette glande.

Thyroïde. — Rien de notable, si ce n'est une quantité de substance colloïde un peu supérieure à la normale.

La tumeur du maxillaire inférieur était un ostéosarcome fuso-cellulaire.

La tumeur de la fosse iliaque fut reconnue être un myxome.

Testicules. — Il y a des altérations de la paroi des conduits séminifères. Il existe une hyperplasie des éléments conjonctifs de cette paroi, qui, en certains points, présente une dégénérescence hyaline évidente. L'hyperplasie conjonctive et la sclérose consécutive ont notablement rétréci la lumière des canaux séminifères.

Foie. — Dégénérescence graisseuse.

Reins. — Dégénérescence graisseuse très avancée.

Cœur. — Dégénérescence graisseuse.

GROUPE III

SQUELETTES DE GÉANTS

OBSERVATION V(1). (Lortet.) — ALLONGEMENT DES MEMBRES INFÉRIEURS DU A LA CASTRATION CHEZ UN EUNUQUE ÉGYPTIEN. (Arch. d'Anthropologie criminelle, Lyon, 1896.) OBSERVATION XIII (2). (Cunningham.) — LE SQUELETTE DU GÉANT IRLANDAIS MAGRATH. (Transact. of the Royal Irish Academy, 26 janvier 1891, vol. XXIX, p. 553.) Cornelius Magrath (squelette du musée de Dublin), 2m,17; né en 1756, mort en 1760, à l'âge de 24 ans. Diagnostic rétrospectif d'acromégalie basé sur les déformations caractéristiques des extrémités des membres, du thorax et de la face, le double genu valgum, le retard d'ossification des cartilages épiphysaires et la dilatation de la selle turcique.

OBSERVATION XXI (3). (Taruffi.) — SQUELETTE D'UN ACROMÉGALIQUE DE HAUTE TAILLE, MARCHETTI.

OBSERVATION L. (Lemolt.) — LE GÉANT LOUSCHKIN. (Bull. de l'Acad. de Méd. de Paris, 1846-1847, XII, p. 412.) Kalmouck, tambour-major du régiment de Préobrajensky, mort tuberculeux à 53 ans. La longueur des bras et des jambes indique chez lui une hauteur de 9 pieds; mais une gibbosité postérieure réduisait cette hauteur à 2m,54. — Moulages conservés au musée Orfila (Paris). — Portrait au musée Tussaud (Londres).

OBSERVATIONS LI à LUI. (Langer). — (Wachsthum des Menschlichen Skelettes mit Bezug auf den Riesen. Denkschriften der Kaised. Academie der Wissenschaften in Wien. Mathemat. Naturw. classe, Bd. XXXI, 1872, S. 1, p. 91.) LI. LOLLY, géant poméranien. Squelette conservé au Muséum anato-

(1) Voir p. 137.

(2) Voir p. 237.

(3) Voir p. 293.

mique de Saint-Pétersbourg. 2m,19. Mort à Saint-Pétersbourg en 1816.

Genu valgum à droite.

LII. Le géant d'Innsbruck. Squelette au Muséum d'Innsbruck, 2m,22.

Trouvé lors de la reconstruction de la crypte de la cathédrale. Incomplet: les mains, les pieds et quelques autres os font défaut. « Des notices historiques et la comparaison du squelette avec un portrait de la collection du château d'Ambras, à Innsbruck, ne laissent presque aucun doute que ces restes ne soient ceux du fameux porte-armure de l'archiduc Ferdinand du Tyrol, le fondateur de la célèbre collection Ambras, où est aussi conservée l'armure du géant. » (CUNNINGHAM.) LANGER reproduit le portrait du géant dans son Mémoire.

LIII. CAJANUS, Finnois, l'un des fameux gardes de Frédéric II, dont le fémur est conservé au Leyden Museum. 2m,22. Mort en 1749. TOPINARD lui donne 2m85, ce qui est assurément inexact, car le fémur mesure 615 millimètres (LANGER), ce qui permettait de calculer une taille de 2m ,22.

OBSERVATION LIV. (Langer.) — (Anatomie der Formen des m. Serpes, p. 81.) Squelette d'une Lapone géante (2m,03), d'autant plus remarquable qu'elle appartient à une race très petite. Musée de Stockholm.

OBSERVATIONS LV et LVI. (Topinard.) - (Elém. d'Anthropologie gén., 1885, p. 456.) LV. Un Autrichien de l'Exposition. 2m ,55. (Soc. Anthrop. de Paris.) LVI. Squelette d'un garde suédois de Frédéric II. (2m,52.) OBSERVATIONS LVII à LXV. (Taruffi.) — Caso della macrosomia. (Annali universali di medicina, 1879, t. 247 et 249.) 9 observations de géants, mais d'une taille assez peu élevée (1m,81, 1m ,85, etc.).

OBSERVATIONS LXVI à LXX. (Tamburini.) — Communication au Congrès international de Neurologie de Bruxelles, septembre 1897, 5 squelettes de géants : 1 dans le musée anatomique de Rome; 2 dans celui de Florence; 2 dans le musée anatomique de l'Institut Psychiatrique de Reggio-Emilia. — Chez tous, « agrandissement de la selle turcique, beaucoup plus considérable et bien différent de celui qui aurait été produit par le simple accroissement gigantesque du crâne».

OBSERVATION LXXI. (Cunningham.) — (Transaction of the Royal Irish Academy, 27 janvier 1891, vol. XXIX. p. 553.) Le squelette de CHARLES BYRNE (1).

(1) Voir p. 241.

OBSERVATION LXXII. (Buhl.) — UN GÉANT AVEC HYPEROSTOSES DES OS, DE LA FACE ET DU CRANE. (Mittheilungen aus dem pathologischen Insti- tute zu Munchen, 1878, S. 501.)

Le 28 juin 1876, je reçus de Gimund, près du Tegernsee, la lettre suivante, en date du 27 juin : « Je vous annonce que Thomas Hasler, l'homme grand, se rendra à Munich, le vendredi 30. » TH. HASLER.

Le 29, je reçus un télégramme du médecin de district, Dr ROSNER, à Tegernsee : « THOMAS HASLER est décédé ». On me demandait, en même temps, si je désirais, dans un but scientifique, le cadavre.

Le 50, par conséquent le jour même où TH. HASLER devait se présenter devant moi, arrivait son cadavre, à l'Institut pathologique.

Je connaissais cet homme antérieurement; il avait été présenté au point de vue anatomique, attendu qu'il avait des hyperostoses crâniennes et faciales.

Mon collègue ROSNER n'a pu, malgré de nombreuses recherches, obtenir quelque chose de fort précis sur les antécédents : ce qu'il a pu apprendre se restreint aux quelques données qui suivent : Son père est mort de phtisie pulmonaire à 56 ans, sa mère est encore en vie. Son frère aîné s'est pendu en prison. Celui-ci mis à part, il existe encore quatre enfants, tous bien conformés. THOMAS eut un développement normal jusqu'à sa neuvième année.

A cette époque, il reçut un coup de pied de cheval à la joue gauche.

Bientôt après il se mit à croître considérablement. Il mangeait beaucoup, de préférence surtout du beurre et des graisses, alimentation qui est habituelle dans nos montagnes. A 11 ans, il était si gros, qu'on dut le renvoyer de l'école, parce qu'il ne pouvait plus prendre place sur les bancs. A 12 ans, il mesurait déjà 6 pieds. A 14 ans, il tomba dans sa chambre et se fit une fracture de cuisse.

A partir de ce moment, à part une pneumonie, dont la guérison fut parfaite, il ne se produisit plus aucun incident notable; mais les os de la face et du visage s'épaississaient jusqu'à la monstruosité, et non pas exclusivement sur le côté où il avait reçu le coup de pied de cheval.

Depuis que sa croissance s'était accomplie, il mangeait relativement peu. La couleur de sa peau devenait pâle.

Il était appliqué et bien vivant. Cependant chaque mouvement lui était pénible et fatigant. De temps à autre, il se plaignait de mal à la tête.

Le jour qui précéda sa mort, il était encore gai et bien portant.

Le 29 au matin, il se mit à respirer difficilement; il eut de la raideur tétanique de la nuque qui alternait avec des secousses convulsives. On pratiqua le cathétérisme vésical, parce qu'il y avait de la rétention d'urine. A midi, il était déjà mort. Il était âgé de 25 ans.

Le cadavre, transporté pendant la nuit, arriva dans un état de décomposition très avancé, ce qui, sous le rapport de la conservation des

organes internes, est très regrettable. Je suis cependant arrivé à conserver le cœur.

Avant l'autopsie, nous avons pris quelques mensurations et pesées.

Le poids absolu du corps est de 155 kilogrammes; le cadavre dépassait donc (si nous acceptons comme poids moyen de l'homme celui donné par HOFFMANN de 61kg,35) 94kg,65, ou, ce qui revient au même, il avait atteint 2 fois et demie le poids normal.

D'après les pesées entreprises dans notre Institut, le Dr HERMANN a calculé que le poids moyen pour un homme de 19 à 29 ans était de 67kg,06; même encore TH. HASLER dépasse ce poids de 87kg,4; il pèse donc 2,3 fois la normale.

La longueur du corps atteignait 2m,27. Attendu que la colonne vertébrale était d'une façon assez appréciable scoliotique, nous devons ajouter au moins 8 centimètres, ce qui donne une hauteur totale de 2m,55.

HOFFMANN calcule, comme moyenne de la longueur du corps de l'homme, 1m,G78; d'après TH. HASLER nous trouvons donc 642 centimètres en plus. D'après la statistique d'HERMANN, la longueur pour l'âge de 19 à 29 ans est de 1m,654. Ce nombre retranché des 2m,35 donne 69 centimètres.

J'aurais désiré pouvoir déterminer le volume corporel. Mais la cuve à eau destinée à cet usage dans l'Institut n'est pas construite pour de pareilles tailles, et il ne nous resta plus qu'à prendre pour base le volume moyen pour cette période de la vie (d'après HERMANN 69kg,4), et de calculer celui de TH. HASLER.

On note ainsi 159,1 livres, c'est-à-dire 89,7 livres au-dessus de la normale.

En raison de la putréfaction considérable, déterminer autre chose que la longueur et le poids du corps n'était guère possible; nous passâmes le plus vite possible à l'ouverture du cadavre. Les mensurations que nous avons rapidement prises, du pourtour de l'extrémité supérieure du bras (46 centimètres), de la partie supérieure de la cuisse (79 centimètres) et du mollet (50 centimètres), sont sans valeur bien considérable.

A l'ouverture, il apparut avant tout que la grosseur des poumons, du cœur, du foie, de la rate et des reins, etc., correspondaient à peu près à la grosseur du corps et que, dans aucun organe, ne se montraient des changements pathologiques. C'est là tout ce que la putréfaction permit de constater.

Le cerveau, tout aussi putréfié, ne présentait aucun changement pathologique.

Le squelette fut conservé et monté. Il se trouve maintenant dans notre collection anatomo-pathologique.

Ce squelette en impose, non seulement par sa taille, mais des recherplus précises montrèrent des points intéressants pour l'anatomie normale; ainsi, par exemple, toutes les épiphyses et non seulement celles des extrémités articulaires, mais aussi celles des attaches des gros muscles, par exemple les trochanters, sont fortement marquées.

Je veux cependant ne faire mention que des particularités pathologiques.

Les disques intervertébraux, qui pendant la macération disparurent, furent remplacés par du cuir; mais ceux-ci sont trop minces, de sorte

FIG. 105. — Le squelette du géant Thomas Hasler comparé à un squelette d'adulte normal (BUIIL).

que la hauteur du squelette, par rapport à la taille pendant la vie, a perdu 10 cm. 5.

Du reste, le crâne excepté, le squelette était parfaitement proportionné, mettant à part l'influence de la fracture de cuisse.

Le fémur droit (non fracturé) mesurait, de l'extrémité de la tête fémorale jusqu'au milieu des deux condyles, 67 centimètres, et, du sommet

du grand trochanter, 56 centimètres; donc 15 centimètres de plus qu'un fémur normal. Le tibia mesurait 48 centimètres, le péroné 47cm,5, une différence de 8 à 9 centimètres, en comparaison avec la longueur des mêmes os normaux. De l'articulation tibio-tarsienne jusqu'au sol, nous trouvons 9cm,5.

Cela fait pour le membre inférieur droit 114cm,5.

Par contre, en raison de la fracture du col du fémur gauche, la longueur de l'extrémité supérieure de la tête du fémur au milieu des condyles n'est plus que de 51 centimètres. La distance du grand trochanter au même point est la même que pour le fémur droit.

On voit d'après cela que le col du fémur, au lieu de former un angle oblique avec le corps, forme un angle droit.

Le péroné gauche, fortement épaissi dans son tiers supérieur par le cal de la fracture, attendu que le tibia est intact, ne présente aucune autre anomalie.

La conséquence de ce changement de forme du col du fémur est une direction plus oblique en dedans du fémur gauche et un raccourcissement du membre inférieur gauche.

Aussi le bassin se présentait nécessairement oblique, la moitié gauche inférieure à la moité droite de 9 centimètres. Ceci ne peut malheureusement être vu sur le squelette monté ; le bassin se montre horizontal, le pied gauche n'atteint pas le sol(1).

Le bassin a subi peu de- changements, malgré son obliquité. L'os iliaque gauche est quelque peu plan, le droit plus courbe. Les mensurations, dont je ne donne que les principales, sont plus considérables que d'ordinaire. Distance entre les deux épines iliaques antérieures : 55 centimètres; diamètre transversal au détroit supérieur : 17 centimètres; diamètre antéro-postérieur : 12 centimètres; de la crête iliaque à l'ischion : 27 centimètres; distance des deux ischions: 12 centimètres.

La colonne vertébrale présentait en raison de la conformation du bassin une cypho-scoliose.

Examinant de plus près les corps vertébraux, nous trouvons que de la 6e à la 10e vertèbre dorsale le côté droit est plus petit que le côté gauche; la colonne vertébrale devait donc présenter une scoliose à convexité gauche en même temps qu'une rotation correspondante des corps vertébraux à gauche.

De plus, les corps vertébraux de la 6e à la 8° dorsale sont sur la face antérieure moins élevés que sur les faces latérale et postérieure,

(1) La longueur de la plante du pied du calcanéum jusqu'à l'extrémité du gros orteil donne, mensuration le long du bord interne, 50 centimètres; le long du bord externe, mensuration jusqu'à l'extrémité du petit orteil, 24cm,5.

Le gros orteil mesure 15 centimètres, le métatarsien 8 centimètres, la 1re phalange 4 centimètres, la 2e, 3 centimètres.

Le petit orteil mesure 14 centimètres, le métatarsien 9 centimètres, la 1re phalange 3 centimètres, la 2e, 2 centimètres.

Le 2° orteil mesure 15cm,5, le métatarsien 9cm.5, la 1re phalange 3cm,5, la 2°, 1 centimètre, la 3e. 1cm,5.

ce que montre clairement la flexion cyphotique de la colonne vertébrale.

La sixième vertèbre dorsale paraît rongée sur sa face antérieure, de sorte que la courbure postérieure a dû être ici au maximum. Il est fort difficile de décider si la cause de cette destruction, analogue à la carie, était une fracture produite au même moment de la fracture du col du fémur. Il y a ce fait qu'il n'existe pas seulement une simple courbe, mais un déficit de substance, à côté des formations d'ostéophytes, ce que l'on peut interpréter comme une réaction inflammatoire. Si l'on met la fracture en cause, ceci est alors très important pour la présente formation des os, en ce sens que l'on doit compter comme allant de pair la croissance gigantesque et la fragilité exagérée (1).

Le crâne est vraiment digne d'intérêt. Par ses formes colossales, il fait véritablement une impression effrayante.

Tandis que le reste du squelette se montre seulement gigantesque, proportionné dans ses rapports, harmonie troublée seulement par la fracture du col du fémur, le crâne est mal conformé, surtout à gauche par ses massives et lourdes hyperostoses.

Ces hyperostoses se montrent particulièrement sur les os suivants : Maxillaire inférieur (fig. 101 et 102). Il est augmenté de volume dans tous les sens et très irrégulièrement conformé. En hauteur, dans sa partie antérieure, sur le milieu du menton, il mesure 12 centimètres; en épaisseur, 9 centimètres; à gauche, il est quelque peu plus épais qu'à droite.

(1) Voici des mensurations plus précises :

6e vertèbre dorsale : Face antérieure. 0"01,5. Face latéro-postérieure 2'™.25.

7e et Sc vertèbres dorsales : Face antérieure. lum,5. Face latéro-postérieure 2um,25.

Ue et 10e vertèbres dorsales : Face antér. à droite. : 2cm,5. Face latéro-postér, à gauche. 2 cm

Vertèbres dorsales de 1 à 5, pourtour. 2cm,5 11e vertèbre dorsale, pourtour 2cm,5 '12e — — 3 centimètres.

Hauteur des 2 premières vertèbres lombaires.. 5 centimètres.

— de la 3e vertèbre lombaire 5°m,5 — des 4e et 5° vertèbres lombaires 4 centimètres.

'7" côte. 40 centimètres.

Clavicule 19cm,5 Bord postérieur de l'omoplate 19 centimètres.

Bord supérieur 15cm,5 B~s. 40 centimètres.

Avant-bras. 32 — De l'avant-bras à l'extrémité du médius. 25 — 3e métacarpien. 7 — 1™ phalange du médius 5™,5 2° phalange. 5",5 5e phalange. 2cra,5 Longueur du pouce '15 centimètres.

— du petit doigt 15 —

On note, du condyle à l'extrémité du menton, 21 centimètres; la distance entre les 2 angles maxillaires égale 51cm,5.

On ne peut distinguer un rebord alvéolaire ; cependant se montrent dans les masses osseuses encore deux incisives médianes et la 5e incisive droite, quelque peu cariée. Loin en arrière, profondément située en pleine éruption, se trouve une canine. Elle est déplacée par les masses osseuses qui l'entourent et se trouve située à 2 centimètres en arrière de l'incisive médiane gauche. La macération a produit au menton de

FIG. 104. — Le crâne (face) du géant Thomas Hasler (BUIIL).

FIG. 105. — Le crâne (face postérieure) du géant Thomas Hasler (BUIIL).

grosses excavations. Elles n'étaient pas encore ossifiées, mais remplies de masses fibreuses sans cellules cartilagineuses.

Maxillaire supérieur, très hyperostosé. Épaisseur : 5 centimètres; au contraire du maxillaire inférieur, il est plus épais à droite et en arrière qu'à gauche.

Le maxillaire inférieur proémine assez sur le maxillaire supérieur.

De la racine du nez jusqu'au rebord alvéolaire mal dessiné on note 10 centimètres..

Les dents sont disparues jusqu'à la canine droite et la 1re molaire.

Le processus frontal gauche est extraordinairement épaissi ainsi que

l'os nasal, l'os malaire, l'ethmoïde e l'os lacrymal. Le pourtour de la cavité orbitaire gauche est épaissi aux dépens de cet espace, son plancher porté vers le haut; la cloison nasale gauche est de même portée à droite aux dépens des cavités nasales; le vomer porte à droite, les fentes orbitaires du côté gauche sont presque fermées. Le canal lacrymal seul est large, même au-dessus du diamètre moyen.

Le temporal, surtout du côté de l'apophyse mastoïde, l'occipital et le pariétal du côté gauche participent également pour une bonne part à l'hyperostose. Le temporal gauche mesure 1,5 d'épaisseur, le droit seulement 1 centimètre. Encore plus épaissi se montre le frontal; son épaisseur est de 6 centimètres, sur un plan sagittal. Il est soudé avec le sphénoïde non moins gros et non moins massif et celui-ci avec le temporal.

De plus, grâce à ce développement puissant, les sutures du crâne, tout autant qu'elles subsistent (et c'est le cas pour la suture coronale et sagittale, en partie pour la moitié droite de la suture lambdoïde), sont déplacées ; la suture coronale gauche est repoussée en avant, la sagittale à droite.

Sur la face externe du frontal, ainsi que sur les deux pariétaux, on remarque, de préférence sur les deux bosses pariétales et la partie médiane du frontal, des îlots de porosité superficielle.

On doit s'attendre, après ce que nous venons de mentionner, à ce que la cavité crânienne soit profondément influencée par les épaississements des os qui la composent. En effet, du côté gauche, le rapetissement est considérable.

La fosse crânienne postérieure gauche, par suite de l'épaississement des os est moins profonde que la droite. Le sinus transverse qui la parcourt présente une gouttière étroite et peu profonde. L'os basilaire proémine fortement avec des saillies ; les rochers, surtout le gauche, sont massifs et se dressent semblables à une crête de montagnes.

L'épaisseur du pariétal et du temporal est de 1 cm,5 à gauche, à droite de 1 centimètre. La gouttière de l'artère méningée moyenne est plus profonde à gauche qu'à droite ; de la crête du rocher jusqu'à la protubérance occipitale interne, on note à gauche 7 centimètres, à droite 9 centimètres.

Lafosse crânienne moyenne gauche estencore bien plus diminuée. Grâce à l'accroissement considérable de volume de la grande aile du sphénoïde gauche, le plancher a été fortement repoussé en haut, et, grâce à l'épaississement encore plus considérable et au boursouflement de la petite aile du sphénoïde gauche, la limite antérieure a été repoussée d'avant en arrière, elle mesure 7 centimètres, à droite 9 centimètres.

La fosse crânienne antérieure gauche manque complètement ; elle a disparu dans les puissantes masses osseuses qui ont transformé l'os frontal. A droite, cette fosse a subi peu de changements. L'apophyse crista-galli fait une saillie de la grosseur d'une cerise.

La distance antéro-postérieure à la base du crâne est à gauche de 14 centimètres, tandis qu'à droite nous notons 18 centimètres, le pour-

tour interne de la moitié du crâne à gauche est de 15 centimètres, à droite de 25 centimètres.

Le cerveau devrait donc, d'après cela, en avant et à gauche, être dé- primé en arrière et à droite. La selle turcique se trouve déplacée par cette poussée fortement à droite. Dans ce déplacement scoliotique de la selle turcique vers la droite se trouve la meilleure preuve que ce n'est pas l'hémisphère gauche qui était primitivement atrophié et que secondairement se montrait, remplissant l'espace libre, l'épaississement des os du crâne, car alors la selle turcique eût été déplacée plutôt à gauche. Pour obtenir un moulage et une mensuration de la cavité crânienne, et ainsi une idée approximative de la conformation du cerveau, nous fîmes remplir la cavité crânienne d'une masse faite de cire et d'huile. Nous pûmes ainsi déterminer le volume de la cavité crânienne; nous obtînmes 1500.

Si je ne savais rien du poids du cerveau de TH. HASLER et si, me fondant seulement sur la mensuration obtenue de la cavité crânienne, je voulais représenter le volume et le poids absolu du cerveau, je trouvais,

FIG. 106. — Moulage du cerveau, base du crâne et calotte crânienne du géant Thomas Hasler. (BUIIL.)

d'après le tableau de BISCHOFF, un volume de 1080 et un poids de 1130.

En un mot, le géant HASLER avait un cerveau qui correspondait à un des plus petits cerveaux de femme.

Nous aurions par le rapport du poids moyen du cerveau au poids du corps (d'après TIEDEMAMet HUSCHKE) ; chez HASLER nous trouvons ~, 3 fois autant par conséquent.

J'ai pris le poids du cerveau, bien que la putréfaction ne permît guère la conservation et j'ai trouvé 1465 grammes. C'est donc un rapport de ~; donc le cerveau de HASLER était plus encore qu'une fois trop faible.

Ce poids mentionné correspond à une cavité crânienne de 1650 et à un volume cérébral de 1400, attendu que j'ai trouvé 1300, donc 350 en moins,

ce qui signifierait que le volume du cerveau devait être de 100 centimètres cubes plus considérable que la cavité crânienne ; il résulte clairement de ce rapport que le cerveau a été fortement comprimé. Le volume du cerveau calculé de son poids absolu est de 140; par contre celui que l'on obtient en partant de la cavité crânienne est de 1080 seulement ; cela signifie donc que le cerveau est comprimé sur un espace trop petit de 520 centimètres cubes.

Cette grandeur de compression progressive doit être envisagée comme un maximum de possibilité de vie. A la vérité il n'y a aucune preuve expérimentale permettant de la démontrer.

Cependant on serait en droit de soutenir que la limite pourrait être placée dans une compression moins considérable et que chez un homme normal la limite donnée eût pu être dépassée. Un événement insignifiant, la congestion la plus légère, l'œdème le plus léger de la substance cérébrale devraient être accompagnés de troubles de l'innervation très dangereux pour la vie.

On peut donc s'imaginer comment un catarrhe, soit au niveau des muqueuses nasales, bronchiques, ou digestives, pourrait amener fièvre, convulsions et la mort. Attendu que, dans les autres organes, il ne se montrait aucune lésion pathologique, il ne nous reste plus que d'expliquer la mort et sa rapidité de la manière suivante : TH. HASLER est mort d'étroitesse de la cavité crânienne.

Quant à expliquer le développement squelettique gigantique, on peut émettre plusieurs hypothèses, mais on ne peut se baser sur aucune donnée scientifique. A la vérité, après le coup de pied se sont développées non seulement les hyperostoses des os du crâne et de la face, mais aussi celles du squelette entier. Les premières se laisseraient expliquer par l'irritation du traumatisme ; mais comment expliquer la formation du squelette gigantique, comment, à l'exception du cerveau, les organes ont correspondu à cet accroissement?

On peut accepter que la tendance à la croissance gigantique se trouvait chez TH. HASLER; elle se montra en un moment où le corps commence à croître plus rapidement et coïncide avec l'avènement du coup de pied de cheval. Mais on ne peut nier que le traumatisme est seul coupable et ait eu une action loin de son point d'immédiate application; je veux dire par là qu'il incita la formation squelettique entière à une croissance considérable. De quelle manière? Aborder cette question ne serait possible qu'après la solution de nombreuses questions préalables.

OBSERVATION LXXIII. (Hinsdale.) — SQUELETTE D'UN GÉANT (Acrome- galy, p. 60, Medicine, 1898).

Sur le sujet dont je vais décrire le squelette, on ne sait rien, sinon qu'il naquit dans le Kentucky, U. S. A. En 1877, le professeur JOSEPH LEIDY fut informé par le professeur A. E. Foote qu'un corps de géant était à vendre, à la condition qu'aucune question ne fût posée pour

établir son identification. Des arrangements furent aussitôt établis avec le Dr WILLIAM HUNT et le corps fut transporté à Philadelphie, où le squelette fut préparé et monté par M. R. H. NASH.

Toutes ces personnes sont maintenant mortes. Elles ne furent jamais capables de fixer les antécédents ou, du moins, pensèrent qu'il était prudent de ne pas faire d'enquête sur ce géant, dont le squelette, le plus long et le plus intéressant d'Amérique, fait aujourd'hui l'ornement du Mütter Museum du Collège des médecins de Philadelphie.

Il sera intéressant de faire une comparaison de ce squelette pour l'en

FIG. 107. — Squelette du géant américain comparé à un squelette d'adulte normal.

(HINSDALE.)

semble et pour les différents os qui le composent, avec quelques-uns des fameux géants dont nous avons l'observation, et en particulier avec les squelettes de géants de Dublin et de Londres, et avec le squelette acromégalique d'Édimbourg, qui fut l'objet de l'attention universelle.

L'auteur est redevable au professeur CUNNINGHAM des mesures de ces derniers squelettes et s'est efforcé de disposer sa description confor- mément au modèle donné par le professeur CUNNINGHAM. Aucun nom

(1) Human Skeleton, 1858, Table IV, p. 108.

n'ayant été fourni pour le sujet dont je décris le squelette, je l'appellerai le Géant américain.

Hauteur. — Il est probable que le géant américain avait atteint l'âge de 22 ou 24 ans au moment de sa mort. Les os semblent avoir atteint leur entier développement, quoique les jonctions épiphysaires soient encore visibles sur tous les os longs.

La colonne vertébrale est le siège d'une cypho-scoliose qui diminue considérablement la hauteur qui dut exister autrefois. Tel que nous le trouvons, le squelette a sept pieds six pouces (2m,295). Dans cette mesure sont compris les disques intervertébraux artificiels, indispensables à la préparation. 11 y a une règle formulée par le professeur Sir GEORGE HUMPHREY par laquelle nous pouvons considérer la hauteur d'un individu quelconque, en circonstances normales, comme étant par rapport à la longueur du fémur comme 1000 est à 275. Mais dans notre cas, comme dans les autres squelettes anormaux, cette règle peut nous égarer. Quoique l'erreur puisse exister dans les petits squelettes ou dans ceux de taille moyenne, dans les cas de géants la longueur disproportionnée des os longs, particulièrement de ceux des membres inférieurs, prise comme base de calcul, peut nous induire à une estimation légèrement exagérée de la hauteur totale. Quoi qu'il en soit, en appliquant cette règle au géant américain, nous avons = = 7 pieds et 5/4 de pouce avec le fémur droit (fig. 107) et 7 pieds et 11 pouces avec le fémur gauche.

Aussi les mesures données dans la table suivante, prises sur le squelette lui-même, dépassaient sans doute la taille du géant, avant que la cyphose ne devînt excessive.

Mètres. Pieds. Pouces.

T. Un Autrichien (Collection de la Société anthropologique de Paris). 2,550 8 4 1/4 R. Marianne Wehde. 2,550 8 4 1/4 T. Un Kalmouck, musée Orû);). 2,530 8 3 1/2 T. Un Suédois, garde de Frédéric H. 2,520 8 5 1/8 R. Chang. 2,500 7 8 3/4 C. Byrne, R. C. S. E 2,510 7 7 R. Drasal (Olmutz) 2,500 7 6 1/2 A. The American Giant 2.295 7 6 1) '? 7 8 7 5 5/8 V. Winkelmcier, né en Autriche. 2,278 7 5 5/8 R. Thom. Haslcr, Bavière (acromégalique?). 2,270 7 5 1/4 A. Henry Alexander Cooper, géant du Yorkshire. 2,250 7 5 L. Le géant d'Innsbruck. 2,226 7 3 5/8 V. Murphy (Irlandais), musée de Marseille. 2,220 7 3 3/8 L. Berlin (Cal. n° 3040), un des fameux gardes de Frédéric II. 2,220 7 2 1/2 L. Lolly, Poméranien, Saint-Pétersbourg 2.195 7 2 3/8 C. Magrath (géant Irlandais), Dublin _,1. 7 7 2 1/4

Crâne. — Le crâne du géant américain est en bonne proportion avec la taille du squelette. Il y a eu des discussions parmi les crâniolo-

gistes sur la proportion habituelle de la taille du crâne avec celle du squelette chez les géants. VIRCHOW soutient que la circonférence horizontale et les différents diamètres du crâne dépassent la moyenne.

Il déclare, toutefois, que la base du crâne est relativement étroite.

LANGER soutient que la règle est que la tête des géants soit relativement petite (1).

, , DyR,IE SOUELETTE MESURES DU CRANE. ® AN GEANT BYRNE ACROMÉGALIQUE AMÉRICAIN. IRLANDAIS. H. C. S. E D'EDIMBOURG

, ¡-II Capncité cubique 2520 won 1520 15N0 Longueur glabelle-occipital. 254 198 215 200 Longueur intérieure 195 » » » Hauteur de la bae au bl'ema » "H9 148 -1 j2 Hauteur binaurale avec bregma. 551 » » » Index vertical. - 78,5 70,2 68,8 71 Largeur maxima 145 Kt5 151 148 Largeur mini ma frontale.» » » » Index céphalique 78,5 70,2 74 Circonférence horizontale 6i0 568 595 5ô1 Longueur du foramen magnum. 51 40 43 "5 Largeur du foramen magnum 59 » » » Largeur interzygoiiiitique. 147 150 148 150 Largeur intermalaire 155 » » 1^6 Index facial U),5 55,4 5î Largeur del'orbitc. 52 44 42 45 Hauteurdel'orbite. 42 45 54 50 4 13 34 .1) 6 Index orbitaire. ; 80 97,7 81 80 Longueur palato-maxillaire. » 50 61 67 Largeur palato-maxillaire » ti5 62 70 Index palato-maxillaire » 130 101,6 104,4

Les mesures montrent donc que nous avons affaire à un crâne vraiment gigantesque, sa capacité intérieure étant encore de près de moitié plus large que dans les cas des squelettes de Londres, Dublin et Édimbourg. Cette augmentation de la capacité est due surtout à l'augmenta tion de la longueur, qui fait que le crâne est classé comme dolichocéphale. Le diamètre interzygomatique est un peu au-dessous de celui des trois crânes avec lesquels je l'ai comparé. La largeur intermalaire, d'autre part, est supérieure, ce qu'elle doit surtout au grand développement de l'autre. Les sinus frontaux ont les diamètres suivants (représentent 2 ou 5 fois la taille normale, d'après WOODS HUTCHINSON) :

Transverse. 7,5 Vertical. 7 Antero-posLét'ieur,supra-o)'bitai. 2.4

(1) T. TOPINARD; C. CUNNINGHAM; L. LANGER; R. RANKE; V. VIRCHOW; A. AUTEUR.

Géant Squelette Fosse piluitaire américain. Magralh. d'Edimbourg.

Longueur 27 58 22,5 Profondeur. 17 28 28

Largeur 52 21

Face. — La face est grosse, même en proportion du gros cràne. Les sinus aériens sont vastes et donnent la grande dimension intermalaire,

FIG. 108. — Crâne (face) du géant américain comparé à un crâne d'adulte normal.

(IIINSDALE.)

et le maxillaire inférieur, présentant un léger prognathisme, est massif.

PROFONDEUR VERTICALE DE LA FACE (DU NASION AU MENTON)

Longueur Rapport de la taille de la face. Taille. à la face.

Géant américain 148 2285 6,48 Géant irlandais 156 2177 7,16 Winkelmeier. 149 2278 6,54 Acromégalique d'Edimbourg. 148 1851 8,08 Murphy 145 2220 6,44 Byrne, R. C. S. E. 157 2287 5,99 Normal '120 1710 7,01

(1) D'après WOODS HUTCHINSON, les diamètres normaux de la fosse pituitaire sont de 12 millimètres d'avant en arrière et de 8 transversalement. Ici ils sont donc plus que doublés. [Note des A.)

Longueur Rapport de la taille nuso-alvéolaire. à l'index naso-alvéolaiic.

Géant américain 90 3,93 Géant irlandais OH 4,40 Byrne, R. C. S. E. 82 3,58 Aeromégalique d'Édimboury 81 4,42 Normal 75 4,2G

La mandibule est très grande, ainsi qu'on peut le voir d'après les dimensions suivantes : intercondyloïde, 141 millimètres; intergonial, 115 millimètres; mento-alvéolaire, 40 millimètres; largeur à l'angle, 33 millimètres; largeur de la branche, 40 millimètres; angle, 140°(1).

L'apophyse coronoïde s'élève plus haut que le condyle. La mâchoire

FIG. 109. — Crâne (profil) du géant américain comparé à un crâne d'adulte normal.

(ILINSDALE. )

inférieure est en prognathisme, de telle sorte que les quatre dents incisives sont projetées un peu en avant des dents du dessus. Toutes les dents des deux mâchoires sont en place et presque toutes recouvertes de tartre.

, Longueur de la face Longueur ■ I du nasion au menton, naso-alvéolaire comparée avec comparée avec la taille du crâne. la Laille du crâne.

Circonférence : 100. Circonférence: 100.

Géant américain 23.1 14,0 Géantécos~ais. 27,4 1G,8 Crâne d'Édimbour. 20.3 14,4 Bvi-ne, ~2 15,8 Byrne, R. C. 13.8 Moyenne 22,8 13.8

Ces rapports montrent qu'il y a une légère augmentation dans les (') D'après WOODS IIUTCHINSON, la distance de l'angle du maxillaire à la symphyse (13 centimètres) est en excès de 3cm,7 sur la normale (9,3), soit de près de 42 pour 100; tandis que l'excès de la taille totale sur la normale est seulement de 8 pour 100. (Note des A.)

deux mâchoires et les portions mandibulaires de la face. Les portions alvéolaires des mâchoires sont parfaites et n'ont subi aucune résorption.

Rapport du maxillaire aux portions mandibulaires de la face; hauteur symphysaire, 100 millimètres : géant américain, 44 millimètres; géant

FIG, 110. — Base du crâne du géant américain comparé à la base du crâne d'un adulle normal. (HINSDALE.)

écossais, 47mm,9; BYRNE, R. C. S. E., 50 millimètres; crâne d'Édimbourg, 36mm ,4.

Les cavités orbitaires sont extrêmement vastes.

Colonne vertébrale. — Les vertèbres sont l'objet de remarquables altérations, mais elles ont été montées de manière à donner une représentation correcte des courbes existant pendant la vie. Comme c'est la règle dans l'acromégalie, nous trouvons une cyphoscoliose, à laquelle toutefois les vertèbres cervicales ne prennent pas part.

Sur une vue d'avant en arrière, nous trouvons une courbe aiguë à la région dorsale etlombaire, dontla convexité està droite. La cyphose atteint son maximum à la 9e vertèbre thoracique, le corps de cette vertèbre étant comprimé et résorbé. Les mesures de la surface antérieure des corps vertébraux sont les suivantes : 2e thoracique, 50 millimètres; 3e thoracique, 28 millimètres; 7e thoracique, 25 millimètres; 9e thoracique, 10 millimètres; 11e thoracique, 31 millimètres; 1re lombaire, 36 millimètres; 2e lombaire, 45 millimètres ; 5° lombaire, 45 millimètres ; 4e lombaire, 47 millimètres; 5e lombaire, 50 millimètres. La plus grande largeur s'observe sur la 1re vertèbre thoracique, 97 millimètres (3 pouces 75). De l'atlas au promontoire du sacrum, 820 millimètres ; de l'atlas au sommet du coccyx, le long des bords antérieurs des vertèbres, 1030 millimètres. Vue de côté, nous trouvons les épines des quatre premières ver-

tèbres thoraciques formant la saillie de la convexité ; puis l'apophyse transverse droite des 6e, 7e, 8e, 9e, 10e et 11e vertèbres; enfin les apophyses épineuses de la 12e thoracique et des vertèbres lombaires. Le grand déplacement latéral des vertèbres porte le bord postérieur de l'omoplate du côté droit 7 centimètres en arrière du bord correspondant du côté gauche, et au niveau de l'apophyse transverse droite de la 7e vertèbre thoracique.

Les vertèbres lombaires sont massives. Le sacrum est composé de 4 vertèbres, au lieu du nombre habituel, 5. Sa largeur est de 16 centimètres; sa longueur, 130m,2.

Le coccyx comprend 5 vertèbres, au lieu du nombre habituel, 4.

Les côtes sont longues et étroites, et relativement droites. Les 7e et 8e côtes droites, mesurées le long de leur bord inférieur, ont 45 et 43cm,5 de longueur; la 6e côte du côté gauche, sur sa face extérieure, mesure 43cm,5; la 7e; mesurée le long de sa face inférieure, a 4cm,8 de long.

Le sternum a une longueur totale de 25cm ,5. C'est un os grand et bien proportionné.

Longueur Largeur en centimètres. en centimètres.

Manubrium 6,7 8,4 Corps, 1er segment. 4 4 — le reste 8,9 5,8 Cartilage ensiforme 2 —

Le thorax est vaste, mais étroit en proportion de sa profondeur.

Circonférence, 109cm,7 (45 pouces 1/4); diamètre antéro-postérieur, 45 centimètres; diamètre latéral, 28 centimètres.

Ce sujet vient donc à l'appui de l'observation de LANGER que les individus de grande taille ont le thorax relativement étroit. Sous ce rapport, le géant américain diffère du géant écossais, MAGRATH, dont la large poitrine et les côtes bien courbées donnent une circonférence de 152 centimètres (52 pouces 1/8).

Bassin. — Le bassin est vaste et en rapport avec la taille du squelette.

Les os sont épaissis à leurs bords et portent les marques d'une inflammation périostique, particulièrement visible sur les crêtes iliaques et sur l'acétabulum, qui est probablement de nature arthritique. La conformation est du type rachitique, si on en juge d'après l'augmentation des dimensions entre les épines antérieures et supérieures et les crêtes.

Centimètres.

Entre les épines antérieures et supérieures. 35.5 Entre les croies. 33,5 Entre les points médiaux des ischions. 15,5 Diamètre antéro-postérieur du détroit inférieur 14 — oblique antérieur droit du détroit inférieur.. 17,5 — — gauche du détroit inférieur. 17,7 Profondeur de ln cavité pelvienne. — Hauteur du pelvis —

Le bassin est donc un peu plus petit que celui de MAGRATH (Dublin)

et de BYRNE (R. C. S. E.). Ces derniers ont une largeur respective de 38cm,6 et 38 centimètres.

La cavité du bassin est considérablement augmentée par les convexités qui marquent la position des cotyles, surtout le cotyle gauche. Les cavités cotyloïdes sont très profondes et séparées par une mince couche osseuse de la cavité pelvienne. Les corps des os iliaques sont excessivement épais.

Membres supérieurs. — Les clavicules : longueur, 212 millimètres. Les omoplates : longueur, de l'acromion à l'angle, à droite 268 millimètres, à gauche 68; largeur, à droite 144 millimètres, à gauche 150.

Les humérus. — L'humérus droit est long de 47cm,5 et a une perforation circulaire dans la fosse olécranienne de 16 millimètres de diamètre.

LONGUEUR RAPPORT DE L'HUMÉRUS D E L'H U,-,l É R U S. A LA TAILLE DE L'HUJIERUS. (Taille = 100).

Droit. Gauche. 1- Droit. Gauche.

Géantaméric~in. 47,5 » » » Géant irlandais 43,1 43,5 19,7 19,8 Byrne. 45,0 43,0 19,0 18,1 Squelette d'Edimbourg. 34,8 35,1 19,6 18,8

Cubitus. — Droit, 57cm,8; gauche, 57cm,5 de long.

Radius. — Droit, 354 millimètres ; gauche, 360.

Main(1). — Longueur du scaphoïde à l'extrémité du médius, 25 centimètres.

Longueur Rapport avec la taille.

de la main. (Taille : 100.) Géant américain 25,0 10,9 Géant écossais 25,8 11,8 Byrne (B. C. S. E.). 26,3 11,3

Membres inférieurs. — Fémurs. — Les fémurs, quoique élancés, en proportion de la grande taille du corps, sont symétriques, et les corps sont bien formés et non indûment incurvés. Ils diffèrent de 11 millimètres en longueur; le droit a 65cm,5 de long; le gauche, 66cm,6. Les corps fémoraux ont 84 et 85 millimètres de circonférence pour les côtés droit et gauche respectivement, et 20 millimètres de diamètre. Les corps ne sont donc pas plus épais que chez des individus ordinaires.

Les hanches sont notablement arthritiques. Les têtes fémorales sont déformées, de même que les cols. Les cols, au lieu d'avoir une section circulaire en forme de croix, sont semi-lunaires, avec la face antérieure (1) Ces proportions sont un peu au-dessous de la normale (WOODS HUTCHINSON). Mais, ajoute cet auteur, il faut tenir compte, avec CUNNINGHAM, de la participation des parties molles à l'augmentation des extrémités, pendant la vie. (Note des A.)

aplatie; ils sont courts, et, au lieu d'être placés obliquement, forment presque un angle droit avec le corps. La circonférence et le plus grand diamètre des cols sont les suivants : circonférence, à droite, 15cm,5; à gauche, 15 centimètres. Le plus grand diamètre, à droite, 5cm,7; à gauche, 5cm,5.

Les condyles sont bien conformés et en rapport convenable avec les tibias. Le tissu compact est très épais aux extrémités.

LONGUEUR DU FÉMUR. CIRCONFÉRENCE DU CORPS.

Droit. Gauche. Droit. Gauche.

Géant américain. 05,5 66,6 84 85 Géant irlandais (Magloalh) 60,5 02,4 » » Byrne, R. C. S. E. 62,5 64,2 » » Squelette d'Edimbourg. 47,9 48,7 » »

Tibias et Péronés. — Les péronés sont courbés, ayant leur convexité en arrière; la perpendiculaire à la corde de l'arc serait de 47 millimètres.

La portion moyenne du corps dans les deux cas est tout à fait en arrière des tibias.

LONGUEUR RAPPORT DU TIBIA A LA TAILLE DU TIBIA. (Taille = 100).

--

Droit. Gauche. Droit. Gauche.

Géant américain. 55,5 56,5 24.3 24,7 Géant irlandais (Magratli) 50,6 50,4 23,2 23.1 Byrne, R. C. S. E 54,1 53,7 23,0 23,4 Squelette d'Edimbourg. 40,2 39,2 21,9 2!,4

LES PIEDS

LONGUEUR EFFECTIVE. COMPARÉE AVEC -- --- LE SQUELETTE , Cm. Pouces. (Taille = 100).

Géant américain 306 12 15,4 Géant irlandais (Magrath). 300 11,75 13,7 Byrne, R. C. S. E. 317 12,50 13,8 Murphy ™ ( u10 12-25 13 >9 , < 358 14,12 15,7 Winkelmeier .I 6 eur vlvant" ( 15,7 Cas de J. W. Walker. eur VIvan. 360 14.13 18,3 ;

OBSERVATION LXXIV (lnéclite), (R. Verneau) (1). — LE GÉANT DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE DE PARIS.

I. — Le géant dont le Muséum d'histoire naturelle de Paris possède le squelette, est né le 26 décembre 1847, dans une commune du département d'Indre-et-Loire, située à la lisière de l'Anjou; il est décédé le 21 janvier 1875, à l'âge, par conséquent de 27 ans et un mois. Il était fils unique de parents normalement constitués. Nous n'avons pas de renseignements sur les premières années de sa vie; ce que nous savons, c'est que lorsqu'il commença son apprentissage de sabotier, il était d'une taille bien supérieure à celle des enfants de son âge. Son état de santé laissait déjà à désirer; cependant il put terminer son apprentissage et il entra comme ouvrier chez un fabricant d'un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Tours.

Louis R., à cette époque, avait singulièrement dépassé la taille moyenne. Les établis qui servaient à son patron se trouvaient trop bas pour lui, et, afin de lui permettre de les utiliser sans l'obliger à se courber trop fortement, on dut lui creuser un trou dans le sol de l'atelier.

La force musculaire de notre géant était loin d'être en rapport avec sa taille; la somme de travail qu'il pouvait fournir n'était pas suffisante pour lui assurer un gain raisonnable, et il fut souvent obligé de réduire sa nourriture. Son appétit était, en effet, formidable : il était atteint à la fois de boulimie et de polydipsie. On nous a souvent raconté que, lorsqu'il lui était possible d'acheter 12 livres de pain, il faisait tout disparaître dans son estomac avant la fin de la journée. Quand il se montrait dans une fête, il excitait, naturellement, la curiosité générale; on lui offrait à boire, et, s'il se décidait à accepter, il ingurgitait parfois d'un trait un litre de liquide. Louis R. était d'une grande timidité; au lieu d'être fier de sa taille, il se sentait gêné d'attirer tous les regards. A diverses reprises, on lui avait conseillé de s'exhiber en public, en lui assurant qu'il aurait une existence facile; il résista longtemps, mais, à la fin de l'Empire, il se décida néanmoins à quitter son pays. Il se lassa bien vite de son existence nouvelle et il ne tarda pas à aller rejoindre ses parents et à reprendre son ancien métier. A partir de ce jour, la vie devint de plus en plus difficile pour lui; sa santé, depuis longtemps chancelante, s'altéra davantage et il ne put travailler que d'une façon intermittente.

De bonne heure, sa charpente osseuse avait été le siège de lésions.

Nous avons sous les yeux une photographie de notre géant exécutée à Angoulême lorsqu'il avait 20 ans : il présente une forte voussure de la colonne vertébrale. Ce n'était pas seulement de cyphose qu'il était atteint; les gens qui l'ont vu fréquemment prétendent qu'il ne grandissait que d'un côté à la fois. Il était incliné, affirme-t-on, tantôt à droite

(1) Nous remercions bien sincèrement M. le Dr VERNEAU de nous avoir donné la primeur d'une description aussi intéressante que précise du squelette d'un géant, dont l'histoire n'avait pas encore été rapportée.

et tantôt à gauche. Sans doute, longtemps avant sa mort, avait commencé la scoliose prononcée que nous allons retrouver sur le squelette.

Louis R.,. avait une intelligence plutôt bornée. D'humeur triste, il était généralement doux, mais il entrait dans de violentes colères lorsqu'on le taquinait; il perdait alors toute mesure. L'affection filiale était très développée chez lui, beaucoup plus qu'elle ne l'est chez un grand nombre de paysans.

II. Taille et Proportions du corps. — Notre géant avait atteint, au moment de sa mort, la taille de 2m, 14; il n'y avait guère que deux ans qu'il ne grandissait plus. Il avait cessé depuis longtemps, avons-nous dit, d'être d'aplomb; et, en effet, le squelette dénote un notable excédent de longueur pour tous les os du membre inférieur gauche. Il en est de même pour les os du membre supérieur, qui offrent également, à l'exception du radius, une longueur moindre du côté droit. Voici les chiffres que nous avons obtenus :

Différence en faveur Côté droit. Côte gauche, du côté gauche.

Fémur (en position) 566 mm. 574 mm. 8 mm.

— (en projection) 575 — 577 — 2 — Tibia (sans l'épine) 471 — 479 — 8 — Péroné. 480 — 486 — 6 — Humérus. 405 — 407 — 2 — Cubitus. 559 — 545 — 6 — Radius. 517 — 517 — 0 —

Si nous ajoutons à la différence des fémurs la différence moyenne des tibias et des péronés, nous voyons que le membre inférieur gauche était de 15 millimètres plus long que le droit. En même temps, le fémur droit était dirigé plus obliquement en bas et en dedans (genu valgum) que celui de l'autre côté, car l'écart entre la longueur maxima et la longueur en position, qui n'est que de 3 millimètres pour le fémur gauche, s'élève à 9 millimètres pour l'autre. Cette obliquité plus grande à droite, jointe à une réduction notable de la longueur absolue des os de ce côté avait forcément pour conséquence une déviation du centre de gravité.

Lorsqu'on calcule la taille à l'aide des chiffres qui précèdent, en employant les cofficients de M. MANOUYRIER, on arrive à des résultats qui ne manquent pas d'intérêt; aussi me paraît-il utile de les donner intégralement dans le tableau qui suit : TAILLE CALCULÉE A L'AIDE DES OS LONGS.

Mètres.

A l'aide du fémur droit 1,996 — — gauche. 2,026 — du tibia droit. 2.035 — — gauche 2,069 — du péroné droit 2,098 — — gauche. 2,124

Mètres.

A l'aide de l'humérus droit. 1,996 — — gauche. 2,006 — du cubitus droit. 2,122 — — gauche. 2,160 — duradius droit. 2,124 — — gauche 2,124 Moyenne. 2,073

Tous les chiffres ainsi obtenus, à l'exception de celui que donne le cubitus gauche, sont donc au-dessous de la vérité, et la moyenne est erronée de près de 7 centimètres. Il est certain qu'avec un sujet aussi mal conformé, on ne saurait en conclure que les coefficients de M. MANOUVRIER ne permettent pas de calculer la taille d'une manière satisfaisante. Néanmoins, plusieurs opérations du même genre que nous avons tentées sur des hommes de haute stature nous portent à croire que ces coefficients sont un peu trop faibles pour les individus de taille élevée. C'est là, d'ailleurs, un point qu'il convient de vérifier et sur lequel nous n'avons pas à insister pour le moment.

Ce qui est plus intéressant, c'est de constater que les segments proximaux, tant des membres supérieurs que des membres inférieurs, sont relativement plus courts que les segments distaux, disposition que l'on constate dans les races inférieures. Les indices tibio-fémoral et antibrachial feront ressortir d'une façon bien nette les analogies dont il est question. Nous empruntons les chiffres qui nous servent de termes de comparaison à l'ouvrage de M. TOPIARD intitulé : Eléments d'anthropologie générale.

INDICES ANTIBRACHIAL ET TIBIO-FÉMORAL

ccu ® cû , u à W s Ê a GÉANT -H~~ K? OZ ~———- ——~_ - ————- a H o a -wo * g w -w t g a a -.

p y Z "ij CÔTÉ DROIT. CÔTÉ GAUCIIE.

a J H

-_Indice antibrachial 74 03 79,0 76,0 78,7 78,4 77,9 — tibio-fémoral. 81, i 82,9 83,1 83,6 83,2 83,4

Nous savons, d'un autre côté, que le grand développement relatif de l'avant-bras chez le nègre reproduit une disposition normale chez l'embryon et l'enfant européens; les recherches de M. Hamy (1) ne laissent aucun doute à cet égard. Et si nous comparons aux chiffres donnés par

(1) E.-T. HAMY, Recherches sur les proportions du bras et de l'avant-bras aux différents âges de la vie. Bull. de la Soc. anthrop. de Paris, 2° série, t. VII, 1872.

cet auteur ceux que nous avons obtenus sur notre géant, nous voyons que son indice antibrachial correspond à celui d'un foetus de 5 à 7 mois.

Par suite, nous pouvons dire que Louis R., comme les nègres, présente, au point de vue du rapport des deux segments de ses membres supérieurs, un véritable arrêt de développement.

Si nous calculons le rapport de la longueur totale du membre supé-

FIG. 111. — Squelette du géant du Muséum à côté du squelette d'un Flamand de taille moyenne 1m,66 environ).

rieur ou celui de la longueur du membre inférieur à la taille, nous verrons que notre sujet se rapproche au contraire des Européens adultes.

Nous avons encore emprunté à M. TOPINARD les chiffres qui nous servent de termes de comparaison; il nous a fallu, pour que les nôtres

leur fussent comparables, opérer comme cet auteur, c'est-à-dire additionner les longueurs maxima des os de chaque segment. En procédant ainsi nous avons obtenu les résultats suivants :

RAPPORT DE LA LONGUEUR TOTALE DES MEMBRES A LA TAILLE

luW erla W GÉANT NÈGRES S /'- --o , ë a a DAFRIOUE. -a

- CUTE DHOIT. CUTE GAUCHE.

J

Membre supérieur. 35,0 35,5 35.5 33,7 33,8 — inférieur 49,4 51,0 51,7 48,8 49,3

Tandis que le membre inférieur gauche présente à peu près le même développement relatif que chez l'Européen adulte, le membre inférieur droit est proportionnellement un peu plus court. Mais la diminution de longueur s'accentue bien plus au membre thoracique, de sorte que, chez notre géant, comme chez celui étudié par le Dr PAPILLAULT, « le membre inférieur s'est accru davantage que le supérieur » (1), tout en n'offrant que des dimensions relativement faibles.

Les extrémités sont plutôt petites. Voici les chiffres absolus que nous avons obtenus sur le squelette :

Longueur de la main droite. 217 millimètres.

— — gauche 216 — — du pied droit. 279 — — — gauche 278 —

Si nous calculons le rapport qui existe entre ces mesures et la taille = 100, nous trouvons 10,1 pour la main et 15 pour le pied. Or, HUMPHRY admettait que, chez l'homme, ces rapports atteignent respectivement 11,8 et 16,9. Il est probable que les chiffres donnés par cet auteur sont trop élevés, car M. TOPINARD, en utilisant de nombreuses mesures prises sur le vivant, a dû les ramener à 11,6 et 14,8. Or, ces rapports devraient être encore réduits si l'on tenait compte du squelette, puisqu'ils ont été obtenus à l'aide de mesures comprenant la longueur de la charpente osseuse et des parties molles.

Examinons un dernier rapport, celui de la longueur de la clavicule à la longueur de l'humérus. La clavicule droite de notre géant, contrairement aux os de ses membres, est plus longue que la gauche; elle mesure, en effet, 222 millimètres, tandis que la seconde ne dépasse pas

(1) G. PAPILLAULT, Mode de croissance chez un géant. Bull. de la Soc. d'anthrop.

de Paris, 4e série, t. IV, 1899. (Voir notre obs. I: Le grand Charles.)

212 millimètres. Le rapport qu'on obtient de chaque côté est intéressant à rapprocher du rapport que Broca a obtenu chez les Européens et chez les nègres.

RAPPORT DE LA LONGUEUR DE LA CLAVICULE A LA LONGUEUR DE L'HUMÉRUS = 100

Européens Nègres. Géant.

Moyenne. 44,5 45 9 53,5 (à gauche) Maximum. 48,1 52,0 54,8 (à droite).

Notre géant s'écarte donc sensiblement, à ce point de vue, de l'Européen et il se place bien au-dessus du nègre par la longueur relative de sa clavicule.

En résumé, l'étude des proportions du squelette montre que Louis R. a les membres relativement courts, ainsi que les extrémités. En revanche, ses clavicules sont d'une longueur exagérée.

Le membre supérieur est proportionnellement plus réduit que le membre abdominal.

Dans chaque membre, le segment proximal présente un développement relatif moindre que le segment distal, ce qui rapproche notre géant des nègres, comme l'en rapproche aussi le rapport de la clavicule à l'humérus.

Le squelette offre, au point de vue de la longueur des os, une asymétrie très marquée. A l'exception des radius, qui sont égaux, tous les os des membres accusent un excédent de longueur à gauche. Par contre, les extrémités, et surtout les clavicules, sont moins développées et gauche qu'à droite.

III. Comparaison du côté droit et du côté gauche. — En dehors des longueurs, nous avons pris sur l'humérus, le fémur et le tibia, quelques mesures qu'il nous paraît utile de reproduire ici.

A droite. A gauche.

Humérus : Millimètres. Millimètres.

Diamètre antéro-postérieur de la diaphyse au V deltoïdien. 49 39 Diamètre transv. de la diaphyse au V deltoïdien 36 56 Largeur max. de l'extrémité inférieure. 72 70 — de la surface articulaire inférieure. 53 51 Fémur Distance max. du grand trochanter à la tête. 116 115 Hauteur delà tête. 57 59 Largeur — 58 58 Diamètre antéro-postérieur de la diaphyse, au-dessous du petit trochanter. 46 49 Diamètre transv. de la diaphyse, au-dessous du petit trochanter 49 45 Indice supérieur. 93,8 108,9 Diamètre ant.-post. max. delà diaphyse.. 49 49 — — de la diaphyse à 4 cent.

au-dessus des condyles 57 56

A droite. A gauche.

Millimètres. Millimètres.

Diamètre transv. de la diaphysp à 4 cent au-dessus descondylep. 4U,5 48 Indice inférieur. 74,7 75 Largeur max. de l'extrémité inférieure. 92 8U Tibia :

Largeur max. de l'extrémité supérieure 88 86 Diamètre antéro-postérieur de In diaphyse au trou nourricier 4G 4G Diamètre transv. de la diaphyse au trou nourricier 55 56 Indice 76,1 78,3

En comparant les chiffres fournis par le côté droit à ceux obtenus sur le côté gauche, on remarque que l'asymétrie que nous avons signalée plus haut à propos des longueurs s'accuse également dans les diamètres transversaux et antéro-postérieurs. Mais, tandis que l'humérus, le fémur et le tibia gauches sont plus longs que ceux du côté opposé, ils sont moins développés en largeur et d'avant en arrière. Cette inégalité est très apparente sur l'humérus, celui de droite offrant au niveau du V deltoïdien, un excédent de 10 millimètres dans le sens antéro-postérieur. Toutefois, le diamètre antéro-postérieur de la diaphyse fémorale, mesuré au point choisi par M. MANOUVRIER pour évaluer l'indice de la platymérie, est sensiblement plus grand à gauche qu'à droite, de telle sorte qu'il surpasse le diamètre transverse; mais cela tient aux lésions osseuses dont il sera question plus loin.

Notons que les deux fémurs ne sont nullement platymériques et que la platycnémie n'existe ni sur un tibia, ni sur l'autre.

IV. Omoplate. — L'omoplate ne nous arrêtera pas longtemps. La différence entre celle de droite et celle de gauche est assez minime, ainsi qu'on peut en juger par les chiffres ci-dessous: DIMENSIONS DE L'OMOPLATE (1)

A droite. A gauche.

Millimètres. Millimètres.

Longueur totale. 212 210 Largeur (de la base de l'épine an bourrelet glénoïdien) 156 139 Hauteur de la fosse sous-épineuse 171 168 Longueur du bord axillaire 178 177 — de l'épine et de l'acromion 180 180 — de l'acromion 69 64 n 38 40 Largeur — - - 38 40 Hauteur de la cavité glénoïde. 45 45 Largeurmax. — - - 54 55 Indice scapulaire 64,15 66,19 — sous-épineux 79,55 82,74

(1) Les points de repère qui nous ont servi sont ceux adoptés par le Dr LIVON.

Nous constatons encore une asymétrie marquée entre les deux côtés.

D'une façon générale, les hauteurs sont plus grandes à droite et les largeurs plus petites. Il en résulte une différence très notable dans les indices, qui aboutit à cette singulière conséquence que l'omoplate droite affecte, dans ses proportions générales, le type masculin, tandis que l'omoplate gauche rappelle le type féminin par son indice scapulaire. D'ailleurs, ni à droite, ni à gauche, nous n'observons aucun caractère qui. puisse écarter Louis R. des Européens pour le rapprocher des individus de race inférieure.

Il est même curieux de noter que son indice sous-épineux est moins élevé que chez les « Français et Européens » dont le Dr LIVON a étudié le scapulum; et cet auteur nous a montré que la hauteur de la fosse sous-épineuse décroît dans tous les autres groupes humains et que, par suite, l'indice s'élève, comme il augmente dans la série mammalogique envisagée en général. Nous ne voudrions pas en conclure, néanmoins, que notre géant ait plus évolué que la moyenne des Européens eux-mêmes au point de vue de l'omoplate. La faiblesse de son indice sous-épineux tient uniquement à ce que l'épine scapulaire est placée très haut et que la fosse sous-épineuse a acquis de grandes dimensions verticales aux dépens de la fosse sus-épineuse. Il nous semble beaucoup plus juste de dire que, là encore, la charpente de notre géant accuse une anomalie dans le développement.

V. Bassin. — Le bassin présente, lui aussi, des caractères tout à fait exceptionnels, que nous n'avons jamais rencontrés chez les nombreux individus que nous avons étudiés autrefois. Nous allons essayer de faire ressortir ces caractères après avoir donné les dimensions principales du pelvis. En regard des chiffres que nous avons obtenus sur Louis R., nous faisons figurer les moyennes que nous ont fournies jadis 65 bassins d'Européens adultes (1), normalement conformés.

PRINCIPALES DIMENSIONS DU BASSIN

1° Dimensions transversales.

Européens (moy.) Géant.

Largeurmaxima 279 379 Distance max. des crêtes iliaques (lèvre profonde). 255 555 — des épines iliaques postéro-supérieures 72 121 — — — antéro-supérieures.. 231 527 — — — antéro-inférieures 191 256 — des échancrures ilio-pubiennes. 160 239 — des trous ischio-pubiens. 51 78 — des échancrures ischio-pubiennes 129 213 — — ilio-sciatiques 197 282

(Cf. De l'omoplate et de ses indices de largeur dans les races humaines. Thèse de médecine, Paris, 1879).

(') R. VERNEAU, Le Bassin dans les sèxes et dans les races. Paris, J.-B. Baillière et fils,1875.

Européens (moy.). Géant.

Distance max. des ischions 153 245 — des épines sciatiques. 90 153 — du trou sous-pubien à la symphyse pub. 25 46 — de l'épine sciatique au sommet du sacrum. 49 8 i 2° Dimensions verticales.

Hauteur maxima. 220 275 — de la fosse iliaque interne 104 134 Distance de l'épine antéro-supérieure à l'échan-

crure ilio-pub 80 97 — de l'éminenceilio-pectinée à l'épine sciatiq. 77 90 — — — à l'ischion 107 127 — de l'épine ant.-sup. à l'épine sciatique.. 150 189 — — — à l'ischion 182 218 — de l'épine sciatique à la crête iliaque (max.) 167 207 3° Dimensions anléro-postérieures.

Diamètre antéro-postérieur maximum 171 239 Distance de l'épine antéro-supérieure à la symphyse sacro-iliaque 92 126

— de l'épine antéro-supérieure à l'épine postéro-supérieure. 164 221 4° Détroit supérieur Diamètre antéro-postérieur 104 140(?)

— transverse 130 189 — oblique. 128 176 Distance de l'articulation sacro-iliaque à la symphyse pubienne. 117 148 5° Détroit inférieur.

Diamètre sacro-pubien 109 143 — transverse maximum 122 202 G° Sacrum.

Largeur en arrière 93 125 — à la base. 118 159 — au détroit supérieur 108 156 — en bas 92 139 Hauteur. 105 139 Flèche. 27 26 7° Mesures diverses.

( Hauteur 58 68 Largeur 56 66 ( Largeur de la porGrande échancrure sciatique < tion iliaque. 50 51 Profondeur 40 42 Trou ischio-pubien I Longueur 57 69 Trou ischio-pubien Largeur 35 48 Concavité de la fosse iliaque interne 9 14 Épaisseur max. de la crête iliaque 19 28 ( à d* 5 — min. de „ l'os — a (à gobe G Angle de l'arcade pubienne. 60° 900

Européens (moy.) Géant.

8° Indices.

Horizontal (Diam. A. P. :Diam.Tr.max.). 0,62 0,65 Transverso-vertical (Haut. max.: Diam. Tr. max.). 0,79 0,75 Du détroit supérieur. 0,80 0,74(?)

Ce qui frappe, au premier abord, c'est l'aspect féminin que présente le bassin de notre géant. Si l'on n'examinait que la marge, on pourrait méconnaître sa caractéristique à cause de l'épaisseur des os. Par exemple, la crête iliaque atteint, au niveau du tubercule du moyen fessier, une épaisseur de 28 millimètres, soit 9 millimètres de plus que chez la moyenne des Européens. Mais nous avons démontré, en 1875.

que ce n'est pas dans le grand bassin qu'il faut aller chercher les différences sexuelles; elles résident essentiellement dans le petit bassin et sont en corrélation avec la présence de l'utérus. Pour loger cet organe supplémentaire, l'excavation se dilate dans tous les sens chez la femme et cette dilatation se fait aux dépens de la hauteur. C'est précisément ce que nous montre le pelvis de Louis R.

Cette réduction relative des dimensions verticales de la région souspubienne devient très manifeste lorsqu'on étudie certains rapports.

Ainsi la distance de l'éminence ilio-pectinée à l'ischion représente chez les hommes normaux de race blanche 49 pour 100 de la hauteur totale du bassin et 47 pour 100 seulement chez la femme; chez notre sujet, le rapport tombe à 46 pour 100. Si l'on compare cette même distance ischio-pectinée, non plus au diamètre vertical maximum, mais à la hauteur de la fosse iliaque interne, on constate que la diminution rela- tive du bassin de notre géant dans le sens vertical a réellement pour cause une réduction proportionnelle de la région sous-pubienne. En effet, chez les individus normaux, la hauteur ischio-pubienne est plus grande que celle de la fosse iliaque interne; le rapport, qui est, chez l'homme, de 1,03, s'abaisse légèrement chez la femme (1,02); chez notre sujet, il tombe à 0,95.

Par suite de la diminution relative des dimensions verticales de son petit bassin, Louis R. nous a donné un indice pelvien transversovertical (Hauteur : Diam. Tr. max.) extrêmement faible. Cet indice fournit une bonne caractéristique sexuelle, et nous voyons que notre géant exagère encore ici le type féminin. Un simple coup d'œil jeté sur les trois chiffres qui suivent le démontre surabondamment :

INDICE TRANSVERSO-VERTICAL

Européen (moy.). 0,79 Européenne (moy.). 0,74 Géant 0,75

L'indice du détroit supérieur conduit à des conclusions toutes semblables. Il suffît, pour être convaincu, de rapprocher les chiffres suivants :

INDICE DU DÉTROIT SUPÉRIEUR

Européen (moy.) 0,80 Européenne (moy.). 0,77 - Géant. 0,74 (?)

Nous ne donnons le dernier chiffre qu'avec doute, parce que la partie supérieure de là symphyse pubienne a été brisée et réparée; mais l'erreur qui peut en résulter est tout à fait insignifiante, et il est permis d'affirmer que l'indice du détroit supérieur n'atteignait pas celui de la femme blanche.

L'énorme écartement des épines sciatiques est encore un caractère féminin.

Pour avoir une idée de la dilatation du bassin dans sa partie inférieure, nous avons calculé le rapport du diamètre transverse maximum du détroit inférieur, tel qu'on peut le mesurer sur le squelette, à la largeur maxima de la marge. Là encore, nous voyons notre géant se rapprocher beaucoup plus de la femme que de l'homme, et même exagérer les caractères de la première; voici les chiffres que nous avons obtenus RAPPORT DU DIAMÈTRE TRANSVERSE MAX. DU DÉTROIT INFÉRIEUR A LA LARGEUR MAX. DU BASSIN

Européen (moy.). 0,43 Européenne (moy.) 0,515 Géant 0,55

C'est avec juste raison qu'on a attribué, pour la distinction des sexes, une grande importance à l'angle d'ouverture de l'arcade pubienne. Or, avec son angle de 90°, Louis R. surpasse, non seulement la moyenne féminine que nous avons obtenue sur des bassins d'Europe, mais encore la moyenne que nous ont fournie les femmes de toutes les races humaines.

Et, si nous examinons le sacrum, nos conclusions se trouveront une fois de plus confirmées. Quoi qu'en disent encore quelques auteurs classiques, la courbure du sacrum est moindre chez la femme que chez l'homme. A priori, on pouvait penser qu'il devait en être ainsi, car une grande courbure a forcément pour résultat de reporter en avant le sommet du sacrum et, par suite, de diminuer le diamètre antéropostérieur du détroit inférieur; si la femme avait un sacrum très concave en avant, l'opération de l'accouchement serait rendue plus difficile. Mais les raisonnements a priori étant souvent dangereux en science, le véritable moyen de trancher la question était d'évaluer la courbure de la face antérieure du sacrum en mesurant la longueur de la flèche, c'est-à-dire de la perpendiculaire élevée sur une ligne passant par le milieu de la base et du sommet et allant aboutir au point le plus éloigné de la face concave. C'est ce qu'a fait le Dr BACARISSE, et voici la conclusion à laquelle il a été amené : « Quoi qu'en aient dit les

auteurs, dans toutes les races le sacrum de l'homme est plus fortement courbé que celui de la femme (1). » Nos propres recherches n'ont fait que confirmer ce qu'avait dit notre confrère; nous avons trouvé que « chez la femme, le sacrum et le coccyx sont moins élevés et plus aplatis (2) ».

Or, chez notre géant, la flèche du sacrum ne mesure que 26 millimètres, tandis que chez l'Européen elle atteint, en moyenne, 27 millimètres. L'écart est minime, sans doute; mais si l'on tient compte de la différence de hauteur (139 millimètres chez le premier, 105 millimètres chez le second), on devrait trouver un rapport inverse.

Le rapport de la hauteur du sacrum à la largeur maxima = 100 donne les indices suivants : INDICE DU SACRUM (HAUT. : LARGEUR A LA BASE)

Européen (moy.) 1 0,89 Européenne (moy.) 0,87 Géant 0,87

Quels que spient les rapports ou les dimensions que l'on compare, on aboutit toujours à cette conclusion : Par tous ses caractères, le bassin de notre, géant reproduit exactement ou exagère même les caractères du pelvis féminin.

Par certaines particularités de sa ceinture pelvienne, Louis R. est en même temps un infantile. C'est ce que montre la crête iliaque qui n'est pas encore soudée au reste de l'os dans sa moitié postérieure; c'est ce que montre également le cartilage de l'arcade ischio-pubienne qui n'étant qu'incomplètement ossifiée a disparu dans une grande partie de son étendue. Par suite de cet arrêt de développement, le tubercule ischio-pubien interne est réduit à son minimum et les deux branches de l'arcade pubienne offrent une apparence grêle qui contraste avec l'aspect massif du reste du bassin.

VI. Colonne vertébrale, sternum et côtes. — Les vertèbres présentent pour la plupart une asymétrie marquée par suite de la déviation du rachis dont il sera question plus loin. Aucune d'elles n'a sa face supérieure ou sa face inférieure complètement soudée au corps.

Au point de vue de leurs dimensions, elles n'offrent aucune régularité, comme il est facile de s'en convaincre en jetant un coup d'œil sur le tableau suivant. Les mesures qui y figurent représentent la hauteur du corps vertébral et sa largeur prise au milieu de la hauteur :

(1) BACARISSÇ, Du sacrum suivant le sexe et suivant les races, Paris, 1873.

(2) R. VERNEAU, op. cit., p. 73.

DIMENSIONS DES CORPS VERTÉBRAUX

HAUTEUR. LARGEUR. HAUTEUR. LARGEUR.

millimètres, millimètres. millimètres, millimètres.

2° cervicale. 29 31 7e dorsale.. 25 44 3e - 22 29 8e — 27 44 4° — 21 27 9e — 29 46 5" — 18 51 10" — 28 49 6° — 16 30 11e — 30 55 7e — 19 41 12e — 32 56 lre dorsale..21 m. lrc lombaire. 52 M 2e — 22 37 2e — 32 57 3e — 25 38 5e — 40 65, 4e — 26 38 4e — 51 67 5e — *25 58 5e — m. m.

6° — 26 42

Le sternum ne comprend que les deux pièces habituelles (manubrium et corps); mais ses proportions sont intéressantes à noter, car cette partie du squelette, comme le bassin, nous offre des caractères féminins. C'est ce qui ressort très nettement de l'examen du petit tableau suivant sur lequel nous avons fait figurer, à côté des chiffres obtenus sur notre géant, ceux que le Dr H. WEISGERBER a trouvés chez des Européens et Européennes (1).

DIMENSIONS ET INDICE DU COUPS DU STERNUM

Longueur. Largeur. Indice.

Européens (moy.). 161 mm. 42 mm. 20

— (max.). — 58 — 58 Européennes (moy.). 135 — 41 — 50 — (max.). » — » — -i8 Géant. 138 — 62 - 45

Ce qui caractérise la femme, c'est la brièveté relative du corps du sternum, d'où résulte un indice sensiblement plus élevé que chez l'homme. Or, à ce point de vue, Louis R. se rapproche des Européennes qui ont fourni à notre confrère les chiffres les plus exagérés.

Le manubrium mesure 68 millimètres de hauteur et 79 millimètres de largeur; lui aussi est d'une largeur relativement considérable pour sa hauteur, car SAPPEY lui attribue, chez les Européens normaux, 50 millimètres dans le sens vertical et 50 à 60 millimètres dans le sens transversal.

Les côtes ne sont pas de la même longueur à droite et à gauche. A droite, la septième et la huitième mesurent environ 492 millimètres; à gauche, la septième est la plus longue, mais elle n'atteint pas les

(1) II. WEISGERDER, De l'indice thoracique. Thèse de médecine. Paris, 1879.

dimensions de sa congénère (7e côte gauche = 485 millimètres; 8e côte gauche = 482 millimètres).

Dans son ensemble, le thorax affecte une forme tout à fait anormale : il est- extrêmement dilaté en travers et. aplati dans le sens antéropostérieur. La monture en est un peu défectueuse, le cartilage sternal artificiel qu'a employé le naturaliste ramenant trop le sternum en arrière.

Nous en avons mesuré cependant les dimensions au niveau du plan horizontal passant par l'extrémité inférieure du corps du sternum et nous avons trouvé les chiffres suivants :

Diamètre antéro-postérieur du thorax. 248 — transverse. - 597 Indice thoracique 160

Cet indice n'a jamais été rencontré que chez quelques nègres. En Europe, il ne dépasse pas, en moyenne, 112 chez l'homme et 115 chez la femme. En faisant même la correction que réclame la monture défectueuse du sternum, on obtiendrait encore un chiffre tout à fait insolite pour un Européen.

VII. Tête. — La tête n'est pas la partie la moins intéressante du squelette de notre géant. La morphologie faciale, principalement, offre des bizarreries qui attirent l'attention des visiteurs de nos galeries les moins versés en anatomie.

Dans son ensemble, cette tête est néanmoins harmonique, c'est-à-dire que le crâne étant très dolichocéphale, la face est très développée dans le sens vertical.

A. CRANE. — Le crâne est d'une capacité plutôt médiocre, lorsqu'on tient compte de la taille du sujet; elle atteint 1735 centimètres cubes. Si, à l'exemple de M. MANOUVRIER, nous multiplions la capacité par le coefficient 0,87 pour obtenir le poids de l'encéphale, nous trouvons que le cerveau de Louis R. devait peser 1509 grammes. On sait que le poids moyen du cerveau du Parisien est d'environ 1557 grammes.

Mais, la quantité de substance encéphalique augmente quand la taille s'accroît, dans la proportion de 50 grammes environ pour 10 centimètres de taille en plus. Par suite, notre géant, dont la taille l'emportait d'à peu près 49 centimètres sur la stature moyenne des Parisiens, aurait dû avoir 244 grammes de cerveau de plus que ceux-ci, et, en réalité, l'excédent se réduisait approximativement à 152 grammes. Par conséquent, nous sommes en droit de dire que sa capacité crânienne est plutôt médiocre.

L'indice céphalique horizontal (70,55) accuse une dolichocéphalie très prononcée. Les indices verticaux dénotent un faible développement relatif du crâne dans le sens vertical. En effet, l'indice transversovertical (Diam. basilo-bregmatique : largeur) ne dépasse pas 96,57 et range notre sujet parmi les mésosèmes. L'indice de hauteur-longueur (68,08) le classe parmi les microsèmes.

C'est dans les régions pariétale et frontale postérieure que la tète se montre surtout rétrécie, car le diamètre transverse maximum (146 millimètres) est sensiblement le même que chez la moyenne des Parisiens (145mm,2, d'après BROCA). Au niveau de la suture coronale, le crâne est étroit d'une façon absolue, puisque le diamètre frontal maximum de notre géant reste un peu au-dessous de la moyenne des Parisiens normaux. En revanche, le diamètre frontal minimum est relativement élevé (110 millimètres), de sorte que l'indice fronto-pariétal atteint le chiffre très rare de 75,54.

Il ne faudrait pas en conclure que Louis R. eût des loges frontales d'une amplitude remarquable. Le front n'est large qu'en avant; en arrière, nous venons de le dire, il est étroit, et cette étroitesse n'est pas compensée par un excédent de développement antéro-postérieur.

En effet, ses courbes frontales médianes, tant cérébrale que sous-céré- brale, n'arrivent pas aux chiffres obtenus par BROCA sur une série de Parisiens contemporains. Il conviendrait encore de tenir compte de l'énorme développement des sinus frontaux.

La région pariétale n'offre pas des dimensions plus considérables que chez les individus de taille normale. Nous avons vu que le diamètre transverse maximum est sensiblement le même dans les deux cas; la courbe pariétale de notre géant (127 millimètres) est, on peut le dire, identique à celle du Parisien (126mm,3).

C'est donc la région occipitale qui s'est développée chez Louis R. et c'est à l'exagération de ses dimensions transversales et verticales qu'il doit l'accroissement de sa capacité crânienne. Les chiffres démontrent qu'il en est bien ainsi, car le diamètre occipital maximum atteint 129 millimètres (au lieu de 112mm,5) et la courbe occipitale totale arrive à 158 millimètres (au lieu de 119mm,4). Étant donné ce que nous savons de l'intelligence paresseuse de notre sujet, on est tenté de croire, avec beaucoup de savants d'ailleurs, que la portion postérieure de l'encéphale ne joue pas un grand rôle dans les phénomènes intellectuels.

Le trou occipital est relativement très peu développé en largeur; son indice tombe à 76,92 (au lieu de 84,9 chez l'Européen). Sa position va nous montrer que Louis R. s'éloigne encore à ce point de vue des Européens pour se rapprocher des nègres, dont il exagère même les caractères.

En effet, si nous comparons à la projection totale de la tête (sur le plan alvéolo-condylien) la projection postérieure, la projection crânienne antérieure et la projection faciale, nous voyons que le trou occipital est reporté en arrière, plus même que chez les nègres d'Afrique. Voici les rapports que nous avons obtenus : RAPPORT DES PROJECTIONS PARTIELLES DE LA TÈTE A LA PROJECTION TOTALE

Européens Nègres Géant.

(BROCA). (BROCA).

Projection postérieure: projection totale. 52,5 50,1 48,2 — crânienne ant.: - — 40,9 36,1 35,5 — faciale: —. — 6,4 15,7 18,5

Ces chiffres prouvent, en outre, que le crâne antérieur est fort peu développé, tandis que la face se projette en avant de l'ophryon d'une manière excessive.

La courbe antéro-postérieure nous montre un front très fuyant; mais, à partir du bregma, la courbe se poursuit régulièrement, sans autre accident qu'un très léger ressaut de l'écaillé occipitale au niveau du lambda.

Les sutures offrent des particularités qu'il convient de noter. La coronale est simple et complètement ouverte. Sur les côtés elle est longée en avant par un sillon assez étroit et en arrière par une dépression plus large, de sorte que la partie suturale elle-même forme un bourrelet saillant. — La suture sagittale est synostosée dans toute son étendue, et, à sa place, se voit une crête qui va du bregma au lambda.

— La lambdoïde est ouverte, comme la coronale, mais elle est beaucoup plus compliquée. Elle renferme, de-ci de-là, quelques os wormiens de très petit volume. Tout le long de cette suture, l'écaillé occi-

FIG. 112. — Tête du géant du Muséum (profil).

pitale déborde légèrement les pariétaux, de sorte qu'il existe un petit ressaut, fort peu accentué, d'ailleurs.

Par suite de la grande largeur du crâne au niveau de l'ophryon et de son étroitesse au niveau du bord postérieur du frontal, les lignes courbes temporales vont en convergeant jusqu'à la suture coronale.

Sur les parties latérales, les parois du crâne sont planes et descendent verticalement jusqu'à la racine de l'arcade zygomatique. Les diamètres transverse maximum (146 millimètres), le temporal (145 millimètres) et bi-auriculaire (145 millimètres) sont sensiblement égaux.

Toutes les surfaces d'insertions musculaires sont bien marquées. Les apophyses mastoïdes sont énormes (hauteur = 57 millimètres) et très rugueuses. La région iniaque est bizarrement conformée : la protubé- rance occipitale externe fait défaut; elle est remplacée par deux fortes saillies (celle de gauche, d'un volume exagéré) qui siègent au niveau des lignes courbes occipitales inférieures, de chaque côté de la crête médiane.

Notons encore, sur le temporal, la grande profondeur de la cavité glénoïde et la saillie de l'apophyse styloïde gauche, qui mesure 55 millimètres de longueur.

Nous n'avons pu étudier l'endocrâne, car la calotte crânienne n'a pas été sciée. Toutefois, grâce au trou pratiqué au niveau du bregma

FIG. 113. — Tête du géant du Muséum (face).

pour monter le squelette, et qui permet un certain éclairage de la cavité encéphalique, nous avons constaté quelques particularités que nous devons signaler : 1° le plan de la gouttière occipitale est beaucoup plus relevé qu'il ne l'est d'habitude; 2° la selle turcique est d'une profondeur inusitée; 3° à gauche, l'apophyse clinoïde antérieure est reliée à l'apophyse clinoïde postérieure par un pont osseux.

B. FACE. — La face est relativement fort allongée ; son indice s'élève à 78,81. Les orbites sont, au contraire, très développées en largeur et donnent un indice franchement microsème (76,09). Quant au nez, malgré sa grande largeur (30 millimètres), il est leptorhinien (indice nasal = 46,87), car il atteint une longueur remarquable (64 millimètres).

Les hauteurs de la pommette (57 millimètres), orbito-alvéolaire (65 millimètres) et de l'intermaxillaire (35 millimètres) présentent des dimensions tout à fait exceptionnelles.

Dans son ensemble, la face offre quelque chose de tout particulier.

Par suite du volume énorme des sinus frontaux et maxillaires, qui sont limités par des parois d'une extrême minceur, elle semble, pour ainsi dire, soufflée. La glabelle est complètement arrondie et malgré le relief qu'elle forme, la racine du nez est à peine indiquée. L'ophryon se trouve reporté en haut et en arrière, tandis que la portion moyenne des maxillaires supérieurs est renvoyée considérablement en avant. Aussi, quoique la région alvéolaire soit plutôt réduite dans ses dimensions transversales et qu'elle ne se projette guère en avant, le prognathisme général

est-il très exagéré : l'angle facial sous-nasal n'atteint que 67 degrés; l'angle alvéolaire tombe à 61 degrés et le dentaire à 52 degrés. La pro- jection faciale atteint le chiffre insolite de 41 millimètres.

Nous venons de dire que la portion alvéolaire ne participe guère au mouvement de projection de la face en avant. En effet, bien que la hauteur de l'intermaxillaire s'élève à 35 millimètres, la différence entre l'angle sous-nasal et l'angle alvéolaire n'est que de 6 degrés.

L'arcade dentaire supérieure, relativement réduite, porte des dents petites, qui n'offrent pas de traces d'usure ; mais plusieurs sont fortement cariées. Ainsi, les deux prémolaires droites et la première prémolaire gauche ont leur couronne détruite ; les deux incisives médianes sont également atteintes de carie. Les incisives s'inclinent en avant pour rejoindre les incisives inférieures. Quant aux petites et aux grosses molaires, elles sont implantées verticalement.

Les deux premières molaires vraies de chaque côté montrent un quatrième tubercule (postéro-interne) complètement isolé des autres par un sillon profond. C'est là une disposition qui existe dans les races inférieures et que M. GAUDRY a retrouvée sur le jeune sujet quaternaire, à type négroïde, que le prince de Monaco a découvert dans une des grottes des Baoussé-Roussé (1).

La voûte palatine, dont l'indice est élevé (80), présente une forme triangulaire des plus accentuées et une grande profondeur.

Il nous reste à dire quelques mots de la mandibule qui offre tous les caractères des maxillaires inférieurs d'acromégaliques. Nous donnons plus loin les mesures intrinsèques qu'elle nous a fournies.

Comme chez tous les géants acromégaliques, la branche montante du maxillaire est extrêmement oblique: l'angle mandibulaire atteint 130 degrés. Le menton se projette en avant au delà de toute expression : l'angle symphysien ne dépasse pas 31 degrés (au lieu de 72 degrés chez le Parisien). La largeur de la branche montante est de 39 millimètres à gauche et de 36 millimètres à droite; mais son épaisseur est plutôt faible (12 millimètres à gauche, 11 millimètres à droite). Cette branche se termine en haut par une apophyse coronoïde d'une longueur inusitée et par des condyles extrêmement minces; dans leur partie la plus épaisse (en dedans) l'épaisseur de la surface articulaire ne dépasse pas 8 millimètres. — Les angles du maxillaire rentrent fortement en dedans, de sorte que la distance biangulaire (107 millimètres) est en rapport avec l'étroitesse relative de la face et du crâne. L'arcade dentaire est, ellemême, étroite quoiqu'un peu plus large que l'arcade dentaire supérieure; aussi les dents du bas débordent-elles un peu celles du haut. Les incisives et les canines sont fortement obliques en arrière, et les prémolaires un peu moins. A gauche, la deuxième molaire s'incline; au contraire, très notablement en avant, de sorte qu'il ne restait pour la pre-

(1) ALB. GAUDRY, Contribution à l'histoire des hommes fossiles. L'Anthropologie, t. XIV, 1903.

mière molaire, détruite par la carie, qu'un espace triangulaire à sommet supérieur: Comme celles du haut, toutes les dents du bas offrent un volume très réduit; plusieurs sont fortement cariées.

Par suite de la projection énorme du menton, la hauteur de la mandibule, au niveau de la symphyse, s'élève à 44 millimètres. En même temps, la branche horizontale s'épaissit et présente l'aspect empâté que nous avons déjà signalé à propos de la région supérieure et moyenne de la face (épaisseur à la symphyse = 16 millimètres). — Les apophyses géni sont fusionnées en une masse unique, volumineuse.

Nous donnons, dans les tableaux suivants, les principales mesures du crâne et de la face de notre géant.

PRINCIPALES MESURES DE LA FACE ET DU CRANE

CRANE. FACE.

Capacité crânienne 1735 Largeurs : Projection l totale 115 Biorbitaire externe 123 antérieure, faciale. 41 Jnterorbitaire 51 Projection postérieure 107 Bizygomatique max. 151 Diamètres : ■ Bimaxillaire min. 78 Antéro-postérieur max.. 207 Orbites

Transverse max. 146 Largeur. 46 Bitemporal-. 145 Hauteur 55 Biauriculaire 145 Nez :.

Bimastoïdien 110 Largeur C supérieure. 17 Frontal max. 120 l:

= rnin. j.|q os propres, inférieure 25 Occipital max. -129 Largeur maxima de l'ou-

Vertical basilo-bregm.. 141 verture 30 C-, ~~, -' Longeur totale 64 C„ ourbes: Hauteurs: Horizontale totale. 577 Sous-cérébrale du front. 22 — préauriculaire 276 Intermaxillaire 35 Transverse totale. 485 Totale de la face 119 - sus-auriculaire 317 De la pommette. 57 Frontale cérébrale. 104 Orbito-alvéolaire 65 — totale 126 De l'apophyse mastoïde. 57 Pariétale 127 Voûte palatine : Occipitale 138 Longueur totale. 60 Longueur du trou occi- Largeur postérieure 48 pital. 59 Distance au trou occipital 52 Largeur du trou occipital. 50 Angles : Ligne naso-basilaire. 122 Facial sous-nasal 67° indices : Alvéolaire. 61° mInadiiccees s 5')0 Dentaire ^90Céphalique horizontal.. 70,53

VerLical. 68,08 Facial 78,81 Transverse-vertical 96,57 Orbitaire ;;::;:;. 76,09 Fronto-pariétal 75,54 4G|-g7 -

PRINCIPALES MESURES DE LA MANDIBULE

Géant.

Distance biang~airc. 107 — angulo-symphysaire. 132 Hauteur de la branche montante 64 ( à droite. 36 Largeur - - | gauche 59 Hauteur à la symphyse 44 T" 1 1 1 h t t '~adroite. 11 Épaisseur de la branche montante. j à gauche 12 a gauc le

— delà symphyse. 16

Angles.

Mandibulaire. - 150° Symphysien. 51°

VIII. Caractères anormaux et pathologiques. — Jusqu'ici, nous avons envisagé les caractères de notre géant presque uniquement au point de vue anthropologique; toutefois, nous avons signalé en passant quelques traits pathologiques. Il ne sera peut-être pas superflu de consacrer un petit paragraphe aux anomalies et aux lésions que présente le squelette.

1° ASYMÉTRIE. — La charpente osseuse, principalement celle des membres, est grandement asymétrique; les mesures que nous avons données plus haut le démontrent suffisamment, et il serait oiseux d'y revenir.

2° INFANTILISME. — Louis R. était un infantile. Quoique sa voix fût grave, il n'avait pour ainsi dire pas de barbe, et son squelette nous montre, en nombre de points, un développement inachevé. Cependant les épiphyses des os longs sont partout soudées, mais la synostose s'est accomplie peu de temps avant la mort pour les extrémités supérieures des humérus. A droite, le point d'union de la tête à la diaphyse est encore indiqué par un sillon profond qui occupe environ le quart de la circonférence de l'os. A gauche, une trace semblable existe sur une longueur de 8 millimètres.

Tous les cartilages qui devaient former les faces supérieure et inférieure du corps vertébral, incomplètement ossifiés, sont encore détachés des corps des vertèbres.

La moitié postérieure des crêtes iliaques n'est pas soudée au reste de l'os et le cartilage marginal de la branche ischio-pubienne, qui était loin d'être entièrement ossifié, a presque totalement disparu.

La clavicule, enfin, est dépourvue de la plaque de son extrémité sternale. L'ossification n'en était pas achevée et la plaquette engendrée par le point complémentaire a disparu.

3° FÉMINISME. — Le bassin et. le sternum .de notre géant présentent des signes de féminisme extrêmement accentués. Les détails dans les

quels nous sommes entrés suffisent à prouver que, à beaucoup de points de vue, le pelvis et le sternum exagèrent les caractères féminins.

4° ACROMÉGALIE. — Malgré les dimensions exagérées des pieds et des mains, on ne saurait dire que les extrémités soient frappées d'acromégalie, car il manque aux métacarpiens, aux métatarsiens et aux phalanges l'épaisseur exagérée que l'on considère comme le signe classique de l'affection. Voici, d'ailleurs, la longueur et la largeur (mesurée au milieu) de chacun de ces os.

MAIN. — DIMENSIONS DES MÉTACARPIENS ET DES PHALANGES

MAIN DROITE MAIN GAUCHE

LONGUEUR. LARGEUR. LONGUEUR. LARGEUR.

1er métacarpien 58 19 57 17 2e — 78 10 79 10 58 — 76 10 78 9 4e — 65 9 67 8 5e — 62 12 64 9 lre phalange. 39 11 39 10 2e — 52 15 50 15 3" — 53 15 55 14 4= — 51 14 52 13 5e — m. m. 41 122e phalangine m. m. 28 9 3° — 59 11 38 11 4° — 58 11 37 11

La cinquième phalangine manque aux deux mains et toutes les phalangettes font défaut.

PIED. — DIMENSIONS DES MÉTATARSIENS ET DES PHALANGES

PIED DROIT PIED GAUCHE -LONGUEUR. LARGEUR. LONGUEUR. LARGEUR.

1re métatarsien. 73 14 72 14 2e — 90 10 90 10 3B — 81 9 81 9 4" — 82 10 78 10 5» — 90 13 89 12 1re phalange. 40 9 38 10 2e — 30 4 33 4 5° — m. m. 32 4 49 - m. m. 29 4 5e — 27 4 27 3 2e phalangine m. m. 18 5

Les autres os des orteils font défaut.

Il n'est pas besoin d'établir des comparaisons entre ces chiffres et ceux que fourniraient des sujets normaux ou acromégaliques pour être convaincu que la largeur des os n'a rien d'exagéré. Il nous suffira de dire que le naturaliste qui a monté le squelette a complété les mains et les pieds à l'aide de phalanges choisies dans ses magasins et que toutes celles qu'il a ajoutées sont plus larges que les phalanges de notre géant.

Mais la profondeur de la selle turcique (1), l'énorme volume des sinus de la face et la forme, aussi bien que les dimensions de la mandibule sont autant de caractères qui doivent faire classer notre sujet parmi les acromégaliques. Nous serions tentés de rattacher à la même cause certaines des lésions dont il nous reste à dire deux mots.

5° LÉSIONS OSSEUSES. — En parlant de la face, nous avons mentionné son aspect bizarre : elle semble, en quelque sorte, soufflée. Beaucoup d'autres os du squelette offrent la même apparence. Les humérus et les fémurs présentent une boursouflure identique dans leur tiers supérieur ou même dans leur moitié supérieure. Le tissu compact est partout réduit à une mince couche qui se brise en maints endroits avec la plus grande facilité.

Sur les fémurs, la ligne intertrochantérienne antérieure forme un véritable bourrelet saillant, très marqué à droite, où il va en s'élargissant depuis le grand trochanter jusqu'au bord interne. La lamelle de tissu compacte qui recouvrait ces bourrelets était d'une telle minceur qu'elle a disparu par place et qu'on voit très nettement le tissu spongieux.

A leur extrémité inférieure, les deux fémurs présentent des troubles d'ossification fort apparents. La surface articulaire des condyles est limitée en haut et en avant par un véritable sillon, large et profond à gauche.

Nous avons noté, sur le fémur droit, une différence de 9 millimètres entre la longueur en projection et la longueur en position, d'où genu valgum qu'on observe aisément lorsqu'on met en contact les surfaces articulaires du fémur et du tibia.

Les tibias, principalement le gauche, offrent, dans leur tiers inférieur, une courbure à concavité interne.

Les péronés sont aussi fortement incurvés et tordus. Du côté droit, on constate une convexité postérieure qui siège sur presque toute la diaphyse; de l'autre côté l'incurvation est surtout manifeste sur le tiers supérieur.

La colonne vertébrale, enfin, montre une scoliose bien marquée avec déviation à droite de la région dorsale. La cyphose qu'on remarque sur

(1) En voulant mesurer avec l'endocrâne l'épaisseur des os de la voûte crânienne, nous avons touché la gouttière basilaire qui a cédé immédiatement et nous avons pu juger ainsi qu'elle est d'une minceur remarquable.

la photographie de l'individu vivant n'est pas apparente sur le squelette, ce qui tient sans doute à un défaut de montage. En résumé, notre géant présente des signes très manifestes d'infan- tilisme, de féminisme et d'acromégalie. Sa charpente osseuse, fortement asymétrique, laisse voir une foule d'anomalies et de lésions qui paraissent dues à une ostéoporose particulière. C'est ce que l'on a constaté maintes fois dans des cas de gigantisme. Notre sujet rentre donc dans la règle commune à ces divers points de vue, comme il y rentre par le développement relativement plus considérable de ses membres inférieurs que de ses membres thoraciques. Mais il se distingue de beaucoup de géants par le rapport des membres et des extrémités à la taille. Ce rapport dénote une brièveté relative de ces parties, même du membre abdominal. La réduction porte principalement sur les segments proximaux, de sorte que Louis R., sous ce rapport, rappelle le nègre ou l'embryon humain, ce qui ne saurait surprendre chez un individu dont le développement a été fortement retardé. Il se rapproche, d'ailleurs, du nègre par beaucoup d'autres caractères, notamment par les proportions de sa clavicule et de son thorax et par la projection en avant de la partie supérieure de sa face. C'est, en somme, un dégénéré, dont la charpente osseuse présente de nombreuses anomalies et des lésions multiples.

INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS

ACHARD et LOEPER, 159, 163, 164, 165, 170, 208, 380.

ALEMBERT (D'), 14.

ALIBERT, 193, 368.

AMICIS (DE), 155.

AMMON (OTTO), 116, 131.

APOLLINAIRE SIDOINE, 17.

ARNOLD, 186, 343, 350, 351.

AUDRY (RAYMOND), 351.

BABINSKI, 131, 154, 198.

BACCARISSE, 437.

BACHAUMONT, 24.

BAILEY, 187, 342.

BALLANCE, 344.

BARBACCI, 551.

BARUCH, 187.

BASSOË, 258, 259, 380.

BATH, 345. .351.

BAUHIN, 226.

BEADLES (C.), 186, 344, 349.

BEAUNIS, 238.

BECH, 352.

BECKER, 85, 88, 140.

BÉCLÈRE, 81, 192, 300, 306.

BENDA, 232.

BERKLEY, 233, 285.

BÉRILLON, 328.

BERNARD (CLAUDE), 201.

BERNHARDT, 198.

BEVAN, 259.

BIANCIII GIOVANNI, 241.

BISCHOFF, 415.

BLAIR (W.), 29.

BLANC (CHARLES), 38.

BOLTZ, 189.

BONARDI, 112, 186, 319, 514, 350, 362.

364.

BONNET, 87.

BOUDIN, 285, 501.

BOUGAINVILLE. 24.

BOULLENGER, 340.

BOURNEVILLE et RÉGNAULT, 184, 191, 341, 342, 382.

BOYCE et BEADLES, 146, 344, 349.

BRESCHET, 14.

BRIAN, 14.

BRIGIDI, 187.

BRISSAUD et HENRY MEIGE, 2, 10, 155.

206, 207, 208, 209, 214, 215, 210, 217 218, 210, 225, 234, 235, 252, 283, 326, 527, 358.

BRISSAUD, 10, 12, 25, 54, 77,154,159,181, 209, 212, 251, 279, 526, 336, 352.

BROCA, 334, 440.

BROKY et BARUCH, 187.

BROOKS, 189, 233.

BROUARDEL, 81.

BROWN-SÉQUARD, 237.

BRÜNS et GREUDLER, 343.

BRYAN ROBINSON, 238.

BUDAY et JANCSO, 78, 80, 81, 85, 91, 115, 122, 123, 130, 131, 182, 183, 184, 189.

190, 191, 193, 208, 379.

BUFFON, 23, 24, 226.

BUHL, 258, 408, 413.

BURR, 198.

BURY, 189.

BYROM-BRAMWELL, 236, 359.

CAMPBELL (HENRY), 220.

CANDISCH, 23.

CAPITAN, 72, 73, 74, 76, 90, 99.

CAPORIACCO, 187, 434.

CARNOT (PAUL), 199.

CARRON DE LA CARRIÈRE et MONFET